La Couronne de Cuivre

Mais Alban semblait se contenter de son unique vêtement. Il ne paraissait même pas avoir froid.
-Ruth a également l'impression d'avoir localisé... des choses, expliqua-t-il. Soit des mécanismes pour ouvrir des portes secrètes, soit... peut-être des panneaux de contrôle. Mais nous avons préféré ne rien toucher et simplement mémoriser les lieux.
Ils avaient atteint l'escalier.

" Excellent, dit le Luménien. Nous allons regarder ça aussi. Mais d'abord ces fameux diamants."
Il pouvait sans doute tenter de ranimer Thibault avec un diamant au hasard... si le sortilège ne fonctionnait pas, ce serait la preuve que la pierre n'était pas assez précieuse. Evidemment, il n'avait mémorisé qu'un seul sortilège de rappel à la vie ce qui, en cas d'échec, l'obligerait à attendre le lendemain pour réessayer. Mais il ne faudrait pas tergiverser : s'ils ne trouvaient rien d'approprié dans l'enceinte de leur palais, il faudrait retourner à la forteresse pour subtiliser le diamant utile. Il était prêt à y aller lui-même, au besoin.

Une fois atteint le sommet des escaliers, l'écuyer le précéda sans hésiter à travers le dédale de couloirs qu'il semblait désormais parfaitement connaître. Il le mena ainsi jusqu'à une petite galerie excentrée où les attendaient les autres membres du quatuor, qui saluèrent joyeusement Albérich.
Le long des murs, celui-ci découvrit des vitrines abritant non seulement des minéraux mais également des fossiles. Il remarqua ainsi d'étranges coquillages, des ossements, des empreintes étranges...

En d'autres circonstances, Albérich se serait penché avec intérêt sur ces merveilles anciennes, mais en l'occurrence, seule la résurrection de Thibault l'intéressait dans l'immédiat. Il ressentait une responsabilité terrible envers son ami trépassé et repoussait fermement l'idée qu'il puisse ne pas se relever hors de son esprit. C'était seulement le second jour, mais plus vite les choses seraient réglées, mieux il se sentirait. Il devinait que ses grandes interrogations sur l'éthique de ce genre de sortilèges referaient surface tôt ou tard et il n'était pas certain de comment il les gèrerait.
Car agir une fois, c'était ouvrir la porte à la répétition... Où mettrait-il ensuite la limite ? Ou pour qui ?

Alban le précéda jusqu'à une vitrine abritant des petites d'or et ce qui ressemblait fort à de petits diamants. A moins qu'il ne s'agisse de très jolis cristaux.
-J'ai pas encore trouvé comment ouvrir, fit Ruth. Mais je finirai par y arriver !
-Sinon, y a aussi des empreintes de pieds griffus, là-bas, fit l'un des jumeaux avec enthousiasme.
-Peut-être que ce sont celles des démons qu'il va falloir combattre maintenant que le sceau est rompu ! lança son frère, sur le même ton.

" Je te laisse chercher, Ruth." dit Albérich en se penchant sur la vitrine.
Diable, ces cailloux étaient forts petits. Il avait l'impression qu'ils auraient plus de chance en cherchant des bijoux ou des armes ornées. Mais il ne fallait pas baisser les bras, il n'était pas midi.
" Ça vaudrait la peine de regarder ces traces de plus près, en effet, ajouta-t-il à l'intention des jumeaux. Peut-être qu'un de nos rôdeurs... ou qu'un livre pourrait nous permettre d'identifier ce dont il s'agit. Si cette galerie reprend des objets qui datent de la fondation... Cela nous renseignera peut-être sur ce qui vivait ici avant les fondateurs de Clairétoile..."
Mais s'il fallait croire les légendes, ces fameux anges auraient été bien mal inspirés d'aider à ériger une colonie humaine juste sur un nid de fiélons...

-Tout cela a été trouvé quand les mines ont été creusées, fit Alban. En tout cas, c'est ce qu'indiquait une plaque que Pelleas et Galaad ont traduite.
-Z'ont pu faire une erreur, lâcha Ruth.
-On fait jamais d'erreur !
-Trouve un moyen d'ouvrir les vitrines au lieu de dire des bêtises !
-Si vous continuez, je me sers de vous pour les briser !
-Est-ce que vous pensez que ça va convenir ? demanda l'écuyer à Albérich, invariablement sérieux, en désignant les gemmes.

" Honnêtement, je n'en sais rien, Alban... Je n'y connais vraiment rien en pierres..."
Il se tourna vers lui.
" Mais j'y pense... Il y avait un couple de joaillers, non, dans le groupe ? Avec un fils hyper pudique, je ne reviens pas sur son nom, qui ne voulait jamais se déshabiller... Je ne sais plus comme ça... mais s'ils sont parmi eux, ou au moins un d'entre eux... ils pourront sûrement nous dire ce qu'il en est. Et si ce n'est pas le cas... Ça ne coûte rien d'essayer. Un peu d'énergie divine."

Alban sourit.
-Le garçon, c'est Aymeric. Il est là, avec ses parents.
-Et il est toujours aussi pudique, glissa Ruth, qui farfouillait dans les parages.
-Je peux aller les chercher si vous voulez.

" Oui, je veux bien, Alban. C'est une aubaine, profitons-en."
Il croisa les doigts mentalement pour que ces cailloux soient ce qu'ils semblaient être et qu'ils aient la valeur requise. Dans le même temps, il se prépara au contraire. Ce n'était que le début de la recherche, il ne fallait pas se décourager s'il faisait chou blanc. Pour se changer les idées tandis qu'Alban allait chercher les joaillers, il se tourna vers les empreintes dont Galaad et Pelleas avaient parlé.

Par leur conformité générale, par la présence de cinq doigts, les empreintes paraissaient humanoïdes. Mais elles dénotaient aussi la présence de très longues griffes acérées. Sans parler de leur taille : ceux qui les avaient laissées devaient être hauts de dix pieds au moins. Et être très lourds également, vu la profondeur des marques...
-Alors, à votre avis, c'est des traces de démon ? fit l'un des jumeaux - qu'il était plus que jamais impossible de discerner de son frère.
-Ou d'ogre ? De géant ? s'enquit l'autre.
-De demi-elfes préhistoriques ! lâcha Ruth qui commençait à s'énerver à force de ne pas trouver comment ouvrir les vitrines.

Albérich se garda bien d'intervenir pour aider la gamine : c'était souvent quand elle craquait que les miracles se produisaient.
" Je dois avouer que je n'y connais vraiment rien en empreintes d'animaux. Vous demanderez à Varamyr quand il sera de retour. Il doit connaître toutes les traces de créatures présentes dans les marais... et sinon... Franchement, je ne plaisantais pas avec les livres. Surtout qu'en tant que futurs bardes... vous y plonger devrait devenir une seconde nature."

-On aime bien les livres.
-Et on en lira si ça peut aider.
-Mais tous les bardes ne passent pas forcément tout leur temps à lire.
-Non, il y en a qui préfèrent monter sur scène pour donner des concerts d'enfer !
-Comme notre père ! C'est un bon musicien !
-Le meilleur musicien du monde !
-Et c'est reparti... maugréa Ruth. Si vous voulez, m'sire, j'peux vraiment les utiliser pour casser les vitrines. Avec un peu de chance, ça les assommera.

Il se tourna vers Ruth et lui sourit doucement.
" Pour moi, ça va, mais c'est vrai que toi, tu dois les supporter toute la journée."
Il refit face aux gamins.
" Dommage que votre père n'est pas rôdeur, ça aurait été plus utile." dit-il avec un petit haussement d'épaules.
Il reporta à nouveau son attention sur Ruth.
" Il parait que tu as déniché d'autres choses intéressantes ?"

Elle acquiesça.
-Oui, des boutons ou des mécanismes cachés. Y en a pas mal, en fait. Mais j'en ai touché aucun.
-Aucun sauf deux ou trois...
-Ou trois ou quatre, même !
-Mais j'ai pas fait exprès !

Albérich sourit : Ruth était Ruth. Elle était bien assortie avec Hubert, depuis le premier jour.
" Et il s'est passé quelque chose ?"

Ruth s'était empourprée, ce qui lui arrivait rarement.
-Ben... Une fois... ça a fait apparaître une maquette du palais. Ailleurs, ça a dessiné des drôles de symboles par terre, dans une salle qu'on avait encore jamais vue. Mais j'ai rappuyé pour que tout ça disparaisse et... Ben... On avait convenu qu'on ferait semblant que je découvrirais tout en même temps que vous. Sauf que ces deux crétins ont vendu la méché.
Ils protestèrent qu'elle aurait dû s'abstenir de les menacer mais on les sentait embarrassés.

" Ne t'en fais pas. Tu me montreras tout ça une fois que les joaillers sont passés. Tout cela m'intrigue."
Il sourit doucement.
" Après... C'est vrai que j'aurais tendance à te conseiller de ne pas appuyer sur n'importe quoi... Il ne faudrait pas qu'on déclenche quelque chose que les Ithiliens pourraient voir de l'extérieur et qui attire leur attention sur nous... A côté de ça, on ne comprend pas l'usage de la moitié des choses, et si on doit attendre... on n'y arrivera jamais... Donc l'un dans l'autre... Je t'aurais probablement quand même demandé d'appuyer..."

-Peut-être, mais vous m'auriez donné la permission. Là, je l'avais pas, et je vous jure que j'ai vraiment pas fait exprès de déclencher ces trucs... Mais des fois, quand je découvre... J'ai la main qui dérape. Vraiment, je veux dire...
Des bruits de pas se firent alors entendre. Quelques instants plus tard, Alban reparaissait, précédant un homme d'une petite quarantaine d'années. Le joaillier, forcément...

Albérich ne tergiversa pas : il le remercia puis lui expliqua directement ce qu'il attendait de lui, tout en étant bien conscient que l'homme demanderait probablement à examiner les pierres ce qui, pour l'heure, était impossible. Mais sans doute pourrait-il juger, à vue de nez, de la valeur probable des diamants exposés... si ça en était seulement, ce qui n'était pas encore garanti. Ruth, de son côté, n'avait manifestement pas découvert le mécanisme adapté aux vitrines... Peut-être était-il, lui aussi, dépendant d'un panneau de contrôle à découvrir, tout bien réfléchi, et le clerc lui suggéra de le chercher.

Tandis que le joailler, sourcils froncés, observait les gemmes et confirmait qu'il s'agissait de petits diamants, Ruth s'intéressait aux murs, conformément à la suggestion d'Albérich. Laquelle s'avéra bonne : la gamine finit par découvrir non un panneau de contrôle, mais un mécanisme adroitement dissimulé. Lorsqu'elle l'activa, il y eut un léger bourdonnement et les panneaux avants des vitrines coulissèrent, permettant d'accéder à leur contenu. Dès lors le père d'Aymeric put examiner de plus près les pierres précieuses... Sa conclusion fut que malgré leur taille réduite, leur pureté leur conférait une valeur indéniable. Assez pour convenir au sort que comptait lancer le Luménien ? IL en doutait... hormis peut-être pour l'une d'entre elles, dont la teinte était fort peu commune.

Ça ne coûtait rien d'essayer, aussi Albérich prit-il la pierre entre ses doigts.
" Merci à vous. Il est possible que nous faisions à nouveau appel à vous..."
Même si cela fonctionnait avec ce diamant, il pourrait être utile d'en trouver d'autres, en cas de besoin...
La porte ouverte. Tu ne peux pas penser comme ça.
Il se tourna vers Ruth et Alban.
" Je vais aller tenter de réveiller Thibault. Je pourrais être de retour très vite... ou beaucoup plus tard. Si vous le voulez, vous pouvez continuer à chercher des choses dissimulées... mais... essayez quand même de ne pas appuyer sur ces boutons... D'accord ?"

->Bien sûr ! répondit Ruth, très sérieuse.
-On la surveille ! fit l'un des jumeaux.
-Comptez sur nous ! renchérit l'autre.
-Et moi, je les surveille eux, dit Alban, avec l'un de ses rares sourires en coin.
Et la petite bande quitta la galerie au grand galop.

Albérich les regarda détaler puis descendit au rez de chaussée, le petit diamant de couleur étrange au creux de la paume. Il fallait qu'il se prépare psychologiquement à l'échec de son sortilège, il le savait, et en lui-même, espoir et inquiétude bataillaient. Il savait cependant qu'il aurait besoin de soutien pour faire face, quoi qu'il advienne. Il se mit donc en quête de Giovanni. Le barde était sensible et affecté par la perte de Thibault, Albérich ne l'ignorait pas... mais il pensait aussi que c'était la seule personne que le clerc tolérerait de trouver à son chevet s'il devait se réveiller...

Giovanni ne s'était pas montré depuis le petit-déjeuner. Cependant, Albérich finit par trouver quelqu'un l'ayant vu se diriger vers les caves, divers artefacts sous le bras. Il le dénicha finalement dans la petite pièce où reposait Thibault, revêtu... d'à peu près tout ce qu'on avait trouvé dans le sanctuaire caché de l'école de magie, et les yeux rivés sur le manuscrit indéchiffrable. Il les releva néanmoins lorsque le clerc apparut.
-Alors, la fine équipe en phase de conversion sunite a-t-elle découvert des choses intéressantes ? s'enquit-il.

" Peut-être. Nous serons fixés très rapidement."
Il baissa les yeux sur Thibault, dont le corps était désormais marqué par le trépas de manière indéniable. Rien que l'odeur était insupportable. C'était assez incroyable que Giovanni parvienne à faire quoi que ce soit dans une telle atmosphère. Mais Albérich se garda bien de l'interroger sur son choix de lieu.
" Et toi ? Tu avances ?"

-Formidablement bien ! J'ai découvert que ni la robe, ni les bagues, ni l'amulette ne conféraient le pouvoir de comprendre la langue dans laquelle est écrite ce manuscrit. Et que le bâton ne le rend pas davantage intelligible !
Il eut un sourire dépité.
-A part ça... Rien.

Albérich se pencha sur le livre. A présent qu'il était au pied du mur, il était nettement moins pressé de tenter le rappel à la vie. Il y avait à la fois le tabou qu'il enfreindrait — il n'avait jamais usé de ce sortilège de toute sa vie, mais aussi le poids de l'échec qui, il le savait, minerait sa résolution. Même si c'était sans doute stupide, il ne pourrait s'empêcher de le lire comme un message d'en-haut...
" Je pourrais tenter un sortilège de compréhension des langues, mais jusqu'ici, ça n'a servi à rien avec ce charabia... Est-ce qu'Hubert a jeté un oeil ? Il a des pouvoirs innés... Il pourrait connaître ce langage sans le savoir..."
Il n'était déjà pas très bon lecteur en commun, cependant... décrypter un tel volume lui prendrait probablement dix ans...

-Il pourrait, oui. Ne fut-ce qu'inconsciemment. Il a déjà fait quelque chose du genre, à l'école de magie... Mais voilà : il a à peine jeté un regard au manuscrit puis... me l'a refilé, sans plus s'y intéresser depuis.
Il eut un sourire qui se voulait joyeux.
-Honnêtement, tu devrais user de l'influence que tu exerces sur lui pour... le pousser à lire davantage, à plus se cultiver... et à s'intéresser à cet ouvrage qui, peut-être, est la clef de tous les mystères que nous n'arrivons pas encore à percer !

" Je ne suis pas certain d'avoir encore beaucoup d'influence sur lui, malheureusement, murmura Albérich, avant de sourire doucement. Mais je lui en parlerai quand il sera rentré."
Il abandonna le livre et revint vers Thibault. Il s'agenouilla près de lui, tentant d'ignorer ses traits affaissés, sa pâleur, les signes caractéristiques de la rigidité cadavérique qui s'atténueraient bientôt, au moment où il commencerait à se décomposer...
" Giovanni, si tu allais chercher de quoi boire et manger, pendant que j'incante ? Si ça marche, il aura très faim."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue