La Couronne de Cuivre

Elle le dévisagea un instant, peut-être un peu perplexe, mais finit néanmoins par acquiescer.
-Très bien, je m'en occupe.
Elle se leva, posa fugacement une main sur son épaule.
-Consacre-toi à autre chose sans arrière pensée, je gère le dossier.
Et elle s'éloigna.

Sans arrière pensée, elle en avait de bonnes.
Mais Albérich ne pouvait la blâmer. Il attendit qu'elle soit partie pour se diriger vers la salle où il priait d'ordinaire. Une fois qu'il y fut rendu, il incanta.

Albérich -> Apaisement des émotions -> Lui-même.

Ensuite, il se chercha un coin de lumière et pria. C'était la seule chose à sa disposition pour aider à une résolution positive de la nouvelle crise en cours.

Pendant ce temps, les recherches se poursuivaient à l'étage. Et moins d'une demi-heure plus tard, Marthe s'en vint trouver Hubert.
-Le lynx de Varamyr a retrouvé la piste des enfants et l'a suivie, annonça-t-elle calmement. Elle s'arrête dans la salle découverte par Giovanni et n'en repart pas. Notre barde a légalement remarqué une manière de mécanisme mais... il est incapable de l'activer. Il pense que toi, en revanche, tu en seras capable.

Le paladin accueillit la nouvelle avec un soulagement teinté d'inquiétude, plus agréable cependant que le chaos qui régnait jusque là dans son esprit.
" Je te suis." dit-il.
Quelques mètres plus loin, cependant, il reprit la parole.
" Est-ce qu'on sait à quoi sert cette salle ? Les instituteurs, peut-être ?"

-J'en doute. Giovanni est catégorique : cette salle n'était pas visible auparavant. Dès lors, deux explications : soit ce sont les enfants qui en ont ouvert l'accès, soit c'est intervenu de manière automatique, après que la cloche ait retenti...
Elle le mena jusqu'à l'endroit en question, une pièce qui, pour paraître de taille modeste comparée à un grand nombre de celles qu'abritait le palais, n'en était pas pour autant minuscule. En cet endroit dépourvu de toute décoration et de tout mobilier, le lynx de Varamyr flairait le sol avec application tandis que Giovanni se tenait debout près de l'entrée, à côté d'un petit carré de métal iridescent incrusté dans le mur.

Hubert s'approcha du barde, hésitant.
" Bon... Vous voulez que j'appuie là-dessus, alors ? Vous n'avez pas peur que... je désintègre quelque chose ?"
En prononçant ces mots, il frémit malgré lui. Il était conscient de verbaliser cette possibilité pour l'empêcher de se produire. Ou surtout de s'être produite.

Le barde leva les yeux au ciel.
-Hubert, nous sommes dans un refuge. Dans une arche, même. Un lieu destiné à protéger ceux qui s'y installent. Pourquoi contiendrait-il quoique ce soit de dangereux pour eux ? Ça n'aurait pas de sens !
Il sourit.
-Allez, pose donc là-main là-dessus. A mon avis, ça ouvrira un portail ou quelque chose du genre, et nous pourrons enfin découvrir où se sont rendus nos explorateurs en herbe.

Hubert dévisagea le barde, songea au fait que même le refuge avait besoin d'un vide-ordures et que la désintégration aurait été une méthode appropriée.
" Mouais. Les gamins ont quand même disparu. Je ne crois pas que s'ils avaient ouvert un portail, ils l'auraient franchi impunément, sans venir nous en parler d'abord. Même Ruth. Imagine que je déclenche une... téléportation. Que toi, moi, Marthe, Varamyr disparaissions subitement... Je ne suis pas certain que la communauté adorerait. C'est peut-être plus prudent que vous reculiez tous dans le couloir. Si je m'évapore, vous pourrez raconter ce qui s'est passé."
Il ne s'expliquait pas bien comment les enfants avaient pu déclencher le mécanisme, cependant... L'un d'entre eux avait-il aussi du sang céleste ?

Giovanni parut pour le moins agacé de se voir ainsi écarté. Il parut même sur le point de protester. Il n'en fit rien, toutefois, et accompagna Marthe, Varamyr et le compagnon animal de ce dernier hors de la pièce.
Quand il fut seul, Hubert posa la paume contre la petite surface métallique et, un instant, ressentit une chaleur étrange.
Puis des symboles lumineux apparurent sur le dallage. La plupart d'entre eux formaient, ensemble, une forme géométrique : deux cercles concentriques. On en notait toutefois quelques-uns à l'extérieur de ce périmètre, dont un quasiment aux pieds du paladin.

" Vous pouvez revenir ! dit-il d'une voix forte. Mais restez hors... de ces trucs..."
Il observa les symboles avec plus d'attention. Peut-être était-il capable, quelque part au fond de lui, de manière innée, d'en tirer quelque chose... Sinon Giovanni aurait-il peut-être une suggestion...

Yeux plissés, il fixa les étranges symboles dont la forme et la luminosité semblaient parfois mouvantes.
Il ne les comprit pas, mais des mots s'imposèrent à son esprit. Ou, plutôt, des sensations qu'il traduisit en mots.
Passage... Voyage...
Du bruit le tira de sa concentration. Les autres étaient revenus et le lynx avait recommencé à flairer le sol, au même endroit que précédemment, là où un symbole excentré avait désormais pris place.

Hubert s'approcha du lynx et du symbole. Les enfants avaient manifestement été transportés quelque part, s'il devait croire les impressions qu'il avait ressenties. Mais où ? Et pouvaient-ils prendre le risque de s'y rendre ? Si c'était à des lieues de là, sans espoir de retour ?
" Il faudrait peut-être demander à Albérich d'aller contacter les enfants depuis le souterrain. Nous risquer à les... imiter... sans savoir ce qui nous attend... C'est trop risqué."
Il avait envie d'y aller, pourtant. L'idée que les gamins soient sans défense, ailleurs, hors de portée, le rendait malade. Mais les événements de la veille lui avaient donné une fameuse leçon, et il fallait qu'il se contraigne à la mesure. Un contact magique ne prendrait que quelques minutes supplémentaires et les enfants avaient disparu depuis des heures... Cela ne changerait plus grand chose.

Marthe acquiesça et s'en fut. Moins de cinq minutes plus tard, elle abordait Albérich.
-Nous avons retrouvé la piste des enfants, dit-elle d'emblée, espérant sans doute le rassurer. Apparemment, ils ont été... téléportés ailleurs, par l'entremise de symboles apparus sur le sol d'une salle que Giovanni n'avait pas remarquée jusqu'ici. Avant d'aller les chercher par le même chemin, Hubert aimerait que tu essaies de les contacter.

Albérich avait eu du mal à conserver suffisamment de concentration pour prier, mais une fois qu'il avait frôlé la bienveillance de Lathandre, il avait retrouvé son calme et l'espoir d'une résolution positive s'était imposé en lui, repoussant ses angoisses au plus profond. Il avait même entrevu une piste pour gérer un autre de ses problèmes actuels : Hubert. Aussi quand Marthe vint le chercher, l'accueillit-il avec soulagement mais aussi une confiance renouvelée.
" Je vais faire ça dans l'instant. Que dois-je leur demander ? Où ils sont ? S'ils peuvent nous revenir, quelque chose comme ça ?"
Dès qu'il aurait eu la réponse de la juge, il irait dans les souterrains.

-Effectivement, il est impératif qu'ils nous donnent une idée de l'endroit où ils se trouvent. Quant à un moyen de rebrousser chemin... Je crains qu'ils ne soient déjà revenus s'il en existait un. A moins qu'ils soient juste dans l'incapacité de l'activer. Mais donc oui, pose-leur la question...
Ses consignes en tête, Albérich gagna les souterrains pour y incanter. La réponse à son appel ne se fit pas attendre.
Oh, monseigneur...
Dans le ton du gamin, du soulagement, indéniable. Mais pas de panique ou d'inquiétude.

Le clerc sourit. S'il avait eu encore des doutes sur l'issue de cette crise, ils se dissipèrent.
Où êtes-vous ? Pouvez-vous revenir ? Etes-vous tous en bonne santé ?"

Il y eut alors un long silence. Attentif comme il l'était, Alban devait avoir appris d'une façon ou d'une autre que le nombre de mots auquel on avait droit lors d'une communication magique était limité et, par conséquent, il devait préparer soigneusement sa réponse.
Dans un fort. Mécanisme pour ouvrir portail mais... impression que seul messire Hubert pourrait le faire. Tout va bien.

La magie des Anciens avait donc prévu une porte de sortie. Il n'était pas impossible, tout bien réfléchi, que cette pièce soit apparue suite à la rupture du sceau, ouvrant un pont vers des zones moins exposées au cataclysme.
Ne bougez pas. Il va venir vous chercher.
Avant, peut-être, de les y renvoyer de manière plus permanente. Mais Albérich sentait que ce n'était pas à l'ordre du jour. A présent, il fallait qu'il aille prévenir les autres... en suggérant à Hubert d'emporter de quoi nourrir les gosses qui devaient être affamés.

Nous ne bougeons pas, l'assura Alban.
Quand il leur eut annoncé les bonnes nouvelles, ses compagnons furent soulagés... et ne cherchèrent pas à le cacher.
Il ne restait plus qu'à Hubert à procéder à d'éventuels préparatifs... puis à franchir le pas. Sans doute suffisait-il de toucher l'un des symboles pour être téléporté... Heureusement, le lynx avait clairement indiqué auquel s'attaquer.

" Je propose que Giovanni et Varamyr, vous veniez avec moi, dit le paladin. Cela nous donnera l'opportunité de jeter un oeil sur ce fameux fort... et de parer à toute éventualité. Quoi que dise Alban, il n'est pas complètement impossible que nous devions revenir par un chemin plus long..."
Il jeta un coup d'oeil rapide vers Albérich, mais celui-ci semblait apaisé par la tournure qu'avaient pris les événements, et il se contenta d'acquiescer.

Les deux hommes acquiescèrent, le barde avec un enthousiasme flagrant.
-C'est quand vous voulez !
Varamyr, lui, annonça qu'au cas où le trajet de retour soit moins direct que prévu, il allait rassembler quelques affaires.
-Soyez prudents, souffla Marthe. Surtout s'il s'avère que vous deviez marcher pour revenir.

" Si vous n'êtes pas de retour dans l'heure, l'un d'entre nous tentera de vous contacter, dit Albérich. Comme ça, nous serons au moins fixés sur la situation.
— D'accord."
Il songea qu'ils auraient dû demander aux enfants s'ils pouvaient apercevoir la ville de là où ils se trouvaient... Ils avaient parlé d'un fort, mais si celui-ci se trouvait auprès d'une autre ruine antique, à des lieues de là, les choses seraient peut-être beaucoup plus compliquées...
" En fait, j'essaierai plutôt de revenir tout de suite, par acquis de conscience. Ensuite, nous pourrons explorer ce fameux fort.
— Sois prudent : il n'est pas impossible que le système n'ait qu'un nombre fini de charges par jour... Nous n'en savons vraiment rien. Une priorité pour nos lectures, Marthe, sans doute. Si c'est vraiment un téléporteur fonctionnel... Il y a manifestement plus d'une destination possible."

-Je dirais même, à vue de nez, qu'il y en a une quinzaine...
Giovanni fixa les symboles et le dessin qu'ils formaient avec attention.
-Bon, si le signe que renifle notre félin camarade est le bon, et si notre terrible quatuor a bien atterri dans un fort... On peut supposer que les signes situés hors des cercles amènent également dans des forts et que ceux qui sont à l'intérieur des cercles mènent à différents points de la cité...
Il secoua la tête.
-Ou alors ça n'a rien à voir. Ah, pourquoi les Anciens ne nous ont-ils pas laissé de mode d'emploi concernant ce refuge ? Tout serait tellement plus simple !

Ce barde était subtil, on devait le lui reconnaître.
" Ça me semble être une belle intuition, dit Albérich en observant les symboles. Nous pourrions aisément tester cette hypothèse... une fois que nous serons sûrs de pouvoir revenir en arrière aisément... et de ne pas nous jeter dans la gueule du loup. Les forts situés au nord de la ville sont probablement occupés, et la forteresse fait certainement partie des points dans lesquels nous pouvons arriver...
— Mais nous n'avons pas vu de salle semblable là-bas...
— Si elle n'apparaît qu'en cas de crise, ce n'est pas complètement étonnant."

-Tout à fait. Ou alors nous n'avons simplement pas repéré les... heu... mécanismes permettant de faire apparaître les symboles; Après tout, des salles toutes simples, il y en avait, au palais...
Varamyr fut bientôt de retour. Il avait pris son arc, son épée, ainsi qu'un sac sans doute empli de vivres et, peut-être, de couvertures. Bref, tout était paré pour le départ.

Hubert jeta un oeil à sa petite équipe, puis se tourna vers Marthe et Albérich.
" Nous serons bientôt rentrés." dit-il avec sérieux, en regardant particulièrement le clerc dans les yeux.
Celui-ci esquissa un sourire et le paladin se sentit honteux de l'avoir rudoyé quand il avait appris que les enfants avaient disparu. Il fut forcé de se détourner et marcha droit sur le symbole, désireux d'échapper à cette chaleur dont il se sentait plus indigne à chaque écueil.

A peine son pied se fut-il posé sur le signe lumineux qu'il fut pris d'une étrange sensation de vertige.
Un instant, il ne vut que lumière.
Puis ce fut la pénombre d'une salle dépourvue de fenêtre et envahie par le froid.
Dans un coin, pelotonnés les un contre les autres, il découvrit les disparus.
-Si quelqu'un d'autre vient, vous feriez mieux de vous écarter, messire, sinon vous vous le prendrez dessus, fit Alban.

Sans vraiment réfléchir, Hubert fit ce que le petit garçon lui conseillait. Il parlait probablement d'expérience. Ensuite, il vint jusqu'à eux et s'accroupit.
" Misère, vous êtes gelés dans ces tenues... Varamyr arrive avec des couvertures et de la nourriture... Est-ce que tout le monde va bien ? Que diable s'est-il passé pour que vous passiez tous par ce portail sans que personne ne songe à avertir un adulte ?"

-C'est ma faute, fit Ruth d'une petite voix. J'ai fait apparaître les symboles. Je voulais pas le faire, je vous jure, mais...
-A ce compte là, c'est ma faute, fit l'un des jumeaux. J'avais qu'à pas me tenir juste sur l'endroit où un symbole est apparu.
-C'est plutôt la mienne : si j'avais pas foncé à ta suite, ça aurait pas lancé le mouvement...
-C'est moi qui ait été stupide, conclut Alban. Quand ils ont tous disparu, j'aurais dû descendre prévenir monseigneur Albérich mais... Je me suis inquiété pour eux et comme je croyais qu'on pourrait facilement revenir...
Il soupira.
-Je suis désolé pour l'inquiétude que nous vous avons causés et si quelqu'un doit être puni, c'est moi.

C'était donc Ruth qui avait fait apparaître les symboles. Cela signifiait que le sang céleste n'était pas nécessaire pour activer le téléporteur à partir de la forteresse. Ni Giovanni, ni Varamyr n'avaient été capables d'ouvrir les coffres magiques, mais Marthe était le genre de personnes qui pourrait sans doute y parvenir.
" C'était effectivement stupide, dit Hubert avec sévérité. Stupide dès le premier qui s'est rué à la suite de l'autre."
Il jeta un oeil derrière son épaule. Si Alban avait dit vrai, Varamyr aurait déjà dû être là et ces couvertures devenaient vraiment nécessaires.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue