La Couronne de Cuivre

HRP : ha non ! Les dés me lâchent toujours sur la fin ! C’est une vraie malédiction !

Il avait perdu ? Vraiment ? Alors là, Silmandel n’en revenait pas.
« Ho, heu, c’est embarrassant », déclara-t-il. Je suis sûr que tu as triché ! C’est une honte ! Tricher à ton âge ! »
Vive la mauvaise foi ! D’un ample mouvement, il ramassa les cartes.
« Allez, une dernière partie, une toute dernière, celle qui décidera du vainqueur. »
Ce serait juste la vingt-deuxième. Cette fois, il ne cherchait pas à passer le temps, puisqu’il devait être assez tard pour se rendre à la taverne. Non, il tentait juste d’échapper à son gage.

-Mauvaise réponse ! Si vous aviez été loyal et respectueux de vos engagements, quand j'ai demandé "Qu'est-ce qu'on dit ?", vous auriez dû répondre.... Miaou !
Il croisa les bras.
-Mais peu importe, vous allez devoir miauler maintenant, parce que jouer, j'ai plus envie. Ça fait des heures et des heures qu'on le fait !
Quelques secondes de silence s'écoulèrent, puis le garçon poussa un soupir spectaculaire.
-Ah, vous avez de la chance, j'ai pitié de vous... Allez, une dernière, alors.
Et la dernière, que dis-je, l'Ultime Partie Dont Tout Dépendait se solda... par la cuisante défaite d'Alexandre.

HRP : *ne tirera plus jamais aux dés*

HRP :

« Gagné ! J’ai gagné ! Et c’était la dernière ! La toute dernière ! Alors, qu’est-ce que tu en dis ? »
Ton triomphant, mimique moqueuse, petit rire amusé, Silmandel avait une fois de plus triomphé ! Il se leva, ramassa les cartes et, fixant Alexandre, il se surprit à ne pas être tout à fait satisfait du résultat. Le gamin était trop gentil. Il avait joué là-dessus, ce n’était effectivement pas très honnête. Alors il soupira et ajouta :
« Allez, t’as de la chance, j’ai pitié de toi. En plus, ça se voit que tu es un garçon. Et puis, qu’est-ce que je ferai d’un valet, moi ? En route vers la taverne. Cette fois, on rentre, on prend une chambre et un bon repas. »

-D'accord pour le repas, mais pour les chambres, on en prend deux !
Il bondit sur ses pieds.
-Messire mon maître ne saurait dormir dans la même pièce que son valet, n'est-il pas ? Et puis, sans vouloir vous faire offense, les chats, ça a tendance à se vautrer sur les lits où les humains dorment et à prendre de plus en plus de place au fil de la nuit. Et puisque vous êtes un sacrément gros matou, je suis sûr que vous finiriez par me pousser par terre !

« Ha non ! Ne commence pas à me donner du Messire mon maître ! Parce que sinon, et bien je vais décréter qu’il n’y aura qu’une seule chambre et je me comporterai comme un vrai chat à l’intérieur. Un vrai chat très câlin ! Te voilà prévenu ! »
Un jeu se terminait, un autre débutait dans la foulée. Silmandel n’allait pas s’en plaindre. Le moment n’en était que plus sympathique.

-Avec tout le respect que je lui dois, je conseillerais à messire mon maître de s'abstenir. Sinon, messire mon maître pourrait bien avoir affaire à un propriétaire furieux à cause des draps et des couvertures percées de coups de griffes et d'une chambre inondée. Car messire mon maître doit le savoir, son humble serviteur aimant se reposer tranquillement, il a pour habitude de chasser les chats trop turbulents à grands renforts de seau d'eau.
Ils rallièrent la taverne. Pas de Clémentine à l'extérieur. Pas à l'intérieur, non plus. Des clients encapuchonnés, en revanche, il y en avait à foison. Au moins n'attireraient-ils donc pas particulièrement l'attention...

Ha, c’était comme ça ! Ainsi soit-il, la guerre était déclarée ! Une guerre nouvelle entre le chat et le valet ! Après avoir constaté l’absence de Clémentine dans la salle commune, Silmandel s’assura que son capuchon était bien en place, puis il alla droit vers le tenancier.
« Une chambre pour deux et de quoi nous remplir l’estomac, je vous prie. »

Le tenancier, un nain d'âge mûr dont la barbe grisonnait, ne parut s'étonner ni de sa mise, ni de son élocution particulière. Il faut dire que vu sa profession, vu l'endroit où il vivait, il devait en voir de toutes sortes...
-C'est cinq pièces d'argent, payables d'avance, annonça-t-il tranquillement.
Lorsqu'il reçut la somme demandée, il tendit une clef à Silmandel.
-Tenez. Chambre cinq, à l'étage. Vous pouvez aller y déposer vos affaire dès à présent, si vous le souhaitez. Le repas vous sera servi d'ici peu.
Derrière l'ensorceleur, Alexandre se tenait coi. Mais ce n'était sans doute que partie remise.

La proximité des bas-quartiers avait des avantages. Cette taverne était donc intéressante. A ne pas oublier.
« Merci bien. »
Très satisfait de lui, Silmandel se tourna vers Alexandre.
« Allez, viens, on va déposer tout ça. »
L’ensorceleur prit la direction des escaliers. Une seule chambre, ce n’était pas qu’un moyen d’enquiquiner le garçon. En cas de problème, il pouvait mieux le protéger.

La chambre était globalement du même niveau que celles qu'ils avaient occupées au Luménien Noyé : à peu près propre, elle possédait un mobilier fonctionnel composé de deux lits, de deux coffres, de deux chaises et d'une table pouvant faire office de bureau. Quant à sa fenêtre, elle donnait malheureusement sur la rue, ce qui augurait d'une nuit quelque peu bruyante...
-Que messire mon maître me pardonne, mais nous avions convenu de prendre DEUX chambres ! s'exclama Alexandre en déposant son sac. Ah là là, pour son propre bien, il est grand temps que je reprenne les choses en main ! D'abord, je dois aller chercher... des seaux d'eau. Hum, sinon, autre solution : messire mon maître dort sur le rebord de la fenêtre. Côté extérieur, évidemment. Les chats, ça aime bien ce genre de perchoirs, non ?

« Depuis quand, valet, vous ai-je autorisé à pareille initiative ? Messire votre Maître a l’intention de dormir dans son lit. Tâchez de ne point l’oublier. Tachez aussi de vous tenir correctement où il va vous en cuire ! »
Ton péremptoire, posture suffisante. Puisqu’Alexandre tenait à l’appeler ainsi, Silmandel endossait donc le rôle, non sans le parodier un peu. Il ne voulait surtout pas être pris au sérieux, en tout cas pas par le garçon. Ce n’était qu’un jeu. Mais les jeux pouvaient aller loin. Satisfait de la chambre, il déposa son sac vers le second lit et reprit presque aussitôt la direction du couloir.
« Allez, venez, j’ai faim. Et si d’aventure vous m’importunez à nouveau, c’est du lait que vous allez boire ce soir ! »

-Et depuis quand un maître vouvoie-t-il son valet ? Faut vraiment tout vous expliquer !
Le garçon secoua la tête.
-Sinon, le lait, c'est une idée for-mi-dable ! Je laisserai cependant à messire mon maître le soin de régler les ennuis que nous causera la commande de pareil breuvage en ces lieux...
Ils gagnèrent la salle commune et s'installèrent à une table libre. Quelques instants plus tard, une serveuse leur apportait un repas simple mais roboratif. Puis elle s'enquit de ce qu'ils souhaitaient boire. Un regard alentours suffit à Silmandel pour comprendre qu'ici, presque tous les convives consommaient de la bière. Cela n'avait rien d'étonnant, avec un nain comme patron...

Alors ce fut de la bière. Et normalement, elle serait plus digeste. Silmandel avait soif et faim. Les événements de la journée l’avaient éprouvé, cela commençait à se sentir. Il devint curieusement moins loquace. Son esprit vagabondait entre bien des pensées diverses. Les appariteurs de l’école du Nécronomicon... Clémentine et son fameux contact... Alexandre... sa métamorphose... les balades... les parties de cartes... la robe magique et ce qu’elle représentait... les catacombes... les démonistes... Asmodeus... et bien d’autres choses. Jusque là, il estimait ne pas trop mal s’en sortir. Et demain, qu’en serait-il ?

Son acolyte non plus ne fut pas très bavard : lui aussi ne manquait pas de sujets de réflexion, voire d'inquiétude. Il se sustenta sans se presser - la nourriture n'avait rien d'immangeable - tout en sirotant sa bière. Celle-ci n'avait rien en commun avec l'ignoble breuvage qu'ils avaient dû avaler dans les bas-fonds : non, elle était d'excellente qualité, sans doute brassé par le maître des lieux en personne qui, en bon représentant de sa race, connaissait son affaire. Elle était forte, aussi. Très forte, même.
Le repas se termina sans anicroche, sans que personne ne soit venu leur parler ou les déranger. Les autres clients se préoccupaient de leurs propres affaires, comme souvent en ce type d'endroit.

Ho, déjà terminé ? Verre vide, assiette vide... Le temps s’écoulait au galop lorsque l’esprit s’évadait.
« Fameuse cette bière... » murmura-t-il, surtout pour lui-même.
Il en aurait bien repris, mais ce n’était pas le moment d’être ivre. Etre raisonnable, quelle nouveauté ! Merci Melandis. Merci Alexandre et donc Clémentine qui le lui avait laissé !
« Bon, on monte ? »
L’ensorceleur n’avait pas l’intention de s’attarder dans la salle commune. Dans la chambre, à l’abri des regards indiscrets, il se sentirait tout de même plus tranquille.

-Quoi ? Vous voulez qu'on rentre après n'avoir bu qu'une seule bière ?
Alexandre se redressa.
-Vous savez que c'est un coup à mettre le patron en rogne, ça ? Si ça se trouve, il va penser qu'on n'a pas aimé, il va se sentir insulté et il débarquera en pleine nuit dans notre chambre, hache à la main !
Il secoua la tête.
-Bon, en même temps, je comprends : c'est pas votre faute si vous tenez pas l'alcool...

Silmandel jeta un regard aux alentours, hésita un instant, puis répliqua :
« Effectivement, ce n’est pas ma faute. Allez viens. »
Oui, il avait été capable de ne pas répondre à la provocation. Le fait que la bière était corsée ne lui avait pas échappé et il n’avait pas envie d’avoir à gérer un Alexandre ivre. D’ailleurs, il se pouvait bien que le garçon soit déjà quelque peu éméché, sa réaction le suggérait. L’ensorceleur se leva à son tour.

Silmandel ne s'était pas trompé : Alexandre ne marchait pas tout à fait droit et titubait légèrement. Toutefois, cela ne les empêcha pas de parvenir sans encombre jusqu'à leur chambre.
-Hors de question de dormir tout de suite ! annonça son acolyte sitôt que la porte fut refermée. Sinon, on vaudrait pas mieux que des poules !
Il fixa l'ensorceleur.
-Et ça achèverait de me convaincre que vous seriez vraiment, vraiment mieux en poule-garou.

« Et c’est moi qui ne tient pas l’alcool ! » remarqua malicieusement Silmandel, tout en considérant son jeune compère.
Il s’assura ensuite que la porte était verrouillée, puis il ôta son manteau. Dessous, il n’avait plus que la tunique et sa ceinture remontée par-dessus une épaule afin de transporter sa rapière. Il retira arme et ceinture.
« Mon pauvre valet, dans ton état, tu n’es plus bon à rien ! Moi, je pourrais marcher sur les mains, et toi, tu ne marche même plus droit ! Que veux-tu qu’on fasse ? Jouer aux cartes ? Fichtre, ce serait ta perte ! Crois-moi, tu devrais te coucher. »

-Oh, mais c'est l'hôpital qui se fout de la charité ! s'exclama Alexandre tout en retirant lui aussi son manteau. C'est vous qui avez refusé de reprendre une bière, tout ça parce que vous êtes déjà ivre mort après seulement une pinte ! Mais allez, comme je suis vraiment trop sympa, et comme vous aimez vraiment beaucoup les cartes, allons-y pour une nouvelle partie ! Et j'ai déjà votre gage si vous perdez : puisque vous faites le malin, il vous faudra... marcher sur les mains !

Encore les cartes... Et ben, ils enchaînaient les parties ! Tant mieux, c’était une activité sans risque.
« Très bien. Ton gage à toi, ce sera de marcher droit. »
Silmandel sortit le jeu, s’installa aussi confortablement que possible, mélangea et commença à distribuer.

-Pfff, fastoche ! Mais de toute façon, je vais gagner !
Ils jouèrent donc. Si Alexandre parvenait à se concentre quelque peu, il encaissa malgré tout son énième défaite de la journée.
-A un moment, faudra quand même que vous jouiez sans tricher, grommela-t-il en se relevant.
Et avec beaucoup d'efforts, il parvint à marcher droit à travers la pièce. Enfin... presque droit.
-Bon, on recommence. Cette fois, je vais vous mettre votre pâtée ! lança-t-il en revenant s'assoir.

« Hum, c’est ce que tu appelles marcher droit ? Et ben, elles sont bizarres tes lignes droites. Et puis je ne triche pas. Je n’en ai pas vraiment besoin. »
En tout cas, c’était parti pour la secondes parties de cette nouvelle séance. Silmandel n’avait pas l’intention d’en faire beaucoup.

En fait, ce serait sans doute la dernière, car Alexandre perdit à nouveau.
-Bon, soit vous trichez, soit vous avez ensorcelé le jeu, soit la fée qui s'est penchée sur mon berceau était un avatar de Beshaba, soit les dés du destin sont lancés par quelqu'un de particulièrement poissard, parce que franchement, perdre autant, c'est juste pas possible... marmonna le garçon d'un ton grognon. Et donc, je m'arrête là : je suis pas mauvais joueur, mais au bout d'un moment, c'est juste plus drôle.

« Les dés du destin, sans doute. Enfin, le poissard qui les tient, surtout. Ou alors, t’es juste très, très, très, très, très, très mauvais. »
Silmandel ramassa les cartes qu’il rangea.
« Allez, au lit. Demain, faudra être en forme. »
Il montra lui-même l’exemple en retirant la tunique et en s’allongeant.

-Quoi ? s'exclama le garçon, d'un ton scandalisé. Mais il est encore hyper tôt ! Et on a rien fait de notre après-midi, en dehors de se promener et de jouer aux cartes ! Comment vous pouvez être déjà fatigué ?
Il croisa les bras, la mine butée.
-Peut-être qu'être un chat-garou, ça vous donne envie de dormir tout le temps, comme les vrais matous ! Mais moi, pas question que je me couche maintenant !

Nu, alongé sur le dos et sur les couvertures, les bras croisés derrière la tête, Silmandel observait du coin de l’œil le garçon grognon. Il fallait le reconnaitre, le petit jeu auquel ils se livraient depuis le départ de Clémentine, très amusant au début, devenait à la longue un peu lassant. Bien sûr, l’alcool n’arrangeait rien et l’ensorceleur était le premier à blâmer. Pour l’heure, il était effectivement fatigué. Et, effectivement, peut-être que la lycanthropie devait y être pour quelque chose. Pas spécifiquement celle du chat, mais plutôt la maladie en général. Exploiter ainsi un nouveau corps, cela devait bien être un peu éprouvant. Il bailla sans retenue. Ce fut sa première réponse. Pas très malin, Alexandre allait peut-être la prendre pour une provocation de plus, ce que c’était implicitement. Puis le garou dit enfin :
« Propose quelque chose. Je suis toute ouïe. »

-Ben non : si vous êtes fatigué, vaut mieux que vous vous reposiez. Et si l'après-midi a été relativement tranquille, on a quand même pas mal marché. Quant à la matinée, elle était épique.
Moins de deux minutes plus tard, les feux étaient éteints et Alexandre reposait dans son propre lit-.
-Bonne nuit. Et merci pour la journée : ç'aurait pu être super ennuyeux mais au final, on s'est bien amusés !

Silmandel en était resté sans voix. Lui qui s’attendait déjà à devoir batailler dur pour convaincre Alexandre de se coucher... voilà que c’était déjà fait.
« De rien. C’était sympa, c’est sûr. T’es pas un gosse banal. T’as un sacré cran. Allez, bonne nuit. Fais de beaux rêves ! »
Dans la pénombre, l’ensorceleur souriait. Oui il était fatigué, oui la confrontation amicale prolongée l’avait un peu lassée... mais non, il n’avait pas renoncé à son dernier petit projet. En plus, ce n’était pas qu’un jeu, mais aussi de l’entrainement. Il se glissa sous ses draps, faisant mine de vouloir dormir, sauf qu’en vérité, il s’était mis à se concentrer. Pour la première fois, il tentait d’adopter sa forme animale.

Cela fut long et difficile, cela lui demanda une intense concentration, au point presque de lui donner la migraine. Mais au bout d'un certain temps - il fut incapable d'en déterminer la durée - il finit par atteindre son objectif et par se métamorphoser en un véritable chat, confortablement pelotonné sous les draps. Dans le lit voisin, Alexandre continuait à se tourner et à se retourner : il n'avait pas menti en affirmant qu'il n'était pas fatigué. A moins qu'il ait trop de choses en tête pour arriver à s'endormir.

La Couronne de Cuivre

[Bâtiment] La Taverne de la Gorgée d'Orge