La Couronne de Cuivre

La tirade de Malo la fit sourire. Une nouvelle fois, il tentait tant bien que mal de dédramatiser la situation.

"Je vous le promets. Par contre, je ne sais pas exactement ce que vous avez dit. Malika oui, par contre. Ou du moins a-t-elle reconnu la langue. Je l'ai vu froncer les sourcils. Nous pourrons lui demander demain, si vous le désirez."

Le professeur arbora de nouveau un calme sourire tout en répondant sérieusement :

- Cela me parait plus prudent, oui : il se pourrait que cela nous apporte des éléments pour comprendre ce qu'il est advenu. Et pas seulement tout à l'heure : je n'aime pas me jeter dans la gueule du loup sans en avoir compté les dents, si j'ose dire.

Angèle lui répondit sans attendre.

"Dans tous les cas, vous ne plongeriez pas seul. Malika et moi tenons à vous et vous pouvez être sûr que nous ne vous laisserons pas vous mettre en danger sans intervenir."

Elle réalisa qu'elle n'avait pas envie de le perdre. Après Morgan, elle ne le supporterait pas.

Malo sourit de cette déclaration qu'il estimait touchante et sincère et répondit à l'avenant :

- Je sais pouvoir compter sur vous et moi aussi je tiens à vous Angèle : il semble que vous m'ayez déjà sorti de bien des embûches en très peu de temps ! J'ai un peu peur que vous finissiez par penser que je le fais exprès !

Angèle secoua la tête et dit une fois encore ce qu'elle pensait.

"Non, je ne le pense pas. Vous êtes peut-être simplement en pleine période de turbulences ce qui n'est peut-être pas étonnant pour un aventurier. En revanche, vous vous ennuyez peut-être quand vous demeurez trop longtemps à la même place."

Ce qui était loin d'être son cas, bien au contraire. Mais elle le garda pour elle.

Le professeur s'empressa de répondre le plus sincèrement du monde :

- Détrompez-vous, Angèle : la majorité de mon travail consiste à faire de très longues recherches à la bibliothèque ou à donner parfois qu'elles conférences pour récolter des fonds, de quoi financer mes expéditions. Et Malika vous dira combien je peux parfois oublier toute notion du temps passé quand j'étudie des ruines prometteuses.

Angèle hocha la tête, quelque peu penaude de s'être méprise sur les occupations de Malo.

"Désolée, je ne reviens pas de voir à quel point nous nous ressemblons ..."

Elle regretta presque aussitôt ses paroles. Mais elle les avait bel et bien prononcées.

"Je n'ai pas l'habitude de croiser des gens qui peuvent passer des heures à lire. Je me sens ... Un peu moins seule ..."

Et dire que ses paroles étaient censées redresser un peu la situation ...

Mais il était trop tard pour rattraper ses paroles au vol : Malo se tourna vers elle et lui sourit doucement en la regardant pendant un long instant avant de répondre :

- J'en suis heureux. Vous n'êtes assurément pas quelqu'un de banal, Angèle. Et il faut bien reconnaître que les gens les plus exceptionnels sont aussi souvent les plus seuls.

Angèle secoua la tête.

"Alors, à partir de maintenant, vous pourrez vous dire que vous n'êtes plus seul. Je crois que je penserai à vous chaque fois que je me plongerai dans un livre. Où que vous soyez à ce moment là. Je suis contente de vous avoir rencontré, Malo."

Elle espéra qu'il faisait assez sombre pour qu'il ne la voie pas rougir.

Mais s'il la vit rougir, le professeur n'en montra rien une nouvelle fois ne nouvelle fois et mis même tout en œuvre pour la mettre à l'aise en répondant d'un ton léger :

- Allons Angèle, vous parlez comme si nous allions nous séparer demain et ne plus jamais nous revoir : j'espère bien que ce ne sera pas le cas ! Vous n'avez tout de même pas l'intention de rentrer à Manost demain, rassurez-moi !

Il ne s'était pas départi de son second degré mais la paladine sentit tout de même une pointe d'angoisse dans cette dernière phrase.

Elle eut un petit rire. Ne se doutant pas de l'angoisse latente de Malo, elle ne la remarqua pas.

"Non, je n'ai pas l'intention de partir. Cela va vous paraître étrange après ce que nous venons de vivre mais je me sens bien. J'ai l'impression que je ne me suis jamais sentie aussi vivante. Au moins depuis longtemps."

Il était si loin le temps où Morgan était encore en vie.

Malo se tourna vers elle et sourit calmement avant de répondre du ton doux et serein qu'il employait souvent en sa présence :

- J'en suis soulagé : quand nous avons entamé ce voyage, je craignais que vous vous ennuyiez parmi nous. Ou que vous vous languissiez fort justement de vos livres. Mais je suis heureux que ce ne soit pas le cas et que vous vous sentiez bien. C'est très important pour moi que vous ne nous suiviez pas à contrecœur !

Il était sur le point d'ajouter quelque-chose mais il se contenta de sourire à nouveau et de la regarder.

Angèle sourit à son tour. Elle ne se sentait plus le besoin de parler. Tout avait été dit. Elle replia ses jambes avant de les entourer de ses bras et de poser son menton sur ses genoux. C'était une position qu'elle affectionnait particulièrement quand elle était tranquille. Puis, naturellement, elle releva les yeux vers les étoiles.

Elle se sentait bien, en paix avec elle-même.

La nuit était paisible et Malo resta un long moment à ses côtés sans un mot et, au bout d'un temps indéfini, quand Angèle tourna à nouveau son regard vers lui, elle le découvrit assoupi. Visiblement, il avait voulu rester auprès d'elle jusqu'à être surpris par le sommeil, emmitouflé dans sa couverture auprès du feu.

C'était peut-être mieux ainsi. Il devait être en forme pour prendre son tour de garde. Discrètement, elle se rapprocha de lui et remonta la couverture sur ses épaules. Il ne fallait pas qu'il attrappe froid.

Elle-même se pelotonna dans sa propre couverture et fixa son attention sur les bruits de la nuit.

Le temps sembla s'écouler à l'infini et elle piqua plusieurs fois du nez avant qu'elle n'estime plus pouvoir rester vigilante pour monter la garde. Il était donc plus prudent de réveiller Malo ou Malika pour prendre sa relève puis se laisser glisser dans un sommeil accueillant. Juste à côté, le professeur marmonnait dans le sien, sans doute en proie à quelque rêve.

Elle hésita un petit moment avant de se décider à s'approcher. Il ne s'agissait pas de curiosité malsaine. Elle voulait simplement savoir s'il reprendrait cette voix étrange qu'elle avait entendu la veille au moment de l'attaque des loups. Si c'était le cas, elle se dépécherait de réveiller Malika afin qu'elle traduise.

S'il s'agissait d'un simple cauchemar, elle le réveillerait.

Mais il ne parlait plus la langue inconnue et il ne s'agissait vraisemblablement pas d'un cauchemar non plus. En fait, Malo semblait calme et paisible et souriait dans son sommeil. Il changea de position au moment où Angèle allait lui secouer l'épaule et elle distingua quelques-uns de ses mots :

- Je suis heureux de vous avoir à mes côtés..., marmonna-t-il intelligiblement tout en étant encore endormi.

Il était difficile de savoir s'il rêvait et à qui il s'adressait mais Angèle ne put s'empêcher de sourire. Malo avait un petit quelque chose d'indéniablement touchant qui le suivait jusque dans le sommeil. Elle se redressa pour atiser le feu pour repousser encore les ombres de la nuit et retrouver un peu de châleur.

Puis, se levant tout à fait, elle alla réveiller Malika. Il était temps pour elle de savoir ce qu'elle avait entendu puis de dormir.

La jeune-femme dormait profondément à quelques pas de l'entrée de la grotte quand Angèle vint la trouver. Une simple secousse sur son épaule suffit néanmoins à la tirer du sommeil et elle se frotta les yeux en se redressant :

- C'est mon tour de garde, Angèle ? Tout va bien ?

Angèle eut un petit sourire. Son tour de veille avait été on ne peut plus tranquille, voire même agréable avant que ne s'endorme Malo. Elle n'en dit cependant rien à la jeune femme.

"Tout va bien. Cependant, j'aimerais vous demander quelque chose à propos de Malo."

Son air se fit plus grave. Elle s'aperçut qu'elle s'inquiétait malgré tout.

"Hier, au moment de l'attaque des loups, il a perdu connaissance. Puis il a prononcé des paroles inintelligibles. Je n'en ai pas compris le sens. Savez-vous quel était ce dialecte ? Il m'a semblé que vous l'aviez entendu."

La mention de Malo parut chasser les dernière bribes de sommeil du regard de Malika et elle se redressa, soudain très attentive à la question de la paladine. Elle ne répondit toutefois pas immédiatement, comme si elle cherchait ses mots, puis finit par livrer ses impressions avec sincérité :

- C'était très étrange à vrai dire, presque du charabia, mais je l'ai retranscris pour pouvoir le traduire. Il a parlé un très vieux dialecte nain que nous associons aux LunePierre ainsi qu'à d'autres clans de la Cordillère...

Elle fouilla dans sa poche pour en sortir un petit bout de parchemin soigneusement plié et gagna le cercle de lumière offert par les braises de leur feu avant de le lire :

- Il a dit "Hâtez-vous d'aligner les lentilles : les constellations sont en osmose !"

Angèle plissa les yeux. Le charabia n'en était pas tout à fait un quand on savait que la civilisation des Lunepierre avait des affinités avec les étoiles.

"Cela est-il arrivé à Malo de parler ainsi ? Lors de l'accident s'était-il comporté de manière aussi étrange ? J'ai comme l'impression que quelque chose a pris possession de lui quand vous vous êtes introduits pour la première fois sous les montagnes."

Et cela l'effrayait un peu.

Malika semblait elle aussi soucieuse mais elle avait sans doute perçu les craintes de la paladine et s'efforça d'être rassurante :

- Oh, ça lui arrive régulièrement de parler en nain, vous n'avez pas idée ! Mais ce qu'il a dit était tout de même étrange et vous avez raison : ça a forcément un lien avec notre exploration. Malheureusement, je n'étais pas à ses côtés au moment de son accident. Et je le regrette : j'aimerais être sûre de pouvoir l'aider...

Angèle répondit sans attendre.

"Mais vous l'aidez énormément en veillant sur lui. Il a de la chance que vous soyez là, à ses cotés. Vous auriez pu le trahir en même temps que Jonas pour profiter des trésors des Lunepierre mais non. Vous êtes quelqu'un d'inestimable, Malika. Et croyez-moi, il le sait très bien."

La jeune-femme s'éloigna légèrement du feu, sans doute pour éviter que la paladine ne la voit rougir.

- C'est vrai que je l'aide de mon mieux : c'est devenu un ami plus que le simple professeur qui m'a formé et il me le rend bien. Mais vous devriez aller vous reposer maintenant. Il se fait tard et nous vous aurons besoin au maximum de votre vigilance demain pour ressortir de la forêt.

Angèle hocha la tête. Nul besoin ni envie d'argumenter, elle était trop fatiguée pour cela. Elle sourit à Malika.

"Dans tous les cas, c'est un plaisir de vous connaître tous les deux, Malika. Bonne nuit donc."

Et elle alla se coucher près du feu sans rien ajouter de plus. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus dormi au grand air aussi s'emitouffla-t-elle dans sa couverture et se rapprocha-t-elle du feu. Elle se força à prendre une respiration calme, calquée sur celle de Malo et ferma les yeux. Elle espéra que le sommeil ne serait pas trop long à venir.

Il était curieux comme le moindre bruit environnant semblait prendre une ampleur démesurée dès qu’on s’allongeait pour chercher à dormir… Et la forêt envahie de neige était une source de bruits permanente provenant tant de la faune que de l’effet du vent glacé sur la flore. Pour autant, en se calquant sur la respiration calme et régulière du professeur, Angèle finit par sombrer dans un sommeil profond et dépourvu de rêves.

Elle avait à peine fermé les yeux – pensait-elle – qu’elle sentait déjà qu’on lui secouait doucement l’épaule. Elle reconnut la voix de Malo quand il chuchota :

- Bonjour Angèle, le petit-déjeuner est prêt !

Et pourtant il faisait encore très sombre…

Elle se redressa sur les coudes. Elle ne savait pas vraiment combien de temps elle avait dormi. Mais elle avait depuis toujours l'habitude des très courtes nuits voire des nuits entières de veilles à potasser les différents codes. Elle sourit à Malo.

"Bonjour ou bonne nuit. Avez-vous bien dormi ?"

Elle le regarda, espérant voir à la lueur fugitive du feu s'il était bien reposé ou aussi éprouvé que la veille. Et demanda sur le ton de la plaisanterie.

"Et avons-nous un peu de thé ?"

D'après ses premières observations, Malo semblait avoir recouvré son entrain coutumier et la paladine constata en outre que Malika était encore allongée sous ses couvertures. Le chercheur arborait un sourire et répondit d'un ton enjoué :

- Angèle voyons ! Vous savez bien que j'aurais eu trop honte de vous réveiller d'aussi bon matin si ce n'est pour vous accueillir avec un peu de thé ! Nous sommes des pionniers : nous nous devons de maintenir la civilisation dans ces contrées enneigées !

Et, en effet, la manostienne sentait une bonne odeur de thé en train d'infuser.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Cojum