La Couronne de Cuivre

" Tu vas dormir avec Victor ? demanda malicieusement le petit garçon. Une pour trois, c'est très bien.
— Comme vous voudrez, dit l'aubergiste. Et je n'ai pas de café. Mais j'ai de l'amro, l'équivalent elfique de la Lorien. Bien meilleur, à mon avis, et moins mauvais pour le coeur.
— Je peux en avoir aussi ?
— Pourquoi pas. Mais parfois les petits humains changent de couleur en en buvant.
— Ils deviennent comment ?
— Ça dépend... verts... ou bleus, parfois.
— Je testerai. Au pire, mon chapeau sera assorti."

-J'imagine que Victor voudra essayer aussi. Du moment que les effets se dissipent vite, je n'y vois pas d'inconvénient. Et je testerai aussi bien volontiers.
Il sourit.
-Et donc, nous allons prendre une seule chambre.
C'était plus raisonnable d'un point de vue financier. Et de toute façon, même s'il avait eu une chambre pour lui seul, il ne s'y serait pas livré à ses exercices martiaux : trop bruyant !

" Très bien. Je vais vous donner la clé."
Elle retourna derrière son comptoir et la leur rapporta.
" La chambre est au premier, la porte tout au fond. La porte juste avant à gauche mène à la salle d'eau. Normalement, vous devriez être relativement tranquilles : les deux autres chambres occupées sont de l'autre côté du couloir. Je vous laisse monter vos affaires : vous êtes plus jeunes et dynamiques que moi ! Mon fils peut s'en charger plus tard, si vous préférez, cela dit, mais je ne suis jamais complètement sûre de l'heure à laquelle il va rentrer."

-C'est gentil mais nous allons nous en charger nous-mêmes : un peu d'exercice, ça ne peut pas faire de mal !
Il lui sourit, la remercia puis récupéra leurs sacs : il laisserait le sien à Baptiste et se chargerait de ses propres affaires ainsi que de celles de Victor. Une fois l'ensemble déposé dans leur chambre, dont il ne doutait pas un instant qu'elle conviendrait parfaitement, ils se remettraient en route sans trop tarder : autant effectuer le maximum de choses dès aujourd'hui, histoire de ne pas être pris de cours quand leur parviendrait l'annonce du prochain départ du Redoutable.

HRP : c'est le Redoutable, leur bateau... mais si Taliesin veut s'embarquer pour une destination inconnue, ma foi...

La chambre était aérée, propre et décorée avec goût, dans des motifs sylvestres, comme le nom de l'auberge avait sans doute pu le leur suggérer. Des dessins assez réalistes d'écureuils étaient peints sur les murs, ici et là, signe qu'ils occupaient la chambre des Ecureuils. Les lits, en bois à peine travaillé, n'auraient pas dépareillés dans la cabine de Wilmarin, en Lorien.
Baptiste s'étendit sur le lit double.
" C'est une torture, Victor va me donner des coups de pied s'il ne me pousse pas hors du lit. Où on va, maintenant ?"

HRP : C'était une tentative inconsciente pour fuir le cruel destin qui attend le barde !

-J'avais proposé de prendre deux chambres : ainsi, vous auriez eu chacun votre lit ! répondit l'elfe d'un nom léger.
Et de déposer leurs sacs.
-Quant à notre destination, je dirais les librairies du quartier de l'Université : comme ça, nous serons parés au départ. Et si celui-ci n'est pas pour demain, nous pourrons alors songer à des activités autres que des courses...

" On devrait quand même faire attention : les livres ça pèse vite lourd et ça se lit toujours trop vite. Enfin je suppose qu'on pourra les revendre en route, si on est trop chargés."
Il pinça les lèvres.
" Tu crois qu'à bord, j'aurai accès à la coquerie ?"

-Alors là, je n'en ai aucune idée. Si j'explique aux personnes concernées que tu t'intéresses beaucoup à la cuisine et que tu es très déoué, peut-être seras-tu autorisé à t'y rendre une fois... Ensuite, ce sera à toi de te faire accepter. Mais pour cela, tu devras user de diplomatie : les cuisiniers professionnels n'ont pas forcément envie d'être écartés de leur fourneaux !
Il luis sourit.
-On y va ? Je propose de partir sur trois livres, un pour chacun : comme ça, ça ne pèsera pas trop lourd, mais ça fera quand même de quoi lire.

Baptiste quitta le lit à contrecoeur : il paraissait manifestement mûr pour une petite sieste de fin de journée. Il était cependant déjà tard et s'ils voulaient trouver une librairie encore ouverte le temps qu'ils y musardent, ils ne pouvaient pas traîner.
" Victor ne lira rien, c'est du gâchis." remarqua Baptiste tandis qu'ils regagnaient le rez de chaussée.
Il se dirigea vers le comptoir.
" Pardon Madame, est-ce que vous connaissez une chouette librairie ?
— Pour quel genre de livres ?
— Un peu de tout, je suppose.
— Il y en a près de l'université, plusieurs... A mon avis, pas directement dans la Ruelle Ombragée, mais dans une des parallèles.
— D'accord."
Il rejoignit le barde.
" En route, compagnon !"
Et ils repartirent dans lesrues encombrées.

A la fin de son trajet depuis la librairie, où il avait laissé Baptiste terminer ses emplettes, Taliesin avait fait un détour pour se racheter du tabac, en prévision du voyage à venir : certes, il trouverait sans doute de quoi se ravitailler à Eredhun mais ici, dans la capitale, le choix était forcément plus large.
Satisfait quant à son achat, il revint enfin à l'auberge et s'attarda devant l'édifice, pour fumer tranquillement. Il se demandait à quelle heure les garçons montreraient le bout de leur nez, mais aussi dans quel état il reverrait Victor. Ceci dit, il ne s'inquiétait pas et ne les attendrait pas à l'extérieur, regagnant plutôt sa chambre pour rédiger la lettre qu'il enverrait à Galathée et dans laquelle il indiquerait l'adresse où il serait possible de les contacter.

Un peu moins d'une heure plus tard, Taliesin entendit des pas dans le couloir et Baptiste parut, sagement, sans s'être perdu en chemin. Il ne s'attarda cependant pas dans la chambre : une fois qu'il eut transvasé ses emplettes dans son sac — sans les détailler — et rendu la monnaie à Taliesin, il redescendit dans la salle commune avec l'intention de se glisser en cuisine. De Victor, par contre, il n'y eut nulle trace avant la fin de journée et le repas du soir. On percevait déjà les effluves de nourriture au travers des lattes du plancher lorsqu'il fit irruption dans la pièce, dans un état... apparemment tout à fait normal.

Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, il avait pu, simplement, ne se salir en aucune façon. Toutefois, la possibilité qu'il ait trouvé moyen de limiter les dégâts, ne fut-ce qu'en se baignant quelque part, n'était pas totalement à exclure.
-Alors, passé un bon après-midi ? lui demanda-t-il.
Pas le moindre reproche dans son ton : juste de la curiosité.

" Pas mal, oui. Vous avez trainé, je ne sais pas ce qui vous a pris... Faut se faufiler, dans Luménis, tout le monde sait ça. T'es pas carré, pourtant, je suis sûr que tu passes par les mêmes trous que moi !"
Il rit joyeusement.
" Quand est-ce qu'on part ? Tu as trouvé d'autres passagers pour remplir le bateau ?"

-Non et, à vrai dire, je n'ai pas cherché : j'espère bien que le bateau se remplira de lui-même, et s'il me faut jouer les recruteurs, je demanderai une ristourne conséquente sur le prix de nos place... Mais de toute façon, nous avions des courses à faire, cet après-midi. A ce propos, tu as un chapeau à essayer et...
Large sourire.
-Un super livre à découvrir.

Victor essaya le chapeau.
" T'as pris blanc. T'es fou. Ou bien c'est une sorte de... voeu pieu ? Je lui prends un chapeau blanc, ça lui évitera d'aller se vautrer dans les marécages ? Taliesin, franchement, si tu crois encore à ce genre de méthode, c'est que tu me connais mal !"
Il s'observa dans le reflet de la fenêtre.
" Ou alors c'est pour mieux tromper les autres ? Regardez ce gentil garçon avec son joli chapeau blanc, il doit sûrement être sage et poli ?"

-Mais tu es poli, Victor. Et sage. Parfois.
Il ne s'était pas départi de son sourire.
-Après, j'ai surtout pris blanc pour qu'on en ait chacun un d'une couleur différente. Il y avait aussi paille, bleu ou brun, et si tu préfères l'une de ses coleurs-là, on ira le changer demain matin.

" Non, honnêtement, Taliesin, je ne veux pas te vexer, mais ça m'est complètement, totalement, absolument... égal. C'est de toute façon pas très... C'est un chapeau de paille, quoi. C'est pas avec ça que j'aurai un super style d'enfer."
Il sourit.
" Mais je suis sûr qu'on trouvera des trucs plus épatants sur la route ! On revient toujours avec des bazars qui font pâlir d'envie tous les Merlus ! C'est juste dommage qu'on n'a pas embarqué Marius : il nous aurait rapporté encore plus de choses !"

-Hum, j'espère bien que lorsque nous voyagerons de nouveau en sa compagnie, Marius aura perdu cette habitude...
D'autant que ladite habitude était susceptible de leur causer de sérieux ennuis...
-Mais sinon, comme je le disais à l'instant, je t'ai également acheté un livre. Comme j'aimerais que tu en lises quelques pages chaque jour, j'ai essayé d'en prendre un qui te plaira vraiment et, d'après la libraire, celui-ci est parfait pour les garçons sages et polis avec un chapeau blanc.

" Alors refile-le à Baptiste, cela ne me concerne pas."
Il prit le bouquin.
" Ça promet. Pourquoi tu veux m'ennuyer à lire ? Pourquoi tu ne m'apprends pas des choses plus intéressantes comme ta gymnastique de nuit ? Ça a l'air drôlement plus intéressant..."

-L'un n'empêche pas l'autre. Et moins tu rechigneras à faire ton quota quotidien de lecture, plus je serai enclin à t'apprendre d'autres choses.
Il eut un sourire paisible.
-Mais essaie quand même de laisser une chance à ce livre. Parce que je ne suis pas un bourreau : j'ai essayé d'en choisir un susceptible de te plaire.

" Oui, j'ai vu."
Il sourit, le reposa sur le couvre-lit.
" J'apprécie, merci beaucoup."
Il paraissait sincère.

-Il n'y a pas de quoi, fit l'elfe, content de sa réaction.
Il se fit plus sérieux encore.
-Mais donc, comme je l'ai dit, je suis tout prêt, aussi, à t'apprendre ce que je peux en d'autres domaines. Cela te permettrait de voir ce qui te plait et de toute façon, l'occasion est trop bonne pour la laisser passer.

Il acquiesça, puis pinça les lèvres.
" Tu sais, je suis pas certain, cela dit, que ce soit l'idéal d'être à la fois un père et un professeur. Peut-être que... tu devrais te contenter d'être le premier, et que ce serait déjà pas si mal. Même si je comprends bien que tu t'inquiètes qu'on soit à nouveau partis en vadrouille... mais la plupart des enfants, tu sais... ils vont pas à l'école. Je crois pas que mes parents y soient allés. Galathée sûrement pas non plus. On se débrouille quand même. J'en sais déjà beaucoup plus que la plupart des gens normaux, dans certains registres."

-C'est vrai, acquiesça-t-il. Mais il faut partir du principe que plus on en sait, mieux c'est. Et pour ce qui nous occupe... Dans un monde bien fait, tous les enfants devraient pouvoir aller à l'école, car savoir lire et écrire, c'est très important : cela permet d'apprendre, de s'informer, de communiquer... Fais-moi confiance sur ce point : un jour, tu me remercieras d'avoir insisté là-dessus. Quant au reste...
Il haussa les épaules.
-Je propose et tu disposes : je ne te force à rien.

" J'aime ça : tu proposes et je dispose !" s'exclama Victor en riant.
Son expression redevint beaucoup plus sérieuse.
" C'est mon tour de proposer, cependant : c'est l'heure de la boustifaille et j'ai grand faim ! Que dirais-tu que nous allions rejoindre Baptiste dans la salle ?"

-Pas avant que tu n'aies lu un chapitre de ce livre et rédigé un résumé de dix pages, répondit-il, on ne peut plus sérieusement.
Mais déjà, il se levait.
-Oh et puis non, allons plutôt manger.
Baptiste aurait-il réussi à se faire accepter en cuisine ? Ils n'allaient pas tarder à le découvrir.

Victor l'avait précédé à la porte et descendit les escaliers sans ralentir, en sifflotant. Quand ils débouchèrent dans la salle de l'auberge, celle-ci était déjà bien pleine, de divers groupes, couples ou personnes isolées, jeunes et vieux, familles et collègues. Baptiste était installé à l'une des tables, penché sur un petit carnet dans lequel il écrivait. Un jeune homme, demi-elfe, était assis en face de lui et lui parlait. Il se leva précipitamment à leur approche et leur sourit.
" Je pense qu'avec ça, tu devrais t'en tirer, dit-il à Baptiste.
— Je te dirai !"
Le demi-elfe s'inclina et s'esquiva vers les cuisines.

-S'il avait fui un peu moins rapidement, j'aurais pu lui dire qu'il n'avait pas besoin de fuir aussi rapidement, justement... commenta Taliesin qui avait dû se contenter de saluer brièvement le fils de l'aubergiste - car de qui d'autre pouvait-il s'agir ?
Quoi qu'il en soit, il s'assit à table et se tourna vers Baptiste.
-Tu as réussi à obtenir quelques recettes secrètes ? Si c'est le cas, chapeau bas !

" Je connais un peu Sam d'avant, dit Baptiste avec un léger sourire. Et j'ai promis que ce ne serait qu'à usage strictement privé. Et puis en échange, je ferai des tests et je lui dirai si j'ai trouvé de nouvelles combinaisons qui valent la peine... Tu t'imagines s'il y avait une Tarte Baptiste à la carte ?"
Victor avait haussé les sourcils.
" Une Tarte Baptiste. Formidable."
Son sarcasme passa inaperçu.
" Il parait qu'on mange super mal sur le Redoutable et que le cuisinier est un type désagréable. Il faut qu'on prenne des forces ici."

Il opina du chef.
-C'est bien noté et nous n'y manquerons donc pas. Mais d'un autre côté, n'oublions pas que la mauvaise cuisine a aussi ses avantages : quand on y a été condamné un certain temps, on redécouvre intensément le bonheur qu'est le fait de pouvoir bien manger !

La Couronne de Cuivre

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