La Couronne de Cuivre

« Pas si vite ! » glapit le diablotin.
Pierre eut la mauvaise surprise de sentir une main se refermer sur sa cheville. Il en perdit l’équilibre. Par chance, la chute qu’il fit ne fut pas douloureuse. Le garçon avait eu assez de réflexe pour l’anticiper correctement. Néanmoins, la main était toujours là et elle le trainait en arrière. Le pire, dans tout ça, c’était que derrière Piotr, il n’y avait personne.
« Tes amis ont besoin de dormir, de dormir pendant longtemps, très longtemps ! Hahaha ! »

Pour Pierre :

En touchant le sol, Pierre ne put réprimer un cri strident qui se répercuta contre les murs de la chambre et, du moins le pensa-t-il, tout au long du couloir... Il parvint cependant à ne pas lâcher sa lampe et, crispant sa main autour d'elle, il entreprit de ruer furieusement, tentant ainsi de dégager sa jambe de l'étau invisible qui l'enserrait.

-Lâche-moi, saleté ! rugit-il, d'une voix toujours aussi aiguë.

Tout en continuant à se débattre, il s'efforça de réfléchir, ce qui n'était pas une mince affaire. S'il ne pouvait pas arracher ses amis à leur cauchemar...

-Christophe ! lança-t-il, d'un ton devenu pressant. Je sais que t'as mal mais faut réveiller les autres ! Moi je peux pas, le diablotin il me tient avec sa magie...

Et de s'agiter plus violemment encore, avec l'énergie du désespoir. Si ni lui ni son copain n'intervenaient, qui sait ce qu'il adviendrait de Benny et Bellatrix ?

« Cricri, toi-aussi tu t’y mets ? Toi aussi tu en veux ? » fit le diablotin, malsain.
Et hop, voilà une lampe de chevet qui volait dans la figure du bricoleur. On l’entendit se briser sous le choc et le pauvre garçon, cette fois, fut totalement désorienté. Encore un peu et il risquait de tomber dans les pommes ce qui, assurément, l’expédierait dans le rêve de la sorcière.
« Bobo ! Booooboooo ! Hahahahhhha !!!! Essaie de la réparer celle-là !!! »
Le rire du monstre, qui s’amusait comme un fou, était insupportable pour les oreilles. Le seul point positif dans cette histoire, c’était que Piotr sentit la poigne autour de sa cheville disparaitre. Sans doute que le démon ne pouvait agir qu’à un seul endroit à la fois.

HRP : depuis ici pour Benoît.

Fort heureusement, Christophe n’était pas tombé dans les pommes. Disons qu’il faisait une petite pause bien méritée, toujours à peu près conscient de ce qui se passait autour de lui. La voix du diablotin raisonnait dans sa tête, terrible.
« Petit malin, tu triches ! Tu triiiiches !!! Et je suis pas contant, pas contant du tout !!! »

Forcément, si le démon était en colère, c’était que Pierre était arrivé à ses fins. Le hasard l’avait conduit à réveiller Benoît en le secouant peut-être un peu fort. La situation était un peu tendue. Benny la trouva aussi très confuse. Certes, il fut assez logique pour vite comprendre qu’il avait été réveillé et que, donc, il était de retour dans la chambre de la sorcière. Mais que se passait-il exactement ? Le piège de Christophe était au sol, Christophe aussi d’ailleurs et une lampe de chevet en plus. Bref, il commençait à y avoir un sacré désordre dans cette pièce. Quelqu’un parlait, un monstre sans doute, mais il n’était visible nulle part.

« C’est si difficile que ça de rester tranquille ? »
Et hop, Pierre se prit l’autre lampe de chevet dans la tête.
« Comme ça, pas de jaloux ! »
Ce ne fut malheureusement, ou heureusement, cela dépendait du point de vu, pas assez efficace pour vraiment ralentir le gamin alors le diablotin débuta une véritable lute afin de le maitriser.

Rouvrant péniblement les paupières, Christophe comprit que Benny était réveillé : beaucoup de mouvement près des lits, et le diablotin qui semblait vraiment très en colère...

"Benny ! Réveille Bellatrix !", marmonna-t-il en essayant de couvrir le bruit de la lutte qui venait de s'engager entre le diablotin et Piotr.

Si recevoir une lampe de chevet en pleine tête n'avait pas assommé Pierre, il ne s'en était malgré tout pas sorti sans une vive douleur. Et a peine avait-il réussi à réveiller Benny que le diablotin s'était à nouveau emparé de lui... La peur, la fatigue et le stress menaçaient de le priver de tous ses moyens. Cependant, il ne pouvait pas se laisser aller. Christophe avait été salement atteint ; quant à Benny, il lui faudrait un peu de temps pour arracher Bellatrix à son mauvais rêve. Bref, il fallait à tout prix éviter que le monstre ne s'en prenne à eux. Or, il n'y avait qu'une solution pour empêcher cela. Une solution que le gamin détestait mais qu'il savait devoir mettre en œuvre...

Aussi rassembla-t-il ses dernières bribes de courage et puisa-t-il dans la colère qu'il éprouvait envers son ennemi pour lui crier, d'un ton qu'il espérait à la fois moqueur et dédaigneux :

-C'est tout ce que tu peux me faire, minus ? Me balancer des lampes et m'attraper avec une main invisible ? C'est un peu ridicule, tu trouves pas ? Ah, tu faisais quand même plus le malin dans ton cauchemar !

Et de serrer les dents tandis que son cœur battait la chamade. Il allait souffrir, il le savait. Mais si cela permettait à Benoit d'accomplir si tâche, si cela évitait à Christophe de prendre encore un mauvais coup... La donne changerait peut-être du tout au tout.

HRP : pour Bellatrix, depuis ici.

Cette fois, on sentit une vraie colère chez le diablotin, une rage qui perçait dans ses mots. Sans doute avait-il été blessé dans son orgueil.
« Ho, monsieur en veux d’avantage ? Très bien, très bien, suffit de demander. »
Le démon n’était pas très fort, peut-être même que Piotr était plus musclé que lui. La lute était à peu près égale, mais elle se mua en tabassage. Fort ou pas, des coups de poings qu’on ne pouvait voir, qu’on ne pouvait prévoir, faisait mal. Terminé les jeux, terminé la subtilité. La créature perdait sans doute de sa superbe en s’abaissant à une méthode aussi basique. Toutefois, son but était des plus clairs.

Oui, Pierre avait réussi à faire ce qu’il voulait, le diablotin ne faisait attention qu’à lui. Mais à quel prix ? La créature ne riait plus, ne parlait plus. Elle cognait, cognait et cognait encore. C’était simple, si on ne la faisait pas s’arrêter, elle ne s’arrêterait pas. Elle bâterait à mort ce qui, heureusement, allait quand même prendre un peu de temps.

Un Christophe mal en point, un Pierre mis à tabac par une force invisible, Bellatrix quittait un cauchemar pour en gagner un autre. A ses côtés Benoît. Sitôt la fillette réveillée, il s’était mis à chercher dans son grimoire. Hélas, il était pratiquement dans le noir. La seule source de lumière venait de la torche électrique de Piotr qui, à présent, était au sol. Le diablotin était dans le couloir, devant la porte. Une chose était sûr, il fallait agir vite.

Pour Bellatrix :

Bellatrix s'était redressée d'un coup, totalement désorientée. Elle vit Benny à coté d'elle compulsant son grimoire avec frénésie. Cricri qui saignait de la tête. Et Piotr aux prises avec une créature qu'elle n'identifia pas. Son premier geste fut de saisir la feuille de papier. Elle manqua se mettre à pleurer en voyant la souris. Mais les larmes seraient pour plus tard. Elle plia délicatement le papier et l'enfouit plus profondément dans sa poche. Puis elle l'attrapa son carnet de croquis. Mais elle ne dessina pas. Se campant sur ses petites jambes, elle se mit à réciter, comme une litanie.

"Freddy, Jason, Chucky, Predator, Alien, Michael Myers, Damien, La chose, Ghost face, Hannibal Lecter, Dracula, Nosferatu, Norman Bates, Jack Torrance, Thomas Hewitt..."

Ses amis, les monstres des films d'horreur. Avec un peu de chance, si elle y croyait assez fort, l'un d'eux pourrait éventuellement lui venir en aide.

Benoît disposait donc d’assez de lumière désormais. Il fit défiler les pages de son grimoire et tomba... sur une formule imparable contre les zombis. Celle-là, elle aurait été utile plus tôt mais là... ce n’était pas ce qu’il fallait. Dommage. Christophe trouva le tiroir qui lui était tombé dessus mais il était sans doute trop lourd pour représenter une arme improvisée. Il préféra opter pour un livre. Il mis la main sur un gros volume juste à côté. Le voilà armé. Si Benny et Piotr voyaient ça, ils seraient scandalisés. Un livre, une arme ? Blasphème ! Quoi qu’il en soit, le bricoleur aux jambes toujours un peu chancelantes était encore dans la chambre et le monstre, lui, dans le couloir. Pierre se faisait taper dessus. Il avait eu le bon sens de se protéger de son mieux. Pour l’instant, rien de grave ne lui avait été infligé mais nul doute que son corps allait être tout endolori. Il voulait que cette histoire se termine bien et il fut exaucé, cependant pas comme il l’avait imaginé.

En fait, ce fut Bellatrix qui mit un terme à l’attaque du diablotin. Ni elle, ni personne d’autre ne vit se qui se passa, car cela se déroula derrière la porte. Il fallut se contenter des bruits.
« Hé ! Mais t’es qui toi ? Tu débarques d’où ? fit la créature, vraisemblablement dérangée et surprise.
- Le comte Dracula, pour vous servir. Mais dites-moi, c’est un joli cou que vous avez là ? fit une voix aristocratique.
- Heu... tout doux mon gars. Fais pas un truc que tu pourrais regretter !
- Déjà, vouvoyez-moi. Ensuite, cessez de reculer !
- Mon maître et ma maîtresse sont puissants !
- Venez là, j’ai soif !
- Ha ! J’ai pas signé pour ça ! »
Puis... plus rien. Depuis le début de la discussion, Pierre ne recevait plus de coup. A présent, dans le couloir, tout semblait calme.

Bellatrix s'assit sur le lit, enroula ses boucles brunes autour de ses doigts, ce qu'elle faisait quand elle était nerveuse. Puis elle se tourna vers ses amis. Elle ne savait pas vraiment comment expliquer ce qu'il s'était produit, ni ce qu'il s'était vraiment produit d'ailleurs. Elle avait entendu Dracula. Et Dracula avait peut être ... Enfin ... Oui ... Le diablotin.

Elle regarda ses amis, pour s'assurer qu'ils allaient bien. Elle ne savait pas vraiment quoi leur dire. Elle avait peur qu'ils se mettent à la considérer comme totalement étrange, dangereuse et qu'ils commencent à la fuir.

"Heu ... je crois que le diablotin est parti.", dit-elle avec un tout petit sourire.

La lumière s’alluma, l’obscurité s’envola. La chambre apparut dans tout son désordre mais au moins le calme était revenu. Dans le couloir, plus un pas, plus un souffle. Dracula, autant que le diablotin, s’en était allé. Du rez-de-chaussée montait toujours, bien qu’étouffée, la musique classique qu’affectionnait tant Monsieur Larouge. Difficile, en pareille circonstance de l’apprécier. D’ailleurs, si l’un des enfants tendait l’oreille, il remarquerait le ton bien plus mélancolique de la mélodie. Les violons s’unissaient, larmoyaient.

Une fois un semblant de calme revenu, Benoît prit conscience de l’ampleur du chaos et de l’état pitoyable de ses camarades. En comparaison de ce qu’ils semblaient avoir enduré, le séjour chez la sorcière ressemblait à une promenade d’agrément. Il ressentit une pointe de culpabilité en comprenant que Christophe et Pierre avaient subi une telle correction alors que lui-même dormait.

- Il faut trouver un moyen de nettoyer ça ou ça va s’infecter ! Mais on ne peut pas aller voire Monsieur Larouge. Et il faut aussi quitter cette chambre : je n’ai pas envie de retourner chez la sorcière… On ‘a plus rien à y faire de toutes façons.

Bellatrix partageait le sentiment de Benny. Et puis, elle n'aimait pas le sang, pas le vrai. Celui de cinéma était d'une légère couleur framboise quand on le regardait d'un œil exercé comme le sien. Elle regardait ses deux amis sans trop savoir quoi dire.

"Faut peut-être aller à la salle de bain pour nettoyer tout ça. Parce qu'après, vous allez muter, devenir des zombies ou d'autres trucs pas sympas."

Elle prit le petit Cricri qui se tenait le plus proche d'elle et tapa maladroitement sur l'épaule de Piotr en passant près de lui. L'épisode de la sorcière lui avait au moins laissé une certitude : elle était heureuse qu'ils soient là, ses trois copains.

"Vous venez ?"

Le couloir-galerie ne réserva à la petite troupe, déjà bien éprouvée, aucune mauvaise surprise. Les statues se dressaient de chaque côté, dans toute leur horreur ou leur beauté. Avec tout ce que savaient désormais les enfants, ces formes blanches ne pouvaient plus les laisser indifférents. Chacune d’elles cachait un rêve, un mystère, un personnage bien réel. Chacune d’elles pouvait écouter. Alliés et ennemis ici étaient rassemblés. Au bout du couloir, la salle de bain, assez grande pour que personne n’ait besoin d’attendre. Là se trouvait la statue de la sirène. Est-ce qu’elle aussi cachait un rêve ? Quoi qu’il en soit, cette pièce, une fois allumée, ne révéla aucun danger.

Un petit placard, dans un coin, contenait en effet de quoi soigner Christophe ou, tout du moins, de quoi le rafistoler. On y trouvait aussi du savon, du champoing, des serviettes, des gants de toilette, de quoi se laver les dents et même un flacon de parfum. Bref, il y avait là tout ce qu’il fallait en cas d’oubli... des invités.

Pierre, d’un coup d’œil dans un miroir, sut qu’il n’était pas trop amoché. Certes, on ne pouvait pas non plus dire qu’il avait bonne mine. Il avait reçu des gnons, qui feraient autant de bleus, et son visage était marqués par les traces de griffes. Au moins n’était-il pas en sang.

Belllatrix s'était juchée sur la pointe des pieds, avait attrapé une serviette qu'elle avait mouillée. ça, elle savait le faire. C'était quand les héros se réparaient avant de passer à l'attaque. Elle appliqua la serviette mouillée sur la tête de Christophe. Elle était assez maladroite et le tapota un peu trop fort. Mais au moins, il serait nettoyé.

Elle renouvela l'opération avec Piotr. Elle restait muette, ne sachant toujours pas quoi dire. Et puis, elle se décida.

"En fait, le rouquin était un faux garçon. Un engin de la sorcière."

Mais ça ne changeait en rien ce qui s'était passé.