La Couronne de Cuivre

Galathée le serra contre son coeur et posa un baiser sonore sur son crâne. Puis elle le retourna et il put apercevoir l'endroit dont il venait d'être expulsé. Il s'agissait d'une tente modeste, en toile sombre, installée sous un repli rocheux. Autour d'eux, la montagne se déployait, somptueuse et enneigée. Les Vaux. Taliesin savait que sa compagne en était originaire, à défaut de connaître son histoire. Un cheval était attaché non loin, dévorant son picotin dans une musette de toile. La tente fut animée d'un mouvement et un homme s'en extirpa. Brun, âgé d'une quarantaine d'années, il avait les traits effilés d'un elfe mais la masse d'un homme. C'était un demi-sang. Il secouait un parchemin d'un air dégoûté.
" Bon sang ! Sur ma dernière complainte ! Je ne veux plus voir ce sac à puces dans la tente ! Sinon je lui arrache la tête !"
La petite fille éclata d'un rire joyeux.
" Tu te moques ! Maudite !"
Elle détala en l'emportant, avant que l'homme ne puisse lui lancer une boule de neige. A pleine vitesse, elle glissa le long d'une pente glacée, se rattrapa sur un replat, puis courut encore et encore, jusqu'à un petit bois de sapins, dans lequel elle se faufila.
" Feu Follet, un de ces jours, Almeron va être vraiment furieux. Tu pourrais franchement faire pipi ailleurs, tu sais. Même si c'est drôle."
Taliesin sentit quelque chose frôler son esprit, une seconde, comme une vague impression d'une autre présence. Mais cela ne dura pas.

Si la sensation fut déconcertante, l'événement en lui-même ne le surprit guère : il s'était douté que ce Feu Follet était sinon le premier compagnon animal de la rôdeuse en herbe, au moins la créature avec laquelle elle tisserait ses premiers liens... Il faudrait désormais qu'il guette ces moments où elle frôlait son esprit afin d'essayer d'établir une manière de communication. Ce serait toujours plus pratique que de lui répondre par les moyens pour le moins limités dont il disposait sous sa forme actuelle... Cependant, faute de mieux, il tenta de se fendre d'un miaulement bref qu'elle prendrait peut-être pour un "Oui, bien compris !", qui sait ?

Ce ne fut pas un miaulement qui sortit de sa gorge mais bien une sorte de feulement rauque. Il n'était pas un chat mais bien une créature plus fine, brune, les pattes griffues, la vue perçante. Peut-être une fouine ou une martre. Galathée le retourna sur ses genoux et lui gratta consciencieusement le ventre, avant de le déposer dans la neige.
Il la vit froncer les sourcils, plisser les yeux et le nez, grimacer, et il sentit à nouveau un frôlement à la surface de son esprit. Puis il eut la vision trouble d'un arbre et une suggestion — très floue — de faire quelque chose avec celui-ci. Quoi ? Difficile à dire.

Quoi ? Il n'était même pas un chat ? Mais les chats aimaient dormir dans des lieux confortables, se pelotonner près du feu, conter fleurette aux félines damoiselles... Bref, ils étaient un peu bardiques, quelque part. Mais une fouine ? Une martre ? Ah ! Et il n'était même pas sûr de connaître leurs habitudes...
Enfin, ce n'était pas le moment de songer à semblables choses. Galathée lui avait montré un arbre ? Très bien, il le chercha du regard, avec dans l'idée d'entreprendre de l'escalader, au cas où ce soit ça qu'elle attende de lui.

La gamine parut enchantée du résultat et elle bondit vers Feu Follet pour l'arracher à son tronc. Récompense pour ses efforts, elle le grattouilla à nouveau sur le ventre.
" Tu es le plus malin, Feu Follet, je l'ai toujours toujours toujours su !"
Ce n'était pas désagréable, il fallait dire ce qui était. Et Taliesin sentit aussi qu'il avait faim. D'un gros insecte, par exemple. Ou d'un oiseau dodu. Quelque chose comme ça. Son ouïe fine perçut alors des éclats de voix, dans la direction approximative de la tente qu'ils avaient fuie plus tôt. Il était manifeste que Galathée, toute humaine qu'elle était, ne pouvait rien entendre.

Boulotter... un insecte... ou un oiseau... tout vivants ?!
Il avait la nausée rien que d'y penser. Son esprit, du moins, car son enveloppe charnelle, elle, salivait rien qu'à cette idée.
Dieux, que cette mission-là serait éprouvante...
Mais les voix chassèrent ses récriminations silencieuses. Pour tenter de capter l'attention de la future rôdeuse, il se raidit, darda le museau dans la direction d'où elles provenaient...

Galathée mit un certain temps à repérer son manège, puis elle s'accroupit dans les épines sèches et lui sourit.
" Ha ha ! On a flairé une proie !"
Sa voix baissa d'un cran.
" Qu'est-ce que c'est, cette fois-ci ? Un orvet dodu ? Une petite caille ? Ou un de ces gros scarabées juteux que tu affectionnes tant ?"
A nouveau, il sentit qu'elle lui frôlait l'esprit, comme pour obtenir réponse à sa question.

Ah mais elle ne l'aidait pas, à parler de scarabées juteux ! Il était même à peu près sûr qu'elle lui en offrirait un avant que tout cela ne soit terminé... Hum, mais il survivrait bien à une petite diète, non ? Ou trouverait bien quelque chose de mangeable dans les réserves du bivouac...
Il verrait. Dans l'immédiat, il se concentra, essaya de se raccrocher à son esprit, de lui transmettre une image.
Celle de la tente, avec des silhouettes indistinctes à proximité.
Après tout, il ne savait rien des visiteurs...

Galathée le regardait toujours avec un sourire joyeux sur les lèvres. Il sentit cependant qu'il parvenait, lui aussi, à frôler quelque chose. Comme si deux mains fantomatiques essayaient de s'agripper quelque part entre eux. La bouche de la petite fille s'ouvrit, ronde, et ses yeux s'écarquillèrent légèrement. Même si Galathée était déjà très semblable à ce qu'elle serait quinze ans plus tard, c'étaient peut-être ses yeux qui étaient les moins changés.
" Oh... Almeron..." murmura-t-elle.
Elle attrapa Feu Follet par la peau du cou, le jeta sur son épaule, et Taliesin dut se servir de ses griffes pour ne pas tomber. Vive, la gamine refit le chemin de sa course antérieure à l'envers, ses bottes fourrées l'empêchant de glisser dans les congères. De ses petites oreilles dressées, Taliesin perçut cependant que la teneur de la conversation, encore inaudible, était enflammée, pour ne pas dire agressive. Ils seraient bientôt en vue et visibles depuis la tente.

Ne sachant pas ce qui se passait là-haut - était-ce une simple dispute ? une agression ? -, n'ayant aucune idée de ce en quoi consisterait sa mission - ce ne serait certainement pas simplement aider Galathée à développer ses pouvoirs d'empathie avec les animaux -, il jugea qu'il valait mieux ne prendre aucun risque et inciter la rôdeuse en herbe à la prudence. Fouillant le paysage du regard, il chercha un élément derrière lequel elle pourrait se cacher, comme un arbre ou un rocher, et tenta, à toute force, d'en imposer l'image à l'esprit de sa future compagne.

La petite fille était sur sa lancée mais, grâce aux images qu'il tentait de lui suggérer, elle s'immobilisa et alla rejoindre le tronc d'arbre mort qu'il avait repéré. Elle s'accroupit derrière.
" Tu as entendu quelque chose, Feu Follet ?" souffla-t-elle, le coeur battant.
Sans espérer qu'il lui réponde, elle se glissa le long de l'écorce, pour tenter d'apercevoir ce qui se passait près de la tente. Sur son épaule, Taliesin avait une bonne vue de la situation, lui aussi, même s'ils restaient trop loin pour entendre ce qui s'échangeait. Il y avait un groupe de personnes à cheval, au moins quatre ou cinq, mais deux avaient mis pied à terre. Face à eux se trouvait Almeron, gardant ses distances, un bâton brandi. Le ton était toujours tendu, pour dire le moins.

Il s'était plaint du peu de possibilités d'action à sa disposition alors qu'il avait pris possession du corps de Gérold ? Et bien, c'était autrement pire à présent : absolument aucun moyen d'aider Almeron.
Sauf qu'il n'était pas là pour aider Almeron. Ni pour infléchir les événements extérieurs.
Il était là pour aider Galathée. Seulement elle.
Cela avait beau être frustrant en la circonstance, cela n'en restait pas moins sa mission.
Et il la savait cruciale. Sinon, il ne serait pas ici...
Bref, aider la petite fille. Or, cela, il en avait les moyens.
Il se tint donc prêt à lui envoyer des messages mentaux au cas où lui viendrait l'idée de se ruer en avant...

Les choses allèrent très vite, si vite qu'elles se réduisirent à des mouvements colorés sur la rétine de la petite bestiole. Les hommes qui encadraient le demi-elfe se fendirent, l'un d'entre eux saisit le bâton, l'autre attrapa Almeron, le faisant chuter dans la neige d'un coup de pied. Galathée, juste à côté de lui, fit exactement ce qu'il avait craint, elle tenta de se ruer vers eux. Mais Taliesin était prêt et il lui envoya des signaux qui, si elle ne parut pas les comprendre, la déstabilisèrent suffisamment pour la faire glisser. Elle dévala de quelques mètres dans la pente neigeuse qu'elle avait escaladée plus tôt. Elle se reprit, grimpa à nouveau, jurant à mi-voix, et cette fois, faisant fi des impressions que lui décochait Feu Follet, elle jaillit sur la crête, prête à se porter au secours d'Almeron. Sauf que cette fois, il n'y avait plus personne à secourir : les cavaliers étaient partis et il n'y avait plus signe du demi-elfe. La tente, elle, était toujours là, mais le cheval avait également disparu.
Galathée fit quelques pas désoeuvrés dans la neige, puis s'assit brusquement, et se mit à pleurer.

Difficile de tirer des plans sur la comète alors qu'il ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants de ce qui venait de se produire. Avait-il s'agit de bandits de grand chemin ? Almeron était-il recherché pour une raison ou pour une autre ? S'était-il fait des ennemis, simplement ? Peut-être Galathée lui en apprendrait-elle davantage quand se ferait trop fort le besoin de se confier, fut-ce à un animal... Dans l'immédiat, le mieux qu'il pouvait faire était de se blottir contre elle et de tenter de la réconforter...

La gamine le serra dans ses bras, manquant l'étouffer, et noya ses larmes dans sa fourrure. Puis, subitement, il sentit qu'elle se tendait. Elle demeura étrangement immobile pendant une bonne minute, puis se leva, l'installant sur son épaule.
" Mais ça ne va pas de se passer comme ça, Feu Follet ! Je te jure !" s'exclama-t-elle avec hargne.
D'un pas rageur, elle marcha jusqu'à la tente où elle entra. Taliesin y retrouva l'environnement dont il avait été expulsé : deux couches, des vêtements, des parchemins, et une forte odeur de pisse. Sous des dehors modestes, l'habitation était vaste et bien organisée, sans doute prévue pour quelques jours de bivouac. Galathée se pencha pour ramasser une musette près du lit qui devait être le sien, y fourra de la nourriture sans vraiment regarder ce qu'elle prenait, puis elle alla fouiller dans un coin de la tente, trouva un arc, passa un carquois sur son épaule, et sortit. Elle s'engagea immédiatement sur la piste enneigée, marquée des sabots des chevaux. A défaut de marcher aussi vite que les ravisseurs, au moins ne risquaient-ils pas de perdre leur trace...

Durant leur bref séjour sous la tente, il avait scruté le décor, cherchant des objets utiles, et même tenté de suggérer à Galathée d'emporter quelques vêtements chauds. Peine perdue : déjà, ils étaient ressortis, suivaient la piste... A présent, c'était les alentours qu'il scrutait, guettant une menace humaine ou animale, surveillant le temps. Autant d'éléments que la petite fille n'était pas en état de prendre en compte, autant d'éléments qu'il devrait tenter de porter à sa connaissance s'il les remarquait.
Voilà en quoi consistait sa mission : l'aiguiller, aussi modestement que ce soit, pour éviter une catastrophe.

Galathée l'attrapa bientôt par la peau du cou et le nicha sur son épaule. Elle marchait d'un pas rageur, sans essayer de se dissimuler aux regards ou de rester sur le bord de la route. Taliesin constata rapidement qu'ils n'étaient pas complètement perdus dans la montagne : au bout d'une demi-heure à ce rythme, le chemin s'incurva vers une vallée et il découvrit un gros village fortifié, en pierre grise, couvert de neige. Au centre se trouvait une petite butte sur laquelle on avait érigé un fortin sombre. La route descendait petit à petit, en lacets à flanc de montagne, vers cette bourgade, mais Galathée s'engagea droit dans la pente, glissant sur son séant pour aller plus vite. Il n'y avait nulle trace des cavaliers que leurs chevaux avaient déjà dû porter à l'intérieur.

Almeron s'était-il attiré l'inimitié du seigneur des lieux en refusant de s'acquitter de quelque péage ou de travailler pour lui ? Avait-il eu maille à partir avec les habitants de la bourgade ? Ceux-ci étaient-ils, simplement, particulièrement hostiles aux étranges ?
Vaines questions. D'abord parce qu'il ne disposait d'aucun élément de réponse, ensuite parce que tout s'éclaircirait au moment opportun.
Pour l'heure, programme inchangé : scruter les alentours, guetter des dangers. Seule nouveauté : tenter d'inciter Galathée à une prudence extrême, à une approche discrète, via des messages mentaux.
Une apprentie rôdeuse devait quand même savoir qu'on ne se jette pas comme cela dans la gueule du loup, non ?

Au début, Galathée sembla complètement imperméable à ses conseils. Il sentait son esprit bouillonner de colère, comme un torrent impétueux, qu'il lui était impossible de pénétrer sans se laisser emporter. Mais petit à petit, tandis qu'elle se fatiguait, qu'elle glissait, qu'elle devait repousser sa colère pour assurer ses prises sur les rochers, il parvint à s'y faufiler. Elle ralentit sensiblement tandis qu'ils arrivaient non loin des remparts gelés. Le ciel s'était assombri, signe que la nuit ne tardera pas à tomber... et il était plus que probable que la bourgade soit alors fermée. La petite fille hésita un moment, comme si elle ne savait pas si elle devait crânement se présenter devant les portes, ou trouver un moyen plus subtil d'entrer...

Ce qu'il lui aurait spontanément conseillé, c'était de rebrousser chemin jusqu'à la tente où elle serait au chaud, où elle pourrait réfléchir à la situation, préparer un plan - et qui, sait, éprouver le besoin de se confier et lui en dire un peu plus sur ce qui se passait. Malheureusement, il doutait qu'elle l'écouterait... Aussi chercha-t-il du regard un moyen d'infiltrer la bourgade sans être remarqué. Peut-être aurait-il mieux valu entrer en toute légalité, mais si les cavaliers avaient appartenu à quelque forme de milice, ou travaillé pour le maître des lieux... C'était à éviter.

Galathée sembla suivre son conseil et, pendant un moment, elle suivit la muraille à la recherche d'un passage. Malheureusement, silhouette brune sur la neige, elle était aisément repérable, et plusieurs sentinelles la suivirent du regard. La gamine et la petite créature durent bientôt réaliser qu'ils n'arriveraient à rien de la sorte. Escalader le mur sans être vu était impossible de jour, et Galathée n'y parviendrait jamais à la nuit noire, d'autant que la pierre devait être gelée. Il n'y avait qu'une seule porte menant dans la bourgade, l'arrière de celle-ci étant adossée à une falaise et bordée de rocaille. Non, entrer nécessitait de passer par l'issue prévue par les habitants... sauf si on était une belette, bien sûr.

Sitôt qu'il eut envisagé cette possibilité, il s'efforça de la mettre en œuvre, craignant que Galathée, le devançant, se présente aux portes.
Mais comment lui faire comprendre ?
Par des images mentales, évidemment.
Il tenta de lui en faire parvenir trois. D'abord, celle de la tente, où il essaya d'inclure la petite fille. Ensuite, celle du rempart,ajoutant une minuscule créature - lui-même - en train de l'escalader. Enfin, la même créature face à Almeron.
Restait à savoir s'il parviendrait à ses fins.

Galathée le prit par la peau du cou (ce qui était étonnamment sans douleur) et le regarda avec une grimace.
" Je veux bien te laisser entrer, mais il n'est absolument pas question que je retourne à la tente." grommela-t-elle.
Vu la nuit qui commençait à tomber, c'était sans doute raisonnable : elle ne l'atteindrait pas aisément, ses yeux d'humaine la privant de tout repère.
" Tu grimpes, tu trouves Almeiron, tu viens me chercher."
Elle soupira.
" Ah... Je voudrais que tu me comprennes, tu sais."
De dépit, elle s'assit dans la neige.
" Attends..."
Reposant la bestiole, elle fouilla dans ses poches et sortit un mouchoir de toile verte.
" C'est à lui. Sens. Ça sent un peu le champignon des bois, tu ne trouves pas ? C'est son odeur d'elfe..."
Elle sourit.
" Je parie qu'elle est plus forte sur un elfe au sang pur. Mais peut-être que ça t'aidera à le retrouver... Maintenant, file."
Il sentit qu'elle essayait de lui envoyer des images du barde, pour lui faire comprendre ce qu'elle voulait.

Il faillit acquiescer, se dit au dernière moment que ce ne serait pas du tout une bonne idée, vu la surprise que cela lui causerait. Alors, il préféra renifler ostensiblement le mouchoir - en se disant que cette histoire de champignons des bois, que lui avait aussi servie Victor, prouvait que les humains avaient un problème au niveau de l'odorat - avant de se tourner tout aussi ostensiblement vers les remparts. Cependant, il ne fila pas instantanément : laisser Galathée ici, dans la nuit et la neige, n'était guère recommandé. Il se mit donc à fouiller sa mémoire et à scruter les alentours, cherchant un lieu où elle serait au moins partiellement protégée du froid.

En fouillant dans sa mémoire, il parvint à se souvenir d'une grotte naturelle qu'ils avaient dépassée en descendant. Elle n'était sûrement pas très profonde, mais la gamine serait plus à l'abri qu'à découvert, si le temps venait à se gâter. Le ciel au-dessus d'eux était bleu gris, tandis que le soleil glissait derrière les montagnes voisines. Il essaya de suggérer la caverne à Galathée en la laissant glisser sur son esprit. Elle s'en souvenait également et leurs images mentales se superposèrent.
" Sois prudent." lui souffla-t-elle, après quoi, elle s'en fut en courant vers les hauteurs.

t bien, ça avait fonctionné, tout compte fait ! Il ne s'en sortait pas trop mal !
Pour l'instant, du moins.
Car à présent, c'est peut-être le plus difficile qui commençait. S'infiltrer dans la bourgade en escaladant le rempart, la fouiller en quête d'Almeron, avec pour seuls guides son odeur et, éventuellement, les conversations qu'il réussirait à entendre, le rejoindre, échanger avec lui, sachant qu'ils ne partageraient sans doute pas le même lien mental qui l'unissait à Galathée... Vaste programme.
Enfin, c'était pour le mener à terme qu'il était ici, alors il y aurait forcément un moyen d'y parvenir...
Il se mit donc au travail sans plus tarder mais... avec prudence, évidemment.

La première étape consistait à escalader la muraille, ce qu'il put débuter sans mal. Il réalisa cependant à mi-hauteur qu'il y avait en fait de nombreux orifices étroits dans la paroi qui, s'ils étaient peu utiles à un assaillant humain, pourraient tout à fait accueillir sa fine silhouette animale, lui évitant l'épreuve éreintante de la grimpette. Il lui fallut cependant en dénicher un qui soit dégagé jusque de l'autre côté, en ligne droite de préférence, et qui ne soit pas déjà occupé par quelqu'un. Il rencontra en effet un rat presque aussi gros que lui, une toile d'araignée épaisse où hibernait la propriétaire, et plusieurs anciens nids d'oiseau que le gel avait rendu durs comme de la pierre. Mais il trouva finalement un tunnel adapté, s'y faufila, et atteignit l'intérieur de la bourgade. A présent, il devait décider d'une stratégie... L'air était froid et ne lui renvoyait pas l'odeur d'Almeron, seulement celle des hommes : leur nourriture, leurs travaux, leur sueur.

Puisqu'il fallait bien commencer quelque part, il prit la direction des portes et, à son avis du moins, de la grand rue qui devait en partir. Malgré les nombreuses traces dont les lieux étaient plus qu'assurément porteurs, Il avait l'espoir, grâce à ses sens particuliers, d'y retrouver la piste laissée par les cavaliers et de pouvoir la suivre jusqu'à celui qu'il cherchait. Certes, c'était là faire montre d'un grand optimisme, mais s'il devait finalement être déçu, il serait toujours temps de réfléchir à d'autres stratégies, comme écouter les éventuels badauds attardés ou rallier le fort...

Peut-être les chevaux qui parcouraient la montagne étaient-ils peu nombreux, mais le problème était que le sol gelé ne retenait que très imparfaitement les signes de leur passage. Taliesin comprit donc que ce ne serait pas à la vue qu'il découvrirait leurs traces. Par contre, il pouvait humer l'air autour de lui et tenter d'y distinguer des effluves intéressants. Le problème était la quantité phénoménale de senteurs qui lui assiégeaient les sens. Plus il se concentrait dessus, et plus il en venait, certaines franchement hypnotiques, comme celles de tous ces ragoûts qui cuisaient ici et là, dans les maisons et les auberges, et qui lui rappelaient qu'il n'avait plus mangé depuis longtemps. Il dut se résoudre à abandonner cette technique : il risquait de s'y perdre, son esprit elfique peu préparé à l'assaut odorant des alentours.

Hum... Des traces trop ténues pour être suivies, des odeurs trop nombreuses pour discerner, au milieu de leur bouquet détonnant, celle qui l'intéressait... Tout cela ressemblait fort à une impasse. Pour ses sens, du moins. Heureusement, s'il avait changé d'enveloppe charnelle, son esprit était demeuré intact et, dans l'immédiat, c'était sur ses seules ressources qu'il devait compter. Il s'en remit donc au plan de secours qu'il avait imaginé, à savoir mettre le cap sur le château tout en essayant de saisir, au passage, d'éventuelles conversations. Et tout en s'efforçant de ne pas attirer l'attention.

La Couronne de Cuivre

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