La Couronne de Cuivre

Si quelques gosses des deux sexes entreprirent mine de rien de rallier les secteurs réservés que leur avait indiqués Albérich, la majorité demeura là où elle se trouvait et entreprit lentement de se dépouiller. Quant aux volontaires, ce fut Alban qui se présenta le premier : l'ayant prise par surprise, il était parvenu à s'arracher à la poigne de Ruth.
-Je veux bien vous aider, moi, dit l'écuyer, timide.
-Reviens-là, toi ! rugit la fillette qui se ruait déjà sur lui.
Pour l'heure, les seuls adultes en vue étaient les soldats qui montaient la garde de l'autre côté de l'étang, scrutant les Landes avec attention.

Albérich ne put s'empêcher de grimacer en apercevant le duo terriblement se diriger vers lui. Leur dispute allait lui faire perdre du temps, or il avait cinquante piles de vêtements à étiqueter, et il ne connaissait le prénom d'aucun des gosses, hormis le leur. La tentation était grande de s'esquiver avant qu'ils ne se plantent devant lui en lui sommant, même explicitement, d'arbitrer leur conflit.
Mais sans doute trop tard.
" Parfait, dit-il à Alban, coupant l'herbe sous le pied de la gamine. Je te donne cette pile de papiers et ce stylet. Tu peux commencer par là, je vais de ce côté-ci. Dépose simplement une étiquette par pile. Je me chargerai de faire les paquets. Attention, ça ne te dispense pas de la trempette."
Il sourit à Ruth.
" Ne t'en fais pas, ça va aller vite."
Et ça avait intérêt à aller vite. Aussi se mit-il en mouvement.

Ruth avait acquiescé de mauvaise grâce mais sans pour autant abandonner l'écuyer. Au contraire, elle le suivit à la trace, sous prétexte de lui prêter main forte, quoiqu'elle soit sans doute beaucoup plus soucieuse de s'assurer qu'il ne se carapate pas à la première occasion. Quatre autres enfants, parmi les plus âgés, proposèrent leur concours au Luménien : du nombre était le garçon l'ayant interrogé à propos des groupes et qui avait probablement vu là une opportunité de conserver ses frusques un moment encore.
L'opération d'étiquetage commença donc. De rares gamins avaient gardé chausses ou tuniques mais la plupart avaient opté pour le plus simple appareil. Frissonnants, tous s'empressèrent de donner leurs noms quand on le leur demanda et, moins de cinq minutes plus tard, c'en fut terminé, sans qu'aucun incident soit à déplorer.
-Je peux vous aider d'une autre manière ? s'enquit Alban en rejoignant l'ancien clerc.
-Moi aussi je veux bien vous aider encore ! renchérit le garçon pudibond.
Ruth, elle, poussa un soupir spectaculaire.

Le Luménien sourit aux deux garçons.
" Vous pouvez à présent m'aider en ne vous faisant pas prier pour aller vous laver, dit-il. Vous n'êtes pas obligés de rester longtemps, et vous pouvez entrer dans l'eau habillés, si vous ne voulez pas qu'on vous regarde... Mais franchement, je doute que ce soit le souci principal de chacun, avec cette température..."
Il se tourna vers le groupe.
" Tout le monde dans l'eau !" s'exclama-t-il.
Il espérait que l'équipe responsable des feux n'allait pas tarder, sans quoi il allait se retrouver rapidement avec une cinquantaine de petits glaçons sur les bras.

Ceux qui avaient aidé à la rédaction des étiquettes entreprirent derechef de se dévêtir, hormis le garçon pudibond qui se dirigea vers l'onde sans rien ôter.
-Moi je m'en fiche qu'on me regarde, fit Alban en retirant son manteau. Mais vous êtes tout seul, alors je me dis que pour apporter les vêtements pour la lessive, ou pour surveiller tout le monde...
-Gabriel, il nous demande souvent de lui filer un coup de main, intervint une fille.
-Gnagnagna, souffla Ruth.
Les autres gamins s'étaient rapprochés de l'étang. Les plus courageux y trempèrent un orteil, mais les cris d'orfraie qu'ils poussèrent aussitôt stoppa net le mouvement.

Albérich n'avait jamais vraiment brillé par son esprit pratique, aussi n'avait-il pas d'idée bien arrêtée sur la manière dont il entendait gérer tout ce linge abandonné. Gabriel n'avait-il pas dit que les lavandières prendraient le relais ? Les frusques ne pouvaient-elles pas simplement rester là jusqu'à ce que les ablutions soient terminées ? Ça paraissait le moins compliqué, pour ne pas les mélanger... De toute façon, ce n'était pas le plus urgent. Il s'approcha de l'eau, s'accroupit et y plongea la main, grimaçant sous l'effet de sa morsure. Elle était tout simplement glacée. Ils étaient fous de vouloir y plonger les gamins : ils attraperaient tous la Soufflante dans les deux jours et ce n'étaient pas trois clercs et un paladin qui parviendraient à gérer tout ça. N'avait-on pas annoncé de la neige ?
" Bon... Personne ne se rue là-dedans. Ceux qui veulent tenter l'expérience, mouillez-vous d'abord doucement les épaules et la poitrine avant d'entrer dans l'eau." dit-il.
Ce n'était pas très sérieux, tout bien réfléchi. Il jeta un regard derrière son épaule à la recherche du Lathandrite. Mais ce dernier, s'il était taillé dans le bois qu'il craignait, aller lui déballer des platitudes sur les bienfaits d'un corps sain, raffermi à la grelotte...

Les dernières paroles d'Albérich donnèrent manifestement des idées à Ruth, car elle glissa quelques mots à l'oreille d'Alban, lequel acquiesça. Une fois nus comme des vers, les deux gamins rallièrent à grandes enjambées la berge et commencèrent aussitôt à appliquer la méthode prônée par le Luménien.
-Allez, un peu de courage ! lança la fillette, sur le ton de la harangue. Plus tôt on s'ra dedans, plus tôt on s'ra ressortis ! Pis je suis sûre qu'elle est moins froide qu'elle en a l'air !
Encouragés par leur exemple, et probablement soucieux de ne pas passer pour des mauviettes, d'autres les imitèrent. Et c'est alors que Gabriel fit son apparition, à la tête de sa propre troupe. Il la conduisit un peu à l'écart, mais non sans avoir dépêché un messager à l'ancien clerc. Une fillette l'informa ainsi que les lavandières ne tarderaient pas à venir récupérer les vêtements abandonnés, et qu'on avait finalement décidé d'allumer un grand feu dans la cantine, où la chaleur se conserverait mieux. On était en train de procéder aux préparatifs et d’amener sur place tout un stock de couvertures.

Bon, ils étaient courageux. Inconscients, mais courageux. Le propre des mômes, en somme. Albérich décida donc de faire le tour des paquets de vêtements pour vérifier qu'ils étaient bien arrangés et chacun muni d'une étiquette, gardant un oeil sur ce qui se passait dans l'eau. Si certains des enfants décidaient de rester sur la berge pour se débarbouiller sommairement, ce n'est pas lui qui les pousserait à s'immerger. Il voulait bien faire le surveillant mais pas le bourreau. Il faisait peut-être moins froid dans l'eau, mais ce n'était pas certain. Une fois qu'il aurait contrôlé que tout était prêt pour le débarquement des lavandières, il enlèverait ses bottes et son manteau, au cas où une intervention aquatique était requise. Il priait Eldath pour que ce ne soit pas le cas. Ensuite, il enverrait les premiers sortis vers la cantine, et au pas de course...

Les plus valeureuses de ses ouailles finirent par passer aux choses sérieuses et pénétrèrent véritablement dans l'étang. Cela n'alla pas sans cris, bien sûr, mais il y en eu moins qu'on n'aurait pu le croire.
-J'vous jure, elle est presque chaude, en dessous ! affirma Ruth.
-C'est vrai... confirma Alban.
-Oui, c'est moins pire que la mer !
Le mouvement étant lancé, rien ne put l'arrêter : un à un, les enfants s'immergèrent. Sous peu, même les moins téméraires auraient franchi le pas, et Albérich aurait un répit avant que les premiers ne songent à ressortir. Autre bonne nouvelle : tout était en ordre en matière de vêtements, si bien que quand les lavandières arrivèrent, elles purent les réceptionner sans mal aucun.

Le Luménien demeura en bordure de l'étang, à surveiller son contingent de marmots. Il guettait le gosse qui perdait pied, la bataille qui dégénérait, les premiers signes d'hypothermie, bref, quoi que ce soit qui ait pu nécessiter une intervention rapide de sa part. Il savait par expérience que si les enfants ressentaient souvent moins le froid que les adultes, ils étaient aussi incapables de détecter le moment où, à moitié bleus, ils devaient s'extirper de l'eau sous peine d'y geler. Mais c'était sa responsabilité d'intervenir pour les arracher à l'onde au moment opportun, même contre leur gré.
A les voir batifoler, cependant, il songea qu'il se baignerait, lui aussi, probablement plus tard, quand les enfants seraient à table et que ce serait au tour des adultes de procéder à un décrassage en règle. Il n'adorait pas l'eau froide, mais il en avait une suffisamment longue habitude pour la préférer à la sueur des derniers jours.

Le Luménien ne fut point contraint à un bain prématuré. Évidemment, les gosses chahutèrent copieusement et plusieurs burent la tasse, mais cela ne dégénéra jamais et il eut d'autant moins à intervenir que plusieurs des plus grands se montraient particulièrement attentifs à leurs cadets, les aidant spontanément si nécessaire. Les minutes succèdent ainsi aux minutes, sans que personne ne donne l'impression de vouloir sortir. Deux ou trois enfants finirent pourtant par s'y essayer, mais ce fut pour replonger aussitôt : en comparaison de l'eau, l'air devait sembler atrocement glacial... Toutefois, il allait falloir sous peu sonner la fin des réjouissances, car nombre des baigneurs commençaient à bleuir.

Il n'était pas nécessaire de les sortir tous en même temps, aussi commença-t-il à en appeler l'un ou l'autre, leur sommant de sortir et de regagner la cantine pour s'y réchauffer. Il espérait ne pas devoir se mouiller pour aller chercher un individu récalcitrant, mais l'épisode lui avait donné une certaine confiance en ses capacités à gérer le groupe. De plus, il avait été aubemestre, il était capable d'une certaine autorité tranquille, qui devait pouvoir fonctionner avec des enfants. Les adolescents étaient pires, après tout, et il en avait une meilleure expérience.

Tous ceux à qui il demanda de mettre un terme à leur baignade s'exécutèrent sans trop se faire tirer l'oreille. Quant à l'unique gamin à s'être baigné tout habillé, il sortit avant même que le Luménien ne s'intéresse à lui. Debout sur la berge, dégoulinant, grelottant, claquant des dents, il le dévisagea avec un embarras manifeste.
-M-messire ? Est-ce qu'on p-p-pourra séparer les ga-garçons et les fi-filles, dans la can-can-cantine ? parvint-il tout juste à articuler.

Bon sang, mais ce gamin avait réussi à éviter d'enlever ses vêtements ! Comment pouvait-on être aussi pudibond à un âge aussi jeune ?
" Ce n'est pas moi qui m'occupe de ça, mais je suis certain que tu trouveras un coin où te cacher, lui répondit Albérich. Maintenant file, ou tu vas geler sur place."
Il aurait pu le forcer à se déshabiller, mais après tout, le gosse avait peut-être de bonnes raisons de ne pas vouloir être vu dans le plus simple appareil, comme une cicatrice horrible ou quelque chose du genre. Enfin... Son obsession du sexe opposé semblait démentir cette explication. Peut-être était-ce davantage l'effet d'une puberté chaotique... Mais le Luménien n'avait pas le coeur de le contraindre à quelque chose qui serait vécu, quel que soit le sens mis derrière, comme une humiliation.
Il ne lui restait plus qu'à retourner aux derniers goujons qui s'égaillaient dans l'eau glaciale.

Avant qu'il ne tourne les talons, un sourire avait étiré les lèvres violacées du garçon : sans doute avait-il réalisé que les probabilités étaient fortes pour qu'aucun adulte ne se trouve encore sous la vaste tente et qu'il n'y aurait donc probablement personne, là-bas, pour l'obliger à se défaire de ses effets. Les autres enfants, pour leur part, acceptèrent peu à peu de quitter l'étang, non sans de sonores récriminations. Ruth, notamment, se fendit d'un tonitruant "Quoi ??? Déjà ???" avant qu'Alban ne lui murmure quelque chose qui la convainquit d'obéir. Bientôt, toute la troupe fut donc sur le chemin du retour.
-C'est bête que vous vous soyez pas baigné, elle était vraiment bonne,dit la fillette à Albérich.

Albérich décocha un sourire tranquille à la fillette.
« Oh mais je compte bien m’y plonger… dès que j’aurai fini mon service, dit le Luménien. Je n’ai jamais eu peur de l’eau froide, ce n’est certainement pas ça qui va m’arrêter. »
Il espérait que le feu était allumé et que les premiers de ses petits protégés avaient déjà pu trouver couvertures et, si les dieux étaient bons, une boisson chaude pour les revigorer. Il se demandait aussi ce qu’il était advenu de l’enfant pudibond. L’ancien clerc espérait qu’il ne comptait pas aller jusqu’à sécher dans ses vêtements. Sinon, il risquait de se retrouver à l’infirmerie avant l’heure du dîner.

Et bien si, il comptait aller jusque là, puisqu'il se tenait devant les flammes, immobile dans ses frusques toujours dégoulinantes, restant sans réaction face aux huées de plus en plus marquées de ses camarades.
-Mais qu'est-ce qu'il est bête... souffla Ruth, incrédule. De quoi il a peur ? Là, on se moque dix fois plus de lu que s'il s'était mis à poil comme tout le monde !
Les autres enfants s'étaient également massés autour du feu, emmitouflés ou non dans des couvertures. Toutefois, une petite fille se porta à la rencontre du Luménien pour lui dire que Gus et ses aides n'allaient pas tarder à leur apporter de quoi goûter et du thé bien chaud. D'ailleurs, une table avait déjà été installée à cet effet.

Albérich hésita une seconde, puis se porta juste derrière le gosse dégoulinant. Il n’avait aucune idée de son prénom.
« Mon garçon, souffla-t-il. Si tu ne te changes pas, le temps que tes vêtements sèchent, tu auras attrapé une vilaine congestion des poumons. Je te propose que nous reculions dans un coin de la tente, et je tiendrai une couverture devant toi pour que tu puisses te déshabiller à l’abri des regards. Mais je ne peux pas te laisser tomber malade, quelles que soient les raisons qui te poussent à vouloir rester vêtu. »

Le gamin hésita, jeta un regard à ses camarades les plus proches qui, évidemment, n'avaient rien manqué de la déclaration de l'ancien clerc. Puis il soupira.
-Vous avez raison. Je vais enlever ces habits trempés. Mais...
Il grimaça.
-Mais je vais le faire sous ma tente. Merci pour la baignade, messire.
Déjà, il s'éloignait d'un pas pressé tout en tentant de conserver une attitude digne et d'ignorer les véritables quolibets dont commença à le gratifier l'assistance.

Albérich le regarda filer, trop stupéfait pour tenter quoi que ce soit. Il était déjà loin quand il songea au fait qu'il s'était probablement fait baratiner : le gosse ne dormait certainement pas sous tente. Mais c'était trop tard et de toute façon, le Luménien ne pouvait pas abandonner sa cohorte de baigneurs pour le salut d'un irréductible. Il veilla à ce que chacun se sèche, sans se brûler pour les plus grelottants, vérifia que les plus petits parvenaient à se réchauffer convenablement, puis invita ceux qui étaient prêts à gagner la table où les rejoindrait bientôt leur pitance. Toujours un peu troublé par le manège du gamin pudibond, il ne put s'empêcher, passant près de Ruth, de l'interroger à son sujet.
" Qui est ce gamin qui refuse de se déshabiller ?" souffla-t-il à la fillette.
Il avait l'impression qu'il faudrait mentionner son cas à Gabriel, ne fut-ce que par sécurité.

Ruth haussa les épaules.
-Lui ? C'est Émeric. Ses parents, ils sont or... or...
-Orfèvres. Ils font des bijoux et taillent des pierres précieuses, intervint Alban.
-Ouais, ben là, lui, c'est une méga réputation qu'il s'est taillée ! Et j'crois que maintenant, c'est plus seulement de se déshabiller qu'il va refuser, mais de revenir nous voir. Faut dire, il a vraiment, vraiment fait le crétin.

" Allons. C'est quand même peu de choses, dit le Luménien. Il finira par se détendre... ou pas. Mais il n'y a pas non plus mort d'homme. Peu importent ses raisons, il a droit au respect de sa pudeur."
Il sourit.
" Allez, dépêchez-vous. Je suis certain que Gustave vous a préparé de quoi clôturer ce moment de répit en beauté."

-Ce que je voulais dire, c'est qu'il s'y est pris comme un pied. Suffisait qu'il soit discret et qu'il la ramène pas, et personne l'aurait regardé. Alors que là, y en aura plein qui vont pas le louper, qui vont se moquer de lui et lui filer plein de surnoms débiles...
Elle venait tout juste d'achever sa tirade quand Gustave et plusieurs des autres personnes officiant ordinairement aux cuisines entrèrent sous la tente, portant des plateau chargés de théières, de tasses et de biscuits. Les enfants, dont l'appétit avait été aiguisé par la baignade, ne furent pas longs a se ruer dans sa direction.
-Vous gênez pas, servez-vous tant qu'vous voulez ! lança l'ancien aubergiste. Et vous inquiétez pas pour la troupe de Gabriel, on prépare une deuxième fournée pour elle !

Albérich demeura en retrait tandis que les gosses faisaient bombance, se contentant de surveiller que chacun était à son aise et que des pugilats ne surgissaient pas pour des broutilles. Il se demandait un peu ce qu'il faudrait faire des enfants lorsqu'ils auraient fini de goûter : la journée était loin d'être terminée. Les petites sentinelles iraient sans doute se reposer un peu, mais les autres risquaient d'avoir toujours autant d'énergie... Enfin... C'était le boulot de Gabriel, il avait sûrement des idées pour les occuper. Les jeunes clercs avaient toujours trop d'idées.
Lorgnant l'entrée de la cantine, dans l'attente du Lathandrite et de son troupeau, il s'interrogea cependant encore une fois sur le petit Emeric... Oserait-il repointer son nez pour quémander sa pitance ?

Mais cet enfant-là ne reparut point, à la différence de ceux, trempés et frigorifiés, dont Gabriel avait la charge. Ils se précipitèrent autour du feu, récupérèrent les couvertures encore à disposition et en reçurent de leurs camarades déjà secs qui les leur cédèrent bien volontiers. Quant au Lathandrite, toujours aussi souriant, toujours aussi joyeux, il rejoignit Albérich.
-J'ai l'impression que tout s'est bien passé de votre côté, et j'en suis heureux ! Cette partie de baignade aura décidément été une franche réussite !

" Oui, une fois passé le choc de l'eau glacée, ils s'en sont donné à coeur joie, et sans casse, dirait-on, dit le Luménien avec le sourire. J'ai juste eu affaire à un pudique irréductible, Emeric, qui a réussi à rester habillé durant toute sa baignade et à filer se changer dans sa tente ou chariot, ou je ne sais quoi. J'aurais pu le poursuivre, mais ça m'a semblé trop énorme pour le pousser dans ses retranchements, sans compter qu'il y avait tout le reste de la bande à surveiller... J'espère qu'il ne va pas tomber malade, cependant. Je pense que ça vaut la peine de garder un oeil sur lui dans les heures qui viennent. Peut-être juste vérifier demain matin..."

-Émeric ? Il est d'un milieu aisé et je sais qu'il n'est pas très à l'aise au sein d'une communauté où l'on ne fait guère de manières, mais je n'aurais jamais imaginé que ce soit au point de refuser d'ôter en public des frusques trempées... Peut-être a-t-il une amoureuse, peut-être celle-ci se trouvait-elle dans votre groupe, ce qui explqueirait cette gêne immense ? Quoi qu'il en soit, j'espère comme vous que cela n'aura aucune conséquence sur sa santé, et je demanderai à Agnès de vérifier. J'espère aussi que l'"incident" ne nuira pas à ses relations avec les autres enfants : ils sont parfois terriblement moqueurs les uns envers les autres...

" Je l'espère aussi, mais Ruth avait l'air de penser qu'il avait scellé son destin en agissant de la sorte..."
Il haussa les épaules.
" Les dynamiques enfantines nous échappent, Gabriel. Tenter de prévenir les choses ne fera que les empirer. Il faudra être vigilant et intervenir au besoin... Comme de coutume."
Il n'allait pas commencer à donner des leçons au jeune homme, ça aurait été des plus inconvenants : il était, après tout, le maître de la marmaille !
" J'espère que les choses se sont bien déroulées dans votre groupe également. Avez-vous prévu quelque chose pour la suite ? Je crains qu'une bonne partie ne se contente pas de bouquiner tranquillement jusqu'au souper..."

-Et bien, il y déjà les guetteurs, qu'il faudra sans doute envoyer se reposer, à moins qu'ils ne veuillent rester ici en acceptant de ne pas trop se dépenser. Concernant les autres, je pensais leur proposer la même chose qu'hier et avant hier : de la course, des sauts, de la lutte, bref, des exercices physiques ludique. Cela achèverait de les réchauffer ! Mais si vous avez d'autres idées, n'hésitez surtout pas : peut-être apprécieraient-ils un peu de changement.

Pas de doute, Gabriel était un Lathandrite pur jus, sorti tout droit d'un livre d'images. Molwen l'aurait adoré. Albérich rit doucement.
" Oh, non, non, je vous vois venir. Je n'ai aucune idée les concernant. Les enfants n'ont jamais été mon créneau et je suis trop vieux pour cela le devienne subitement. J'ai été heureux de vous donner un coup de main avec la baignade, et si vous avez besoin d'un soutien pour la suite de l'après-midi, je peux rester. Mais je n'ai absolument aucune intention d'en faire une habitude, ou de me substituer à vous, même cette seule fois. Je n'ai plus l'énergie de vos vingt-cinq ans."
Il avait mis le pied dans le piège, mais il y avait sûrement moyen de s'en dégager sans le faire sauter.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée