La Couronne de Cuivre

Il constata bien vite qu'il n'était pas remonté pour rien. Même si ce qu'il découvrit n'avait rien en commun avec ce à quoi il s'était sans doute attendu.
Aucun monstre en vue. Mais... Des nouveaux venus.
Un homme encapuchonné, fraichement descendu de selle, discutait paisiblement avec Guillermo. Derrière lui se tenaient deux autres cavaliers et deux archers à pied dont la mise ne fut pas sans rappeler au paladin celle de Varamyr. Deux solides animaux de bât complétaient la petite troupe.
Hormis le duo de piétons, aux aguets, tout le monde semblait parfaitement détendu.

Hubert se détendit aussitôt et demanda à un des soldats qui l'avaient accompagné d'aller prévenir les hommes restés en bas que la voie était libre et qu'ils pouvaient remonter. Il se dirigea ensuite vers Guillermo et les nouveaux venus. Il n'était pas complètement étonnant que des Paludiers se promènent dans les environs : après tout, ils étaient sur leur territoire, et une cité aussi fantastique ne passait pas inaperçue. Mais, tout bien réfléchi, les Paludiers ne montaient généralement pas à cheval, ou du moins était-ce ce dont il avait eu l'impression, à fréquenter Varamyr. Il s'agissait peut-être d'aventuriers de passage ou des chasseurs de trésors... auquel cas, il faudrait se montrer vigilant. Mais c'était un bon test de leur résolution : tôt ou tard, les curieux afflueraient et il faudrait les gérer.

Tous se tournèrent vers lui.
-Messire, je vous présente... commença Guillermo à l'intention du nouveau venu.
-Oh, je crois que je l'ai reconnu.
L'homme retira son capuchon. Il était blond, beau... Très beau, même, d'une beauté que sa trentaine finissante n'avait fait que magnifier.
-Voici venir Hubert de Maleval, ancien capitaine du Rayon de Solarcis qui a noblement renoncé à ses fonctions pour devenir garde du corps d'Albérich Megrall. Et qui a estimé que sa mission de protection consistait à l'emmener au cœur de la plus dangereuse région d'Helonna.

Hubert se figea comme il prenait conscience que Giovanni l'avait prévenu et qu'il avait cru pouvoir tergiverser, et qu'il était à présent trop tard. Il se reprit et s'avança vers le nouveau venu, un sourire affable sur les traits, et la main tendue pour le saluer. La pointe d'ironie ne lui avait pas échappé : ce maudit Sunite était déjà en train de le chercher. A ce jeu-là, il ne pouvait que perdre : les bons mots, ce n'était pas son fort.
" Que vous avez apparemment traversée sans mal, avec une faible escorte. Voilà qui est impressionnant."
Quel était son nom, déjà ? Albérich le lui avait dit... Quelque chose avec des fleurs... mais lesquelles ? Il ne pouvait pas l'appeler par son prénom, ce n'était pas convenable.
" Bienvenue, messire. Je suis sûr qu'Albérich sera heureux de vous voir."
Il espérait le contraire mais il ne se faisait pas d'illusions. Un vieil ami de jeunesse, beau et charmeur... Ils allaient avoir mille choses à se raconter, mille choses qui ne le concerneraient pas. Rien que d'y penser, il en était malade.

Thibault hésita une fraction de seconde puis serra la main tendue, souriant à son tour.
-Oh, Albérich vous a parlé de moi ? Ça me fait plaisir.
Il se tourna vers ses compagnons, et plus particulièrement vers les archers.
-Si nous sommes parvenus jusqu'ici sans encombres, c'est uniquement grâce à nos guides. Le clan des Paludiers des Dents Grises a généreusement accepté de nous en fournir quand nous lui avons présenté les motifs de notre voyage et notre recommandation.

Les Paludiers des Dents Grises... C'était le clan de l'épouse de Tobias Eckhart, l'endroit-même où ils avaient envoyé Varamyr et Marthe leur chercher du renfort. Hubert se demanda de qui émanait la recommandation et en quoi les motifs du Sunite pouvaient être si convaincants. Il préféra ne pas y réfléchir et poser la question aurait été indiscret. Ou peut-être pas. Mais cela ne changeait rien au fait que Thibault était arrivé jusqu'à eux, pimpant et victorieux. Le reste n'avait pas grande importance.
Il se tourna vers l'escorte du clerc et salua les archers d'un signe de tête.
" Nous avons pu, nous aussi, faire l'expérience de l'extraordinaire maîtrise du terrain d'un ami Paludier. Mais si vous arrivez des Dents Grises... Avez-vous par hasard rencontré un groupe issu de notre communauté, dont il faisait partie ? Vous avez dû emprunter une route similaire, et nous attendons leur retour."

Le Sunite secoua la tête.
-Non, nous n'avons croisé aucun émissaire de la Communauté. Mais ce n'est guère étonnant : la discrétion est de mise, dans les Landes, nous avons donc pu presque nous croiser sans pour autant nous remarquer... Et puis, il y a des secteurs particulièrement dangereux, sur le trajet : leur groupe a pu les contourner d'un côté, nous de l'autre...
Il haussa les épaules, leva les yeux en direction de la forteresse.
-Albérich est là-haut ?

« Effectivement. Et vous devez avoir hâte de vous reposer… »
Comment cet homme faisait-il pour avoir l'air aussi pimpant alors qu'il avait dû chevaucher dans la lande pendant près d'une veille ? Hubert leva les yeux vers la forteresse. Il répugnait à laisser Thibault monter seul jusque là, sans pouvoir surveiller ses retrouvailles avec Albérich. En même temps, c’était injustifiable et il n’avait pas envie d’avoir l’air d’un imbécile. Il devait prendre sur lui, aussi douloureux cela soit-il.
« Nous en avons encore pour un certain temps ici, mais je vais vous dépêcher un homme pour vous guider dans les souterrains. Nous n’utilisons pas la voie extérieure pour l’instant. Il y a un escalier à descendre, mais les chevaux peuvent le gérer sans trop de mal, vous verrez. »

Son interlocuteur marqua une nouvelle hésitation.
-Je m'en voudrais de vous déforcer... N'est-il pas simplement possible de m'indiquer l'itinéraire ? Sinon...
Regard aux deux autres cavaliers.
-Sinon, je peux proposer à mes compagnons de rester. Ils exercent la même profession que vous, quoiqu'ils servent Sunie, et je gage qu'un peu d'exploration ne serait pas pour leur déplaire...

Des paladins de Sunie ?
Il en avait rencontré, déjà, à une occasion ou l'autre, à Luménis. Thibault était sans doute un dignitaire de son propre culte, il avait lui aussi besoin d'une escorte à sa mesure. Mais Hubert se sentit étrangement pris en défaut, comme si son aura perdait brusquement de sa vivacité.
" Je pense qu'il vaut mieux que vous soyez guidé, vous risquez de vous perdre."
Ce qui serait une excellente chose.
" Je peux me passer d'un homme, ce n'est pas un souci. Si vos amis préfèrent rester, ils sont évidemment les bienvenus, mais ils ont peut-être besoin de repos, eux aussi... Il n'y a pas d'obligation."

-Je vais en discuter avec eux.
Le Sunite s'éloigna quelques instants pour deviser avec ses amis.
-Bon, ils sont tout prêts à vous aider mais ne veulent pas non plus vous causer du tracas : après tout, intégrer des éléments imprévus dans une équipe bien rodée n'est pas toujours simple... annonça-t-il en revenant. Alors, à vous de décider de ce qui vous convient le mieux, et ils agiront en conséquence.

" Qu'ils aillent plutôt s'installer, dans ce cas. Après toutes ces journées sur la route, vous devez être impatients de pouvoir vous relaxer un moment. Les paladins ne sont pas différents des autres hommes, à cet égard, et la matinée, jusqu'ici, s'est révélée plutôt tranquille. Si vos amis veulent explorer la cité, ils pourront le faire tôt ou tard. La cité est grande, comme vous avez pu le constater."
Il avait failli lui demander s'ils avaient l'intention de rester. C'était ridicule. Ils n'avaient pas fait tout ce chemin pour repartir dans l'autre sens dès le lendemain matin.
Il fit signe à l'un des soldats.
" Peux-tu escorter nos visiteurs jusqu'à la forteresse ?"
Il se demanda si Etienne leur ferait signer un contrat. C'était mesquin, mais il ne pouvait pas penser à autre chose.

-Très bien et merci pour le guide. Je vous souhaite bonne continuation et vous dis à tout à l'heure.
Thibault le salua puis sa petite troupe s'éloigna à la suite de l'homme qu'avait désigné Hubert.
Guillermo resta un moment à les observer avant de déclarer :
-Un puissant clerc et deux paladins... Avec de tels renforts, mes hommes et moi ne vous serons bientôt plus d'aucune utilité.

" Ou bien c'est moi qui ne serai plus d'aucune utilité, dit le paladin avec un sourire un peu forcé. Vous, vous gardez cette superbe expertise et l'absence d'idéaux encombrants. On ne vous remplacera pas comme ça."
Il soupira, mains sur les hanches, en regardant la petite troupe s'éloigner.
" Bon. Je vais rejoindre mon équipe. Vous avez trouvé des choses intéressantes, jusqu'ici ?"

Le mercenaire le fixa quelques secondes puis secoua la tête.
-Quelques bibelots, quelques traces : rien d'extraordinaire. Mais nous n'en sommes encore qu'au tout début...
Il le salua à son tour puis donna ses ordres pour que son groupe passe au bâtiment suivant. Vu le temps qu'ils consacraient à chacun d'entre eux, vu l'heure qu'il était déjà, chaque escouade aurait peut-être le temps d'explorer deux édifices supplémentaires avant que ne vienne le moment de rentrer.

Hubert regagna son escouade et essaya de se remettre dans la tâche en cours. Bien qu'en apparence il parvienne parfaitement à s'acquitter de chacune des actions nécessaires, à l'intérieur de lui-même, il n'y était plus du tout. Il avait hâte de rentrer à la forteresse, alors qu'il ne savait même pas ce qu'il y ferait, peut-être juste contempler l'inévitable et maudire le ciel.
Il sentait l'orage en lui-même, se forçait à rester concentré, n'y parvenait pas. Et le temps semblait s'être ralenti, inexplicablement, comme si chaque seconde s'étirait à l'infini...

De fait, la moindre tâche lui parut durer une éternité : s'assurer qu'un bâtiment était vide, explorer chacune de ses salles, chacun de ses couloirs, chacun de ses recoins, chercher des objets ou des signes, le tout en multipliant les précautions... Pour ne rien arranger, leurs trouvailles furent pour le moins limitées : quelques bibelots, une poignée d'os brisés, deux empreintes indistinctes... Mais ils finirent par en venir à bout et, bien que le soleil soit invisible derrière les nuages gris, il semblait évident que midi était déjà passé. Ne restait donc plus qu'à rebrousser chemin jusqu'à la forteresse.

Ce qu'ils firent, en bon ordre, aussi prudents qu'à l'allée. Hubert aurait sans doute dû sonder l'humeur de son équipe, vérifier que les gens n'étaient pas trop déçus de cette première exploration, mais il n'avait pas la tête à ça, et il retourna vers la forteresse dans un état de torpeur, complètement tourné sur son inquiétude, qui lui serrait la gorge et lui broyait les tempes. Une part de lui-même était consciente que cela ne pourrait durer, néanmoins. Il fallait qu'il se reprenne. Il était responsable, Giovanni l’avait prévenu. En même temps, s’il n’avait pas été voir le gosse cannibale, s’il n’avait pas paniqué, s’il n’avait pas fait irruption chez le barde, défait, il n’en aurait rien su. Giovanni ne l’aurait pas averti du débarquement prochain de Thibault et les choses en seraient au même point. C’était un concours de circonstances. Il était finalement juste que son erreur de jugement de la veille ne lui ait rien rapporté de positif.

***

De son côté, Albérich avait, fidèle à ses engagements, passé la matinée avec les enfants cannibales. Plus précisément, il avait profité de la grande lessive organisée par Gabriel pour procéder à une inspection médicale. Il fallait se débarrasser des parasites, surtout de la gale, très contagieuse, mais aussi vérifier l'état de santé général de chacun. Repérer d'éventuelles blessures infectées, des problèmes digestifs ou respiratoires, de la malnutrition, bref, n'importe quoi qui puisse souffrir ou fragiliser ces gosses. A l'aide de son sortilège de don des langues, il prenait le temps d'expliquer clairement aux gosses quelles étaient ses intentions avant de les examiner. Il en profita aussi pour rédiger une fiche sur chacun d'eux. Nom, âge revendiqué, âge supposé suite à son inspection, plus de petites informations sur un éventuel traitement ou régime à administrer. Il indiqua aussi d'autres informations, sur leur état d'esprit, ce qu'il pensait percevoir de leur personnalité via leurs interactions avec les adultes ou leurs pairs. Il commença par les plus petits, dans leur dortoir privilégié, puis continua avec les plus âgés, gardant les trois récalcitrants pour la fin de matinée.

Il avait constaté que les petits, globalement en bonne santé quoiqu'un peu maigres, avaient déjà beaucoup progressé : la peur et la méfiance s'étaient presque volatilisées, remplacées par une certaine décontraction et beaucoup de la curiosité ; ils ne s'inquiétèrent donc pas de le voir venir, ne protestèrent pas et, mieux encore, il vit en une ou deux occasion s'esquisser des sourires.
Chez les moyens, on n'en était pas encore là. Surtout parmi les Écorcheurs, où la défiance restait de mise ; toutefois, il nota quelques gamins moins réticents, plus réceptifs aux efforts de leurs hôtes. Chez leurs anciens prisonniers, ces derniers cas étaient plus nombreux encore ; en revanche, le clerc put constater qu'ils n'étaient guère en forme et relever les traces de maints mauvais traitements remontant assurément à leur récente captivité.
Le clerc en était à examiner les aînés de cette même catégorie, partageant globalement un état d'esprit identique, lorsqu'il entendit des pas derrière lui. Quelqu'un venu lui transmettre une nouvelle, sans doute. Toutefois, la vox qui retentit ne lui était pas familière. Ou plutôt si : elle lui était très familière. Simplement, il n'aurait jamais cru l'entendre ici...
-Voici donc messire Albérich Megrall en plein travail... L'on m'avait prévenu mais je n'ai pu m'empêcher de venir jeter un coup d’œil. Enfin, ne te dérange pas pour autant : je repasserai !

Ce n'était pas tout à fait vrai, car Albérich savait que Thibault retrouverait un jour leurs traces et qu'il ne renoncerait pas avant de l'avoir fait. Mais jamais il n'aurait imaginé le voir débarquer aussi vite... Il ne put s'empêcher de se lever et de se tourner vers la source de ces paroles enjouées. Il abandonna un instant l'enfant qu'il examinait aux bons soins de l'homme qui l'assistait et marcha droit sur le nouveau venu. Il l'étreignit avec chaleur.
« Diable, tu es aussi fou que je le craignais. Traverser les Landes en solitaire. Tu aurais dû me prévenir et nous t’aurions envoyé une escorte… Quand je pense qu’à quelques jours près, tu te serais retrouvé parmi les cannibales… »
Il frissonna puis fit un pas en arrière.
« Tu as l’air en forme. Tu vas devoir me raconter. Je n'ai pas tout à fait terminé ici, je te rejoins dès que possible... Tu as trouvé un endroit où t'installer ? »

Pas encore : j'ai posé mes affaires dans la première salle venue, j'ai demandé où tu étais et j'ai acouru à toi. Pour le reste, je ne suis pas aussi fou que tu parais le penser : deux coreligionnaires, paladins de profession, ont accepté de m'accompagner, et nous avons été menés ici par deux guides paludiers du clan des Dents Grises...
Il se tut, l'observa avec attention.
-Bon sang, ce que tu es rayonnant ! C'est proprement incroyable !
Il sourit largement.
-Je ne vais peut-être pas tuer ton fichu garde du corps, après tout, car cette expédition t'a plutôt bien réussi...

" Je ne suis pas certain que tu aurais le dessus sur mon garde du corps. Mais oui, tu as raison. Il faut croire que parfois, il faut de noires ténèbres pour inciter la lumière à resplendir à nouveau."
Il sourit.
" Des paladins, donc. C'est vrai, je me souviens qu'il y a en avait quelques uns dans le temple luménien... Jamais très longtemps. Je suis désolé de t'avoir fait changer tes plans à cause d'une lettre... Je ne me souviens pas que j'y demandais de l'aide, cela dit... Je crois même plutôt te l'avoir envoyée quand tout allait pour le mieux... brièvement... Tu n'as pas dû adorer découvrir que j'avais rejoint la compagnie que tu venais de quitter... Etienne sera content de te voir. Et Giovanni aussi, je suppose..."

-Tu ne me demandais pas de l'aide, c'est vrai, mais j'avais tellement envie de te revoir que je n'ai pas hésité une seule seconde lorsque j'ai su ou te trouver. Pour le reste... Non, je n'ai pas adoré. J'ai même détesté. Parce que j'ai eu peur quand je l'ai su. Très peur.
Il soupira.
-C'est Tobias Ekhart qui m'a informé de ce qui se passait. Son fils a eu une vision, il te voyait dans les Landes avec la Communauté et, non loin, prête à fondre sur vous, une horde de sanguinaires cannibales... Mon sang n'a fait qu'un tour, tu l'imagines bien. J'ai donc demandé à Tobias de me prêter son dragon squelette pour qu'il me mène à Grand-Estuaire, où j'ai retrouvé mes deux amis... Je m'en voulais tellement d'avoir abandonné Étienne comme ça que, pour me faire pardonné, j'ai fait passer le mot auprès de quelques connaissances, afin de vous envoyer des renforts... Bref : ensemble, nous avons gagné les Dents Grises, négocié avec le clan puis mis le cap sur la cité.

Albérich le dévisagea avec incrédulité.
" Tobias Eckhart et son dragon squelette ? Tu es sûr que tu ne me fais pas marcher ?"
Il rit de bon coeur.
" Cet homme est décidément partout. Mais comme tu vois, tu t'es inquiété pour rien. Je suis en pleine forme. Nous avions une bonne équipe, avec des hommes de qualité... Nous avons pensé que des renforts seraient nécessaires, nous aussi, mais au final... Nous nous en sommes sortis. Cela dit, dès que j'ai entendu parler de ce projet, j'ai pensé à toi. Je me suis dit : voilà une expédition pour Thibault. Je suis donc heureux que tu aies pu nous rejoindre, finalement."

-Inquiété pour rien, inquiété pour rien, comme tu y vas ! C'est quand même une sacrée menace que vous avez affrontée, et m'est avis que vous avez reçu de sacrés coups de pouce du destin.... Franchement, Alby, quelle idée de te lancer dans pareille aventure ? Bon, en même temps, je me doute bien que tu ne t'y es pas engagé de ton plein gré...
Il grimaça puis rit à son tour.
-Je sais, je ne fais pas très crédible en donneur de leçons. Quoi qu'il en soit, je suis heureux de vous avoir rejoints, de t'avoir retrouvé. Et puis, le pauvre Giovanni devait se sentir bien seul, au milieu de tous ces Chauntéens et de tous ces Lathandrites, sérieux, rigoristes, conservateurs... Il était grand temps d'insuffler un peu de fantaisie et d'audace au sein de cette tranquille Communauté !

" On voit que tu n'as pas encore rencontré Gabriel, si tu crains les Lathandrites rigoristes."
Il secoua la tête.
" Mais je dois dire qu'effectivement, les derniers événements ne nous ont pas toujours poussés vers la fantaisie. Par contre, de l'audace, je peux te dire que personne dans cette communauté n'en manque. Peut-être pas dans les registres qui intéressent les Sunites, cependant."
Il sourit.
" Vous voilà en majorité, vous allez pouvoir fonder votre Antelucas-la-Neuve. Je veux juste te signaler, au cas où on ne te l'avait pas dit à l'époque, que le prosélytisme est interdit. Il faudra être subtil. Pas ton point fort, je sais."

-Ça c'est gentil, tiens ! Je traverse la moitié du monde pour venir à ton secours, et voilà comment tu me reçois ?
Il poussa un soupir spectaculaire.
-Enfin soit. Et de toute façon, à quoi sert la subtilité ? Lors de la prochaine Assemblée, j'adresserai un sourire lumineux à nos compagnons, puis je proposerai d'appeler cette cité Amour, et tous me soutiendront comme un seul homme. Ensuite... Ce sentiment, le plus noble et le plus haut parmi les plus nobles et les plus hauts des sentiments, régnera sans partage en ces lieux magnifiques...

" Pardon. Je te suis très reconnaissant d'avoir traversé la moitié du monde pour voler à mon secours, même si j'aimerais que ce genre de... besoin de me protéger que vous semblez être plusieurs à partager s'estompe désormais. Et je te signale que tu as commencé à traiter les Lathandrites, dont je fais à nouveau partie, de sérieux, rigoristes et conservateurs... Je trouve qu'estimer que les Sunites sont peu subtils n'est qu'un juste retour des choses. Je suis magnanime, même, je trouve..."
Il posa une main sur son épaule.
" Je suis heureux de te revoir, vraiment. Et si les colons décident d'appeler cette ville superbe Amour, juste pour tes beaux yeux... Ainsi soit-il. Nous sommes en démocratie. Les charmeurs partent toujours avec une longueur d'avance. Ce n'est pas un mauvais nom."

En entendant le début de la première tirade, Thibault avait froncé les sourcils. Mais il n'avait pas tardé à se détendre.
-Allons, je ne suis pas du genre à débouler au beau milieu d'un groupe et à tout chambouler. Bon, d'accord, j'ai peut-être été de ce genre-là, mais j'ai mûri. Et en matière de charmeur, tu ne te débrouilles pas mal du tout, tu sais. A ton insu, peut-être, mais quand même.
Il l'observa à nouveau, eut un sourire très doux.
-Ah, bigre, ça fait sacrément du bien de te revoir ! J'ai déjà hâte que tu aies un peu de temps libre, pour que nous puissions bavarder plus avant...

" Moi aussi. Je n'en ai plus pour très longtemps ici, je suis dans le dernier groupe. Il me reste les trois récalcitrants de l'étage inférieur, mais j'irai les voir cet après-midi. Pour le reste, j'ai les mains pleines, mais nous pourrons bavarder pendant le repas. Et une fois que tu te seras installé... Si tu me donnes un coup de main, j'en aurai fini plus vite. Mais je ne suis pas certain que les enfants, ce soit ton truc. Giovanni, malgré ses talents, a l'air de les abhorrer. Enfin... Je devrais avoir honte d'essayer de te mettre au travail alors que tu viens d'arriver. Pose-toi, serre des mains, distribue tes sourires. J'arrive dans une demi-heure. Et puis j'imagine que tu n'es pas venu pour repartir après-demain, si ?"

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue