La Couronne de Cuivre

Abattre les deux était possible mais risqué compte tenu des renforts dont ils allaient bientôt bénéficier. Et rester perché dans l'arbre alors qu'une momie s'apprêtait à l'assaillir aurait été particulièrement téméraire car ces créatures bénéficiaient souvent de pouvoirs voire de sorts à sa connaissance.

Certes, il ne manquait de s'interroger sur la présence d'une puissance aussi maléfique en pleine forêt alors que ses semblables hantaient plus souvent les cimetières ou autres catacombes mais ces considérations ésotériques mises de côté, il s'efforça d'établir un nouveau plan : celui d'attirer les mort-vivants ailleurs en espérant les affronter unitairement ou par très petits groupes et ainsi priver la momie de son escorte macabre. C'était peut-être compter sur la chance mais tant qu'il ne se sentirait pas en situation délicate, il n'envisagerait pas de fuir.

La momie était plus lente que les squelettes, aussi n'eut-il pas de difficulté à attirer les deux premiers un peu à distance pour les éliminer. Il s'apprêta à faire de même pour les suivants, mais se trouva pris au dépourvu lorsque d'autres apparurent dans la direction vers laquelle il comptait se diriger, lui barrant la route. D'autre apparaissaient à sa droite, et sa gauche était encore envahie de racines. Peu à peu, il se trouvait encerclé. Il demeurait plus vif, plus rapide, plus précis que ses adversaires, mais eux avaient l'avantage du nombre : chaque fois qu'il en tuait un, un autre semblait surgir, inlassablement. Et tôt ou tard, la fatigue lui ferait faire une erreur...
Puis il se produisit un phénomène étrange. L'un des grands arbres sous lequel avançait la momie se mit à bouger brusquement, arrachant ses racines du sol, et écrasant l'ignoble créature sous sa masse imposante.

Kasumi en resta un instant bouche bée et pourtant il ne semblait pas avoir rêvé : il y avait bien un Sylvanien ou alors le combat l'avait fait halluciner... Ragaillardi par la présence d'un tel allié aussi imprévu et libéré de la menace imminente de l'attaque d'une momie, il reprit du poil de la bête et décida de se montrer plus offensif, cherchant à s'approcher de son allié providentiel en dégainant son épée pour en asperger la lame d'eau bénite avant d'attaquer les mort-vivants les plus proches.

Face à cet adversaire de taille, il perçut une certaine hésitation chez les plus intelligents de ses adversaires. Un bon nombre se ruèrent néanmoins sur eux, profitant de ce que le sortilège d'enchevêtrement prenait fin. Mais face à un arbre de trente mètres de haut les giflant de ses branches, ils ne faisaient clairement pas le poids. Kasumi, ses arrières parfaitement protégés par son allié providentiel, put de son côté occire un certain nombre de morts-vivants, et peu à peu, le nombre de ses adversaires décrut, soit qu'ils aient été éliminés, soient qu'ils aient renoncé au combat.
Lorsque, enfin, il n'y eut plus personne face à eux, l'arbre reprit sa position initiale, exactement là où son déracinement avait laissé un trou imposant dans le sol, et redevint parfaitement immobile.

Le rôdeur en fut à nouveau quitte pour un nouvel étonnement devant ce prodige : il ne s'agissait vraisemblablement pas d'un sylvanien tout compte fait. Ou alors d'un genre bien différent de celui de Celd. Toujours était-il que le demi-elfe savait reconnaître la marque des dieux de la nature quand il se trouvait face à une de leur manifestation.

Vérifiant qu'il n'y avait plus d'ennemi embusqué à proximité, il vint s'agenouiller devant l'arbre pour adresser une fervente prière à Mielikki, la remerciant pour ce prodige. Il avait désormais encore du travail pour déblayer ces nouveaux corps et plus encore pour rendre à l'endroit la pureté qu'il méritait mais il avait remporté un combat avec son aide et il s'en sortait transporté.

Nul ne vint le déranger tandis qu'il reprenait sa besogne. L'endroit lui semblait un peu moins sombre, moins silencieux, moins inquiétant. Il acheva de déblayer l'ensemble des squelettes obstruant le ruisseau, ainsi que ceux qu'il venait de combattre. Il se retrouva ainsi, au bout d'un peu plus de deux heures, avec une pile assez impressionnante d'ossements en tout genre qu'il ne pouvait pas décemment laisser en l'état.
L'après-midi était désormais bien avancé. S'il rentrait maintenant, il arriverait au coucher du soleil. Mais rien ne l'empêchait de rester encore une heure ou deux, voire davantage, sur place.

Kasumi était trop pris par son travail pour s'arrêter en si bon chemin aussi comptait-il poursuivre encore un peu sa besogne, réunissant les ossement en tas beaucoup plus petits qu'il aspergeait tour à tour avec son eau bénite, recommandant les âmes tourmentées à sa déesse. Le lendemain, il comptait revenir avec une pelle pour les enterrer dans la terre un peu plus meuble du sous-bois.

Il put travailler sereinement, sans que rien ne vienne perturber son ouvrage. La forêt semblait redevenue ordinaire : les oiseaux pépiaient gaiement et il ne sentait plus cette espèce d'oppression qu'il avait ressentie auparavant. Il dispersa les ossements, utilisant presque la totalité de son eau bénite pour les assainir, priant régulièrement pour le salut des âmes -au moins lorsqu'il s'agissait d'ossements humanoïdes.
Le ruisseau coulait plus librement, et l'eau vive emportait avec elle les derniers miasmes restant. Une fois qu'il aurait enterré les ossements, le lendemain, l'endroit retrouverait toute la paix et la sérénité qu'il n'aurait jamais dû perdre.

Fort de cette certitude, satisfait de sa journée et conscient d'avoir encore de nombreux mystères à éclaircir, le rôdeur se décida enfin à rebrousser chemin : il comptait passer par la cabane mais ne pas s'y attarder plus que nécessaire pour saluer Première Neige puis rentrerait enfin au village où Sylvia s'inquiétait peut-être déjà de son retour. Il devait reconnaître par devers lui qu'il appréhendait un peu sa réaction quand elle le découvrirait blessé. Peut être faudrait-il minimiser quelque peu la portée des combats qu'il avait menés aujourd'hui...

Première Neige l'accueillit avec quelques gémissements, frétillant de joie de le voir enfin de retour. Son état à elle était stationnaire : sa blessure n'avait pas fini de cicatriser, et il était plus prudent qu'elle reste à l'abri pendant encore quatre ou cinq jours. Il n'avait pas eu le temps de chasser pour elle, mais elle ne souffrait pas de la faim : son repas de l'avant-veille avait été consistant, suffisant pour lui permettre de tenir quelques jours.

L'accueil fut moins joyeux chez Martha. Sylvia, comme il s'y attendait, se précipita vers lui avec une mine horrifiée en voyant la blessure qu'il tentait tant bien que mal de dissimuler.
" Oh là là... Mais qu'est-ce qui t'es arrivé ?"

Kasumi s'efforça de sourire pour la tranquilliser mais il se doutait bien qu'il n'avait pas fini d'en entendre parler, quoiqu'il dise :

- J'ai dû me battre contre la panthère pour achever de nettoyer les abords du ruisseau mais la blessure est plus impressionnante que grave. J'ai pu enterrer le corps qu'elle surveillait et il n'y a maintenant plus aucun danger sur place...

Oups, il se souvint tardivement qu'il avait soigneusement d'évoquer la présence d'un squelette humain jusque là... Et aucune chance que cela ait échappé à Sylvia, bien sûr !

" Le corps qu'elle surveillait..., répéta Sylvia, sans comprendre tout de suite. Oh, tu veux dire... Un corps humain ? Dont elle aurait été le familier peut-être ?"
Mais elle ne semblait pas vraiment surprise de cette annonce, finalement. Le fait qu'il y ait un corps humain parmi les autres ne devait pas être tellement incongru.
" Fais voir, quand même, lui intima-t-elle en lui prenant doucement le bras. Il faut nettoyer mieux, désinfecter... mais tu as raison, ça n'est pas profond.
- Faites donc cela pendant que je finis de faire réchauffer la soupe, suggéra Martha. Et profitez-en pour vous laver, cette fois-ci...", ajouta-t-elle avec un clin d'oeil.

- Oui, bien sûr, répondit le rôdeur presque par réflexe sans savoir lui-même si cela s'adressait à Sylvia, Martha, ou les deux à la fois. Prendre un bain était d'ailleurs une perspective agréable après la difficile journée qu'il avait passée. Il s'empressa donc d'aller chercher des affaires propres dans sa chambre avant de repasser par la salle commune, s'attendant à moitié que Sylvia cherche à l'accompagner pour s'occuper elle-même de sa blessure.

C'était bien ce que la rôdeuse avait l'intention de faire : s'occuper de sa blessure... et davantage encore. Ils n'avaient guère le temps de s'attarder dans la salle d'eau, aussi se contenta-t-elle de quelques baisers particulièrement émoustillants après avoir soigneusement lavé et désinfecté la plaie. Quant ils revinrent dans la pièce principale, elle avait les vêtements plutôt humides, et profita de ce que Martha était encore en cuisine pour changer de tunique...

Le dîner fila en un clin d'oeil. Les deux femmes ne lui posèrent aucune question indiscrète sur son expédition en forêt, se contentant de ses vagues explications sur le fait qu'il avait nettoyé les abords du ruisseau. la discussion dériva sur des sujets plus légers. Il apprit que Sylvia passait l'essentiel de son temps à coudre et tricoter des habits pour l'enfant à naître -activités que d'ordinaire elle détestait, mais qui lui paraissait subitement plus attrayantes et dans lesquelles elle progressait rapidement. Ils avaient invité la fille et le gendre de Martha à déjeuner à midi, ainsi que leurs quatre enfants, et le contact était bien passé entre la rôdeuse et le jeune couple.
Puis, enfin, ils se retrouvèrent seuls dans la chambre, où la rôdeuse avait bien l'intention de poursuivre ce qu'elle avait initié dans la salle d'eau, sans guère se soucier de l'épuisement de son compagnon.

Kasumi en fut tout d'abord étonné car il pensait la rôdeuse trop épuisée pour penser à ce genre de choses mais il ne bouda pas son plaisir dès les premiers baisers échangés, l'attirant vers le lit pour lui dispenser caresses et affection. Et malgré son enthousiasme, il fit preuve d'une très grande douceur comme s'il redoutait de lui faire mal ou de faire du mal à l'enfant qu'elle attendait. Loin de leurs étreintes les plus passionnées, ce moment renforça encore un peu plus leur complicité.

Ils finirent par s'endormir dans les bras l'un de l'autre, épuisés et sereins. Dehors, les derniers grillons s'étaient tus depuis longtemps et on n'entendait plus aucun bruit, excepté les grattements d'une souris dans la grenier.
Kasumi se réveilla avant l'aube, comme il en avait pris l'habitude. Et Sylvia dormait paisiblement près de lui, comme de coutume. Elle bougea légèrement en le sentant bouger, mais ne s'éveilla pas. Dans la cuisine, Martha était en train de raviver les braises.

Comme la veille, le demi-elfe avait bien l'intention de s'attarder au moins assez longtemps pour saluer Sylvia et passer quelques minutes en sa compagnie : il avait certainement moins à faire que la veille dans les bois même - s'il avait aussi l'intention de chasser pour Première Neige - et profiter un peu de la chaleur d'un bon lit et de la douceur de sa compagne allongée contre lui était décidément par trop tentant.

Sa compagne dormait profondément et il dut patienter un bon moment avant de deviner les premiers signes d'éveil. Une délicieuse odeur de thé et de pain chaud s'était répandue dans la maison, et ce fut sans doute ce qui la poussa finalement à ouvrir des yeux embrumés. Elle cligna des yeux, le fixant sans réaliser vraiment, avant de s'exclamer.
" Mais... tu es là ? Tu ne pars pas dans les bois aujourd'hui ?"

Il lui répondit par un sourire puis, sans lui laisser le temps de poser une autre question, il l'embrassa tendrement avant de s'éloigner et de sourire à nouveau :

- Si, mais j'avais envie de m'attarder un peu ce matin.

Mais les bonnes odeurs de petit déjeuner incitaient à quitter leur cocon d'autant que Martha devait commencer à s'impatienter.

Bien sûr, la rôdeuse bondit hors du lit pour le suivre, et dut se rasseoir aussitôt, en proie à un vertige. Elle avait le teint pâle, voire verdâtre, l'estomac au bord des lèvres, et eût une grimace d'excuse.
" Hum... je crois que je vais te laisser déjeûner seul. Je viendrais te saluer avant que tu partes, il me faut juste quelques minutes pour... retrouver mes esprits. de toute façon je ne vais rien avaler..."
Martha avait déjà, de son côté, préparé son en-cas pour midi, et un petit déjeuner consistant l'attendait sur la table. Leur hôtesse était d'ailleurs en train d'avaler son propre bol de thé.
" Si j'avais su, je me serais levée un peu plus tard", fit-elle remarquer avec un sourire.

Le demi-elfe salua aimablement leur hôtesse avant de prendre place à table :

- Je suis désolé de vous avoir fait lever si tôt pour rien mais je suis tout à fait disposé à me rattraper en vous rendant service : je vais avoir un peu moins de travail en forêt aujourd'hui, surtout si vous m'aider à trouver une pelle. Je peux peut être vous rapporter un peu de gibier ?

" J'avoue que je ne serais pas contre... A quoi bon héberger deux rôdeurs si on n'en retire pas un minimum de bénéfice ? Non, rassurez-vous, je plaisante. La priorité c'est ce que vous avez à accomplir, mais si vous avez le temps de me rapporter un lièvre ou un volatile quelconque, ça nous changerait un peu ! Et si c'est du plus gros gibier je pourrai toujours en faire du pâté... Ah, tant que vous y êtes, quelques champignons pour accompagner... Non ?"
Leur hôtesse souriait, affable, détendue, tout en s'affairant aux derniers préparatifs.
" Et donc, vous rentrez plus tôt ce soir ?"

Le demi-elfe avait commencé à déjeuner gaiement mais marqua tout de même une pause pour répondre d'un ton affable :

- Je vous ramènerai tout ça sans problème, oui ! D'autant que j'avais aussi prévu de chasser pour ma louve. Et je compte rentrer un peu avant la nuit cette fois même si on n'est jamais sûr de rien...

Dès qu'il aurait fini de déjeuner, il comptait se mettre en quête des outils qui lui manquaient pour creuser une tombe décente pour tous les ossements puis souhaiter une bonne journée à Sylvia et enfin se mettre en route pour la forêt. Il avait récupéré assez de flèches pour tenir bon mais peut-être lui faudrait-il en acheter auprès des chasseurs du village le lendemain.

" Chasser pour votre louve ? Ah, oui, c'est vrai, vous aviez dit qu'elle était blessée... Et donc c'est vous qui la nourrissez ? Ca doit dévorer, ce genre de bestiole... Il lui faut du gros gibier je parie..."
Elle avait lancé la dernière phrase depuis la cuisine, et Kasumi l'entendit fouiller, peut-être dans un petit réduit attenant. Elle surgit quelques instants plus tard en tenant une petite pelle à la main, qu'elle déposa près du petit sac de provisions.

Cette pelle n'était pas forcément l'outil idéal pour la tâche qui l'attendait mais elle lui ferait assurément gagner beaucoup de temps et Kasumi ne manqua pas de remercier Martha comme il se devait. Restait un dernier détail à régler :

- J'essaierai de rentrer assez tôt mais je crois que mon cheval aimerait que je puisse l'emmener, ce qui est impossible. Vous ne connaitriez pas un cavalier expérimenté qui puisse en avoir l'usage tant que je ne peux pas lui accorder toute l'attention qu'il mérite ?

Martha réfléchit un instant.
" Et bien... On n'est pas très porté sur l'équitation dans le secteur... Tim, mon petit-fils, serait ravi de le monter, il adore ça, mais il n'est pas ce qu'on peut appeler un cavalier émérite, loin de là. Sinon, je peux demander à Antoine. C'est notre maréchal-ferrand - ferronnier, il s'y connaît un peu en chevaux, et il en a un, d'ailleurs, qui doit partager le pré avec le vôtre. Il pourrait peut-être... ou il demanderait à l'un de ses fils, ce sont de bons cavaliers. Oui, ne vous en faites pas, je dois pouvoir vous trouver ça... Partez tranquille !"

Tout était donc réglé grâce à la diligence et aux bonnes relations de Martha mais le rôdeur n'avait tout de même pas l'intention de s'en aller avant que Sylvia se soit levée. Ce n'était pas grand chose mais il savait que cela ferait plaisir à sa fiancée et il n'était pas à quelques minutes près de toute façon. Peut-être ferait-il mieux d'aller la rejoindre dans la chambre et d'ouvrir lui-même les volets...

Lorsqu'il se décida à aller voir ce que faisait sa compagne, il comprit les raisons de son retard : confortablement blottie sous les couvertures, la rôdeuse s'était tout simplement rendormie... Elle respirait lentement, paisiblement, la main posée sur son ventre comme pour protéger le bébé qui y grandissait doucement.
Elle dut l'entendre entrer, ou sentir sa présence, car elle bougea légèrement, à la frontière entre sommeil et éveil. Il suffisait qu'il s'approche et elle ouvrirait les yeux

Mais Kasumi ne voulait pas réveiller Sylvia et briser la vision magnifique qu'elle lui offrait et aussi toutes les promesses d'avenir qu'elle comportait. Tous sourires, il resta sur le pas de la porte à l'observer pendant plusieurs minutes avant de se décider à sortir et refermer doucement la porte, mais ayant déjà hâte de rentrer pour la retrouver.

Près de trois heures plus tard, il était à pied d'oeuvre dans les bois. il trouva l'endroit exactement dans l'état dans lequel il l'avait laissé, les ossements répartis en petits tas, prêts à être ensevelis. Le ruisseau coulait librement, et il n'y avait plus trace de vase ni de l'odeur nauséabonde qu'il dégageait - il demeurait toutefois celle des squelettes les plus récents.
En examinant l'endroit où avaient été entassés les ossements, au coeur des taillis de ronces, il ne découvrit qu'un trou d'eau, une sorte de résurgence qui était la source du ruisseau. Peut-être celui-ci se prolongeait-il en amont par une rivière souterraine, ou peut-être était-il simplement à un endroit où les nappes d'eau souterraines affleuraient à la surface de la terre.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde