La Couronne de Cuivre

« Bien, faisons ainsi. »
La liche se dirigea vers la porte. Elle rangea le symbole dans une des poches de sa robe, puis elle tendit la main à Asmodeus.
« Si vous voulez bien vous donner la peine, très cher... », dit-elle avec un soupçon d’amusement.
Les deux morts-vivants se retrouvèrent bientôt dans le corridor aux nombreuses portes ornés de signes.
« J’imagine que maintenant, il nous suffit de trouver un escalier montant. Ce serait également bien qu’on puisse trouver une fenêtre, histoire de savoir où on se trouve dans la tour, et s’il s’agit vraiment d’une tour. On a beau pouvoir se déplacer à notre guise, il n’en demeure pas moins que l’espace dans ce bâtiment est pour le moins dilaté. »

Trouver un escalier menant vers le haut semblait effectivement être le début le plus logique en l’absence de tout plan des lieux en leur possession. Asmodeus n’y vit donc aucune objection tout comme il serra la main de la liche sans aucune gêne ou arrière-pensée : les non morts avaient cet avantage là en plus de bien d’autres sur les vivants dominés par leurs pulsions irrationnelles.

-Cela convient à Asmodeus. Il est grand temps de rendre une visite de courtoisie au maître des lieux. En espérant que la rencontre sera plus fructueuse que la première entrevue qu’a eue Asmodeus avec lui !

Il n’avait pas oublié l’épisode des rats. Un indice tendant à faire penser que le mage fantomatique ne serait pas forcément très coopérant avec les deux autres mort-vivants. Mais au moins s’y attendaient-ils désormais.

« Ainsi, vous l’avez déjà rencontré ? demanda Dame Irélia tout en se mettant en mouvement. Que vous a-t-il dit ? Qu’at-il fait ? Pour ma part, je l’ai vu brièvement. Il a rit et m’a lancé un rayon nécrotique. Il est apparemment trop fou pour se rendre compte que j’étais une liche. »
Le sinistre duo, qui ne manquait pas de se prendre par la main à chaque seuil, dénicha un escalier et le gravit. Arrivé en haut, ils perçurent les échos d’un combat, pous ou moins lointain. Une porte semblait y mener ou, tout du moins, elle se trouvait dans la bonne direction. Sinon, il était possible de se diriger vers un nouvel escalier pour continuer de grimper.

Asmodeus évoqua sa "rencontre" avec le maître des lieux sans entrer dans les détails : simplement qu'il ne l'avait pas cru quand la momie avait annoncé ses intentions mais que le sort qu'il avait lancé ne l'avait pas vraiment ralenti.

Ses sens devinrent encore plus alertes en entendant les échos du combat : enquêter sur les différents protagonistes lui semblait aller de soi : soit il s'agissait des aventuriers survivants, soit de leur allié. Soit même des deux. Quel que soit la bonne réponse, il serait avantageux d'aider l'un ou de prendre les autres à revers.

Dame Irélia, plutôt intéressée elle aussi par les bruits, ne vit aucune objection à aller voir de quoi il s’agissait. Les deux morts vivants se dirigèrent donc dans la direction du combat. Un couloir et une salle plus loin, il découvrir Sir Danval en train de croiser le fer contre un golem de pierre.
« Un golem... c’est ennuyeux, dit la liche. Ces créatures sont insensibles à la plupart des sorts. Je ne suis pas certaine...
- Économisez vos paroles, liche, je n’ai pas besoin d’aide », déclara le chevalier de la mort en portant un coup fatal à la créature artificielle.
Celle-ci se brisa en plusieurs morceaux et Sir Danval fit face aux nouveaux venus. Son épée crépitait d’une sombre énergie. Elle ne devait pas être étrangère à sa victoire. Se mesurer seul à un golem de pierre n’était pas donné à tout le monde.
« Je suppose que je ne vous apprendrai rien en vous disant que la tour dispose d’une sorte de magie faite pour nous égarer, dit le chevalier.
- Non, en effet. Plus que nous égarer, chaque seuil est susceptible de nous téléporter au hasard dans cette bâtisse transdimensionelle.
- J’ai trouvé une moitié de symbole pour contrer ce sort, reprit Danval. Il ne me reste...
- Nous, on a un symbole complet, la coupa Irélia, sur un ton de supériorité. Mais au moins, on sait à présent qu’il existe plusieurs symboles. »

Voilà qui était intéressant : Asmodeus analysa aussitôt que les aventuriers survivants pouvaient donc fort bien disposer d'un symbole complet eux aussi. Mais au moins avaient-ils la satisfaction de n'avoir plus de retard sur eux et de s'être à nouveau retrouvés tous les trois.

- Asmodeus propose de tenter de gagner les hauteurs au plus vite pour devancer ce qu'il reste de la clique d'aventuriers. A moins que vous ayez des nouvelles à leur sujet, Sir Danval ?

« Non, je n’ai pas de nouvelle de ces misérables. Mais apparemment, vous vous en avez. Qu’entendez-vous par "ce qu’il reste" ?
- Voyez-vous, très cher, pendant que vous faisiez du tourisme dans cette charmante tour, nous, nous nous sommes battus. Et nous avons vaincus. »
Les flammes dans le regard du Chevalier de la Mort flamboyèrent sous l’effet de la colère. La liche prenait un malin plaisir à lui être désagréable. Ce devait être une habitude chez elle, la provocation. Sir Danval fut sur le poing de répliquer avec virulence lorsqu’il se figea.
« Vous avez ressenti cela ? » demanda-t-il.
Une onde fort désagréable avait parcourut le corps de la momie. Elle ne lui causa pas le moindre dommage, mais elle fut certaine qu’il s’agissait de magie blanche. Dame Irélia devint pensive.
« Un écho magique... un puissant sort vient d’être lancé. La source ne peut pas être très éloignée de nous, sans quoi on n’aurait pas pu le ressentir. Un sort de prêtre, j’en suis certaine. Une de ces prêtresses de la lumière, sans doute... Pourtant, celle que nous avons croisés ne me semblaient pas assez expérimentées pour user d’un tel pouvoir.
- J’ai l’impression que l’onde venait d’un étage inférieur », dit le chevalier.
Asmodeus avait la même impression.

Asmodeus parvint à la désagréable déduction que les aventuriers qu’ils venaient de vaincre avec Dame Irélia puissent être à l’origine ou avoir bénéficié du sortilège qu’ils avaient tous ressenti. Cela pouvait signifier qu’ils avaient été ressuscités et la personne ou la chose à l’origine de ce prodige n’était pas à prendre à la légère. La momie s’en ouvrit à ses acolytes pour couper court à leurs bisbilles :

- Il y a fort à parier que les misérables décédés ne le soient plus. En tous cas, il serait prudent de tabler sur cette hypothèse. Sir Danval, vous qui semblez bien le connaître : pensez-vous que le paladin puisse être à l’origine d’un tel sort ? Lui ou un objet en sa possession d’ailleurs ?

« Ce ne serait pas impossible. Si ce n’est pas lui, alors ce peut être la grande prêtresse des sœurs de la lumière. Je ne pensais pas qu’elle se serait risquée ici mais à présent, j’ai un doute.
- Peu importe, dit Dame Irélia. La question est : que faisons-nous ? Nous sommes rassemblés et nous savons où se trouvent probablement les aventuriers. Ce n’est pas loin d’ici, nous pouvons certainement y aller à temps. Mais si on veut cette confrontation, il faut y aller tout de suite.
- Je n’ai jamais remis au lendemain ce que je pouvais faire le jour même. Ce n’est pas maintenant que ça va changer. Allons-y ! Réglons cette histoire ! Ce sera toujours mieux que d’attendre et de s’exposer aux imprévus de cette tour agaçante ! »

Asmodeus fut plus sensible aux arguments rationnels de Sir Danval qu'à l'élan colérique de Dame Irélia. Mais le résultat était le même : la momie n'avait pas vraiment d'intérêt à aller s'exposer au danger sans raison valable puisque ces scélérats ne menaçaient pas son domaine. En revanche, ils menaçaient quelque peu ses intérêts car ils risquaient de se mettre sur sa route lors de sa recherche du fragment de miroir et le priver de ses alliés temporaires :

- Entendu : autant rester dans le rôle de ceux qui tendent l'embuscade.

Il avait, bien entendu, l'intention de laisser Sir Danval passer le premier.

Sir Danval avait effectivement l’intention de passer en premier. C’était là qu’était sa place et il n’était pas du genre à se défiler. Cependant, avec les cliquetis de son armure complète, ainsi qu’avec les bruits de pas de ses deux alliés, dont aucun n’était spécialement rompu aux arts de la discrétion, il ne fallait pas espérer prendre un groupe d’aventuriers aux aguets par surprise. Le Chevalier de la Mort, de toute façon, attaquait de face, sans artifice, comme il convenait à son rang. Et la liche avait déjà prouvée qu’elle aimait être directe, sans compter qu’elle était sans cesse pressée.

Le trio redescendit ainsi au niveau du couloir aux portes marqués de signe. Les suppositions s’avérèrent justes car au bout du couloir, devant la porte de la gargouille d’or, se tenait un homme de haute stature, tout d’acier vêtu. Asmodeus estima son âge à la cinquantaine. Ses cheveux grisonnaient et son visage sévère était celui de quelqu’un ayant vu beaucoup de chose. Il se dégageait de cet individu une aura tout à fait particulière, si bien qu’il n’était pas possible de se méprendre sur sa profession. C’était un paladin et un expérimenté. Une longue épée prolongeait son bras. Son autre main disparaissait derrière un bouclier ornementé. À côté de lui se tenait une dame entièrement vêtue de blanc. Sa mine sereine, son regard profond, le sceptre qu’elle tenait d’une main, son symbole religieux pendant de son cou... il ne pouvait s’agir que d’’une prêtresse et, à l’instar du paladin, elle en imposait. Deux champions de la lumière se dressaient donc, au bout de ce couloir, attendant de pied ferme les morts-vivants.

Asmodeus ne fut presque pas surpris que son inquiétude de se frotter à des adversaires ayant du répondant se concrétisent. La mise en bouche de la salle à la gargouille d’or ne pouvait être significative des difficultés qu’il s’était attendu à rencontrer en Gisombre en général et dans cette tour en particulier.

Mais avoir anticipé ce qui pouvait arriver et y être confronté étaient deux choses bien différentes. D’autant que la première ne lui donnait que peu d’avantage pour gérer la seconde. Il se fit d’ailleurs la réflexion que ses alliés dans la confrontation imminente étaient peut-être les pires qui soient. Car ils partageaient une parties des défauts de ses adversaires : l’impulsivité de Dame Irélia, la fierté de Sir Danval, l’extrémisme de leurs positions qui allaient interdire toute subtilité, toute ruse. Il s’y essaya tout de même en interpelant les deux défenseurs de la lumière, tablant sur le fait qu’ils ne soient pas plus avisés que ses piètres compagnons :

- Gisombre a vraiment perdu de son charme atypique si, même dans cette tour abandonnée des dieux, on croise le tout-venant qu’on s’attendrait à rencontrer dans un temple luménien ! Il semblerait que vous vous soyez perdus mais rien d’étonnant dans ce lieu chamboulé, Dame ? Sire ?

Une tentative pour les déstabiliser ou les faire agir sans réfléchir… Mais il ne doutait pas que ses compagnons impatients appliquent une stratégie bien plus directe. Peut-être de quoi regagner un élément de surprise : tout avantage était bon à prendre.

La réponse ne vint ni du paladin, ni de la grande prêtresse. Ce fut une voix bourrue qu’Asmodeus avait déjà entendu qui s’éleva :
« Déjà que je trouvais que la liche avait la langue bien pendue, faut croire que la momie, c’est pire ! »
Le nain émergea de la salle à la gargouille dorée. Il cracha par terre et se positionna juste devant ses deux alliés. Il tenait au poing son énorme marteau et il semblait des plus furibonds.
« Il est temps de vous botter les fesses hors d’ici ! reprit-il.
- Du calme, Maître nain, dit avec aplomb le paladin avant de s’adresser à Asmodeus. Je suis Clément Orfroid et soyez-en certain, je ne suis poing égaré. Sachez aussi que vous n’êtes pas la première momie auguste que je croise. Vous ne serez pas non plus la dernière. »
Dame Irélia éclata d’un rire grinçant.
« Que d’arrogance ! Que d’assurance ! Votre lutte est vaine ! Nul n’arrête la mort !
- Sir Orfroid, il me tardait de vous rencontrer de nouveau. Nous avons tant à régler, ajouta Sir Danval.
- En effet... tant à régler », répondit le paladin, une lueur de tristesse passant dans ses yeux fatiguées.
- Ce jour marquera un tournant pour cette ville damnée, fit la prêtresse avec conviction.
- J’y compte bien », ajouta une autre voix.
Elle était métallique, cristalline et comme dédoublée. À chaque mot, une impulsion lumineuse parcourut la lame du paladin. C’était l’épée elle-même qui venait de s’exprimer.

Bon, à trois contre trois, - les épées, même parlantes ne comptant pas - le combat promettait d'être intéressant ! Asmodeus partit du principe que des renforts ennemis n'étaient pas exclus et qu'il valait donc mieux ne pas se livrer bille en tête et analysa également que Sir Danval apprécierait sans doute autant que le paladin de se livrer à un duel. Quant à la prêtresse, elle était potentiellement la plus dangereuse mais peut-être aussi la plus fragile du trio. Nul doute, là encore que la liche se ferait un plaisir de régler son contentieux avec elle. Enfin, le nain venait de l'insulter et ce n'était pas la première fois qu'il tentait de l'attaquer directement. Pour lui couper l'herbe sous le pied, c'est lui que son premier sortilège visait :

Asmodeus -> Dévastation -> Nain.

Alors qu’Asmodeus lançait son sort, il entendit une autre voix incanter. Des paroles rapides pour un résultat rapide. Un contre-sort à l’occurrence. Les deux sortilèges s’entrechoquèrent, s’anéantirent. Et le nain était indemne. Le magicien, celui qui avait été tué dans la salle de la gargouille d’or, se tenait sur le seuil de la pièce, les mains tendues.
« Il s’agissait bien d’une résurrection », constata la liche en tendant son bâton.
Les hostilités étaient lancées. Sir Danval se rua en avant, droit sur le paladin. Leurs épées s’entrechoquèrent avec fracas.
« Je suis la lame de vie ! Vous êtes une injure à la vie ! » déclara l’arme de Sir Orfroid sur un ton de condamnation.
Le magicien, visiblement ébranlé par ses récentes expériences, et également éprouvé par la prouesse qu’il venait tout juste de réaliser, ne semblait pas capable de passer tout de suite à l’offensive. En revanche, la grande prêtresse ne s’en priva pas. Elle brandit son symbole magique qui devint lumineux, aveuglant. Une vague de puissance divine déferla. Asmodeus fut pour la première fois de son existence exposé à une tentative de renvoi et il trouva cela très, très désagréable. Il dût reculer d’un pas. C’était rien, déjà l’effet se dissipait, mais il avait quand même reculé contre sa volonté. La liche aussi avait reculée, ce qui ne l’empêcha pas de lancer un rayon verdâtre sur la prêtresse qui poussa un cri. Le nain, se mit à charger. Si Danval étant occupé contre Sir Orfroid, rien ne bloquait pour l’instant le guerrier qui semblait vouloir atteindre Asmodeus ou Dame Irélia.

Fichtre, combien de ces vermines allaient-elles sortir de leur trou pour contrer ses actions d’éclat ? et surtout, quelle désagréable et gênante sensation que de s’être plié – ne serait-ce qu’un instant – à la volonté de cette greluche enluminée ! La momie était furieuse mais ne s’attarda pas sur cette pensée frustrante et analysa en un clin d’œil la configuration du combat. Sir Danval allait retenir le combattant le plus dangereux et son épée de pacotille. Une épée qu’il se plaisait à imaginer enchaînée dans son sanctuaire. Pensée ô combien réjouissante ! De son côté, Dame Irélia semblait capable de provoquer des ravages par ses sorts si on lui en laissait l’occasion. Il fallait donc couper court à la charge du nain. Et il y avait peut-être le moyen de le surprendre à son propre jeu. Une action hardie mais qui laisserait du temps à la liche pour attaquer et qui pouvait prendre de court ce satané nabot :

Asmodeus -> Puissance divine -> lui-même

Il sentit une force surpuissante à sa disposition, bien plus que ce qu’il aurait pu rêver dans ses rêves les plus fous de vivant malingre. Et ce n’était pas tout : cette puissance brute était accompagnée d’une maîtrise extraordinaire lui permettant d’en tirer le meilleur parti. Et c’est avec un violent coup de son bâton qu’il escomptait réceptionner la charge de l’impudent Lameroyal.

Le nain, très certainement, ne devait pas s’attendre à pareille réception. Le terrible coup de bâton le fit grogner et reculer, réduisant à néant l’effet de sa charge. Mais pour autant, il ne se dégonfla pas et le corps à corps s’engagea.
« Tes petits tours de pacotilles ne te sauveront pas, tas de bandelettes ! »
Le guerrier était robuste, très robuste même. Un aventurier de son rang devait pouvoir compter sur quelques objets magiques pour renforcer son potentiel déjà conséquent. Aussi parvint-il à tenir bon, pour l’instant tout du moins. En revanche, Asmodeus ne se sentit guère menacé. Il faudrait plus que ce seul guerrier pour mettre en péril son existence. Chacun s’était choisi une cible et le combat s’était changé en une juxtaposition de duels. Le nain contre la momie. Le paladin contre le chevalier de la mort. La grande prêtresse contre la liche. Il n’y avait que le magicien qui n’était pas encore engagé dans la danse. Remis de ses émotions, il commença à incanter. Mais Dame Irélia, prévoyante, déjà invoquait des créatures pour engendrer le surnombre. Les sorts du mage furent absorbés par ces monstres.

C'était une course contre la montre qui s'était engagée : le combat semblait équilibré pour le moment, jusqu'à ce que l'un des belligérants - dans l'un des camps - prenne l'avantage sur son adversaire direct. Asmodeus savait que le sortilège qui le rendait capable de tenir tête au guerrier n'était que temporaire et il n'escomptait pas s'en remettre à ses alliés pour faire tourner le combat. En revanche, il avait besoin de la plus grande partie de sa concentration pour éviter les coups et les rendre aussi devrait-il se contenter d'un sortilège mineur pour déstabiliser le nain.

Asmodeus -> Esquilles -> Bras du nain.

Le nain, coutumier des lanceurs de sorts, ne resta pas inactif alors qu’Asmodeus se mettait à incanter. Il le frappa de toutes ses forces. La momie fut repoussée et elle sentit son sortilège lui échapper. Fait étrange, l’énergie magique qui aurait dû se dissiper sans effet, se matérialisa en une flamme pourpre qui déferla des mains du mort-vivant. Le guerrier la reçut de plein fouet, d’autant plus surpris qu’il était persuadé avoir brisé le sortilège. Il poussa un cri et recula, se protégeant instinctivement avec son marteau. Au même moment, il y eut une impressionnante déflagration. Dame Irélia recula. Elle venait de lancer un éclair jaune vif sur la grande prêtresse. Mais cet éclair choisit plutôt d’aller exploser contre un mur, faisant en partie voler celui-ci en éclat.
« Mais qu’est-ce que... » grogna la liche, apparemment très surprise.
La grande prêtresse en profita pour lancer un bouclier de lumière sur le nain, afin de s’assurer qu’il tiendrait face à Asmodeus. Sir Danval et Sir Orfroid poursuivaient leur mortel duel.

Asmodeus était lui-même très surpris du résultat pour le moins inattendu mais il mit cet événement sur le compte de sa maîtrise encore toute partielle de ses capacités de gardien des tombes. Ce n’était – en réalité – que le premier véritable combat qu’il menait depuis sa transformation. Et il y avait aussi cette tour et ses effets étranges qui pouvaient perturber la magie.

Quoiqu’il en soit, il avait eu de la chance mais il était imprudent de compter sur une telle variable. Il fallait qu’il se reconcentre sur son combat et trouve un moyen de contrer le bouclier dont bénéficiait à présent le nain. Et pour se donner le temps de jauger la tournure du combat, il se protégea lui-même avec un sort de sanctuaire. En tous cas, c’était là son intention.

Pour Asmodeus, qui devait avoir soif de contrôle, de maîtrise sur les événements, la suite ne fut très certainement pas de son goût. Non seulement il eut la désagréable impression que son nouveau sortilège manqua de peu lui échapper, mais de surcroît un rire désincarné retentit, reprit par d’innombrables échos. Le fantôme dément de la tour venait se joindre à la fête. Il se matérialisa un peu plus loin dans le couloir, brandit les mains et fit jaillir du néant une demie dizaine de monstres cauchemardesques. Ces amas massifs et indescriptibles de griffes, de crocs et de tentacules se ruèrent dans la mêlée, s’en prenant à tout le monde. Une ondulation fusa, comme si le monde lui-même gondolait, et la momie éprouva de curieuses sensations. Cela ne dura pas et déjà le présent s’imposait. Le magicien adverse battit en retraite dans la salle de la gargouille d’or. La grande prêtresse se positionna sur le seuil, prête à tenir cette position. Le paladin et le chevalier noir durent temporairement mettre un terme à leur duel aveugle pour défendre leurs arrières respectifs. Le nain, qui aurait bien aimé poursuivre son attaque sur Asmodeus, s’en révéla incapable. Par dépit, il se jeta sur un autre monstre. Troublée, Dame Irélia se recula et lança sur elle-même un bouclier de feu. Des ordres et des conseils fusaient, mais il n’était plus possible de se comprendre dans le vacarme réverbérant de cet endroit voué au chaos.

En pareille circonstance, il semblait stratégiquement nécessaire de se mettre le plus en retrait possible. Ce n'était en rien une forme de lâcheté : il fallait absolument s'assurer de ne pas être pris à parti par un des monstres et ainsi les encourager à s'en prendre à leurs adversaires. Asmodeus chercha donc à se reculer dans le couloir et en restant contre un mur pour ne pas laisser d'ennemi s'infiltrer dans son dos. S'il trouvait une position lui permettant de s'affranchir un peu du chaos ambiant, il chercherait à nuire à un des défenseurs de la lumière isolé - ou à renforcer ses opposants direct par un sortilège.

Il y eut une nouvelle explosion. Le sol trembla. Le plafond se fissura. De la poussière tomba. Il y eut à nouveau une ondulation qui traversa l’espace, conférant à la démente mêlée des allures chimériques. Les sons se distordirent. Suivre les événements avec précision devenait difficile. Dame Irélia, toute proche d’Asmodeus, semblait crier des avertissements. La momie crut comprendre que quelque chose de très dangereux était en train de se produire. La construction multidimensionnelle de la tour vacillait sous l’effet d’une force inconnue, tout du moins c’est ce qu’il pensa entendre. Le fantôme fou continuait de rire et d’invoquer des monstres, désireux de tout détruire. La momie perdit de vue Sir Danval et la plupart des aventuriers. Tout juste put-il entrevoir la grande prêtresse lancer un rayon de lumière qui s’évapora en une brume argentée. Pas sûr que c’était l’effet escompté. Un grondement sourd commença à se faire entendre et à croitre, comme si quelque chose de cataclysmique s’approchait. Jamais Asmodeus n’avait assisté à un événement de cet ampleur. Cela dépassait même les effets de l’orbe étrange, qu’il avait vu exploser dans le désert en compagnie de Silmandel. Nul doute que ce chaos pouvait lui être fatal.

Asmodeus renonça aussitôt à peser sur ce combat qui n'en était plus un. Il y avait bien assez de chaos ambiant sans chercher à utiliser une magie qui ne pouvait qu'aggraver les choses. Puisque Dame Irélia était proche de lui, il lui fit signe de chercher à le suivre. Il en aurait fait autant avec Sire Danval s'il avait été plus proche mais il allait devoir se débrouiller seul. Renonçant à lancer le moindre sort, il n'eut plus qu'une idée en tête : regagner l'escalier le plus proche pour changer d'étage et essayer de s'éloigner le plus vite possible et au maximum du phénomène qui était sur le point de tout emporter sur son passage. Malheureusement, la vitesse n'était pas la première qualité des momies...

Asmodeus comprit très vite que le temps allait lui faire défaut. Le grondement enflait de façon dramatique. Il inspirait une vague colossale, un raz-de-marée. Quoi que ce soit en réalité, c’était presque là. Une troisième ondulation fusa, tordant le monde avec plus d’ampleur. La momie entrevit la crainte dans le regard de la liche, une chose proprement extraordinaire. Ce qui se passait ne pouvait être provoqué que par un dieu, au moins. Qui d’autre pouvait avoir tant de puissance pour faire plier les plans ? Dans un ultime réflexe, Dame Irélia tendit la main vers Asmodeus, le saisit. Puis tout vola en éclats.

C’en suivit le noir absolu, l’absence de tout...

...Asmodeus, après un temps indéterminé, constata être allongé au sol. Il n’y voyait rien et, de ce qu’il pouvait constater, il était seul. Le calme, après tant de chaos, était surnaturel. La momie constata également ne plus avoir en elle une once de magie.

Ce dernier constat était de loin le plus alarmant de tous. Bien entendu, Asmodeus était assez érudit pour savoir qu'une telle perturbation pouvait avoir eu comme effets indésirables de consommer toutes les prières qu'il n'avait pas encore employées ou avoir créer une zone d'antimagie. Mais trop de choses étranges s'étaient produites pour que ces hypothèses invérifiables puissent le rassurer. S'ancrant difficilement dans la réalité pour tenter de reprendre une part de contrôle sur la situation, il chercha à déterminer s'il était toujours dans la tour puis à se relever.

Difficile de savoir s’il se trouvait dans la tour. Asmodeus put simplement constater que le sol était fait de dalles en pierre froide. Des dalles poussiéreuses. Le fond de l’air était humide et sentait le renfermé. La momie put se lever sans difficulté. Son corps semblait en un seul morceau. Pas de blessure à déplorer, pas de faiblesse particulière non plus. L’endroit où elle se trouvait semblait vaste. Une salle sans doute. Peu à peu, comme s’il avait fallut que cette faculté s’éveille, la vision dans le noir du mort-vivant se manifesta. Les environs apparurent en nuance de gris. Sur la gauche d’Asmodeus, il y avait un mur orné de fresques. Il y avait aussi une arche, un passage s’enfonçant dans les ténèbres. À droite, il y avait des colonnes disposées en courbe. Peut-être formaient-elles un cercle mais la momie ne voyait pas assez loin pour en être sûr, tout comme elle ne pouvait pas distinguer s’il y avait quelque chose au centre de ce cercle hypothétique.

Etrange... Asmodeus avait manifestement subi une téléportation mais ce n'était pas vraiment inconcevable en un lieu aussi entropique. Il devait en tous cas tabler sur le fait qu'il se situait en lieu hostile et loin de ses alliés. C'est donc avec prudence qu'il commença à explorer les lieux, se dirigeant d'emblée vers la fresque. Peut-être recelait-elle un indice qui pourrait apporter de premières réponses. A la question d'où il se trouvait par exemple.

La fresque semblait très vieille. Le temps l’avait émoussé, par endroit effacé, rendant quelque peu délicat sa compréhension. Il ne fallut cependant pas bien longtemps à Asmodeus pour qu’il acquière la certitude que le mur était couvert d’une illustration des plus funestes sur la mort et l’au-delà. La momie fut également persuadée que le ou les artistes à l’origine des peintures avaient un très grand talent. Si elle disposait d’une lumière, peut-être pourrait-elle tirer d’avantage de cette observation, mais pour l’instant, ce fut tout ce qu’elle put en tirer. Autour d’elle, le silence persistait à rester aussi complet si bien que les pas du mort-vivant semblaient faire un véritable vacarme.

La momie était irrésistiblement attirée par la fresque. Asmodeus sentait que ce qu'elle représentait était primordial, impie au point d'en devenir sacré pour lui. C'est donc avec une grande curiosité qu'il s'approcha encore du mur en espérant en distinguer davantage. Il était déboussolé au point de ne plus savoir s'il transportait de quoi produire de la lumière sans sa magie.

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Le Cimetière