La Couronne de Cuivre

Le Paludier, qui avait peut-être craint, justement, de lui tomber dessus s'il le suivait de trop près, apparut quelques instants plus tard et, avisant la situation, se hâta de tirer des couvertures de son sac. Son lynx puis Giovanni les rejoignirent peu après, le second aidant aussitôt Hubert à couvrir les anciens disparus frigorifiés puis, sur les conseils de ses apprentis, allant examiner la petite plaque de métal que l'on voyait encastrée dans l'un des murs. Le mécanisme censé leur permettre de rebrousser chemin, à n'en pas douter.

Hubert ne poursuivit pas sa réprimande, il serait temps de discuter des choses plus en profondeur quand ils seraient rentrés. Dès qu'il fut rassuré quant à l'état des enfants, réchauffés et nourris, il s'écarta pour observer un peu les lieux. Sans fenêtre, la pièce était extrêmement sombre, mais il pouvait percer ces ténèbres sans difficultés et entreprit de se faire une idée de l'endroit où ils se trouvaient...
" Je vais peut-être aller faire un tour rapide à l'extérieur... dit-il. Mais je peux vous renvoyer à la forteresse d'abord... Enfin... Si nous arrivons à faire marcher ce panneau."

Lorsqu'il posa la main sur la surface métallique, c'est sur celle-ci qu'apparut un symbole. Un symbole qui lui rappela beaucoup celui qu'il avait découvert sous le dôme de l'école de magie... Dès lors, sans vraiment en avoir conscience, il prononça à nouveau les mots sacrés, ce qui le bouleversa autant que ses compagnons et ce qui, surtout, fit apparaître un nouveau signe au centre de la pièce. Dès lors, il fut possible de rapatrier les enfants - qui, s'ils furent mécontents, n'osèrent rien en montrer - puis d'explorer plus avant le fort.
Le paladin ne tarda pas à y trouver ses marques : en fait, l'édifice était bâti sur le même modèle que celui où les Écorcheurs les avaient assiégés. Enfin, du sommet des remparts, il aperçut dans le lointain les contours de Clairétoile et en déduisit que le bâtiment se trouvait à l'est. Selon toute vraisemblance, Frida, appliquant leurs directives, ne tarderait pas à le découvrir...

Hubert tint conseil avec les deux hommes qui l'accompagnaient, sur le bord des remparts.
" Bon, nous devons aviser. Ce fort m'a l'air en assez bon état, mais nous devons nous assurer qu'il n'est pas prenable par le bas, cette fois. Il faudrait que nous allions examiner le passage vers la salle souterraine pour regarder si nous pouvons le bloquer efficacement. Je n'ai pas tellement envie que les Ithiliens fassent une nouvelle incursion par le fond et cet endroit n'est pas protégé contre la magie. Si toute la colonne de Frida s'y établit..."
Il s'interrompit une seconde, laissa son regard courir sur la ville, au loin. Et si... s'ils y rapatriaient tous leurs civils ? Les lieux étaient exposés, froids... mais hors de Clairétoile.
Il chassa ces pensées.
" Bref, autant en ramener un maximum d'informations avant de nous replier."

Le fort était effectivement en plutôt bon état. Bien sûr, quelques travaux seraient nécessaires avant de pouvoir s'y établire de manière relativement confortable : il faudrait, par exemple, changer les battants des grandes portes ou installer des pans de toile dans les embrasures. Mais cela n'avait rien d'infaisable, surtout avec le matériel rapporté par la colonne que conduisait Frida.
Ils n'eurent aucun mal à trouver le passage secret menant au sous-sol : tout était exactement similaire au fort nord, depuis la salle dont certains pilliers abritaient des gemmes permettant, entre autres, de réchauffer l'eau des thermes jusqu'aux souterrains menant à des issues secrètes ou à la cité. Giovanni, optimiste, argua que même si, pour l'heure, ils ignoraient comment bloquer les issues dérobées, quelques examens ou lectures minutieuses permettraient assurément de résoudre ce mystère.

Et cela devait constituer une priorité. Il n'était pas question que les Ithiliens leur tombent à nouveau dessus de manière inopinée. Mais puisqu'ils avaient fait le tour des lieux et relevé les tâches les plus urgentes à y effectuer, ils pouvaient rentrer à la forteresse. A présent que les enfants avaient été retrouvés, il était temps de convoquer leur conseil restreint et d'aviser pour la suite : le paladin devait faire son rapport concernant sa rencontre avec Guillermo, et à la découverte du téléporteur ouvrait indéniablement de nouvelles perspectives.

Une fois de retour au palais, ils se séparèrent, Giovanni promettant de se mettre aussitôt à lire en vue de percer le secret des passages dérobées et suggérant, s'il ne trouvait rien dans les livres, d'organiser une expédition au fort pour examiner consciencieusement les mécanismes.
Il ne fallut ensuite guère de temps à Hubert pour retrouver Albérich et Marthe et pour rallier, avec eux, la salle des cartes. Il y avait une certaine excitation dans l'air, sans doute liée à leurs découvertes et aux possibilités nouvelles d'action qu'elles étaient susceptibles d'offrir.

Hubert prit un siège et croisa les bras.
" J'imagine que ma rencontre avec Guillermo peut venir dans un second temps. De toute façon, il ne m'a rien appris de très important. La découverte de ce téléporteur me semble autrement plus... critique. Cela signifie que nous allons pouvoir profiter de la présence de la colonne, directement. Echanger des fournitures, notamment... et potentiellement les accueillir ici, sans aucun risque de croiser les Ithiliens dans les souterrains.
— Ou le contraire. C'est une porte de sortie inespérée, si nous décidions de nous replier."
Hubert acquiesça. Il y avait songé, lui aussi, mais pas en imaginant que tout le monde l'emprunterait...

Marthe grimaça.
-Disons que nous avons désormais une solution probante au cas où il nous faille prendre une décision aussi radicale et désespérée qu'un repli complet, fit-elle d'un ton mesuré.
Elle refit face à Hubert.
-En quel état est ce fort ?

" Comme celui que nous avons investi en nous repliant devant les cannibales, dit le paladin. Il faut s'occuper des portes, calfeutrer des fenêtres... C'est extrêmement... rustique, comparé à ce que nous avons ici, mais c'est habitable. Et défendable, si nous parvenons à trouver un moyen de bloquer les passages souterrains. Giovanni allait creuser la question. Les thermes chauffent, aussi... Bref, ce n'est pas le paradis, mais ça ira dans l'immédiat."

-C'est donc une très bonne nouvelle, et elle le sera plus encore si Giovanni parvient à ses fins.
Il parut songeuse.
-Cela diminue aussi drastiquement les effets n'éfaste qu'aurait un siège ithilien autour du palais : nous aurons les moyens de sortir... Il faudra juste essayer de voir où mènent les autres symboles.

" Et espérer que si les Ithiliens les découvrent, ils ne puissent pas s'en servir, remarqua Albérich. Cela fait un moyen d'entrée supplémentaire dans nos abris. Nous avons été négligents à la forteresse, nous devons nous prémunir d'une intrusion, cette fois.
— C'est vrai. D'autant que Ruth a réussi à l'activer à partir d'ici. On ne peut pas présumer des autres sites à l'intérieur de la ville. Pour les forts, apparemment, il faut du sang céleste.
— Même à ce niveau... Nous utilisons des animaux planaires mais... Si les Ithiliens font les bonnes lectures, et on dirait qu'ils ont beaucoup d'informations sur la cité, déjà, ils pourraient très bien s'en servir aussi facilement que nous. Je pense que nous devons glypher les accès. Thibault et moi devrions pouvoir ériger des protections relativement solides."

La magistrate fronça les sourcils.
-Les glyphes, d'ordinaire, réagissent surtout aux êtres mauvais, non ? Or, tous les Ithiliens ne doivent pas l'être... Beaucoup sont sans doute... gris, simplement...
Elle secoua la tête.
-Mais je n'y connais rien, en ces domaines, et je te fais entière confiance. C'est une bonne idée, en tout cas.

" Les glyphes réagissent en fonction de conditions qu'on leur impose. La couleur de l'aura n'est qu'une possibilité, mais on peut simplement les déclencher à la moindre intrusion et leur adjoindre un mot de passe. C'est ce que nous avions fait pour les couloirs, au fort. Je pourrais aussi le tracer pour qu'il se déclenche au passage d'une personne de foi oghmanne, je pense... Mais nous n'avons pas de certitude sur la foi réelle de tous nos ennemis. Le plus simple, c'est le mot de passe."
Hubert acquiesça.
" Il faudrait avertir Frida de l'existence de ce passage. Ça va lui faire plaisir. Et nous pourrons peut-être envisager d'envoyer certaines personnes à l'extérieur... Etienne, par exemple. Ou les enfants."

La juge eut un sourire amusé.
-Je vois que le dernier exploit de tes écuyer te pousse à vouloir les exiler loin, très loin...
Elle redevint sérieuse.
-Cependant... Pourquoi pas. Il faudrait juste faire en sorte que ce déplacement n'ait pas trop les allures d'un repli ou... d'un début de fuite. Sinon, le moral de la Communauté risque d'en pâtir sévèrement.

" Il y a le moral de la communauté, et il y a sa survie, dit Albérich. Mais je comprends ce que tu veux dire. De toute façon, ce serait un déplacement transitoire... et nous devons bien y réfléchir. Les lieux sont quand même drôlement plus accueillants ici et nous avons la certitude qu'ils sont protégés. Ce n'est pas le cas du fort extérieur. Je dois dire que j'aurais plutôt tendance à ramener tout le monde ici dans un premier temps, quitte à faire marche arrière ensuite..."
Hubert était songeur.
" C'est vrai que si Frida à de quoi rendre notre installation plus confortable... Quel serait au juste l'intérêt d'envoyer qui que ce soit là-bas ? Autant nous rassembler au meilleur des deux endroits."

-Disons que le fort aurait surtout de l'intérêt si nous nous avérions incapables de contrer la catastrophe ou si les Ithiliens envahissaient le palais. Là-bas, il est possible d'aménager une écurie pour les chevaux, de ranger les chariots dans la cour, de laisser à l'intérieur de ceux-ci une partie de nôtre matériel. Bref, il est possible de tout préparer au cas où il soit nécessaire de s'éloigner rapidement de Clairétoile.
Elle grimaça à nouveau.
-Voilà que je me fais l'avocate des hypothèses les plus pessimistes...

" Tant qu'il n'y a pas de danger ici, nous pourrions effectivement nous contenter de laisser une petite garnison au fort, dit Albérich. Des gens pour s'occuper des chevaux, surveiller les réserves, scruter la campagne. Les autres pourraient demeurer avec nous, ici, à l'abri. En imaginant un roulement pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui doivent vivre à la dure... Je crois que c'est idéal. Ensuite, nous pouvons aviser en fonction des événements des jours à venir. Pour l'heure, nous n'avons aucun signe indiquant que les Ithiliens ont identifié notre refuge. Autant ne pas le leur abandonner.
— Nous devrions commencer à surveiller les environs, cependant. S'ils savent où nous sommes, ils pourraient aussi savoir comment entrer. Nous n'avons jamais testé les portes extérieures, mais si ça se trouve, elles sont tout aussi simples à débloquer."

-Il faudrait positionner des gardes au premier étage, au-dessus des portes, ainsi que dans les caves... Vu le peu de soldats qu'ils nous reste, cela impliquerait de mobiliser à nouveau des civils, au moins jusqu'à l'arrivée des renforts. Mais à moins que vous n'y voyiez un inconvénient, cela ne me paraît poser aucun problème. Au contraire, même : beaucoup de gens commencent à s'ennuyer ferme et ne seraient pas compte pouvoir faire quelque chose d'utile.

" De toute façon, c'est une position de guet, pas de combat, dit Hubert. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'elle soit occupée par des civils.
— Mais par sécurité, je devrais aussi glypher ces issues. En y plaçant des sortilèges puissants, nous pourrions gagner du temps en cas d'invasion.
— Il va t'en falloir un certain nombre... Combien de temps cela prend-il ?
— Une dizaine de minutes... Mais il nous faudra à nouveau des diamants. Peu précieux, mais tout de même."

-Il me semble qu'il y en avait un certain nombre de petits dans la galerie de géologie... fit Marthe. J'espère qu'ils suffiront. Sinon, nous pouvons relancer des recherches : le palais doit bien en abriter d'autres, vu sa magnificence...
Elle jeta un regard à Hubert.
-Voyez-vous d'autres mesures de protection à prendre ?

" Pas comme ça, dit le paladin. Mais ça me viendra peut-être. J'en parlerai avec mon état-major quand nous en aurons terminé. Sans doute que l'un de mes hommes supervisera les civils, c'est le plus facile."
Albérich parut sur le point de dire quelque chose, mais se ravisa, et se para d'un sourire tranquille. Hubert ne pensait pas que ce fut le réel reflet de sa pensée.
" Pour le reste, nous pouvons sans doute attendre de voir si nous parvenons à identifier les différents points de chute du téléporteur via les documents en notre possession. Si nous n'y parvenons pas... On pourra toujours aller voir en prenant nos précautions."

-Je vais orienter mes lectures en ce sens. Remarquez, elles sont déjà concentrées sur un sujet apparenté, puisque je m'efforce d'en apprendre davantage sur ce lieu...
Elle se concentra, réfléchissant sans doute aux points qu'il restait à aborder.
-Tu voulais nous parler de ton échange avec Guillermo, dit-elle enfin à Hubert.

" Guillermo, oui... Mais je voulais d'abord... me réjouir officiellement de la résurrection de Thibault. Je l'ai entrevu au repas... Je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller lui parler... Comment va-t-il ?
— Ça va, dit Albérich. Il n'est pas au meilleur de sa forme, mais il veut déjà en faire trop. Je crois qu'il faudra... diplomatiquement... tempérer ses ardeurs. Il a besoin de se rendre utile mais... si des sorties nécessitant un clerc sont organisées dans les jours à venir... Je le remplacerai, je pense.
— Bien sûr. Hum. Guillermo, donc. Alors d'abord, il ne m'a rien demandé en retour de ses informations. Et il m'a parlé de chapelles... de temples. Il dit qu'il y a des petits sanctuaires qui semblent tous pointer dans la même direction, avec une iconographie très... céleste. Et il pense que les temples pourraient nous intéresser. Qu'ils sont eux aussi protégés par quelque chose... Je dois dire que je ne sais pas quoi en penser. Tout ça me semble très peu... utilitaire. Mais en même temps, Guillermo est quelqu'un de pragmatique... Je ne crois pas qu'il aurait mentionné ces temples s'il n'avait pas l'impression qu'ils pourraient nous rapporter quelque chose de tangible."

-Je ne crois pas non plus.
Elle fronça les sourcils, concentrée.
-D'une part, nous savons que les Célestes sont d'une façon ou d'une autre liés à l'histoire de cette ville et nous avons pu constater que seules des personnes avec du sang céleste dans les veines étaient en mesure d'accéder à certains lieux ou à certains objets. D'autre part, nous venons d'apprendre qu'il y avait des sanctuaires à l'iconographie célestes tous tournés vers la forteresse et probablement vers ce sur quoi elle est bâtie, à savoir des mines abritant un sceau dont la rupture va provoquer une catastrophe... Alors effectivement, je pense qu'il y a quelque chose à fouiller. Peut-être faut-il accomplir quelque rituel en ses lieux, ou bien y activer des défenses...

Hubert se tourna vers Albérich, censé être le spécialiste des affaires divines. Celui-ci haussa les épaules avec une grimace indécise.
" En d'autres circonstances, j'aurais supposé que ce genre de choses était purement symbolique... Tourner le regard d'un protecteur de pierre vers les lieux à préserver est extrêmement classique, dans toutes les fois... mais vu la magie dont sont capables les Anciens, et vu que le sang céleste a un réel impact sur les lieux... Je ne crois pas absurde d'imaginer que ces sanctuaires puissent receler un réel pouvoir. On peut toujours aller jeter un oeil, je suppose. Ce n'est pas comme si nous débordions de possibilités."

-Toutes les pistes sont bonnes à fouiller. A force de persévérer, nous finirons bien par découvrir quelque chose de probant...
Elle esquissa un sourire puis retrouva sa gravité.
-Voyez-vous un autre point à aborder ou levons-nous la séance ? En ce qui me concerne, mon programme est tout tracé et similaire à celui des jours précédents : lire, lire et lire encore en espérant trouver un élément utile. Bigre, j'ai parfois l'impression d'être revenue au temps où j'officiais comme magistrate et où il me fallait éplucher les archives pour des histoires de jurisprudence...

Hubert haussa les épaules.
" J'imagine qu'en l'absence de stratégie, nous n'allons pas sortir... J'imagine que je devrais...
— Jeter un oeil à ce que vous avez ramené de l'université de la magie, intervint Albérich. Giovanni y a déjà travaillé mais tu as manifestement... une perception de ce langage que nous ne comprenons pas. Parle avec lui. Aide-le. Je suis sûr qu'entre ses intuitions et ton savoir enfoui, vous allez trouver quelque chose. Moi je vais lire aussi. Sur ces liens entre célestes et humains..."
Il se tourna vers Marthe.
" Ce qui me fait penser que nous devrions vraiment parler aux Paludiers... Cela fait plusieurs jours qu'ils sont là, maintenant. Ne penses-tu pas que... cela devient inconvenant ?"

Son sourire revint.
-Mais je leur parle, Albérich. Tous les jours. Et même plusieurs fois par jour. Malheureusement, je ne sais pas si nous sommes en mesure d'avoir avec eux une discussion officielle, diplomatique. Ils sont venus pour négocier un accord d'amitié avec la Communauté. Or, parmi les solutions que nous envisageons, il y a l'appel aux Luméniens ou la retraite : dans un cas comme dans l'autre, cela signifierait la mort de ladite Communauté... Bref, une structure en sursis ne peut pas réellement conclure d'accord. Au mieux pouvons-nous discuter de l'aide qu'ils sont prêts à nous apporter et de ce qu'ils souhaitent en retour, sachant que ce ne pourra pas être un soutien futur puisque notre futur n'est pas assuré.

" Bien sûr, dit le Luménien. Mais comment prennent-ils la chose ? La situation ? Veulent-ils partir pour rentrer chez eux ? Je ne les blâmerais pas, vu les circonstances, et nous venons de découvrir un moyen aisé pour eux de le faire... Lier leur destin au nôtre... C'est un risque énorme qu'ils prennent et comme tu le dis, nous ne pouvons rien leur promettre."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue