La Couronne de Cuivre

La salle était loin d'être déserte. On y trouvait Gaspard et son écuyer, Edgar et Ted, le reste des soldats et nombre de colons. Tout le monde s'entraînait avec application, les derniers sous la surveillance des instructeurs : en tant que civils contraints de demeurer à l'intérieur du palais, ils devaient s'ennuyer ferme et la possibilité de se défouler un peu devait leur faire du bien. Sans compter que cela pouvait se révéler utile, si un assaut ennemi survenait avant que les renforts ne les rejoignent...

Le paladin se joignit aux personnes présentes, se coulant sans difficulté dans un rôle d'instructeur qu'il avait occupé autrefois à Solarcis. Il dispensa ses conseils, affronta l'un ou l'autre pour une passe ou deux dans le seul but de démontrer l'efficacité d'un mouvement, rectifia la position d'un coude, d'un pied, changea l'arme qu'utilisait un jeune homme, passant d'une paire de combattants à une autre, complimentant et critiquant en fonction de son impulsion. Peu à peu, il chassa toute pensée parasite, s'impliqua entièrement dans sa tâche, comme s'il n'y avait ni hier, ni demain, aucun ridicule à superviser une poignée de personnes à l'heure où la terre pouvait vomir des hordes ténébreuses.
Seul comptait l'instant présent et la valeur de chaque parole, chaque geste, jusqu'à la nuit.
Il n'avait aucunement l'intention de retourner à ce foutu bouquin.
Il en avait d'ailleurs pratiquement oublié l'existence.

De son côté, Albérich avait rejoint Marthe pour une fin d'après-midi studieuse. La journée avait été tumultueuse, entre la résurrection de Thibault et la disparition des enfants, et il n'état pas mécontent de pouvoir lire sans arrière-pensée. Ensuite, il faudrait manger avant d'affronter Hubert pour ce qu'il entrevoyait comme une discussion houleuse.

Sa moisson fut plus conséquente que les jours précédents. Il trouva de nombreuses légendes faisant mention d'anges : ils auraient aidé les premiers habitants à s'établir, leur auraient indiqué ou trouver les gemmes magiques et comment s'en servir ; ils seraient même venus les aider en certaines circonstances fort sombres. D'autres contes parlaient d'une gigantesque bataille ayant opposé légions diaboliques et armée angélique sur le site même de la cité, des millénaires plus tôt ; les étranges empreintes fossilisées découvertes dans les mines en prouveraient la véracité. Cependant, tout cela était présenté comme appartenant au mythe : les auteurs ne cachaient pas vraiment qu'ils n'en croyaient rien...
Enfin, ce fut l'heure du repas, et il dut reposer ses livres.

Albérich alla manger la tête pleine d'interrogations. Vu les circonstances, il devait partir du point de vue que ces légendes étaient vraies, ou en partie. Une bataille entre extérieurs, ici-même, dans les Landes. Mais pourquoi avoir choisi cet endroit, sur Toril, d'entre tous ? Anges et démons se livraient des batailles interminables dans les plans... qu'est-ce que ce site avait de particulier ? Et pourquoi y avoir érigé une cité ensuite ? Pour que les humains gardent le sceau ? N'était-ce pas... incroyablement risqué, connaissant la faillibilité de l'homme ? D'autant que Clairétoile avait été abandonnée... Il n'y avait plus personne pour surveiller quoi que ce soit... Si les anges avaient estimé les lieux importants au point d'y faire bâtir une ville, n'était-il pas un peu étrange qu'ils ne s'en soient plus soucié depuis des millénaires ?
Supputations.
Il remarqua à peine ce qu'il mangeait.
Toute cette histoire était invraisemblable, et pourtant, il fallait s'y fier.
Si le sceau était rompu, si la terre allait vomir des démons... il fallait appeler les légions célestes à la rescousse. Restait à trouver le cor dans lequel souffler.

Marthe était venue s'installer près de lui mais, constatant qu'il demeurait plongé dans ses pensées, se doutant qu'elles avaient trait à ses lectures, elle ne le dérangea pas. Sans doute avait-elle également des sujets de réflexions... L'un comme l'autre mangèrent rapidement puis, à l'instar de leurs compagnons, ils quittèrent les tables, la magistrate prenant à nouveau la direction de la bibliothèque. Albérich, lui, devrait probablement se mettre en quête d'Hubert...

Albérich regrettait de ne pas avoir le temps de prendre quelques notes pour clarifier ses idées, mais il ne pouvait plus remettre sa confrontation avec Hubert. Dès qu’il le vit terminer son assiette, il se leva et alla s’embusquer dans le couloir. Le paladin surgit quelques secondes plus tard et sans s’adresser la parole, ils partirent vers la salle de prières. A cette heure tardive, plus aucune lueur n’y colorait les vitraux. Il y faisait même noir comme dans un four. Curieusement, Albérich ne ressentit nul besoin d’y générer de la lumière. Mais Hubert le fit, en enchantant sa propre épée, dont il se défit et qu’il abandonna sur le sol.
Il prit ensuite ses distances, marchant dans la pénombre, mains dans la dos, la posture marquée par la tension. Albérich l’observa un instant, hésitant à le laisser prendre les devants. Mais il craignait ce qui allait sortir de la bouche du paladin. Il devinait des décisions dures, douloureuses, inutiles. Il le sentait profondément déstabilisé, plus vulnérable que jamais. Il fallait qu’il agisse, pour leur bien à tous les deux, et celui de la communauté.
« J’ai réfléchi. » dit-il finalement.
Hubert leva les yeux. Il avait le teint marqué par l’émotion et le clerc comprit qu’il devait le museler, absolument, avant qu’il ne soit trop tard.
« Tu voulais être sanctionné pour tes manquements d’hier. Tu estimais avoir failli. J’imagine que tu en as parlé à ton état-major, et ils n’ont rien fait, sinon te pardonner. Le contraire de ce que tu espérais. »
Le paladin fronça les sourcils. Albérich sourit doucement.
« Chaque fois qu’il y a une crise, tu t’embrases, sans parvenir à te contrôler, et ensuite tu regrettes. »
Hubert frissonna mais ne dit rien.
« Tu as besoin de cadre, de contrainte. Tu as besoin d’un chef, comme Robert l’était. Comme Béranger l’était avant lui. Mais les gens sont éblouis par ton aura. Un paladin de sang céleste, et un héros, de surcroît. Personne ne veut te brider. »
Il haussa les épaules et le fixa avec plus d’intensité.
« Mais je suis un clerc de haut rang, un Seigneur de l’Aube. En tant que paladin, tu me dois protection. C’est ta mission première, définitoire, c’est le rôle des preux de l’Aster. Je suis ton supérieur hiérarchique. Et je vais te cadrer, Hubert. Tu me disais l’autre jour que lorsque nous sommes à l’extérieur, tu prenais les rênes. C’est faux. Les rênes, c’est moi qui les garde. »
Hubert ouvrit une bouche ronde d’incrédulité, mais Albérich sourit et s’approcha de lui.
« Hubert, la fièvre qui t’habite, ce n’est pas l’accomplissement de ta vocation, c’est le désarroi et la peur de faillir. Fais-moi confiance. Je nous mènerai à la résolution de cette épreuve, dans le plein respect de tes vœux. »
Il posa les mains sur ses épaules et le regarda droit dans les yeux. Le chevalier paraissait toujours indécis.
« Tu as foi en moi, n’est-ce pas ? »
Le paladin opina du chef sans desserrer les lèvres.
« Alors accepte mon autorité. Elle est légitime. Et je te guiderai. »
Hubert l’attrapa brusquement par la taille et le serra contre lui, l’embrassant avec abandon. Albérich lui rendit son baiser, sentit le désir du paladin épanoui contre son ventre, lui attrapa la nuque. Hubert le repoussa jusqu’au mur.
« Merci. » souffla-t-il simplement au creux de son oreille, avant de l’embrasser de plus belle.
Le clerc sourit intérieurement. S’imposer à son ami comme il venait de le faire, comme il lui avait promis de le faire encore, était la dernière chose au monde dont il se sentait l’élan et dont il avait envie. Mais c’était un service crucial qu’il devait lui rendre, car il l’aimait, et c’était un maigre sacrifice par rapport aux bienfaits qui en sortiraient.
Il lâcha un hoquet et ces pensées s’évanouirent. Hubert s’était agenouillé devant lui et avait délacé ses chausses. Ce qui suivit le fit regretter de ne pas avoir choisi un endroit moins exposé pour cette conversation.

Ils émergèrent un peu plus tard. Hubert paraissait revigoré, presque joyeux, tandis qu’Albérich était complètement tourneboulé. Il se demanda si son ami avait cherché à le remercier ou à se venger, tout bien considéré.
« Je vais aller parler aux enfants. Ensuite nous verrons Marthe. Si nous décidons d’aller aux temples demain, il faut constituer une équipe. »
Il eut une grimace incertaine, comme un gosse pris en défaut.
« D’accord ? »
Albérich leva les yeux au ciel.
« Diable, Hubert, j’ai l’impression que tu m’as mal compris. »
Mais le paladin sourit, lui saisit le visage et l’embrassa pendant quelques secondes.
« Non, je t’ai parfaitement compris. Je reviens vite. »
Et il s’esquiva vers la salle commune où les derniers devaient encore être à table.

La salle commune bourdonnait toujours d'activité : il n'était pas encore très tard. Ayant compris, probablement après une longue attente, qu'Hubert ne reparaîtrait pas dans la salle du trésor, Giovanni s'était décidé à la quitter et, désormais, comme tous les soirs, il jouait les conteurs pour les enfants de la Communauté : Ruth, Alban et leurs amis faisaient partie de l'auditoire,assurément intéressés par le récit mais sans doute, aussi, soucieux de demeurer visibles de tout le monde après leur mésaventure du jour.

Notant que les enfants étaient occupés, Hubert décida de revenir vers Albérich. Il se sentait libéré d'un poids énorme, c'était inestimable. Le Luménien allait l'aider à garder le cap, il avait été aubemestre, il le serait immanquablement à nouveau. Se glisser dans son ombre n'était pas difficile : c'était ce qu'il avait fait, autrefois, à Solarcis. L'inversion de leurs rapports, sur la route, était révolu et c'était un soulagement indicible. Mais il avait surtout une féroce envie de lui faire l'amour, tout bien considéré, plutôt que de discuter de la fin du monde. Mais cela attendrait. Il n'était déjà pas trop mécontent des sensations qu'il lui avait inspirées dans la salle de prières. Et Lathandre n'avait foudroyé personne.
" Ils écoutent Giovanni, je leur parlerai plus tard. Voyons Marthe.
— Elle est dans la bibliothèque, viens."

En les apercevant, la magistrate arbora une expression soulagée. Peut-être avait-elle noté que ses collègues étaient plus détendus, ce qui avait de quoi rassurer. Peut-être était-elle heureuse, tout simplement, de pouvoir interrompre les lectures qui l'occupaient de l'aube à la nuit noire et qui, pour importantes et intéressantes qu'elle soit, devaient malgré tout devenir fatigantes, à la longue. Quoi qu'il en soit, elle les suivit sans mot dire jusqu'à la salle des cartes.

" Faisons le point sur ce que nous avons appris aujourd'hui." dit le Luménien.
Il se tourna vers Hubert, qui acquiesça.
" Je me suis penché sur ce livre... J'arrive à... y trouver des visions... Ce n'est pas de la lecture, c'est plus... comme des fragments qui m'apparaissent. J'ai vu un combat entre un homme de lumière et une créature de flammes. J'ai vu un être ailé refermer une porte de pierre d'un sceau, avec des gens en robe blanche autour de lui, qui psalmodiaient... et j'ai vu la terre vomir des hordes de créatures démoniaques... C'est une expérience très déstabilisante, pour moi, je dois vous l'avouer. J'espère que... nous allons pouvoir en faire sens rapidement."
Albérich posa une main sur son épaule et la serra, tout en souriant doucement.
" Tu crois que tu arriveras à réessayer demain ?
— Je le ferai, en tout cas."
Le clerc acquiesça.
" Tout ça rejoint assez bien ce que j'ai lu dans les légendes. Un combat entre lumière et ténèbres, un sceau placé pour enfermer quelque chose. Ignace devait vouloir le libérer. Les Ithiliens l'ont fait. Dans ces récits, les hordes infernales sont contrées par des légions célestes. Peut-être devons-nous envisager la possibilité de faire appel à celles-ci. Je sais que ça parait un peu... dément... mais je crois que nous devons nous libérer de notre cadre ordinaire. Il est possible que nous trouvions, dans les temples, un moyen de communiquer directement avec les plans du Bien."

Marthe soupira.
-J'espère qu'une invasion d'êtres démoniaques n'est pas imminente, que c'est ce qui se produira uniquement si nous sommes trop longs à leur barrer le passage, qu'il y aura, auparavant, des moyens à notre portée pour procéder à cette fermeture. Mais espérer, ce n'est pas savoir et, effectivement... Nous devons suivre la piste que tu évoques.

" Je me disais aussi, dit Albérich, que nous devrions peut-être avertir les Ithiliens. Peut-être leur chef est-il un diable, lui aussi, mais dans le cas contraire... Est-ce que nous ne devrions pas leur dire qu'ils ont potentiellement déclenché une catastrophe ?
— Qu'est-ce que tu espères ?
— Une trêve, je suppose. De l'aide. Je ne sais pas. Je ne m'explique pas bien leur présence, ici, maintenant. J'ai l'impression que s'ils savent pour les hordes, ils n'avaient pas besoin de nous. Se frayer un passage jusqu'aux mines, pour briser ce sceau... Ce n'était pas si difficile. Donc... J'ai l'impression qu'ils voulaient les gemmes et la puissance de la cité, pas libérer un démon ou ouvrir un portail vers un plan infernal. Peut-être peuvent-ils... libérer les mines et nous laisser l'accès au sceau ? L'idéal serait de trouver un livre qui décrive précisément à quoi il ressemble, pourquoi il a été placé, comment le reconstituer... mais je ne me fais pas trop d'illusions."

-Moi non plus, soupira la juge. Comme toi, je pense que leur intention n'était pas de causer une catastrophe, simplement de s'accaparer les ressources de la cité. Et je suis convaincue qu'ils réfléchiraient s'ils avaient conscience de ce qu'ils ont provoqué. Le souci, cependant, c'est qu'ils ne nous croiront pas. Du moins, je le crains. Ils nous ont envahis, nous ont chassés : si nous venons leur dire que leurs actes vont aboutir à une invasion démoniaque s'ils ne nous laissent pas le champ libre... Ils nous riront au nez, persuadés que ce ne sont là que des mensonges destinés à les faire lâcher prise.

" Nous pourrions prendre le risque de les rencontrer, dit le clerc. Générer une zone de vérité. Ils savent beaucoup de choses sur nous, par Louis. Que nous sommes honorables.
— Ils nous considèrent comme des pillards, Albérich, intervint Hubert. Comme des criminels. Ils estiment que nous avons tenté de les spolier de leur propriété. Ils estiment même que le travail forcé imposé à nos amis est la juste rétribution pour leur crime."
Le Luménien le dévisagea, abasourdi.
" Qu'est-ce que c'est que ce délire ?
— C'est la vérité sur leur lecture dévoyée de la situation. Clairétoile est sur le territoire d'Ithilion, selon eux. Nous sommes des envahisseurs.
— C'est ridicule. Ithilion est à des dizaines de lieues d'ici ; leur territoire s'est toujours étendu vers l'ouest, de surcroît, jamais vers le nord. Et Louis doit leur avoir expliqué que nous n'avons pas perçu les choses de la sorte.
— Nul n'est censé ignorer la loi."

-Peu après avoir été nommée au conseil, je me suis un peu penchée sur les revendications ithiliennes. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne manquent pas d'air : au mieux, c'est sur la totalité des Landes, depuis la Trouée jusqu'à la côte de la Lumière, qu'ils estiment leur domaine naturel ; au pire, c'est carrément la moitié nord de l'île qu'ils considèrent comme leur appartenant de droit. Évidemment, personne n'a jamais accordé le moindre crédit à pareilles fadaises, lesquelles n'ont absolument aucun fondement juridique ni même historique.

Albérich croisa les bras et poussa un soupir.
« Et Luménis aurait mis de l’ordre là-dedans si cette guerre n’avait pas éclaté en Dorrandin. »
Il secoua la tête.
« Mais bon, même s’ils nous considèrent comme des intrus, nous pouvons les contacter. Je pourrais communiquer avec Louis, déjà. Lui parler d’Ignace. Même s’il ne veut rien entendre, il n’est pas assez fort pour repousser mon contact. Ensuite, nous pouvons leur laisser un message quelque part. Enfin, nous pouvons prévoir une rencontre, s’ils l’acceptent. Toujours en passant par Louis. Nous avons suffisamment de ressources magiques pour pouvoir nous prémunir d’un coup fourré. »
Hubert avait l’air incertain.
« C’est quand même très risqué.
— Mais même si j’étais fait prisonnier… J’aurais quelque part encore un meilleur accès à leurs oreilles. Et plus de chances de les convaincre.
— Je ne veux pas en entendre parler. »
Albérich sourit.
« Je n’avais pas l’intention de me faire prendre, en fait. »

-J'espère bien, murmura Marthe.
Elle tambourina des doigts sur la table, nerveuse.
-Ce qui m'inquiète, dans cette démarche, c'est... la possibilité qu'ils nous somment de nous rendre. En arguant que si nous ne le faisons pas, ils exécuterons des prisonniers. Comment réagirons-nous dans pareil cas ?

Albérich soupira.
" Tu as raison. Je serais contraint de me rendre. Dans le même temps... C'est surprenant qu'ils ne l'aient pas déjà fait, tu ne trouves pas ? Et c'est une éventualité que nous devons garder à l'esprit : les risques qu'Ezéchiel leur dise où nous nous trouvons restent très élevés. Le fait qu'ils ne soient pas encore là indique qu'ils ont probablement d'autres chats à fouetter dans l'immédiat.
— Ou qu'ils pensent qu'une fois la puissance des gemmes en leur possession, notre sort sera de toute façon scellé.
— Je peux contacter Louis, lui balancer mon message, couper le contact avant qu'il n'ait répondu. Il sera pris par surprise. Il n'osera pas, à lui seul, menacer les otages.
— Quand Etienne sera en état... Il faudra lui en parler, murmura le paladin.
— L'as-tu revu aujourd'hui, Marthe ?"

-Je lui ai parlé, disons. A travers une porte close. Il refuse toujours de voir qui que ce soit.
Elle esquissa un sourire.
-Mais il ne se laisse pas complètement aller et j'ai tout lieu de croire qu'il est déjà sorti de sa chambre. Simplement, il s'arrange pour le faire quand il ne risque pas de croiser quelqu'un.

" Autant qu'il prenne ses marques à son rythme, dit le Luménien. Et je ne crois pas que s'il faisait son apparition parmi nous, lui parler de Louis serait l'angle d'attaque idéal. Même si nous devons gérer les Ithiliens, ils ne sont pas notre problème principal. Je propose de contacter Louis, de l'avertir et ce sera déjà ça de fait. Au moins, nous aurons fait notre possible pour eux, sans nous mettre en danger."
Hubert hocha la tête, bras croisés.
" Alors c'est notre unique perspective ? Explorer ces temples ? Je dois dire qu'après avoir vu cette... faille... et ce qu'elle vomissait...
— Comme le dit Marthe, nous n'avons pas d'indications qu'elle ait déjà commencé à vomir quoi que ce soit.
— Mais nous n'avons pas de preuve du contraire. Vous croyez vraiment que ce qui se trouve à l'intérieur... va attendre ? Si j'étais prisonnier depuis des millénaires, je dois dire que j'aurais tendance à guetter une ouverture...
— Peut-être que ça doit se réveiller. Peut-être que c'est beaucoup plus profondément enfoui et que ça ne sait pas que le sceau est rompu.
— Que crois-tu que ce soit ? Une entité ? Ou un passage ?
— Aucune idée."
Il se tourna vers Marthe.
" Tu ne nous as pas parlé de tes lectures du jour."

-Et bien...
Elle eut un sourire désolé.
-Elles ont été fort riches en ce qui concerne les détails sur la vie quotidiene à Clairétoile au temps de sa splendeur. Mais pour les dossiers qui nous intéressent... le néant absolu. J'espère faire une meilleure pioche demain.

" Sûrement, dit Albérich, sur un ton dénué de tout reproche..J'espérais que nous pourrions nous rendre dans ces temples directement, sans devoir passer par les souterrains... Mais peut-être que nous avons encore le temps de nous pencher sur le téléporteur avant d'aller dormir. Si c'étaient des lieux si importants aux yeux des Anciens, ils doivent fatalement être joignables par ce biais... Guillermo t'a sûrement indiqué leur position... Si les symboles sont placés sur le sol selon la position réelle des bâtiments, comme semblait le penser Giovanni, nous devrions pouvoir les identifier... ou au moins un lieu proche. Je crois que ça vaut le coup d'essayer. Et peut-être que si tu te concentres dessus comme sur le livre, tu pourras nous guider, Hubert ?"
Le paladin hocha la tête avec un sourire.
" Je suis prêt à tenter le coup, en tout cas.
— Qui emmenons-nous ?
— Giovanni en tout cas. Varamyr. Je pense qu'un petit groupe, c'est mieux.
— Si nous sommes cinq, je peux nous téléporter dans les souterrains en-dessous en cas de pépin.
— Tu peux faire ça, toi ?
— Oui. Je dois juste spécifier le lieu d'arrivée au moment de mémoriser mon sortilège, contrairement aux mages qui peuvent l'improviser au moment critique."

-Et bien, je vous laisse gérer se dossier, dit la magistrate. Malheureusement, je ne peux vous être d'aucune utilité à ce niveau.
Son ton était un peu las : ce devait devenir rude, pour elle, de n'avoir aucun moyen d'aider hormis... en lisant jour après jour des centaines de pages.
Toutefois, elle ne tarda pas à esquisser un sourire.
-C'est une piste intéressante à suivre. La plus prometteuse que nous ayons eu jusqu'ici, probablement.

" Espérons qu'elle nous ouvre des voies plus pratiques, dit Albérich avec un calme sourire. Bon, si nous avons fait le tour... Demain matin, je contacterai Frida et Louis. Ensuite, nous partirons. Maintenant, allons voir ce téléporteur.
— Très bien." dit Hubert en se levant.
Le Luménien salua Marthe avant de franchir la porte. Il avait l'impression d'avoir mené la réunion comme s'il en était le chef et il se sentit soudain un peu gêné.
" Vas-y déjà, je te rejoins."
Le paladin lui jeta un regard interrogateur puis acquiesça et prit la direction de l'escalier. Albérich regagna la salle des cartes.
" Marthe, j'espère que tu ne m'en veux pas d'avoir... été un peu directif. Je me rends compte que j'ai occupé l'espace de parole et je ne veux pas que tu te méprennes. Mais je pense qu'Hubert a besoin de ça en ce moment et je me suis promis de jouer ce rôle."

Elle acquiesça.
-Je pense également qu'il a besoin d'un "supérieur" capable de le canaliser et tu es le mieux indiqué pour occuper cette place. Pour le reste, ne t'en fais pas. Peu importe qui émet les idées, qui donne l'impulsion : le but des Conseils est de faire avancer les choses et c'est ce qui s'est passé. Honnêtement, je ne trouve rien à redire.

Il sourit, heureux qu'elle se montre compréhensive. Mais il n'en avait pas douté, dans le fond. Elle avait l'expérience de la vie.
" Merci. N'hésite pas à me reprendre, cependant, si tu trouves que je dépasse les bornes... Je ne veux pas l'apaiser lui et te contrarier toi."
Il rejoignit la porte.
" Bonne nuit."
Ensuite, il traversa le couloir d'un bon pas pour regagner les étages et la salle de téléportation.

Lorsqu'il y parvint, les symboles brillaient toujours sur le sol, formant leur figure habituelle : deux cercles concentriques et quelques signes détachés des autres, soit à l'extérieur, apparemment aux quatre points cardinaux, soit à l'intérieur. Ce qu'Albérich ignorait, c'est qu'il n'en avait pas été ainsi quand Hubert était arrivé : il lui avait fallu reposer la main sur la surface de métal pour que tout cela reparaisse. Pour le reste, depuis que le paladin observait l'ensemble, il n'avait pas eu de grande illumination, de pressentiment quant à la nature des différents lieux auxquels il était possible d'accéder.

Albérich entra, se pencha sur la console, et Hubert l'attira aussitôt dans une étreinte, l'embrassant avec fièvre. Le Luménien rit et le repoussa doucement.
" Si j'avais su qu'il me suffisait d'être un peu autoritaire pour m'attirer ce genre de choses..." souffla-t-il.
Hubert posa les lèvres sur son front, et se retourna vers la pièce.
" C'était pour détourner ton attention sur le fait que je n'ai aucune idée d'où mènent ces symboles et qu'ils ne me disent rien.
— Guillermo t'a dit où étaient les temples ?
— A l'est. Les enfants ont franchi ce symbole-là... qui mène aux forts à l'est de la ville... donc un symbole à l'intérieur du périmètre... dans cette direction-là ?"
Encore fallait-il qu'il y en ait un...

Il y en avait deux. Comme il y en avait deux au nord, au sud et à l'ouest. plus un tout au centre : la forteresse, sans doute.
Et tous les symboles n'étaient pas différents. Il n'y en avait même que de trois types : ceux figurant sur le tracé des cercles, ceux situés à l'intérieur desdits cercles, et ceux situés à l'extérieur - les concernant, il s'agissait des forts, c'était leur unique certitude.
Pour le reste... mystère.

" On pourrait tenter le coup, dit Albérich. Même si on n'arrive pas dans un Temple, on arrivera tout de même plus près que si on doit emprunter les souterrains. Giovanni pourrait te rendre invisible et tu passes devant, quelque chose comme ça...
— Oui. Mais ces cercles me font penser à quelque chose qu'a dit Guillermo... sur une ancienne enceinte. Le cercle extérieur représente peut-être les remparts actuels, et l'autre celui formé par les sanctuaires dont il m'a parlé.
— Peut-être. Nous pourrons sans doute en juger une fois sur place. Il nous suffit de choisir un de ces deux symboles... Peut-être Ruth peut-elle le faire pour nous ?"
Hubert soupira.
" Ah, Ruth... Je voulais parler aux enfants. Je devrais peut-être le faire maintenant."
Son regard se fit malicieux.
" J'ai une toute autre envie, mais... Le devoir avant tout."
Albérich sourit et s'appuya contre lui.
" Allez, va leur parler. Et demain nous choisirons notre symbole."
Le paladin acquiesça et l'embrassa furtivement, avant de quitter la pièce.
" Je vais glypher cet accès avant de descendre, ajouta Albérich. C'est plus prudent."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue