La Couronne de Cuivre

Il grimaça lorsque Bellatrix lui nettoya le crâne, mais n'osa pas protester. Elle lui rendait un beau service, et comme il était bien éduqué, il ne voulait pas montrer qu'elle ne s'y prenait pas forcément de la meilleure manière qui soit. Il grimaça encore lorsque la fillette parla du faux rouquin.

"C'est horrible. Ces statues sont vraiment méchantes. Imaginer un truc pareil... chuis sûr que même toi, tu n'as jamais vu ça dans tes films."

En attendant, il ne savait pas ce qu'ils allaient faire ensuite. Se reposer ? Ils avaient dormi énormément, et malgré l'aventure qu'ils venaient de vivre, il n'était pas pressé de retourner se coucher. Qui savait s'ils se réveilleraient ?

"Vous pensez qu'il faut qu'on aille dans la chambre de l'angelot ? Ou qu'il faut qu'on essaie de s'occuper de nos... nos âmes ?"

Trouvant un flacon sur lequel était marqué « alcool », Benoît s’approcha de Christophe toujours sous les soins de Bellatrix en souriant de fierté. Il tendit le flacon à la jeune fille en annonçant, confiant :

- Je crois qu’il faut mettre ça sur les plaies pour éviter les infections !

Puis, sans attendre la réaction de la fillette, il répondit à la question posée par son patient :

- Il faut absolument récupérer nos âmes. Enfin, il faut déjà trouver où elles attendent. Puis trouver un moyen de retourner au car. Le livre disait que c’était le seul moyen de rentrer chez nous. Mais je peux chercher encore si vous préférez.

Après s'être dévisagé dans le miroir, après que Bellatrix se soit gentiment occupée de lui, Pierre avait entrepris de palper, à travers son manteau, ses épaules et son dos, cibles privilégiées par le poing invisible du diablotin. Quoi que sommaire et précautionneux, cet examen le fit grimacer de douleur à plusieurs reprises. Mais il lui apporta surtout la conviction qu'il n'avait rien de vraiment grave. Juste des ecchymoses, sans doute. Malgré tout, il n'était pas au mieux de sa forme : il avait mal au moindre mouvement brusque et se sentait épuisé. Aussi hésita-t-il un moment avant de répondre à la question posée par Christophe.

-Me reposer un peu chez l'Angelot, ça me ferait du bien. Et à toi aussi, je crois... Mais malheureusement, je suis pas sûr qu'on ait le temps pour ça. Comme a dit Benny, faut vite s'occuper de nos âmes. Elles sont dans la salle toute blanche et, à mon avis, c'est à la cave qu'elle se trouve, elle.

C'était logique et en même temps pas une très bonne nouvelle. La cave devait être surveillée comme du lait sur le feu. Ou comme un sanctuaire gardé par des monstres.

"Je pense que Piotr a raison. Mais faut quand même se préparer. Si Benny trouve une formule, Cricri peut trouver de quoi fabriquer une méga tronçonneuse, Piotr avec son épée. Et je pourrais dessiner aussi. Maintenant, on sait que les Larouge sont méchants et feront tout pour nous garder ici."

Elle évitait de prononcer le nom de Morticia. Parce que non, en fait, elle ne lui ressemblait pas.

Une tronçonneuse ? Il ne pensait pas que Bellatrix soit sérieuse, mais tout de même... Il cria presque quand Benny lui tamponna la tête avec de l'alcool. Ça piquait énormément ! Mais il se retint à cause de la peur de provoquer encore une catastrophe : ils étaient déjà assez mal en point comme ça...

"Je n'ai rien vu qu'on pourrait utiliser comme arme. Enfin, à part mes outils, mais c'est pas vraiment fait pour ça. T'imagines, taper au marteau sur des grands ? Ils auraient même pas mal..."

Il réfléchit à ce qu'il pourrait trouver comme arme potentielle. Un marteau seul était bien trop petit, certes, mais s'il allongeait le manche en utilisant un manche à balai ou quelque chose du genre, il améliorerait le rayon du cercle produit en frappant, et donc la vitesse de l'arme serait augmentée. Bien sûr, il ne connaissait pas ces principes physiques simples, mais savait intuitivement que ça marchait comme ça. C'était le principe de la fronde, plutôt que de lancer un caillou à la main.

"P'têtre avec un manche à balai, je pourrais faire un truc mieux. Et avec du tissu, on peut faire des frondes ! En lançant des objets avec, ça peut faire mal. Ou alors, on prend les lampes par le fil électrique, et on frappe comme ça avec." Il mima le mouvement.

Benoît trouvait que toutes les idées de ses camarades étaient bonnes mais lui-même n’était pas coutumier de ce genre de préparatifs. Ses livres, ses craies, son grimoire pour avoir accès à ses sorts étaient les seules choses qu’il pensait spontanément à emporter.

- On devrait peut être récupérer une partie de nos affaires tout de suite au cas oùon devrait fuir sans pouvoir retourner aux chambres.

Il était d'accord avec les autres : il fallait se préparer. Mais si ses copains pouvaient bricoler, dessiner ou essayer de trouver des sortilèges, lui-même ne savait rien faire d'utile, en ces domaines. Hormis peut-être se reposer pendant ce temps, afin d'être en mesure, le moment venu, de brandir efficacement son épée.

-Y a pas grand chose d'utile, dans les sacs... répondit-il à Benny. Pis faut pas trop se charger. Mais par exemple, si vous avez des lampes de poche, ça serait bien de les prendre. Une, ça suffira pas, s'il fait tout noir là où on va...

Exceptée sa boîte à outils et Tony l'ours en peluche, Christophe ne pouvait, ni ne voulait prendre d'objets. Il trouva des bandes Velpeau neuves, qu'il déroula pour découper à la longueur souhaitée. Repliées en deux, elles faisaient des frondes acceptables, pour autant qu'on sache s'en servir. Il en proposa à ses amis, tout en réfléchissant à ce qui pourrait servir de projectile. S'ils n'en voulaient pas, il les prendrait avec lui : ça ne pesait pour ainsi dire rien, et ça pouvait toujours venir à point le cas échéant.

"On prend des trucs pour se soigner ? L'alcool, ça me paraît pas mal... puis s'il faut mettre le feu à un truc, ça marche bien. Et des pansements, c'est peut-être pas une mauvaise idée non plus..."

Les enfants étaient en train de se préparer quand ils remarquèrent qu’il n’y avait plus de musique classique. Le silence tomba, lourd, dans le château. Peut-être que Monsieur Larouge allait se coucher. Peut-être que les diaboliques statues allaient sous peu prendre vie. La nuit dernière, le petit groupe s’en rappelait, il y avait eu plein de bruits. Mais peut-être était-ce plus tard...

Il était temps d’agir. L’entrée présumée de la cave avait déjà été découverte. Le chemin y menant conduisait près de la salle à manger et de la grande cuisine. Les appartements du maître des lieux étaient au deuxième étage. Tôt ou tard, Vincent devrait emprunter les escaliers...

Benoît réfléchissait aux possibilités qui s’offraient à eux sans parvenir à une décision sur la meilleure conduite à tenir : attendre que les adultes quittent le rez-de-chaussée pour rejoindre leurs chambres au risque que des créatures bien plus abominables encore viennent hanter le couloir. Se précipiter en bas ne semblait pas plus avisé vu le peu de chance qu’ils avaient eu jusque-là. Incertain, le petit consulta ses camarades plus âgés :

- Vous croyez qu’on doit faire une diversion pour attirer les adultes ailleurs ? Ou inventer une histoire pour justifier qu’on est descendu si on nous interroge ?

Bellatrix avait une petite idée.

"On pourrait les attirer ici et puis les enfermer dans une chambre. Ils aimeront peut-être bien faire un petit tour avec la mort ou avec la sorcière. Ou peut-être, vu que c'est des ennemis, ils pourraient rester dormir avec le chevalier qui pourrait les garder. Comme ça, ça nous laisserait le champ libre. Bien sûr, ça va pas être facile."

Pendant que ses amis se préparaient, Pierre avait observé le couloir, la main posée sur la garde de son épée, prêt à les alerter au moindre signe de danger. Mais il n'y en avait pas eu - pas encore - et, lorsque Benoit relança la conversation, il se détourna à demi de sa surveillance.

-Les enfermer dans la chambre d'une statue gentille, c'est une chouette idée, je trouve ! Mais à mon avis, faut faire ça que si on est repérés... Sinon, j'crois que c'est mieux d'essayer d'être discrets. Peut-être que Monsieur Larouge est déjà monté se coucher, vu qu'il a arrêté la musique. Ou alors il va le faire dans pas longtemps. Et là, on pourra aller sans problème jusqu'à la porte de la cave. Parce que Morticia, elle descend pas souvent, il a dit... Bon, y aura peut-être des monstres des statues mais de toute façon, si j'ai bien compris, elles vont de partout la nuit, vu qu'elles font le ménage et le reste...

Attendre, c'était moins risqué que de descendre les escaliers. Sauf que...

"Si on doit attendre longtemps, vaut peut-être mieux aller dans la chambre de l'angelot, non ? Si jamais on s'endort, au moins... on fera un chouette rêve."

Il se méfiait de la sirène. Elle ne donnait peut-être pas de rêves, mais tout était possible, dans cette baraque maudite.

Attendre dans la chambre de l’angelot semblait être une option prudente mais Benny redoutait un peu de s’endormir pour se réveiller bien trop tard. En outre, il nota un autre point qui le tracassait :

- Comment est-ce qu’on saura qu’on peut descendre ? Surtout si on s’endort ? Et si on réveille cernés par les monstres ? Il faut absolument agir cette nuit.

Bellatrix secoua la tête.

"Oh, pas besoin d'attendre. Si on fait assez de bruit, ils vont rappliquer en vitesse. Par contre, il faut trouver un moyen de les attirer dans la chambre et de les enfermer."

Elle parlait d'une voix posée mais elle était plutôt inquiète et pas vraiment pressée de revoir la pseudo Morticia.

Des pas... Oui, aucun doute, c’était des pas. Un bruit ténu et déformé par l’architecture du château. Mais un bruit régulier qui, dans le silence, ne laissait guère de doute. Quelqu’un venait, depuis le rez-de-chaussée. Bientôt, il serait dans l’escalier. Si d’aventure il s’engageait dans le couloir du premier étage, il pourrait voir jusque dans la salle de bain, surtout s’il y avait de la lumière, surtout s’il y avait du bruit pour attiser sa curiosité... Quoi que fasse les enfants, ils devraient le faire vite car dans quelques secondes, ce serait peut-être trop tard.

Il fixait Bellatrix avec incrédulité et s'apprêtait à protester contre son plan, qu'il trouvait aussi périlleux qu'hasardeux, lorsqu'il perçut les bruits.

-Vite, faut éteindre la lumière et aller tous dans la chambre de l'angelot, souffla-t-il aussitôt. Comme ça, ils croiront qu'on a juste voulu dormir tous ensemble, comme la nuit dernière. Faut surtout pas qu'ils se doute qu'on a tout compris, qu'on veut récupérer nos âmes et nous enfuir...

Et, sans attendre la réponse des amis, il prit la direction de la pièce indiquée.

Ils étaient tous dans le noir, dans le silence, derrière la porte de l’angelot. Ils attendaient tous, anxieux, de savoir où allaient se diriger les pas. Et bien, ils étaient dans l’escalier, ils montaient, ils s’approchaient. Il semblait bien que ce soit la ferme démarche de Vincent Larouge. Encore quelques marches et il serait au pallier du premier. Voilà, il y était et... plus rien. Plus un bruit. Tentait-il de s’approcher discrètement ? Avait-il remarqué quelque chose ? Les secondes s’écoulaient, plus longues que jamais. Dans la chambre, on retenait son souffle.

Enfin, les pas, de nouveau. L’aristocrate reprenait son ascension vers le second. Il s’éloignait, emportant avec lui un peu de tension. Bientôt, les pas s’atténuèrent. Un son de porte, encore quelques rumeurs... voilà, l’homme était passé.

Lorsque les pas s'étaient arrêtés, Pierre avait cru défaillir. Si celui qui les produisait était bien Monsieur Larouge, comme il le pensait, il l'imaginait mal se couler silencieusement dans leur direction : il ne le connaissait pas beaucoup, certes, mais il trouvait que ce ne serait pas vraiment son genre. En revanche, il se le figurait très bien immobile, l'oreille tendue pour guetter le moindre son, le regard fouillant l'obscurité en quête du moindre détail sortant de l'ordinaire. Cette vision mentale terrifiait le gamin qui, le cœur battant, la gorge nouée, se demandait si ses copains et lui avaient léissé derrière eux quelqu'indice susceptible de les trahir...

Pour ne pas se laisser submerger par l'angoisse, il tenta de se concentrer sur des images heureuses, joyeuses. Ce furent celles du jardin d'Étienne qui vinrent à sa rescousse. Un jardin printanier, avec ses pelouses verdoyantes, ses papillons multicolores, ses coccinelles qui portaient chance... Or, de la chance, le petit groupe en aurait eu bien besoin...

Un son arracha brutalement Pierre à son apaisante rêverie. Le choc fut si brutal qu'un cri manqua jaillir de sa gorge. Heureusement, il parvint à se contenir et, bientôt, il comprit. Les pas ne s'approchaient nullement ; au contraire, ils s'éloignaient. Encore quelques instants, et tout indiqua que leur hôte avait regagné ses quartiers pour la nuit.

Le garçon poussa un profond soupir de soulagement.

-Bon, je crois qu'on va bientôt pouvoir y aller... souffla-t-il une fois remis de ses émotions. Doit plus y avoir d'adulte, en bas. Monsieur Larouge, il a bien dit que Morticia, elle passait tout son temps soit dans la bibliothèque, soit au milieu de ses tableaux, non ?

A présent, c’était le silence. Un silence tel qu’on aurait pu entendre voler les papillons et les coccinelles. Un silence qui persistait, même pas troublé par les caprices du temps. Mais oui, tiens, le blizzard avait-il enfin décliné ? Dans quel état, désormais, était le gazon dehors ? Arosé par le gel, il devait offrir un spectacle cristallin surtout si d’aventure l’astre de la nuit exibait sa lumière argentée. Les volets clos laissaient tout ceci à l’état d’hypothèse. Les enfants étaient toujours dans le noir le plus total...

S'assurant une nouvelle fois qu'il avait tout ce qu'il voulait avoir sur lui (outils, Tony), il hocha la tête à la proposition de Piotr.

"Plus vite on ira, plus vite on sera sorti de ce truc. J'ai vraiment pas envie de retourner dans un cauchemar affreux..."

Il entrouvrit doucement la porte de la chambre et passa la tête dans le couloir à peine éclairé par la lumière de la chambre. Personne à gauche, personne à droite ?

"La voie est libre, on dirait."