La Couronne de Cuivre

Lorsqu'ils franchirent la porte sud de Grand Estuaire, les gardes échangèrent des regards, et il n'était pas besoin d'être devin pour savoir ce qu'ils se demandaient : ces deux-là s'en vont-ils rejoindre l'expédition ou poursuivent-ils simplement leur voyage ? Aucun d'entre eux ne les questionna, cependant, et ils purent rallier sans contretemps le campement. Les hommes de faction n'étaient pas les mêmes que lors de leur dernière visite, mais celui qui les interpella après les avoir examiné, les yeux écarquillés, avait malgré tout l'accent d'Antelucas.
-Bienvenue, messires, souffla-t-il. C'est un honneur... et une surprise de vous accueillir. J'avoue que quand on m'a dit que de grands personnages tels que le conseiller Megrall et le sire de Maleval, capitaine de la garde de Solarcis, nous avaient rendu visite et songeaient à nous accompagner, j'ai pensé à des bobards...

Alors qu'Albérich démontait en s'empourprant, il croisa le regard d'Hubert qui était bien évidemment ravi, et tentait maladroitement de le dissimuler. C'était compréhensible : jusque là, les gens s'étaient adressés à l'ancien conseiller avec déférence, sans que personne ne donne l'impression d'avoir la moindre idée de qui était le paladin. S'il n'était pas anormal qu'un dirigeant luménien soit plus célèbre qu'un simple capitaine de garde, Albérich pouvait imaginer que la situation ait été un poil frustrante pour son ami. Il savait aussi qu'Hubert n'aurait jamais osé le mentionner sans qu'on lui pose une question directe sur ses occupations passées. Apparemment, ce ne serait pas nécessaire, et c'était tant mieux.
Ils avaient mis pied à terre, l'un et l'autre.
" Et bien, ce n'étaient pas des bobards, dit simplement Hubert avec le sourire. C'est un honneur pour nous aussi d'être accueillis de la sorte, mais nous n'avons pas l'intention d'être autre chose que des membres de cette expédition, au même titre que vous. Pourriez-vous d'ailleurs nous indiquer la personne qui se charge du recrutement ? Est-ce Dame Marthe ou Messire de Fontbrune ?"

-C'est effectivement Dame Marthe qui établit les contrats. Elle est aussi présente au moment de leur signature, mais il faut au moins deux membres supplémentaires du conseil lors de celle-ci, et le sieur de Fontrbune est généralement du nombre. Donc, vous pouvez allez voir l'un ou l'autre... Cependant, j'imagine que vous préféreriez, au préalable, amener vos montures aux écuries... Elles se trouvent à l'angle sud-est du camp. Pour les rejoindre, le mieux est de poursuivre un peu sur la route, de tourner à gauche après la dernière rangée de tentes, de dépasser le terrain d'entraînement... et vous y serez.

" Je pense que c'est une bonne idée. Merci pour vos indications."
Ils saluèrent les gardes puis s'engagèrent dans le campement, sans pour autant remonter en selle.
" Par les dieux, ça va être toute une affaire solennelle, grommela Albérich. Je vais détester ça."
Hubert s'immobilisa.
" Allons, ces gens ne vont pas essayer de t'embarrasser pour le plaisir, Albérich.
— C'est bien ça le pire, ils vont croire que ça me touche !
— Arrête. C'est la procédure habituelle. Si ça se trouve, nous serons dans un groupe de vingt-cinq personnes, de toute façon. S'ils doivent être trois chaque fois qu'un nouveau se présente, ils s'organisent probablement pour ne pas être dérangés sans cesse."
Ils reprirent leur route vers les écuries.
" Désolé, finit par dire Albérich, dans un soupir.
— Ce n'est pas grave, ne t'en fais pas." répondit Hubert, sur un ton qui laissa le Luménien encore un peu plus embarrassé de sa sortie.

Longeant le côté nord du campement, ils ne tardèrent pas à arriver près du vaste pré où, par petits groupes, des hommes et des femmes s'entraînaient déjà depuis apparemment un certain temps, malgré l'heure matinale. L'apparition des deux voyageurs et de leurs montures ne passa pas inaperçue : bien des regards se portèrent dans leur direction, bien des murmures se firent entendre, mais la prompte intervention des instructeurs y mit presque aussitôt un terme. Remarquant, en passant, que ne se trouvait pas là l'entièreté de la communauté - vu le nombre réduit de professeurs, les élèves devaient nécessairement se présenter par vagues successives -, Albérich et Hubert finirent par atteindre les écuries. Il s'agissait encore de tentes, particulièrement grandes, et à en croire les bruits qui en sortaient, les chevaux qu'elles abritaient se comptaient par dizaines.

Albérich resta en retrait tandis qu'Hubert jetait un coup d'oeil à l'intérieur, sans doute pour trouver un palefrenier et juger au passage de la qualité des installations. Le Luménien ne doutait pas qu'elles seraient à la hauteur du reste du projet : bien pensées. Il évita de regarder vers le terrain d'entraînement. Non seulement la curiosité dont ils faisaient l'objet le mettait mal à l'aise mais, de surcroît, il n'avait aucune envie de songer au fait qu'il aurait à aller s'y exercer beaucoup trop tôt à son goût.

Les lieux que découvrit Hubert paraissaient aussi pratiques et bien organisés que pouvaient l'être des écuries provisoires. La quarantaine de chevaux hébergés dans la tente qu'il avait choisi d'examiner semblaient nourris et soignés comme il se doit. De fait, plusieurs palefreniers s'affairaient, pansant, distribuant du fourrage, nettoyant les stalles de fortune... L'un d'entre eux finit par remarquer la présence du paladin et, s'essuyant les mains, il se porta à sa rencontre.
-Bonjour, messire. Je présume que vous souhaitez nous confier une monture ?

" Trois, en fait." dit Hubert, avec un sourire embarrassé.
Il souleva la toile de la tente pour que le jeune homme puisse voir ce dont il parlait.
" Celui-ci est un destrier... un peu particulier. Il... hum... disparait deux heures pendant la nuit. Le reste du temps, il se comporte tout à fait normalement.
— Il disparait deux heures par nuit ? intervint Albérich, surpris.
— C'est une affaire complexe... Il faut me croire sur parole, répondit le paladin avec une grimace.
— Il comprend ce qu'on dit aussi, ajouta le Luménien, passablement amusé. Il ne faut lui faire que des compliments !"
Le cheval gris en profita pour renâcler.
" Mais si vous nous montrez où les installer, nous nous en chargerons..."

-Pardon, vous disiez ?
La découverte d'Albérich et la mention du destrier l'avait apparemment renseigné sur l'identité des deux hommes, et il était au moins aussi surpris que le garde à l'entrée du camp. Aussi surpris mais davantage impressionné, car il n'osa se fendre d'aucune remarque à ce sujet.
-Je... Je vais vous montrer où il reste de la place. Et vous n'aurez pas à installer vos montures vous-mêmes, évidemment : il y a du monde pour ça. Suivez-moi, je vous prie.
Quelques instants plus tard, ils entraient sous une nouvelle tente. Trente chevaux, au bas mot, l'occupaient déjà ; cependant, plusieurs stalles demeuraient disponibles.
-Voulez-vous qu'on garde vos fontes et vos bagages pendant... et bien, pendant que vous signez le contrat ? A moins que vous ne l'ayez déjà fait ?

" Nous n'avons pas encore signé, non... Ce serait donc formidable si nous pouvions laisser tout ça, effectivement."
Le paladin gratifia son destrier d'une caresse sur le chanfrein puis se tourna vers Albérich. Ce dernier tentait, vaille que vaille, de ne pas tourner de l'oeil dans cette épouvantable atmosphère confinée. La poussière de cheval était décidément une odeur monstrueuse. Il vit donc revenir Hubert avec soulagement. Mais ce dernier s'immobilisa et se retourna vers le palefrenier, reportant les projets de fuite du Luménien.
" Au fait, est-ce que vous connaissez un dénommé Arnaud ?"

L'homme hocha la tête.
-Bien sûr que je le connais : il y a une semaine, il a quitté son travail dans les écuries d'une auberge de Grand Estuaire pour nous rejoindre.
Il grimaça.
-Messire, veuillez pardonner mon impudence, mais... C'est son ancienne patronne qui vous a parlé de lui ? Elle vous aurait pas chargé de le faire changer d'avis, par hasard ? Je la comprends, je dis pas : c'est un excellent palefrenier. Mais...

Albérich se demanda si leur interlocuteur n'était pas justement cet Arnaud, car il paraissait bien inquiet pour un simple confrère. Ou ami, d'accord. Il ne bougea cependant pas, se contentant de laisser Hubert poursuivre l'entretien. Discrètement, il approcha cependant une main de son visage, espérant filtrer une partie des mauvaises odeurs.
" Ah, sa patronne est effectivement furieuse de l'avoir perdu. Elle nous a payés très cher pour que nous lui décrivions combien les Landes sont putrides, épouvantables, peuplées de monstres purulents, carnivores, démoniaques, avec une affinité particulière pour tout ce qui sent le cheval... fit Hubert avec une grimace. Mais en fait, non. Elle nous a demandé de veiller sur lui. C'est vous ?"

-Non non. Simplement, il abat un tel boulot qu'on est moins surmenés, depuis qu'il est parmi nous. Alors s'il partait, ce serait une sacrée tuile. Mais il est motivé : c'est un petit jeune plein d'énergie et d'envies d'aventure. Il va être servi, je pense. On va tous l'être.
Il sourit à nouveau.
-Bon, puisque vous n'êtes pas là pour le convaincre de s'en aller, on fera en sorte que vous ne retrouviez pas des morceaux de vos montures dans le ragoût de ce soir. Et on évitera de se partager vos affaires.
Il s'empourpra légèrement, comme embarrassé par la hardiesse de ses propos.

Hubert rit de bon coeur.
" Entre nous, évitez d'essayer de mettre Grand Vent dans la soupe. Vous risquez de vous y retrouver à sa place, glissa-t-il au palefrenier, avant de rejoindre Albérich. On sort, on sort, tu peux lâcher ton nez !"
Le Luménien adressa un signe de tête au jeune homme puis se glissa à l'extérieur, sur les traces du paladin. Ils mirent ensuite le cap sur la tente de Dame Marthe. Puisque c'était elle qui devait rédiger les contrats, cela semblait l'étape la plus logique... Hubert paraissait déjà s'y retrouver plus ou moins dans le campement, Albérich était complètement perdu, aussi le suivit-il sans se poser de questions.

La juge les invita à entrer sitôt qu'ils en firent la demande et, reposant la plume qu'elle tenait à la main - elle était en train d'écrire, son bureau couvert de parchemins divers -, elle leur désigna les tabourets.
-Heureuse de vous revoir, dit-elle lorsqu'ils se furent assis. D'autant plus heureuse que votre retour laisse entendre que nous allons faire un bout de chemin ensemble. J'imagine que vous seriez revenus plus tôt, si vous aviez d'autres questions, et que vous seriez allés voir Étienne si, décidément, cette expédition n'avait pas été à votre goût.

" Des questions, je pense qu'il nous en restera toujours, Dame, dit Hubert, amical, en s'asseyant. Mais vous, et vos collègues, avez pu répondre aux plus importantes, et nous n'avons pas besoin d'en savoir plus pour l'instant."
Albérich s'était également installé. Il se sentait vidé, reflet d'une mauvaise nuit, et de l'épreuve que constituaient toutes ces démarches. Il aurait de loin préféré se glisser à l'arrière du cortège, en passager clandestin.
" Nous avons l'intention de nous engager pour le trajet uniquement, dans un premier temps. Vous avez sous-entendu, hier, qu'il ne serait pas difficile de passer à un engagement plus durable, si nous devions le décider ensuite..."

-C''est tout à fait faisable, en effet. La chose serait ennuyeuse si vous étiez des fermiers ou des artisans dont l'activité requiert des outils que nous ne pourrons évidemment pas nous procurer sur place. Mais puisque ni vous ni messire Megrall n'exercez semblables professions, il n'y a pas le moindre problème. D'ailleurs, vous ne serez pas les seuls à avoir opté pour cette démarche : parmi ceux qui se sont engagés à nous escorter, une forte proportion se réserve la possibilité de demeurer avec nous dans la cité.

" Dans ce cas, je pense que l'affaire est entendue." fit Hubert.
Albérich attrapa son regard en coin et se contenta d'acquiescer dans un sourire.
" Nous ne voulons pas être rétribués, ajouta alors le paladin. Le couvert nous suffira... et la lessive, peut-être."
Ils n'avaient pas discuté ces aspects, mais le Luménien ne releva pas : cela tombait sous le sens.
" Je ne sais pas bien ce que vous avez besoin de savoir d'autre..."

-Aucune : j'ai toutes les informations dont je dispose pour établir vos contrats. Puisque j'ai déjà établi divers modèles, ce sera chose faite dans moins d'une heure. Cependant, il vous faudra attendre cet après-midi pour les signer, afin que le délai de quarante-huit heures soit respecté : d'ici là, vous aurez tout loisir de visiter le camp et ses diverses installations. Oh, et quitte à vous refroidir, je préfère vous prévenir que, tôt ou tard, vous aurez à faire la lessive. Et la cuisine. Comme l'égalité est un principe fondamental dans notre communauté, il nous a paru important que ce genre de tâches soit effectuées par tout un chacun, quel que soit son âge ou sa condition. Son sexe, aussi. Les membres féminines ont particulièrement insisté sur ce point...

Albérich n'y vit pas grand chose à redire, pas plus qu'Hubert. Ils avaient tous deux grandi et vécu dans des institutions où ce genre de tâches étaient distribuées entre tous, même si, il fallait bien le dire, la lessive était souvent réservée aux novices et la cuisine se trouvait rapidement un maître qui refusait de voir débarquer les débutants et les maladroits. Albérich se savait mauvais cuisinier, mais il se doutait qu'on lui demanderait de peler des légumes ou de touiller dans une marmite, pas d'inventer des plats fabuleux.
Il y avait cependant une chose plus importante qu'il devait aborder avant de quitter la tente.
" Il me reste peut-être une question, dit alors le Luménien. Hubert est chevalier, il n'est pas très difficile d'imaginer à quoi il va passer les journées à venir, que ce soit sur ce terrain ou une fois l'expédition lancée. Mais je me demandais si... les simples voyageurs devaient également se trouver une sorte d'activité quotidienne..."
Il jeta un coup d'oeil vers Hubert, qui l'encouragea d'un sourire et d'un hochement de tête. Albérich expira.
" Je pense qu'il est important que je vous signale que je ne suis plus clerc. Je ne pourrai vous être d'aucune aide de ce côté-là."

L’aveu surprit Marthe qui, une seconde, parut décontenancée. Mais, l'instant suivant, elle avait repris sa bienveillante impassibilité.
-Chacun doit participer à la vie de la communauté. Évidemment, comme vous avez dirigé des cités, je vois immédiatement de quelle manière vous pourriez nous aider, après notre installation. Mais je suis sûre que vous trouverez de quoi vous occuper agréablement au campement : vous êtes un érudit, vous pourriez donc enseigner, par exemple. Quant au trajet, et bien... Nous n'aurons jamais assez d'yeux vigilants ou de cavaliers pour assurer les communications tout au long de la colonne...

Jamais assez de cavaliers, mais voilà une perspective formidable, songea Albérich.
A voir le sourire qu'Hubert tentait de dissimuler, la proposition l'amusait profondément, lui aussi. Mais le Luménien était prêt à aider de la manière que le groupe choisirait. La plonge, le messager, ou n'importe quoi d'autre. Enfin... sauf palefrenier. Il n'était pas certain d'y survivre plus d'une heure.
Il sourit à la juge, étrangement soulagé d'avoir pu lui faire son aveu. A présent, l'information circulerait probablement assez vite, il suffisait d'attendre. Et si Roxane avait dit vrai, personne ne viendrait l'importuner, de surcroît. Ça avait été plus facile que prévu, même s'il se sentait soudain vaguement creux, un peu démuni, embarrassé, et qu'il avait la sensation de s'être dévoilé d'une manière intime, à une inconnue.
Il sentit qu'il avait vendu la peau de l'ours un peu trop vite et qu'une émotion traître était en train de le saisir. Il jeta un regard aigu à Hubert qui fit mine de se lever aussitôt.
" Merci de votre aide, Dame Marthe. Je suis certain que je trouverai à me rendre utile, dit-il, cependant, d'une voix égale.
— Nous repasserons dans l'après-midi." ajouta Hubert

Si Marthe perçut le trouble d'Albérich ou trouva leur départ un peu brusque, elle n'en laissa rien paraître et les gratifia d'un sourire amical.
-Très bien, dit-elle. Vous pourrez alors parapher le contrat : les deux jours réglementaires seront écoulés. Je préviendrai deux autres membres du conseil, car nous devons être trois lors des signatures. Le sieur de Fontbrune sera à coup sûr du nombre : il se fait un devoir d'être toujours présents en de tels moments. Et je verrai qui de Robert ou d'Agnès est disponible.

" Très bien, fit Hubert. A tout à l'heure."
Il écarta la toile pour laisser passer Albérich devant lui. Celui-ci ne se fit pas prier, et ils regagnèrent l'extérieur. Le Luménien fit rapidement quelques pas pour s'éloigner de la tente puis s'arrêta un peu plus loin, hors du chemin, et prit une profonde inspiration. Hubert posa une main amicale sur son épaule.
" Ça va ?
— Ça va."
Albérich était conscient qu'il risquait rapidement d'attirer les regards aussi se tourna-t-il vers le paladin avec un sourire composé. L'aura d'Hubert était tranquille, rayonnante, mais paraissait dramatiquement insuffisante à l'instant. C'était rassurant, quelque part, de voir que ce baume surnaturel ne pouvait pas tout solutionner.
" C'est l'heure de planter la tente, c'est ça ?
— Oui.
— Allons-y alors."
Hubert acquiesça, son visage reflétant une inquiétude qu'il ne parvenait pas à masquer. Il n'en dit cependant rien, ce qu'Albérich apprécia, et chercha un moment un interlocuteur à son goût du regard. Une fois satisfait, il l'interpela.
" Excusez-moi de vous déranger mais nous sommes nouveaux et... Nous ne savons pas où nous pouvons nous installer. Peut-être pourriez-vous nous indiquer la personne responsable de l'aménagement des lieux ? Ou simplement nous indiquer le bon endroit ?"

Son interlocuteur, un solide gaillard d'une trentaine d'années qui s'était engagé dans l'allée d'un pas assuré, en direction du champ d'entraînement, le salua chaleureusement et leur serra la main.
-C'est toujours un plaisir d'accueillir du renfort !lança-t-il joyeusement. Alors, je sais qu'il reste des emplacements libres dans la partie nord-est, et que c'est là que s'installent généralement les nouveaux. Mais le mieux serait que vous en parliez avec Ignace, l'intendant : il s'occupe aussi de l'organisation du camp. Ceci dit, mieux vaudrait aller le trouver avant le coup de feu qui précède le repas de midi...

" Merci du renseignement, fit Hubert. Nous allons le faire de ce pas."
Albérich lui emboîta donc le pas vers la tente de l'intendance, se refaisant peu à peu une contenance. Avec le temps, il avait appris à repousser les pensées assassines et à retrouver son calme. Rien de fâcheux ne s'était produit. Personne ne l'avait attaqué. Tout allait bien. Ils allaient trouver l'intendant, retourner aux écuries chercher leurs affaires, planter leur tente, manger, signer, et tout irait pour le mieux, assurément.

Ignace était assis derrière sa table à tréteaux, en train de compulser un épais registre. Il les accueillit néanmoins avec bonne humeur, se jéjouit en apprenant qu'ils comptaient rejoindre la communauté et, quand ils lui eurent présenté leur requête, déplaça de côté volumes et documents pour dérouler, sur la surface ainsi dégagée, un plan fort précis du campement.
-Comme vous le voyez, le quartier nord-est est le seul où subsiste de l'espace libre. Pour le reste, vous avez le choix. Ici, près de l'allée qui mène à la mer : c'est proche de tous les lieux d'activité dans lesquels vous serez amenés à vous rendre mais, en contrepartie, c'est un peu bruyant. Sinon, là, en lisère du camp : beaucoup plus tranquille, avec un superbe point de vue sur l'océan, mais déconseillé si on a quelque chose contre l'air marin...

" Moi je n'ai rien contre l'air marin." dit Albérich.
Hubert haussa les épaules.
" Va pour la vue sur la mer."
Il revint à Ignace.
" Je sais que nous n'avons pas encore signé mais... pensez-vous que nous pourrons déjà nous incruster pour le repas de ce midi ? S'il faut donner un coup de main, nous sommes évidemment disponibles... Enfin peut-être plutôt pour la vaisselle, sinon nous n'aurons pas le temps de monter la tente."

L'homme rit de bon cœur.
-Allons, on ne va pas vous imposer ce genre de corvées dès le premier jour. Surtout pas avant que vous n'ayez signé ! Vous aurez donc tout loisir de monter votre tente avant le repas auquel, bien sûr, vous pourrez participer. Mais il ne vous faudra pas des heures, n'est-ce pas ? Alors, il est possible que vous ayez assez de temps pour vous joindre à la dernière vague d'entraînement... Ça ouvre sacrément l'appétit, vous savez.
Impossible de savoir s'il était sérieux ou s'il plaisantait.

Albérich se promit de se montrer parfaitement lamentable durant le montage de tente, mais il savait qu'Hubert parvenait à la monter seul, et comme le paladin était... un paladin, justement, il ne lui rendrait jamais le service de traîner pour le plaisir.
" Nous irons sûrement jeter un oeil, en tout cas."
Ben voyons.
Ils prirent ensuite congé de l'intendant, le laissant à ses multiples préparatifs, et retournèrent vers les écuries. Hubert fit quelques pas, une moue finaude sur les traits, avant de se retourner.
" On grommelle ?
— Mais pas du tout.
— Ah non ?
— Pourquoi veux-tu me tirer les vers du nez ? Pour me faire la morale ensuite ?
— Tu t'en sortiras très bien. Souviens-toi de notre petit affrontement devant les hommes du Rayon...
— C'était une mise en scène de ta part. Tu as retenu tes coups.
— Certes. Mais tu n'es pas si mauvais."
Ils s'immobilisèrent devant la tente puante.
" Je te laisse aller chercher tout ça. Je n'ai aucune envie de m'empoisonner à nouveau.
— Oui chef."
Et le paladin gagna l'intérieur des écuries de campagne.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Dans la Campagne du Soleil