La Couronne de Cuivre

Pas le moindre humain ne lui prêta attention. Par contre, un chien huma son parfum et se mit à aboyer et il dut infléchir sa trajectoire pour ne pas rencontrer celle d'un chat qui semblait mal embouché. Il vit de nombreux rats, aux attitudes diverses, effrayés ou agressifs. S'il devait se méfier de quelque chose, c'était des autres bêtes, car il ferait sans nul doute un repas léger au goût de plusieurs d'entre elles. Il surprit aussi de nombreuses conversations, mais aucune ne traitait de ce qui l'intéressait : on parlait de l'hiver, d'une réparation à opérer sur les remparts, d'une naissance prochaine chez des voisins, de navets pourris dans une cave, de jalousies conjugales, de conflits entre collègues, de soucis financiers, de plaisirs futiles. Mais on ne mentionna ni barde, ni demi-elfe, ni le nom d'Almeron.
Il atteignit donc le château, passablement fatigué, et de plus en plus affamé. Le petit fort était fonctionnel et rude, mais ne présentait aucune difficulté particulière pour l'espèce de fouine qu'il était. Il fallait simplement qu'il décide de l'endroit par lequel il voulait passer et de ce qu'il désirait visiter. Les aboiements d'un nouveau chien, proche, l'avertirent cependant que certains n'ignoreraient pas son passage en ces lieux.

Dans sa propre vie, tout en en étant peu féru et en préférant de loin les chats, il n'avait rien contre les chiens. Mais ici, maintenant, en ces circonstances particulières, ces animaux représentaient une grave menace, une calamité, même, dont il avait intérêt de se méfier... Pas question, cependant, de renoncer à son intrusion : alors que Galathée était repliée dans sa caverne, avec de quoi se nourrir mais sans grand chose pour se réchauffer, il n'avait d'autre choix que d'avancer en niant faim et fatigue, que de fouiller ce lieu qui lui semblait le plus susceptible d'abriter Almeron. Alors... Il avancerait. En commençant par escalader les murs, puisque les portes, si elles n'étaient pas closes, donnaient forcément sur la cour où le fichu canidé avait toutes les chances de se trouver. Ensuite, il faudrait trouver un moyen de se faufiler dans les bâtiments.

Mais grimper n'était pas difficile : son corps tout entier semblait conçu pour l'exercice, et ses pattes poilues le protégeaient du froid. Il gagna aisément le sommet d'un mur et put constater qu'en matière de cour, il n'y avait qu'un petit espace nu donnant sur les écuries et la porte principale. Le reste du fortin était adossé à la muraille et il pouvait donc entrer directement dans les bâtiments, sans avoir aucun espace découvert à traverser. Les remparts de la bourgade suffisaient apparemment comme défenses au château. A moins que ce soit la montagne elle-même, et les rigueurs de l'hiver, qui y pourvoient. Il était encore tôt malgré la nuit tombée et il y avait de la lumière aux fenêtres. Les écuries béaient, elles aussi, et il entendit des voix à l'intérieur. Même si on avait calfeutré la bâtisse pour affronter le froid, il y avait des meurtrières, mais aussi des trous d'écoulement, qui menaient probablement directement dans les murs.

Après un instant de réflexion, il décida de se rendre aux écuries. D'abord parce que si les cavaliers étaient venus au fortin, il était extrêmement peu probable qu'ils soient aussitôt repartis : leurs montures se trouveraient donc toujours là, ce qui le rassurerait sur le fait qu'il n'avait pas pris la mauvaise direction. Ensuite parce que tout en travaillant, les palefreniers avaient souvent l'habitude de bavarder - comme en témoignait les voix qu'il captait : il avait donc des chances d'espionner, cette fois, un dialogue utile... Restait à se prémunir contre le chien qu'il n'avait pas encore aperçu et, pour ce faire, l'idéal serait de rester un maximum dans les hauteurs, s'il en avait la possibilité.

Taliesin put aisément gagner les écuries en passant par les toits. Mais au moment où il allait pénétrer dans l'édifice, il perçut un mouvement juste au-dessus de lui. Ce n'était pas un son, cependant, quelque chose de beaucoup plus ténu, un déplacement d'air infime. Il parvint à se faufiler dans un recoin de la charpente, mais non sans avoir été touché par un être bien plus dangereux que le chien qu'il guettait : une chouette en maraude. Il était cependant en sécurité désormais, avec une douleur aiguë au dos. Une estafilade, heureusement, mais qui a son échelle, pouvait augurer du pire.
Sous lui, les palefreniers discutaient, cependant, et il aperçut, entre les poutres, les chevaux dans leur stalle. L'un d'entre eux était celui qu'il avait repéré près de la tente d'Almeron et Galathée. Il était donc effectivement au bon endroit. Mais la discussion des hommes d'écurie s'avéra sans rapport avec ce qui l'amenait : ils parlaient d'une petite servante que l'un des deux avait repérée et qui lui plaisait.

D'ordinaire, les bardes glanaient une foule d'informations utiles rien qu'en gardant les oreilles grandes ouvertes. Et bien, il fallait croire que ce ne serait pas le cas au cours de cette mission particulière... Cependant, il n'avait pas fait le déplacement pour rien, puisqu'il savait à présent ne pas s'être fourvoyé. L'étape suivante était de fouiller le fortin. Fouilles qu'il devrait opérer en se méfiant du chien, des chats, des rats, des rapaces, autant de créatures que l'odeur du sang attirerait, évidemment... Il fallait espérer qu'Almeron soit bien un barde et qu'il soit en mesure de le soigner lorsqu'il le rejoindrai enfin, sous peine de voir sa situation déjà difficile empirer encore...

Il se remit donc en route, quittant les écuries par une porte ouverte qui donnait d'abord sur la sellerie, ensuite sur un couloir qu'éclairaient des torches tremblotantes. De toute façon, il voyait dans le noir, explorer les recoins obscurs n'était donc pas un souci. Il perçut, fortes, des odeurs de nourriture sur sa droite. Sur sa gauche, le couloir se terminait abruptement par une porte de bois renforcé, close pour l'heure. Il y avait aussi un escalier qui semblait monter à l'étage, étroit, aux marches usées. Il allait falloir qu'il décide d'une stratégie dans son exploration, en usant peut-être des connaissances générales qu'il avait en matière d'architecture...

Faire le point.
A droite, les cuisines, où il finirait peut-être par faire un tour pour se sustenter. Mais dans l'immédiat... le devoir avant tout.
A gauche, une porte prometteuse, car en général, les geôles étaient situées au sous-sol, et comme il n'avait pas encore repéré de volée de marches descendant vers les profondeurs, il y avaient des chances qu'elle se situe au-delà de ce battant, malheureusement infranchissable pour l'heure.
Restait l'escalier montant. D'ordinaire, les seigneurs s'installaient dans les étages. Si Almeron comparaissait toujours devant le maître des lieux, il était possible qu'il se trouve dans ce secteur.
C'est donc par là qu'il se dirigea.

Il se faufila donc de marche en marche, jusqu'à atteindre un palier. Le sol était désormais couvert d'un tapis écarlate, moelleux, et Taliesin dut se cacher derrière un meuble pour laisser passer une paire de gardes qui bavardaient. Là encore, leur conversation traitait de l'intérêt de rajouter du persil dans le ragoût de chèvre, rien de bien passionnant (mais son estomac gargouilla de plus belle). Trois embrasures de porte plus loin, il tomba sur la grande salle. Décorée d'un feu ouvert crépitant et de têtes d'animaux empaillées, elle était d'un caricatural à pleurer. Une grosse peau d'ours recouvrait le sol devant la flambée, et les trois membres de la famille seigneuriale mangeaient dans un silence lugubre. L'homme avait la cinquantaine et une mine pincée. Son épouse semblait furieuse et enfournait son repas d'un air rageur. L'adolescente qui devait être leur fille avait manifestement pleuré. Nulle trace du barde demi-elfe.

Quelle ambiance, songea-t-il par devers lui.
S'étaient-ils disputés à cause d'Almeron ? Possible, même s'ils avaient pu se quereller pour bien d'autres motifs, à commencer par une frasque de la jeune fille. Quoi qu'il en soit, il n'en saurait rien : l'heure ne semblait pas à la conversation... Pour autant, il décida de s'attarder, dans l'intention de suivre le seigneur lorsque le repas serait terminé. Peut-être irait-il voir le tuteur de Galathée. Peut-être, simplement, s'entretiendrait-il avec l'un de ses hommes, révélant des informations utiles. Oui, Taliesin était têtu, et même si aucune conversation perçue jusqu'ici n'avait servi à quoi que ce soit, il ne désespérait pas.

Au bout d'un moment, les reniflements de la gamine énervèrent son père et la discussion reprit comme un coup de tonnerre.
" Ça suffit, maintenant ! Tu as ce que tu voulais, non ? Alors tu ravales ces larmes indignes !
— Harrow, je vous en prie, intervint son épouse, à la fois inquiète et scandalisée.
— Non, cette péronnelle doit comprendre ! On ne peut pas avoir le grain et la farine ! Si elle veut profiter de son statut, qu'elle en assume aussi le coût !"
L'adolescente lorgnait ses mains dans son giron, pétrifiée, les larmes roulant toujours sur ses joues.
" Qu'allons-nous faire ? demanda à nouveau son épouse.
— Je n'en sais rien, répondit le seigneur, rageur. Je trouverai."

En barde digne de ce nom, Taliesin ne manquait pas d'imagination, et le peu d'informations apprises suffit à mettre celle-ci en branle pour combler les non-dits et, ce faisant, échafauder une explication. Ainsi songea-t-il que l'adolescente, en mal de distraction, avait souhaité - exigé ? - la présence d'un barde au fortin, que son père avait sollicité Almeron avant de le faire embarquer de force après avoir essuyé un refus, et que sa fille, devant cette violence, regrettait amèrement son caprice. Tout cela semblait coller, paraissait à la fois cohérent et possible. Néanmoins, il fallait encore que ces conjectures soient confirmées...

La discussion ne se poursuivit pas car l'adolescente se leva brusquement et quitta la pièce en sanglotant. La dame du château poussa un soupir et jeta un coup d'oeil vers son mari, lequel paraissait excédé.
" Ne peut-on pas juste s'en débarrasser ? demanda-t-elle.
— S'en débarrasser ?! Vous voudriez qu'en plus d'être accusé d'enlèvement, je sois soupçonné de meurtre ? Vous plaisantez !?"

Ah, il l'avait bien su, qu'il finirait par surprendre une conversation intéressante ! Mieux encore, il n'avait pas dû attendre longtemps avant de voir ses hypothèses confirmées ! Toutefois, il ne devait pas crier victoire trop vite, car le plus dur restait à venir : localiser Almeron et, surtout, trouver un moyen pour qu'il quitte le fortin. Bien sûr, que le seigneur l'en laisse repartir de son propre chef n'était pas tout à fait impossible, mais quelque chose - son vieux pessimisme ? du réalisme, simplement ? - lui disait que cela ne serait pas aussi facile...

" Il y aurait bien une solution... Nous pourrions... laisser courir des rumeurs sur son compte...
— Des rumeurs ?! Voilà bien une arme de femme !
— Si on suggérait qu'il s'en était pris à la vertu de votre fille...
— Taisez-vous. Vous n'avez aucune idée du pouvoir de ce que vous proposez. Voulez-vous qu'Hidelgarde demeure vieille fille ? Faites donc courir le bruit qu'un ruffian l'a déflorée. Vous avez perdu la tête, Berthe."
Il se leva brusquement.
" J'aviserai. Je ne veux plus vous en entendre parler, à présent."

Comme l'avait laissé entendre la précédente remarque de la femme, comme venait de le confirmer la suivante, c'était peut-être davantage elle qu'il fallait craindre, plutôt que son époux. Non que ce celui-ci ait forcément meilleur fond mais, préoccupé avant tout par la respectabilité et les intérêts de sa famille, il rechignait à en venir à de préjudiciables extrémités. Pour l'instant, tout du moins.
S'en tenant à son plan, Taliesin entreprit de suivre l'homme, espérant, à nouveau, glaner de précieux indices. Il fallait croiser les doigts pour que son adorable moitié, en son absence, n'ourdisse point quelque acte répréhensible, mais puisqu'il était impossible d'être partout à la fois, puisqu'il fallait bien prendre une décsion...

Le seigneur des lieux remonta le couloir à grands pas et entra dans son bureau où il s'installa, près de l'âtre, et commença à compulser des documents avec nervosité. Au bout d'un moment, une servante lui apporta une coupe d'alcool et il lui demanda de faire venir un certain Marrick. L'homme survint quelques minutes plus tard. Il ne portait pas l'uniforme d'un garde mais Taliesin perçut une indéniable autorité émanant de lui, ainsi qu'une odeur étrange, qui lui hérissa le poil malgré lui, sans qu'il puisse exactement comprendre pourquoi.
Il s'assit face au seigneur sans avoir attendu sa permission.
" Tu as appris ?
— Oui, mon seigneur.
— Que proposes-tu ?
— Tiendra-t-il sa langue en échange de quelque rétribution ?
— C'est un barde, ne sois pas ridicule. Cette engeance ne sait pas garder un secret.
— Alors il n'y a pas trente-six solutions.
— Sauras-tu t'en charger ? Il faut qu'on le voie quitter cet endroit vivant.
— La montagne est traître en cette saison.
— Nous sommes bien d'accord."

Hum, il s'était mis le doigt dans l’œil jusqu'au coude.
Malgré ses réticences -purement égoïstes, entendons-nous bien -, le seigneur avait finalement opté pour l'assassinat.
Et maintenant, quoi ?
Rester à espionner, essayer d'en apprendre davantage sur cette funeste opération en préparation.
Et ensuite ?
Deux options.
Soit il quittait la ville pour rejoindre Galathée, l'informer tant bien que mal de la situation, l'encourager à suivre Almeron et Merrick quand ils sortiraient du bourg, le lendemain - heureusement, il n'y avait qu'une issue - puis la pousser à user de son arc pour éliminer les geôliers et libérer leur captif.
Soit demeurer ici cette nuit et tenter d'effrayer l'horrible maître des lieux, par exemple en traçant, avec ses petites pattes, un message lui promettant les pires tourments s'il ne renonçait pas à ses noirs desseins.
Mouais, deux pistes aussi hasardeuses l'une que l'autre. Malheureusement, il n'y avait pas d'autre solution...
Pouvait-on imaginer plus frustrant que sa situation ?
Oui : être un témoin privé de toute possibilité d'action. Or, ici, même s'il en avait peu, il en avait malgré tout
Il faudrait donc faire avec.

Mais les deux hommes n'en dirent pas davantage et se séparèrent. Le seigneur demeura dans son bureau, reprenant ses parchemins, manifestement un peu rasséréné, tandis que l'autre remontait le couloir, dans une direction que Taliesin ne pourrait connaître que s'il décidait de le suivre.

Et bien, il allait être fixé sur la question, car il avait la ferme intention de lui emboîter le pas.
De toute façon, à quoi bon demeurer ici alors que l'entrevue était terminée ? Le seigneur, en bon despote, n'était pas du genre à se salir les mains : non, il refilait le sale boulot à ses subordonnés puis, confiant dans leur efficacité, bien heureux de ne pas avoir à se mouiller davantage, il s'abstenait de suivre plus avant l'opération, la chassait même probablement de son esprit, en attendant qu'on lui confirme qu'elle avait abouti.
Bref, Taliesin se hâta à la suite de Merrick, abandonnant derrière lui l'homme à qui il aurait bien aimé rendre la monnaie de sa pièce, tout en sachant qu'il n'en avait pas les moyens.

Le Merrick en question descendit les escaliers et retourna au rez de chaussée, sans réaliser qu'une belette le suivait. Par contre, un gros chat gris le repéra tandis qu'il courait sur le tapis et il eut tout juste le temps de grimper sur une armure décorative pour éviter un coup de griffe.
" Je t'ai vu ! Je t'ai vu ! Je t'ai vu ! Je vais te manger, gros rat velu ! Dans mon estomac ventru, tu auras disparu ! Et moi je serai repu ! Je t'ai vu ! Descends, petit têtu ! Le chat t'a vu et te veut, résolu !" gloussa l'animal en bondissant au pied du chevalier de fer.
Merrick, lui, était entré dans une pièce dont il venait de fermer la porte avec soin.

Il avait faim, il était fatigué, sa blessure le faisait souffrir, les manigances du seigneur l'avaient mis en rogne, tout comme la frustration liée au manque de possibilités offertes par son enveloppe charnelle, et voilà qu'un énième bestiau venait lui pourrir l'existence.
Plus le temps passait, plus ce rêve-ci prenait des allures de cauchemar.
-Va voir ailleurs si j'y suis, messire mistigri, répartit-il du tac-au-tac. Va te chercher une souris, un rat, un canari. Et te faire cuire un œuf, aussi. Car pour ton information, je n'ai rien d'un raton, je ne serai pas ton gueuleton, et si tu gardes cette conviction, c'est que t'as un sacré problème de vision.

Le chat hérissa le poil de son dos et se mit à cracher.
" J'entends la belette ! J'entends la belette couiner ! L'hiver est là, mon gars, l'hiver est là, et tu le termineras dans l'estomac du chat."
Il frotta son gros dos poilu aux jambes inertes de l'armure, l'ébranlant tout entière.
" Je vais souffler sur ta tanière et elle va tomber par terre, dans la poussière ! "
Une servante surgit alors en bout de couloir et se pencha pour attraper le chat par la peau du cou.
" Qu'est-ce que tu fais encore ici, gros sac ? lui demanda-t-elle sans aménité. Les rats sont en cave !"
Malgré ses miaulements rageurs, elle l'entraîna jusqu'à la porte du fond, qu'elle ouvrit, et par laquelle elle le balança. Taliesin entendit une promesse de vengeance vociférée, avant que la jeune femme ne referme l'huis et s'éloigne.

-Nananère ! avait-il lancé avant que le matou ne soit hors de portée.
Pas très malin, me direz-vous. Et vous n'aurez pas tout à fait tort... Mais quand on est à bout, on ne pense plus forcément très droit.
Cependant, Taliesin s'efforça de respirer lentement, pour retrouver son calme et mettre de l'ordre dans ses pensées. Puis il quitta son perchoir pour s'approcher de la porte derrière laquelle avait disparu Merrick, espérant percevoir quelques sons... Ensuite, il devrait trencher entre aller retrouver Galathée ou tenter d'effrayer le maître des lieux. Choix cornélien s'il en était...

Au travers de la porte, il entendit des voix. L'ouïe extrêmement fine de la bestiole dont il avait revêtu l'apparence lui permit de comprendre ce qui se disait. Merrick parlait avec deux ou trois personnes différentes. Il leur expliqua que le lendemain, le barde que la garde avait ramené des montagnes serait libéré. Il faudrait l'intercepter dans la vallée suivante, près du Pont de la Cascade Rousse, et se débarrasser de son cadavre sous un éboulement ou dans une crevasse. Quelques minutes plus tard, la porte s'ouvrit et trois hommes sortirent, pour gagner immédiatement les écuries. Merrick demeura en arrière.

Un peu rasséréné - son écoute n'avait pas été vaine et il avait glané des renseignements plus que précieux -, Taliesin passa un long moment à hésiter, avant de finalement prendre une décision. Plutôt que de rester au château et d'essayer d'organiser des mises en scène d'autant plus hasardeuses qu'il n'avait guère de ressources à sa disposition, il allait retourner auprès de Galathée et tenter de lui faire comprendre la situation. S'il y parvenait, elle serait en mesure de guetter Ameron peu après la sortie de la ville et de le prévenir de ce qui l'attendait. Ensuite, il suffirait qu'elle et son mentor prennent un autre itinaire pour échapper à l'embuscade.

La belette fit donc le trajet de retour vers la montagne enneigée. Il lui fallut redoubler de prudence, car la chouette était toujours en chasse et elle venait, silencieuse, des hauteurs, à un endroit qu'il ne pouvait surveiller en se déplaçant. Il dut donc emprunter les corniches et les gouttières, s'agripper sous le rebord des fenêtres, tout en s'immobilisant parfois de longues minutes pour tenter de repérer la silhouette blanche du prédateur. Retraverser la ville lui prit ainsi près de deux heures. Il était de plus en plus affamé et son dos s'engourdissait. Il dégageait, de plus, une odeur de sang coagulé qui devait avertir bien d'autres animaux de sa proximité.
Il gagna les remparts, les traversa en dérangeant une colonie de cloportes assoupis, puis arriva dans la neige. Petite tache brune sur le tapis blanc, il était terriblement visible, mais il découvrit qu'il pouvait en réalité se creuser un tunnel sous la surface, pour gagner les hauteurs sans être vu de personne. Bien sûr, c'était fatiguant, et de surcroît, il rencontrait sans cesse des obstacles imprévus : cailloux, racines, creux dans la route défoncée.
Mais il parvint finalement à la petite grotte, épuisé et transi. Galathée, roulée en boule, dormait du sommeil du juste.

Heureux de voir qu'elle avait réussi à d'endormir - mais préférant ne pas songer au temps que cela lui avait pris -, désolé de devoir mettre un terme à son sommeil tout en sachant que ce serait nécessaire - sans quoi, il risquait de sombrer à son tour et de laisser passer toute chance de sauver Almeron -, il choisit pourtant de ne pas la déranger immédiatement. Non, il voulait d'abord faire taire son estomac qui, pour minuscule qu'il soit, n'en criait pas moins famine avec véhémence. Il se mit donc en quête de la besace qu'avait emportée la petite fille, décidé à la fouiller en quête d'un petit quelque chose à grignoter. Et, tandis qu'il se sustenterait, il s'efforcerait de songer aux images mentales les plus susceptibles de traduire ce qu'il avait appris.

La belette trouva de quoi se sustenter dans la besace. Si l'elfe avait été tenté par du fromage, son odeur le révulsa sous sa forme animale. Il dut se contenter de saucisson sec, mais cela lui ravit les papilles et il s'empiffra un moment avant de pouvoir passer à la suite de son programme. La difficulté principale était qu'il n'avait jamais vu ce fameux pont à la cascade rousse... il lui faudrait donc trouver un moyen d'évoquer ce lieu sans le connaître. Mais la petite fille s'était montrée réceptive à leurs communications, aussi y avait-il de l'espoir...

Après s'être sustenté, après avoir imaginé les visions qu'il souhaitait transmettre - et ce dans le moindre détail, jusqu'à les avoir aussi nettement à l'esprit que s'il s'agissait de souvenirs particulièrement vivaces -, il entreprit de réveiller Galathée, en lui mordillant doucement un doigt. Il espérait que cela suffirait et que celle qui deviendrait un jour sa compagne n'aurait pas de réaction trop vive, sans quoi, cela pourrait mal tourner pour lui... Alors, à tout hasard, il se tint prêt à se replier hors d'atteinte en quatrième vitesse.

La Couronne de Cuivre

[Ailleurs] Quête : Dix Petits Gosses