La Couronne de Cuivre

-Oh que non : je suis venu pour m'intégrer à la Communauté et l'aider de mon mieux, comme je m'y étais presque engagé avant d'être subitement attiré ailleurs. Sinon, je n'ai pas les gosses en horreur : nous avons des novices aussi, tu sais, et contrairement à Giovanni, je n'ai pas été payé par de grands seigneurs ou de riches bourgeois pour tirer le portrait de leurs augustes rejetons incapables de tenir en place plus de deux secondes...
Il lorgna un instant les jeunes barbares, revint à son ami.
-Albérich Megrall, tu m'offres une possibilité de te faire gagner du temps et de me rendre utile, et tu crois vraiment que je vais refuser ?
Il croisa les bras.
-Fais moi un topo : à nous deux, on en aura terminé dans dix minutes, et tu seras libre comme l'air.

Il le regarda en coin et manqua lui faire remarquer que, oui, le Thibault d'autrefois aurait trouvé une bonne excuse pour ne pas se salir les mains sur de petites barbares hirsutes et couverts de puces. Mais il s'abstint. Il avait du mal à réaliser que le Sunite était là, subitement arrivé de nulle part. L'idée qu'il ait pris sur lui de voler à son secours le mettait un peu mal à l'aise : il n'aimait pas cette image fragile qu'il avait renvoyé à ses amis. Dans le même temps, sans doute était-ce un reflet exact de sa situation d'hier. Elle était révolue. Il était à nouveau le clerc d'avant l'hiver passé. Il pouvait protéger — sauver — ceux qu'il aimait, lui aussi. C'était une relation d'équilibre beaucoup plus agréable.
" J'étais en train de procéder à un examen médical... Tu peux peut-être prendre note, tiens. Je te dicte ce que j'observe. Je parle leur langue, momentanément, alors autant en profiter."

Le Sunite l'observa à nouveau.
-Je ne peux qu'imaginer à quel point ça doit te faire du bien d'avoir retrouvé... le lien. SI tu en es d'accord, il faudra que tu me racontes comment c'est arrivé. Et quoi qu'il en soit, je suis heureux pour toi, Albérich. Vraiment heureux.
Il récupéra plume et parchemin.
-Nos guide nous ont enseigné quelques rudiments de leur langue. S'ils s'attardent ici, ils pourraient être de bons professeurs...
Il se tut et, durant les minutes qui suivirent, s'avéra un assistant aussi efficace qu'agréable, un sourire radieux illuminant en permanence son beau visage.

Quand ils en eurent terminé, Albérich entraîna Thibault vers la grande salle.
" Est-ce que je dois te présenter certaines personnes ? Tu as rencontré la plupart des gens avant de partir, je suppose. Pour l'instant, Marthe, Frida, Varamyr et Louis sont en vadrouille. Nous les avons envoyés, justement, nous chercher du renfort, quand la situation paraissait désespérée. Nous étions retranchés dans un des forts, que tu as dû voir en passant... A ce sujet... Nous avons un groupe qui doit encore se trouver dans ce coin-là. Tu ne les as pas vus ?"
L'absence d'Ezéchiel commençait à devenir presque inquiétante. Mais après tout, il était peut-être rentré pendant qu'il examinait les gosses.

-OH, dommage que Louis ne soit pas là, je l'aime plutôt bien... Et Étienne doit être sacrément inquiet à son sujet.
Pour le reste, Thibault n'avait pas croisé l'escouade d’Ézéchiel : ils étaient arrivés du nord-ouest, n'étaient donc pas passés par les forts mais les avaient aperçus dans le lointain. Cependant, Albérich vit ses craintes rapidement apaisés : sitôt qu'il pénétra dans la salle commune, on l'informa que l'expédition était rentrée quelques instants auparavant.

" Je ne crois pas qu'Etienne soit inquiet, dit Albérich. Nous sommes en contact quotidien avec eux, et tout va bien. Ils devraient être rentrés bientôt, je l'espère. Nous avons besoin d'un conseil au complet pour pouvoir avancer dans la mise en place du futur."
Il hésita à aller à la recherche d'Ezéchiel puis se ravisa. Il était responsable de l'intendance et du matériel, mais ses assistants géraient ça de main de maître. S'il restait dans la grande salle, on saurait où le trouver.
" Tu veux t'asseoir un moment ? Ou tu préfères t'installer d'abord ? Mais avant ça, dis-moi comment tu fais pour être à ce point... propre... après tant de journées passées dans le marais. Non. Ne dis rien. Tu conjures ton eau tous les matins et tous les soirs, bien sûr. J'ai oublié ce genre de facilités."

-Avant de me traiter d'être abominablement superficiel, souviens-toi que le rituel de prière des Sunites réclame de l'eau... D'ailleurs, j'espère que vous en avez, ici, et de la chaude, si possible.
Il jeta un regard autour de lui.
-En fait, je suis sûr que vous en avez : tout le monde est relativement propre !
-Thibault !
Quelques secondes plus tard, l'interpellé étreignait Giovanni.
-Sunie m'en soit témoin, il était temps que tu arrives ! fit le barde après qu'ils se soient salués. Tu sais qu'Albérich et son ami Hubert mènent une croisade contre mon Grand Projet ? Ils le trouvent indécent, scandaleux ! A les entendre, il faudrait que seul le visage des membres de la Communauté soit visible ! Et encore !
Le clerc rit puis jeta un regard en coin à Albérich.
-Cela ne m'étonne pas. Les Lathandrites sont sérieux, rigoristes et conservateurs. Tout particulièrement leurs paladins.

Albérich leva les yeux au ciel.
" Je devrais ajouter malhonnête à la longue liste des défauts sunites. Hubert et moi-même avons tous les deux accepté de poser pour ta fresque, Giovanni. Nous t'avons même dit que tu étais maître du moment où tu nous solliciterais. J'ai juste demandé un droit de véto sur la pose. Hubert a émis des réserves théoriques sans se dédire de son engagement. Mais curieusement, malgré notre offre, toujours rien ! Alors ne nous accuse pas. Nous sommes à ta disposition, l'un et l'autre."
Il se tourna vers Thibault.
" Et ne confonds pas les Lathandrites avec les Helmites, tu veux bien ? Sinon je serai obligé de te faire revoir ta théologie. Mais gaussez-vous donc. J'ai une équipe, moi aussi. Je n'ai pas peur de vos railleries."

Giovanni lâcha un soupir théâtral.
-Si je ne vous ai pas encore sollicités, c'est d'une part que vous êtes débordés et que je ne souhaite pas nuir aux progrès de la Communauté, d'autre part que je sens bien que le cœur n'y est pas. Et de toute façon, je dois attendre le vote de l'Assemblée.
Il se tourna vers Thibault.
-Ravi que tu sois à nouveau parmi nous. Je vais vous laisser, pour ne pas gâcher vos retrouvailles, mais j'espère bien te recroiser avant longtemps...
-Ne t'inquiète pas pour ça, voyons.
-Si ça peut encore plus te motiver, sache que je peux te montrer où sont les thermes et t'indiquer les heures où ils sont fréquentables.
-Plus il y a de monde, plus c'est sympa, non ?
-Hum, ça dépend quel monde...
Le clerc le regarda s'éloigner, sourire aux lèvres.
-Ah, je me sens déjà presque chez moi ! Et il y a des thermes, en plus ! Le bonheur total !

Albérich sourit également en regardant s'éloigner le barde. Il n'était pas vraiment inquiet de la douce folie qu'entendaient installer ces trublions : l'humeur des colons était fondamentale et s'ils pouvaient l'alléger, ma foi, c'était une bonne chose. Il était aussi heureux de voir Thibault avec un tel allant, une telle énergie. Bien sûr, il allait déjà beaucoup mieux quand ils s'étaient quittés sur le bord de la route, après la défaite de Noir Dessein et le réveil d'Aubin, mais le Luménien ne pourrait jamais oublier l'épisode de la falaise, et le moment où il avait dû user de toute sa verve pour convaincre le Sunite de ne pas sauter.
" Tu n'es pas rentré à Eredhun, alors ? J'avais l'espoir que tu... réintègres ton ancienne vie. Tu vas dire que je suis conservateur, à nouveau. Mais je trouvais les circonstances tellement... exceptionnelles. Enfin... J'imagine que ce projet te permet d'explorer tout autant ta foi en Sunie. Bien qu'elle m'ait l'air plus forte, elle aussi, que la dernière fois que nous nous sommes vus..."

-Bah, tu me connais : je suis d'un tempérament assez volcanique, j'ai tendance à passer d'un extrême à l'autre... La chose étant asses courante parmi mes paris, la situation s'est aplanie, au temple, et de manière plus générale à Eredhun. Néanmoins, j'avais besoin de changer d'air, d'être actif ailleurs qu'au sein d'un sanctuaire : de me relancer, en quelque sorte.
Son sourire se fit plus lumineux encore.
-Alors, tu imagines bien que cette expédition est tombée à point nommé, d'autant qu'elle semblait taillée sur mesure pour des Sunites : une cité merveilleuse à tirer de l'oubli, de splendides œuvres d'art à retrouver, de la lumière et de l'amour à apporter en cette sombre région... Et comme en plus, tu es de la partie... Non, décidément, je ne vais pas de sitôt revenir à mon ancienne vie !

" Je comprends. Je suis quand même heureux que les choses aient pu se régler à Eredhun. Au moins, si un jour tu désires y retourner, il te suffira de franchir la porte."
Il songea alors au Temple luménien. Il n'avait averti personne du retour de Lathandre dans sa vie. Peut-être était-ce quelque chose qu'il aurait dû faire. Pernille, au moins, méritait de le savoir : il l'imaginait bondissant en poussant des cris dans la nef de son sanctuaire sans se soucier, comme de coutume, de ce que ses fidèles pourraient en penser. Alaric, aussi, devait en être informé, mais la communication à distance permettait si peu de mots qu'Albérich craignait qu'au-delà de la joie que pourrait ressentir son aîné, il aurait peut-être aussi une impression de menace. Or, malgré ses regrets, Albérich n'avait pas l'intention de lui contester la tête de l'église. Peut-être un jour, dans dix ou vingt ans, son heure viendrait-elle à nouveau. Ou peut-être pas. Peut-être y avait-il une leçon à retenir, tout de même, de l'épisode sharite. Une leçon qui l'invitait à rester modeste et caché.
" Ton enthousiasme fait plaisir à voir, en tout cas."

-Il y a de quoi déborder d'enthousiasme ! Plongés comme vous l'êtes dans le quotidien, ayant dû affronter jour après jour les difficultés, vous ne vous en rendez peut-être plus vraiment compte mais, bigre ! Vous avez retrouvé l'une des légendaires cités perdues des Landes ! Une cité quasiment intacte malgré le passage des siècle, une cité qui abrite une infinité de merveilles !
Il poussa un soupir d'aise.
-Je suis heureux d'être ici, même si je culpabilise de ne pas avoir pu vous aider durant le voyage...
Il refit face à son ami.
-Mais, en parlant d'enthousiasme, tu n'as pas l'air d'en manquer, toi non plus, ce qui est des plus réconfortants... Vas-tu t'attarder un moment ? Penses-tu repartir dès que ce sera possible ? Ce serait dommage, mais je me doute que tu te languis de Luménis...

Albérich haussa les épaules.
" Je n'en sais rien, je dois dire. Tu m'aurais posé la question il y a six mois, je t'aurais dit oui... Aujourd'hui..."
Il secoua la tête.
" J'ai expérimenté ce qui peut se produire quand on est malvenu dans un endroit. Ce n'est pas une sensation agréable. Maelwedd est toujours là-bas et il n'a certainement pas envie de me céder son siège. Alaric est aubemestre et, de ce que j'en sais, il s'en sort bien. Même si je rentrais sans la moindre intention de leur ravir leur poste... Les gens ont des attentes. Certains ont des espoirs, d'autres des craintes... Je me retrouverais d'emblée au coeur d'un tourbillon de conflits, de tensions, d'enjeux que je ne connais même pas... Je n'en ai plus envie. Je n'ai pas l'âme torturée d'un comploteur, d'un arriviste. J'ai envie de marcher dans la lumière. Ici... je crois que je suis plus ou moins le bienvenu. Peut-être pas tellement mon côté clerc... Je verrai. Si à un moment, j'ai le sentiment d'être à l'étroit, de ne pas pouvoir servir Lathandre comme je le voudrais... Il faudra bien que je parte. Peut-être serai-je alors assez endurci pour me trouver une autre cité des Landes rien que pour moi... et je laisserai celle-ci à Sunie."
Il rit.
" Mais en fait, ce n'est pas une question facile. Je n'ai pas encore eu le temps de réfléchir à ce que je vais faire de ma vie, désormais. Elle me paraissait relativement... finie, je dois dire. Un nouveau départ, ce n'était pas prévu."

-Offrir un nouveau départ à ses membres, c'était pourtant le but premier de la Communauté. Ceci dit, je ne suis pas étonné que tu n'aies pas cru que cela fonctionnerait pour toi...
Il observa la salle qui, midi approchant, commençait à se remplir.
-Hum, désolé de revenir à des considérations plus immédiates, mais... Que c'est-il passé d'important depuis votre départ ? Les événements les plus marquants ? Je vais être amené à discuter avec pas mal de monde et je ne voudrais surtout pas mettre les pieds dans le plat à cause de mon ignorance...

" Bien sûr, tu as raison. Alors... Le trajet ne s'est pas trop mal déroulé dans un premier temps, jusqu'à ce que nous nous aventurions sur... le territoire, je suppose, d'un Seigneur des Tombes. Une sorte de liche, en réalité. La colonne a été attaquée par des vagues de squelettes, des corbeaux zombies, nous nous sommes bien défendus... Enfin, eux. Moi je n'ai rien fait du tout. Les sbires de la liche ont enlevé Alban, l'écuyer de Sire Robert, que tu as dû rencontrer dans la Trouée. Du coup, une équipe de sauvetage s'est mise en place... Ça a été à deux doigts, mais nous n'avons perdu personne et vaincu la liche. Au passage, nous avons récupéré un trésor faramineux, ce qui a contribué à améliorer l'humeur de Giovanni."
Il sourit, puis devint plus grave.
" Mais les choses ont mal tourné quand les cannibales ont eu vent de notre passage. Ils étaient très nombreux, nous avons dû aller nous réfugier dans le fort dont je te parlais tout à l'heure. Ils nous ont rattrapés avant qu'on y parvienne, malheureusement, et les soldats sont restés en arrière pour couvrir la fuite des civils. Nous avons perdu trois hommes, au cours de la charge qu'ont mené les cavaliers, ainsi que quelques mercenaires. Malheureusement, Sire Robert est tombé dans la mêlée, en secourant Louis, si j'ai bien compris ce qu'on m'a raconté. Il avait nommé Hubert second, donc il a repris les prérogatives du Loup Blanc, mais ça a fichu un sacré coup au moral de tout le monde, évidemment. En même temps, nous étions assiégés, il a fallu aller de l'avant..."

Le sourire du Sunite avait disparu.
-Oh merde... C'est vraiment moche... Le Loup Blanc était une légende, il avait pas mal morflé, et il commençait tout juste à remonter la pente quand j'ai croisé le chemin de la Communauté... Et tomber comme ça, si près du but... En plus, j'imagine que vous n'avez pas pu récupérer son corps...
Il secoua la tête.
-Merci de m'avoir prévenu, Albérich, parce que je n'aurais pas manqué de demander de ses nouvelles à un moment ou à un autre...

" Nous n'avons effectivement rien récupéré... Hubert avait des idées un peu folles, au début, mais je pense que ça lui a passé. Ce n'est pas sain, de toute façon, de caresser de tels espoirs."
Il soupira.
" Mais ça ne s'arrête pas là... Suite à la liche, Alban avait peur d'être infecté par une force maléfique. Hubert a détecté, avec son pouvoir de paladin, la présence d'une aura de cette nature dans notre communauté. Le conseil s'est déchiré sur la question de savoir si on pouvait, ou non, scruter l'intégralité des gens pour trouver la source de cette aura... Ce n'était pas Alban, j'ai oublié de le dire. Le conseil a voté contre. Je suis allé voir Barthélémy, nous avons usé d'une autre méthode, moins invasive... Bref. Il s'est révélé qu'Agnès et Ignace, je ne sais pas si tu les avais rencontrés, étaient respectivement une Loviate et une sorte de diable... Je ne sais pas de quel genre, je ne l'ai pas vu. Nous avons failli y laisser notre peau, Hubert et moi, Barthélémy, Alban et son amie Ruth, que tu rencontreras certainement très bientôt... Bref. Hubert les a tués tous les deux. Cela a aussi, tu peux imaginer, secoué la communauté. Ignace était notre intendant, il était formidable ! Et nous ne saurons sans doute jamais pourquoi il nous avait infiltrés."

Thibault le dévisagea avec des yeux ronds comme des soucoupes.
-Agnès, une Loviate ? Ignace, un diable ? Albérich, ça n'est pas gentil de te ficher de moi comme ça !
Il s'apprêtait déjà à rire, mais il se ravisa face à l'expression on ne peut plus sérieuse du Luménien.
-Le pire, c'est que tu ne te fiches même pas de moi...
Il grimaça, soupira.
-Le moins que l'on puisse dire, c'est que tu as su prendre les bonnes décisions. Et que ton garde du corps s'est avéré efficace, force est de le reconnaître...
Il esquissa un sourire.
-Et bien, avec tout ça, les bardes ont de quoi écrire une sacrée épopée ! Il manque juste un dragon, une hydre ou quelque autre créature du même acabit...

" Ce n'est pas fini. Et les bardes seront comblés. Même si nos bardes n'ont pas l'air très versés dans ce genre de choses, je dois bien l'avouer..."
Il sourit.
" Les cannibales ont fini par attaquer, évidemment. Ils torturaient des prisonniers nuit et jour, amplifiant leurs hurlements pour instiller la terreur dans notre groupe. Nous avons vécu dans les sous-sols, dont ils ignoraient l'existence. Et puis un jour la brume s'est levée... et ils ont attaqué. Je n'en ai pas vu grand chose, j'étais avec les gens, nous sommes partis dans les tunnels... Il y a un tunnel qui relie la cité à ces forts, ces Anciens pensaient à tout. Bref, seuls sont restés les soldats et les mercenaires. Ils ont été débordés. Je crois. Tu devras demander à ceux qui combattaient de te raconter : Gaspard ou Giovanni, ou Hubert, ce serait l'occasion pour vous de faire connaissance. Bref, l'hydre est arrivée. L'hydre, c'était moi."
Il scruta un moment le visage de Thibault.
" J'ai eu droit à un objet magique du trésor de la liche. C'est un phylactère de métamorphose. Alors voilà. J'en avais marre d'être relégué loin du front. Les soldats avaient besoin d'un coup de pouce et je pense que ça a un rien impressionné les cannibales... La bataille s'est renversée, et nous avons vaincu. Malheureusement, ce n'était que la première bataille, et nous avons perdu une douzaine de combattants."

-C'est beaucoup, c'est sûr, mais vu la multitude d'ennemis à laquelle vous étiez confrontés, ce lourd bilan paraît presque miraculeux... souffla-t-il, d'un ton machinal.
Il se tut, scrutant le Luménien. Puis, tout à coup, il s'inclina bien bas.
-Messire Albérhydre Megrall, je vous présente mes humbles respect pour les exploits mémorables que vous avez accomplis. Les dieux m'en soient témoin, c'est un honneur d'être votre ami.

" Arrête, dit le Luménien en riant. Je n'ai rien fait de spécial. N'importe qui avec ce phylactère peut se métamorphoser et faire la même chose. Je n'ai aucun mérite : tout revient à la magie et à l'hydre."
Il haussa les épaules.
" Mais courage, j'arrive au bout du récit. Les militaires ont décidé de leur porter le coup de grâce. Ils les ont pilonnés avec des engins de siège antiques, trouvés dans les forts. Malheureusement, les barbares ont décidé de se replier vers Clairétoile et les voir se perdre dans les rues nous a semblé être un risque trop important. Nous les avons contournés via les souterrains et attendus pour une embuscade. Les cavaliers ont attaqué, mais il restait des shamans dans leurs rangs. Moi, à nouveau, j'ai fait l'hydre, c'était efficace. La bataille a été très rude, beaucoup plus qu'anticipé, je pense. Mais une fois encore, nous avons prévalu. Et j'ai retrouvé Lathandre au moment opportun. Cela a permis de limiter les pertes, car nous n'avions pas de clerc."
Il sourit.
" Le reste, tu le constates de tes yeux. Etienne, qui était parti en éclaireur, nous a sécurisé cette forteresse, et désormais, nous commençons à nous y acclimater. Ce sera seulement la quatrième nuit, ce soir, que le gros de la communauté est arrivé. Donc, tu vois, tu n'as pas manqué grand chose !"

-C'est sûr que quatre batailles épiques, l'élimination d'une liche et d'un diable, la découverte d'un trésor fabuleux, les interventions salvatrices d'une hydre et tes retrouvailles avec Lathandre, ça n'est vraiment, vraiment pas grand chose...
Il le dévisagea, à nouveau.
-Et concernant ces retrouvailles... Qu'est-ce qui les a déclenchées ? Enfin, si ce n'est pas indiscret...

Albérich sourit.
" J'en avais besoin, je dirais. Et Lathandre a entendu ma supplique."
Hubert n'était pas très heureux d'être tombé, le clerc le savait bien, mais en même temps, toutes les personnes présentes ce soir-là connaissaient la petite histoire... Ça n'aurait pas eu beaucoup de sens de le cacher à Thibault : il l'aurait appris tôt ou tard.
" Au coeur de la bataille, Hubert a été mortellement blessé par le feu d'un shaman, puis par l'attaque des cannibales, une fois qu'il était tombé de cheval. Personne n'avait de sorts de soin assez puissants à disposition... Il agonisait... J'ai essayé de l'amener à se soigner lui-même, mais dans l'état dans lequel il était, inconscient... Bref, Lathandre ne voulait pas qu'il meure, et moi non plus. Donc nous avons renoué notre alliance. Et voilà."

-Oh...
Passée cette prime interjection, lâchée à mi-voix, Thibault demeura silencieux de longues secondes, la mine indéchiffrable.
-Et bien... Tu as dû vraiment t'attacher à lui pour que le voir en danger t'amène... a renouer le lien, reprit-il finalement, d'un ton hésitant. C'est chouette que tu te sois fait... un tel ami.
Il se racla la gorge, retrouva son sourire.
-Et, à nouveau, je suis ravi que tu aies retrouvé la flamme. Tu le méritais.

" C'est gentil. Je ne sais pas si je le méritais. Mais j'ai décidé d'en profiter pleinement, et de ne pas m'appesantir sur le passé et m'obscurcir l'esprit de mille questions. J'ai eu envie de lumière et Lathandre m'a jugé digne de retourner à lui. Le reste... Je vais me comporter en Lathandrite, et aller vers demain. Hier... Je ne renie pas ce qu'il s'est passé et il viendra sans doute un moment où je me poserai les questions qui s'imposent. Mais pour l'heure... J'ai juste le sentiment, profond, que ce n'est pas le moment. Nous sommes à l'aube de tant de choses ! La nuit peut nous attendre."
Il sourit.
" Mais sinon, c'est vrai qu'Hubert et moi partageons quelque chose. Nous nous sommes bien entendus quand nous travaillions ensemble à Solarcis... et il m'a été d'un grand secours quand j'ai dû quitter la ville. Oui, j'ai de la chance de pouvoir compter sur lui, et quelque part, je suis soulagé d'avoir pu lui rendre la pareille. Tu verras, il te ressemble un peu : il n'est pas toujours très réfléchi, lui non plus. Et il s'entend bien avec Giovanni. C'est donc qu'il n'est pas si rigoriste et conservateur que ça."

-Hum, je l'ai croisé tout à l'heure, et il ne m'a pas paru du genre particulièrement fantasque. De surcroit, pour émettre des réserves devant le grand projet de Giovanni, surtout en pareils lieux, il faut quand même être assez coinc... rigoriste.
Il haussa les épaules.
-Mais ce n'est pas très poli de parler des gens en leur absence, pas vrai ? Alors dis-moi : comme Marthe est absente, qui s'occupe de faire signer les contrats ? Mes amis et moi-même avons des parchemins à parapher...

" J'imagine que ça va être moi ou Etienne. Si tu attends un peu, il va sûrement arriver..."
Il jeta un regard circulaire sur la pièce. A sa connaissance, le chevalier n'avait pas quitté la forteresse le matin, occupé à ressusciter des gens...
" Ah oui, je ne t'ai pas dit... suite à tous les mouvements... les décès... Hubert est entré au conseil sur recommandation de Robert. Et Ezéchiel et moi-même suppléons à Frida et Marthe, respectivement. Nous n'avons pas remplacé Ignace et Agnès... Je pense que nous organiserons de nouvelles élections assez rapidement... Alors si tu as envie de transformer Clairétoile la vieille en Amour-la-Belle... Prépare ta campagne."

Le clerc éclata de rire.
-Alby, mon vieux, tu crois vraiment que j'ai démissionné de mon poste de grand prêtre du temple d'Eredhun pour devenir conseiller d'une cité ? Franchement !
Il retrouva son sérieux.
-Bon, après, si ne candidatent que des sérieux, que des pragmatiques, que des puritains, peut-être y réfléchirai-je. Mais je doute que ce soit le cas...

" Ah ça, mon ami... Si tu ne prends pas les choses à bras le corps, elles pourraient t'échapper. Personnellement, je trouve qu'Aube, ce serait un joli nom pour cette ville. C'est court, c'est simple, c'est élégant... Ça dit bien ce que ça veut dire. Tandis qu'Amour, excuse-moi, mais... c'est un peu sirupeux. Cité d'Amour. On dirait le nom d'une spécialité culinaire pleine de sucre."
Il sourit.
" Enfin, j'imagine que ce genre de choses est à ton goût."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue