La Couronne de Cuivre

Il s'assit près de lui, lui adressa un sourire puis se lança, en sylvestre.
-Tu l'auras compris, nous rentrons chez nous. Et donc, nous t'embarquons. Je sais que ce n'est pas ce qui était convenu à l'origine, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution pour toi et cela n'empêchera pas de chercher d'autres options si tu le souhaites, mais au moins, tu seras parmi des gens qui seront bienveillants à ton égard et t'accepteront tel que tu es. Et puis, même si notre ferme n'est pas dans un endroit aussi sauvage que la Vallée du Nirvana, ça reste la campagne.

Titus resta d'abord silencieux. Il paraissait peser ce qu'il allait dire, comme s'il hésitait sur sa première réponse.
" Ce sera un endroit avec beaucoup d'humains, alors ? Avec une maison avec des murs, et un toit, et des lits et une table avec des chaises ?"

-C'est une maison, oui, mais plutôt dans le genre de la demeure de Mona que de celle d'Amrod. Et outre les jumeaux qui sont des demi-elfes, il y a beaucoup d'humains, oui : mon épouse, notre ami Guilhem et encore cinq de ses sept enfants. Ce sont tous de chouettes gosses et je suis certain que tu t'entendras bien avec eux.
Il chercha ses mots, à son tour.
-Il te faudra vivre à l'humaine ou à l'elfique, c'est sûr. En tout cas en partie, car nous tiendrons compte de ta nature : si tu souhaites aller dormir dans notre bois, par exemple, on ne t'en empêchera pas. Et de toute façon, si cette solution devait ne pas te convenir, on en cherchera une autre.

Titus parut songeur, à nouveau.
" Ce n'est quand même pas rien, de me ramener avec toi. Tu as une compagne. Elle n'est pas au courant que j'existe. Je ne suis pas votre enfant. Je ne serai jamais vu comme un humain ou un elfe, et d'ailleurs je n'en suis pas un..."
Son regard se perdit un instant dans le vide.
" En même temps, je suis conscient que je suis trop petit pour être tout seul, je ne saurais même pas comment faire pour... vivre..."

-Mon épouse sait déjà que tu existes : Victor lui a parlé de toi dans la dernière lettre que nous lui avons envoyée. Comme elle me connait, elle sait déjà que je te ramènerai à la maison si je n'ai pas pu trouver de bonne solution pour toi. Et elle t'accueillera à bras ouverts, parce qu'elle a bon cœur, parce qu'elle saura, comme je l'ai su, que t'inviter sous notre toit était la chose à faire.
Il lui sourit à nouveau.
-Pour le reste... Tu sais, chez nous, on ne s'encombre pas de ces histoires de sang ou de race. Galathée est humaine, je suis elfe, nos jumeaux sont des demi-elfes ; Victor et Baptiste ne sont pas de notre sang et, me concernant, pas de ma race, ce qui ne nous empêche pas de les aimer comme nos propres enfants. Nous vivons par ailleurs avec une autre famille, avec laquelle nous ne partageons aucun lien de parenté. Qu'importe : Guilhem, c'est un peu un oncle pour mes enfants, ma femme et moi sommes un peu une tante et un oncle pour les siens ; et les mômes, eh bien, ils sont comme des cousins. Oh, je dois aussi te parler de Guéric, l'un de mes meilleurs amis, le parrain de Tristan : lui, c'est un halfelin.
Son sourire s'élargit.
-On a de l'affection les uns pour les autres : c'est tout ce qui compte. Le reste, on s'en moque. Alors ne te casse pas la tête avec ça.

Il eut un sourire.
" J'ai quand même des cornes et des pattes poilues avec des sabots. Ce n'est pas complètement la même chose que d'être un halfelin ou un elfe, murmura-t-il. Mais c'est gentil de ta part... de m'accueillir chez toi. Je sais que ce n'est pas l'idéal... et qu'Ainhoa t'a un peu... piégé, même si ce n'était pas fait exprès."
Il reporta son regard sur l'extérieur.
" Peut-être qu'un jour j'en rencontrerai d'autres comme moi. Des demis... Ce serait finalement le mieux. Mais ce n'est pas pressé. Je pense que je pourrai vivre dans ta ferme ou dans ton bois, et ne pas déranger."

Il réprima une grimace. Un demi vivant avec des demis... Chacun vivant avec ses semblables... Au final, on ne vivait plus ensemble : on vivait les uns à côté des autres, sans plus rien partager, sans plus rien échanger.
Non, décidément, pour confortable qu'il puisse paraître à certains, le communautarisme n'était vraiment pas un modèle de société recommandable, de son point de vue.
Mais il n'en dit rien.
[color=#FFFFF66]-Qu'est-ce que vous avez tous, à ne pas vouloir déranger ? Titus, tant que tu souhaiteras rester avec nous, notre demeure sera la tienne, tu y seras autant chez toi que nous tous. L'important, c'est que tu t'y sentes suffisamment à l'aise pour être toi-même, sans te contraindre ou que que ce soit d'autre.[/color]
Il garda le silence quelques instants, songeur.
-Après... La princesse Elwyn m'a parlé d'un établissement, dans la Lorien et plus précisément à Anarion, un établissement qui s'occupe d'enfants comme toi. Des demis issus de diverses races, je pense. Si tu le souhaites, un jour, je pourrai t'y emmener pour que tu puisses faire des rencontres.

Il sourit.
" On verra. Je vais aller dans la ferme, déjà, et... me poser un petit moment. Je suis un peu fatigué de tous ces voyages et ces mouvements. Je crois que j'aimerais bien... avoir un endroit où m'asseoir et savoir que demain, je pourrai encore m'asseoir là, sans qu'on me dise subitement qu'il faut partir, changer, bouger, fuir ou je ne sais quoi. Je sais qu'on a été bien reçus, partout... mais c'est quand même fatigant. Surtout quand on ne sait pas où on va."

Il opina du chef.
-Je comprends ce que tu veux dire. Mais donc, à présent... Tu sais où tu vas. Et tu sais que tu pourras y rester autant que tu le souhaiteras.
Il continuait à penser que les conditions ne seraient pas idéales pour lui, mais au regard de ce à quoi il aspirait dans l'immédiat, ce ne serait déjà pas si mal que cela.

" Merci." dit poliment le faune, avec un éternel petit sourire incertain.

La suite du trajet n'apporta pas grand chose de très remarquable. Les enfants redescendirent pour cheminer à côté du convoi de temps à autre, rarement plus d'un quart d'heure car si le rythme était lent, il n'en était pas moins soutenu. Celui qui avait le plus de facilité en la matière était Titus, mais il manqua s'égarer en fin de journée, et resta ensuite sagement dans le chariot. Baptiste fut le seul à rester tout le temps à l'intérieur. Marius et Victor ne sortaient qu'en duo et on entendait le bruit de leur cavalcade à travers la bâche. Enfin, alors que le soleil déclinait, les chariots ralentirent. Le visage de Kelvim apparut à nouveau à l'arrière de leur véhicule.
" Est-ce que vous préférez qu'on arrête votre chariot un peu à l'écart des autres, ou bien on vous place dans le cercle ? La région n'est pas franchement dangereuse mais... ça reste la Vallée du Nirvana... On n'est jamais sûr de rien..."

Si cela n'avait tenu qu'à lui, il serait resté avec le convoi. Mais en songeant à la timidité de Titus et... à l'étrange rythme de Marius, il se dit que la deuxième option était sans doute préférable.
-Pour votre tranquillité, je pense que c'est mieux si nous sommes un peu à l'écart : les enfants vont avoir besoin de se défouler et quand ils le font, ils ne passent pas inaperçus. Mais ne vous inquiétez pas : nous avons déjà campé dans la vallé, nous devrions donc nous en tirer.

" A votre guise, dit Kelvim. Je dirai aux sentinelles de garder un oeil dans votre direction."
Il repartit ensuite et Taliesin l'entendit échanger des directives avec leur cochère. La trajectoire de leur chariot s'incurva tandis que les autres poursuivaient un peu plus loin. Ils s'immobilisèrent sous la ramure de trois grands tilleuls, dans un vallon arboré, au bord d'une petite rivière.
" La rivière est pas profonde et y'a moyen de trouver des écrevisses sous les cailloux, expliqua la demi-orque à Victor, qui avait déjà retiré ses bottes. Pas de cochonneries dans mon chariot, c'est clair ? Pour faire pipi, y'a toute la place."
Puis, sur un salut bourru, elle entraîna les boeufs dételés vers le reste du convoi, à une cinquantaine de mètres en aval.

Il n'était guère étonnant que leurs compagnons de voyage sachent trouver de bons lieux de haltes : ils connaissaient parfaitement le trajet, après tout. N'en restait pas moins qu'entre les arbres, la rivière et l'espace, il y avait ici de quoi satisfaire tout le monde. Hormis peut-être Baptiste...
-Vois le bon côté des choses : si nous attrapons des écrevisses, tu auras un prétexte tout trouvé pour rejoindre l'autre camp et parler cuisine ! lui dit-il d'ailleurs, encourageant.

Baptiste le regarda un peu de travers.
" Je n'ai pas l'impression que la cuisine raffinée soit le fort des caravaniers." répondit-il avec une once de snobisme.
Victor était déjà dans la rivière, Marius sur les talons. Titus s'était assis au pied d'un tilleul, les mains dans la terre.
" Est-ce qu'on va dormir dans le chariot ou en dehors ? Et j'imagine que je devrais m'occuper du feu, pendant que les cervelles de moineau batifolent."

-Pour cette nuit, le choix est même plus large puisque nous pouvons soit dormir à la belle étoile, soit dans le chariot, soit sous la tente. Donc ce sera comme vous voudrez. Quant à ce qui va se passer maintenant...
Il lui sourit;
-Je peux me charger du feu pendant que tu vas aussi batifoler. L'exercice physique, c'est important, ne l'oublie pas. Et puis, tu n'as quand même pas envie d'être éternellement coulé par ton frère sans pouvoir lui rendre la pareille, si ?

" Elle a dit que la rivière était peu profonde : je vais juste me faire casser les dents. Et franchement, tu peux aller batifoler, toi, si c'est si important. Moi je suis très bien avec mon feu, merci. Tous les enfants n'ont pas besoin de courir en tous sens. Plus à mon âge, en tout cas. Je n'ai jamais été un excité."
Il se tourna vers Titus et le désigna du doigt.
" Lui non plus, d'ailleurs. Mais tu l'ennuies moins, j'ai l'impression."

" Pfff... dit Baptiste en allumant son feu d'un geste expert. Comment puis-je avoir l'esprit sain, alors que je suis contraint et bousculé ? En plus, honnêtement, la religion ça n'a jamais été ton fort. Esprit saint, esprit saint... Le niveau de spiritualité dans cette famille est proche du zéro absolu. Et en parlant d'esprit... Je croyais que tu étais censé faire quelque chose avec ton épée rouillée. Non ?"

-Confondre esprit sain et esprit saint, me reparler de l'épée... Jolie tentative pour noyer le poisson et tenter d'éviter de jouer les poissons. Mais sache, Baptiste, que veiller sur vous passe avant tout le reste.
Il sourit.
-Mais il n'empêche, allumer un feu est une excellente initiative : vous pourrez plus facilement vous sécher, ainsi.
L'épée, il la gardait à l'esprit. Mais il s'en chargerait plus tard, quand il n'aurait plus à les garder à l’œil.

" Je vais ramasser du bois, voilà un excellent exercice." dit le gamin en se levant.
Il paraissait tout à fait décidé à s'écarter de la rivière. On entendait vaguement des bruits d'éclaboussures provenant d'un peu plus loin, à l'endroit où Victor et Marius devaient pécher des écrevisses.

Victor et Marius revinrent avec deux écrevisses, une pour chacun. Les crustacés étaient toujours vivants et claquaient des pinces. Ils n'étaient pas très grands, non plus.
" Y'en a d'autres mais on n'a rien pour les mettre ! s'exclama Marius, déçu.
— Comment ça se tue ?" demanda Victor.
Baptiste reparut et déposa sa brassée de bois près du feu. Il avait profité de son escapade pour cueillir des herbes, évidemment.
" On les jette dans l'eau bouillante.
— Ah chouette." fit Victor avec une grimace.

-C'est un peu cruel mais c'est ainsi... Alors à vous de voir. On peut les garder pour le repas de ce soir, sachant que Baptiste devrait être ne mesure de les préparer, ou bien les relâcher.
Lui-même penchait plutôt pour la deuxième solution, d'autant que ces deux spécimens seraient loin d'être suffisants pour eux tous et qu'en trouver d'autres serait ardu.

Baptiste n'était pas du tout du même avis.
" Je vais vous trouver une bassine, ça vous permettra d'en mettre d'autres. Après, les ébouillanter, ça peut paraître cruel, mais si on y va d'un coup, c'est pas pire que de tordre le cou d'un lièvre. Alors à moins que vous n'ayez l'intention de vous mettre aux racines, comme Titus, autant faire face.
— Bien dit !" s'exclama Marius.
Baptiste sourit.
" Sire Amrod nous a donné amplement de quoi souper, cela dit, mais ça fera une bonne petite entrée du terroir. Et j'ai trouvé de l'ail sauvage. Ça va être délicieux."

-Soit, à votre guise.
Il sourit.
-Mais dans ce cas, tu vas devoir les aider à en ramener, Baptiste. Qui mieux que le cuisinier, pour choisir les éléments qui composeront son menu ? Et ça ne sera pas bien différent de la cueillette d'ail sauvage !

" C'est vrai, dit Baptiste. Tu t'occupes du feu, alors ? Je ne pense pas que Titus va pouvoir le faire. Mets de l'eau à chauffer, tu veux ? Et dans le chariot, les sacs estampillés "1" sont prévus pour aujourd'hui. Tu peux faire l'inventaire, mais j'aimerais autant que tu n'entames aucun préparatif sans t'en référer à l'expert — moi — d'abord."
Il lui décocha un clin d'oeil puis se mit en quête de la précieuse bassine promise aux pêcheurs.