La Couronne de Cuivre

Voilà qui avait fait tiquer la paladine, se demandant si elle aurait affaire avec le groupe mentionné et espérant que ce ne serait pas le cas : elle avait conscience d'être loin de faire le poids et assez démunie en cas d'affrontement seule en rase campagne. En plus et même si leur relation n'était que temporaire et certainement pas formelle, elle se sentait une responsabilité envers le jeune Quentin. Pour le reste, elle n'avait rien apprisde neuf concernant la clairière à la statue mais elle savait pouvoir compter sur la mémoire de ses co-religionnaires à son retour. Ou, dans le cas contraire, leur faire part d'une découverte digne d'intérêt.

Quentin ne fut pas long à jeter des regards en direction de la porte de la taverne.
-Alors, quel est votre programme pour l'après-midi ? s'enquit-il. De mon côté, même s'il s'avère finalement pertinent que je donne une représentation ici, ce dont je doute, ce ne sera pas avant ce soir. Donc voilà, à part me balader un peu...

La jeune femme n'attendait que cette ouverture pour émettre joyeusement une proposition mystérieuse à son jeune acolyte :

- Eh bien, par un temps aussi magnifique, j'aurais bien une idée pour occuper une partie de l'après-midi. En plus cela fait trop longtemps que je n'ai pas fait quelques exercices et c'est tentant de te proposer de me servir d'assistant. Rassures-toi, je pense que tu trouveras l'expérience assez amusante.

-Oh, vous savez, moi, je suis ravi de pouvoir vous rendre service. Enfin, du moment qu'il s'agit de travail, et non de loisir.
Il se leva.
-On y va ? Enfin, peut-être préférez-vous d'abord vous reposer, voire faire une sieste. Je comprendrais que vous en ayez besoin...
Le tout dit d'un ton dégagé, sans la moindre trace de l'espièglerie qui, pourtant, n'avait pu que motiver sa dernière remarque.

La jeune femme se leva aussitôt, un petit sourire compréhensif aux lèvres pour montrer que le sens de la remarque ne lui avait pas du tout échappé.

- Au contraire, je me sens parfaitement en forme et prête à me dégourdir ! Ce n'est pas bon de rester inactive trop longtemps et cela fait déjà bien des jours que je suis partie de la Commanderie. Donc, si tu es d'accord pour m'assister, je veux bien te montrer quelques exercices qu'on y pratique. Il va nous falloir quelques accessoires mais ils ne devraient pas être difficiles à dégoter.

-Très bien : allons-y, alors !
Et Quentin de la précéder hors de l'auberge.
Compte tenu de la taille réduite du village, en sortir prendrait moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire. Restait cependant à savoir si Chandara les dirigerait vers la plage ou opterait plutôt pour l'intérieur des terres.

Chandara opta d'emblée pour le bord de la plage et le bord de l'eau : par cette chaleur, il n'était pas du tout exclu d'ajouter des éclaboussures au programme ! Après tout, ils avaient déjà prévu de se baigner et l'activité physique pouvait les y encourager davantage. Sur le chemin, la paladine tenta de trouver de jeunes pousses d'arbustes pour les équiper de badines : le jeu qu'elle avait prévu était certes plus artistique que violent mais il simulait tout de même une situation de combat. La jeune femme chercha - quoique peut-être maladroitement de mettre à l'aise Quentin en lui demandant avec bienveillance :

- J'imagine que ton instructeur précédent ne t'a jamais montré de postures d'escrime, n'est-ce pas ?

Quentin se drapa ostensiblement dans sa dignité et répondit d'un ton exagérément docte.
-La plume est plus forte que l'épée. Ce dicton, les bardes l'ont fait leur, quoique beaucoup préfèrent la variante : la parole est plus forte que l'épée. Toutefois, face à certaines créatures sauvages ou à certains individus trop obtus pour comprendre un langage raisonné, force est de constater que... l'épée est plus indiquée que la parole. Par conséquent, les bardes savent user aussi bien de l'une que de l'autre, et mon maître m'a formé dans les deux disciplines.

Voilà qui était une bonne nouvelle car Chandara pensait ainsi que Quentin pourrait apprécier davantage les exercices qu'elle avait en tête. Elle prit néanmoins soin de le prévenir que les techniques enseignées par les Sunites - qu'elle ne maîtrisaient elle-même pas encore - étaient assez uniques et originales.

- Mais je me réjouis que tu aies des choses à me montrer également : apprendre est plus amusant quand c'est un échange. Et il n'est dit nulle part que s'entraîner doit être une corvée.

Elle continua à fouiller les alentours du regard à la recherche de noisettier souple ou même de jonc si c'était le genre de végétation qu'on pouvait trouver. De toute façon, n'importe quelle jeune pousse ferait l'affaire pour travailler leur jeu de jambe et leur placement : les techniques de son ordre ressemblaient à des danses pour les non initiés. Elles privilégiaient la rapidité et la fluidité à la force brute. Sans doute ne seraient-elle pas si différentes de ce que le jeune garçon avait pu déjà expérimenté.

-Mais si ça n'est pas une corvée, c'est un loisir. Et si c'est un loisir, c'est le mal.
Quentin se fit plus sérieux.
-Sinon, il ne faudrait pas que vous vous fassiez de fausses idées : je doute fort d'avoir quoi que ce soit à vous apprendre. Mon maître m'a montré les bases, c'est tout... Au cas où.
Chandara trouva peu après ce qu'elle cherchait. Ainsi qu'une portion de plage bien large, bien droite, parfaite pour les exercices.

Chandara chercha d'emblée à le tranquiliser en affirmant qu'elle n'avait elle-même eu que très peu d'occasion d'enseigner ses techniques d'autant qu'elle n'avait embrassé sa nouvelle foi que récemment.

- Et donc, tu m'apprendras beaucoup de choses même si tu n'en as pas conscience !

Elle repéra un endroit prometteur de sable durci au bord de l'eau qu'elle désigna à son jeune acolyte.

- Commençons par nous échauffer par quelques mouvements : il ne faut pas négliger la prudence par une telle chaleur ! Puis je te montrerai quelques postures.

-S'échauffer alors qu'il fait déjà si chaud ? plaisanta Quentin.
Mais il ne s'en exécuta pas moins.
Et bientôt, Chandara put voir la manière dont il se mettait en garde. C'était une position d'escrime classique, bien tenue et bien apprise par quelqu'un que l'on sentait à la fois appliqué mais manquant de pratique.

La paladine resta sur son idée : son style de combat sollicitait beaucoup les mucles comme les articulations aussi valait-il mieux s'assurer d'être bien détendu et dégourdi. Elle prit le soin d'apprécier la position appliquée du petit Quentin et la position de ses mains et vint se placer à ses côtés. Ensuite de quoi elle se mit dans une position bien moins classique : elle était plus aérienne, destinée à lui donner plus de souplesse et de mobilité. Elle fit lentement un mouvement de déplacement qui donna l'impression qu'elle glissait sur le sol puis fit signe au garçon de tenter de l'imiter.

Quentin fronça les sourcils, se demandant peut-être si c'était parce que sa position était mauvaise que Chandara lui demandait aussitôt d'en changer. Néanmoins, il s'exécuta. Et le fit sinon parfaitement, du moins plutôt correctement, signe qu'il avait, outre son application, un bon sens de l'observation. Ainsi que de la souplesse, bien sûr.

Chandara s'empressa de le rassurer et de l'encourager avec un sourire appréciateur :

- L'escrime Sunite est très certainement différente de ce que ton maître t'a enseigné mais je vois qu'il a fait l'essentiel : ta position est bonne et quelque-chose me dit que tu pourrais être un très bon danseur en plus d'un excellent musicien !

Elle reprit sa position initiale pour répéter le même mouvement mais enchaîna cette fois par une virevolte dans le sens inverse avant d'expliquer :

- On nous enseigne à ne pas prendre de coups - ce serait très mauvais pour notre allure ! - et à nous servir de la force et du déséquilibre de notre adversaire pour la retourner contre lui.

-D'accord, acquiesça-t-il.
Mais il s'abstint de tenter la moindre virevolte et reprit plutôt :
-J'imagine cependant qu'il faut bien maîtriser les bases élémentaires avant de passer à ce genre de techniques...

Peut-être était-elle allé bien trop vite en besogne au point d'intimider le garçon. La paladine crut bon de se justifier et de tenter de le rassurer :

- Tu apprendras vite si tu es d'accord pour que nous nous entraînions souvent ! Mais tu as raison, il y a quelques bases que tu pourras maîtriser plus facilement avant ces techniques.

Elle s'approcha d'un pas, se remit en position mais tendit cette fois sa main libre :

- Commençons par les déplacements, je vais te guider.

Quentin la fixa quelques instants puis afficha un demi-sourire.
-En vérité, vous ne vouliez pas que je vous aide pour quelques exercices : vous vouliez me donner un cours.
Il haussa les épaules.
-A votre guise.
Et de prendre la main tendue.

La jeune femme prit une teinte beaucoup plus colorée qu'à l'hébitude au niveau des joues mais ne confirma pas les soupçons de Quentin en saisissant sa main. Elle bafouilla sans grande conviction qu'elle suivait simplement une impulsion et avait besoin d'un partenaire pour ses exercices. Elle retrouva cependant rapidement sa contenance dès les premiers mouvements. Elle allait doucement et Quentin n'avait qu'à se laisser guider. C'était un peu comme le rythme d'une mélodie particulièrement fluide et naturelle. A la différence près que les notes et les paroles étaient des positions et des mouvements. Que la mélodie était une affaire d'équilibre et de chute perpétuelle.

Peut-être Quentin avait-il l'impression de s'être fait piéger. Et sans doute avait-il davantage celle de participer à une leçon de danse qu'à un entraînement martial. Quoi qu'il en soit, Chandara ne vit qu'un peu d'embarras peint sur ses traits. Et pour le reste, elle n'eut pas à se pleindre de lui : garçon bien élevé et élève appliqué, il s'efforça de faire au mieux ce qu'on attendait de lui et s'en tira tout à fait honorablement.

Chandara relâcha sa main à la fin des quelques mouvements qu'ils avaient effectués ensemble. Elle aussi se sentait soudain gênée de ne pas l'avoir prévenu de ce qui l'attendait - il ne pouvait qu'être surpris. Elle esquissa un sourire à la fois contrit et sincère :

- Il ne s'agissait que de tester ta souplesse pour cette fois. Et tu as sans aucun doute toutes les qualités requises : tu as le sens du rythme comme je le pensais, en bon musicien ! Mais ça doit de paraître très étrange comme technique. A moi aussi, au début.

Quentin la fixa un instant plus partit d'un rire joyeux.
-Allez, avouez que tout ça n'a rien d'un entraînement martial ! Avouez que vous aviez juste envie d'un partenaire pour un petit tour de danse sur la plage ! Ce qui est très sunite, si je puis me permettre.

La jeune femme se recula et croisa les bras pour toiser le garçon tout en arborant une mine tout à fait sérieuse - en tous cas en apparence.

- Que nenni mon jeune ami ! Ce n'était qu'un échauffement pour te mettre en jambe. Maintenant je vais pouvoir te montrer quelques esquives qu'il est bon de pratiquer à deux : il faut bien que nos badines nous servent !

Et de se mettre en position de défense.

- Je vais te laisser me porter quelques coups pour te montrer.

Quentin hésita puis secoua la tête.
-Je suis désolé mais je ne peux pas.
Il eut un sourire embarrassé.
-C'est discourtois d'attaquer une femme. Honteux, même.

Chandara secoua la tête, se retenant de rire pour ne pas risquer de vexer son jeune compagnon. Elle déclara avec le plus grand des sérieux :

- Je n'en attendais pas moins de toi, tu es un garçon très bien élevé ! Mais en l'occurence c'est pour m'aider à travailler mes esquives donc il faudrait faire une exception pour cette fois ! En plus, je suis certaine que tu feras attention.

Elle n'avait même pas terminé de parler que sans crier gare, avec une rapidité surprenante, Quentin se fendait d'un assaut par trop académique mais qui, grâce à l'effet de surprise, toucha la sa cible.
Et déjà, sourire mutin aux lèvres, il se remettait en garde.
-Les paladines, les guerrières, les barbares, les rôdeuses et toutes les autres femmes sachant se battre ne sont pas concernées par les principes susmentionnés, dit-il tranquillement.

Par hasard - ou peut-être l'avait-il voulu ainsi - le coup de badine cinglant porta sur l'arrière train de la paladine inattentive et celle-ci poussa une exclamation de surprise et dévisagea le garçon d'un air incrédule tout en protestant :

- Hey, c'est de la triche : c'était un truc de barde ça !

Quentin secoua la tête.
-De la triche ? Je dirais plutôt de l'habileté. Distraire l'adversaire afin qu'il baisse sa garde est une technique qui a fait ses preuves.
Large sourire.
-Chacun ses armes !

Chandara lui rendit son sourire franc et affable et se remit en position défensive, bien plus attentive qu'elle ne l'avait été précédemment :

- Je ne peux pas renier que ce soit Sunite d'utiliser de bonnes paroles et son charme pour prendre l'avantage. Mais je ne me laisserai pas distraire deux fois de suite alors remets-toi en position : ton attaque était bien portée, c'est exactement ce dont j'ai besoin pour m'entraîner et te montrer quelques petites esquives.

-Voire certains pas de danse, j'imagine.
Son sourire espiègle s'élargit. Mais déjà, il retrouvait son sérieux et entreprenait d'exécuter les consignes données. Dans les minutes qui suivirent, Chandara eut la confirmation qu'il avait bien appris ses leçons d'escrime, qu'il possédait les bases élémentaires, mais qu'il avait encore beaucoup de choses à apprendre, beaucoup de progrès à accomplir. Et qu'il semblait largement en mesure de le faire.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer