La Couronne de Cuivre

Grâce aux paroles de Malo, l'angoisse d'Angèle se calma quelque peu. Elle finit par sourire.

"Alors, je vous fais confiance."

La suite de l'aventure se profilait. Elle était impatiente de partir à la rencontre de la civilisation des Lunepierre.

Malo croqua à belles dents dans son sandwich improvisé avant d’ajouter sur le ton de la conversation :

- En montagne, les distances sont trompeuses : c’est une chance qu’il n’y ait pas encore de neige dans les vallées mais il faudra tout de même compter près de deux jours pour atteindre le bas de la montagne des LunePierre. Mais vous allez voir : le chemin est très agréable ! Est-ce que vous aimez pécher, Angèle ?

Encore deux jours ? Elle qui était impatiente de découvrir enfin l'endroit où s'était installée cette civilisation fascinante se sentit un tantinet déçue. Mais loin de le montrer, elle préféra s'intéresser à la question de Malo. Aimait-elle pêcher ? Et indéniablement, la réponse était.

"Je n'en ai eu que très rarement l'occasion mais c'était très agréable, je dois bien l'avouer. Au fil de l'eau sans se préoccuper de rien d'autre que votre bouchon de liège s'enfonçant dans l'eau ..."

C'était sûrement l'occasion de passer du temps avec Morgan. Il arrivait souvent que leur ligne ne soit plus qu'un prétexte et qu'elle devienne le cadet de leurs préoccupation. C'était, ce que Morgan appeler non sans ironie l'occasion de "faire pêcher" une paladine. Mais elle se garda bien d'en faire mention.

Ils finirent de déjeuner sans se presser avant d’entamer à nouveau leur route, Malo précisant qu’ils auraient atteint la première vallée en fin de matinée ce qui leur permettrait de comparer leurs techniques de pêche.

Alors qu’ils progressaient sur un petit sentier descendant le col par pallier, Malika approcha sa monture de la paladine et lui adressa un sourire avant d’entamer la conversation :

- Alors, comment trouvez-vous nos montagnes, Angèle ?

Angèle avait avoué qu'elle n'avait pas forcèment de technique mais qu'elle était curieuse de voir celle que Malo emploierait. Elle s'empressa de préciser qu'elle ne pratiquait pas cette activité assidûment car elle ne voulait pas qu'il se fasse une fausse idée des tyrites manostiens. Puis elle se concentra sur la descente, veillant à ce que sa monture ne se torde pas une jambe ni ne glisse.

Quand Malika s'approcha, elle lui sourit en retour avant de lui répondre.

"Je les trouve magnifiques. Beaucoup plus belles que je ne me l'imaginais. Je crois que je ne me lasserai jamais de les contempler. Ou peut-être, à force d'habitude. Si on s'habitue à cette vue un jour ..."

Le sourire de la jeune-femme s’élargit et elle ne tarda pas à répondre :

- Moi, je ne m’y habitue pas en tous cas : les montagnes sont à la fois immuables et sans cesse changeantes. C’est assez difficile à décrire : les montagnes sont familières, un peu comme vos étoiles, à Malo et vous, mais les saisons ont tout de même un effet sur elles qui fait qu’elles se colorent chaque jour de teintes différentes qu’on pourrait passer une vie à recenser.

Angèle écouta avec attention la jeune femme. Sa façon de décrire la montagne était pleine de poésie et elle en fut émue. Avait-elle parlé ainsi d'un élément qui lui tenait à coeur ? Jamais. Elle avait toujours privilégié l'exactitude et l'économie de mots. Elle s'en sentit presque triste. Mais elle parvint à sourire et dit tout doucement.

"Ce que vous décrivez est beau. Plus je les regarde et plus je me dis que les montagnes méritent bien un si bel hommage. En même temps, on peut dire qu'elles touchent presque les étoiles."

Un sourire rayonna sur le visage de la jeune-femme alors que cette pensée évoquait un souvenir :

- Vous ne croyiez pas si bien dire : quand on est tout là haut, il est facile de se croire au sommet du monde, juste sous les étoiles, surtout quand la terre disparait sous les nuages. Je crois que je me souviendrai toujours de la première fois où mon père m’a autorisé à l’accompagner dans une de ses expéditions sur les sommets !

Angèle eut un sourire. Certains avaient pour parents des helmites sédentaires, d'autres des aventuriers.

"Vous êtes donc partie à l'aventure très jeune ! Cela devait être fort passionnant. Et vous avez dû aller partout. Ce qui explique que vous êtes une aventurière aguerrie."

Malika partit d’un rire joyeux mais Angèle put également noter que ses joues avaient légèrement rosi d’une certaine fierté :

- Oh non, ce n’était pas du tout une aventure ! Juste une excursion : il n’y avait pas de monstre à combattre ou de trésors à découvrir. Et puis, il y avait un sentier balisé sur l’essentiel du trajet. C’est presque une initiation pour chaque montagnard que de monter contempler les sommets. Mais c’est toujours impressionnant pour une jeune-fille.

"J'imagine.", dit-elle avec un sourire.

Avant Malo, sa seule expédition avait manqué se terminer tragiquement à Cojum. Elle préféra ne pas en faire mention.

"Et comment avez-vous décidé de partir véritablement sur les routes ? J'imagine qu'on ne devient pas aventurier du jour au lendemain."

Malo avait pris le parti d’ouvrir la voie quelques mètres devant eux comme pour mieux leur laisser le loisir de discuter.

- Disons que j’étais une jeune étudiante à l’Académie qui suivait un des cours dispensé par un certain archéologue spécialisé en civilisation naine et que j’ai sauté sur l’occasion quand il a eu besoin de recruter quelques assistants pour une menue exploration. Inutile de vous dire que ça m’a beaucoup plu et que j’ai rempilé dès l’année suivante et l’obtention de mon diplôme.

Angèle ne mit pas longtemps à identifier le professeur. Elle regarda Malo du coin de l’œil afin de s'assurer que tout allait bien. Et peut-être aussi pour savoir s'il entendait quoi que ce soit de leur conversation.

"Alors, vous avez dû être à bonne école. Comme lui a eu de la chance que vous vous inscriviez à son cours."

Manost ne dispensait pas ce genre de programme. Le passé restait le passé.

Malo ne semblait pas rencontrer la moindre difficulté mais Angèle put se rendre compte qu’ils avaient déjà atteint la mi pente, signe que le temps passait vite en discutant avec Malika.

- Je peux vous avouer que j’étais une étudiante très assidue : les cours du professeur étaient très appréciés pour nous autres esprits aventureux. Et puis, un solitaire flamboyant comme lui faisait aussi tourner les têtes des jeunes-filles mais ne lui dites surtout pas cela !

"Comptez sur moi. Je resterai muette comme une carpe."

Elle s'imaginait fort bien que le professeur Maloran avec son charisme et son humour avait dû déclencher bon nombre de vocations. Un instant, elle se demanda si elle serait partie à l'aventure s'il avait été différent. Oui, sans aucun doute. Mais il était indéniable que ses manières d'être rendaient le voyage beaucoup plus agréable.

"Mais je vois très bien de quoi vous voulez parler. Malo est une personne fort atypique."

Et qui avait la même opinion d'elle. Mais elle garda cette pensée muette.

Le sourire de Malika s'élargit comme elle partageait l'avis de la paladine ou lui donner une interprétation plus forte que ce qu'elle avait exprimé.

- C'est certain que des professeurs qui n'hésitent pas à courir par le monde au mépris du danger, c'est plutôt une rareté dans ma discipline. Et même du côté des paladins, peu d'instructeurs véhiculaient autant de récits et de rumeurs que le professeur Maloran ! Mais peut-être que certains de vos instructeurs étaient comme lui ?

Elle secoua la tête avec un petit sourire.

"Non, je n'ai jamais rencontré aucune personne comme le professeur. Du moins, aucun aventurier. En revanche, j'ai toujours été impressionnée par une juge qui est devenue mon mentor. Une rumeur courrait qu'elle n'avait perdu aucun procès en tant qu'avocate. Lorsqu'elle est devenue juge, elle n'a pas changé, prenant toujours ses décisions avec le plus d'humanité possible. Elle voit au delà de la loi, faisant passer l'humain avant tout. Ce qui ne l'empêche pas de connaître les lois sur le bout des doigts. C'est elle qui m'a donné envie de persevérer dans mon domaine. Certes, elle n'est jamais partie à l'aventure, mais c'est une personne que j'admire. Et je pense qu'elle serait très surprise de me savoir ici."

La jeune-femme lui rendit son sourire avant de répondre d’un ton un peu rêveur :

- Je pense que l’on maîtrise vraiment sa discipline quand on parvient à la dépasser et le professeur n’y est sûrement pas pour rien. C’est peut-être aussi pour cela que vous vous entendez si bien tous les deux… Il y a tant de chercheurs taciturnes, pédants ou imbus de leur supériorité illusoire – et même parfois le tout à la fois – dans la profession : je crois que je ne pourrais pas travailler pour l’un d’entre eux après avoir travaillé pour Malo. Et ça fait une bonne raison pour veiller à ce qu’il ne lui arrive rien, pas vrai ?

Angèle hocha la tête.

"Malo est vraiment de ces personnes là. Avant de le connaître, je ne m'étais jamais imaginée vous suivant en montagne. Je ne sais pas comment il s'y prend mais il donne envie de le suivre. Même des gens très casaniers comme moi."

Et elle n'avait absolument rien d'une jeune étudiante admirative mais cela allait de soi.

La jeune-femme répondit cette fois avec légèreté mais en baissant tout de même la voix pour ne pas risquer d’être entendue par Malo qui faisait mine de ralentir pour les attendre un peu plus bas sur la pente :

- Angèle, vous pensez qu’il aurait un certain pouvoir surnaturel ? Je ne sais pas, comme une sorte d’aura ou de magnétisme ? Vous devez bien vous y connaître en tant que paladine, non ?

Le large sourire de Malika montrait bien qu’elle n’envisageait pas sérieusement cette hypothèse mais elle semblait tout de même curieuse de la réponse de la manostienne.

Angèle tenta de répondre le plus sérieusement possible même si le large sourire de Malika rendait l'opération difficilement possible.

"Honnêtement, je ne sais pas mais c'est fort possible. Peut-être découvrirons-nous bientôt que Malo est un paladin qui s'ignore. Ou peut-être est-il tout bêtement un céleste. Dans ce cas, il nous aurait bien eues. Mais c'est peut-être tout simplement sa manière d'être qui incite à le suivre."

Malika s’était pincé les lèvres pendant la tirade d’Angèle mais, quand cette dernière en eut terminé, elle ne put retenir davantage un bruyant éclat de rire qui fit se tourner Malo sur sa selle. Il regarda un instant dans leur direction avant de hausser sagement les épaules et de se concentrer à nouveau sur le chemin. Malika, quant à elle, attendit un peu avant de répondre tout bas mais d’un ton encore plus léger :

- Un paladin, j’en doute : il est bien trop aventureux mais un céleste… Oui, ça ferait sens. Tiens, on pourrait vérifier si vous l’appeliez « Mon ange » et qu’il se retourne !

Angèle réprima à grand peine un éclat de rire.

"Jamais je n'oserai l'appeler ainsi. A moins bien sûr que je fasse semblant d'avoir voulu prononcer quelque chose d'autre."

Elle se sentait détendue. Beaucoup plus que lorsqu'elle avait quitté Manost.

A nouveau, Malo tourna la tête en arborant un grand sourire mais se garda bien d'intervenir dans la conversation entre les deux jeunes femmes. Ils avaient atteint un replat ou le sentier s'était sensiblement élargi, incitant à relâcher un peu la vigilance. En outre, ils approchaient à un bon rythme du fond de la vallée où un large ruisseau s'écoulait bruyamment : le son portait jusqu'à eux grâce à un vent un peu frais mais si désagréable.

En dépit du vent frais, le cadre était idyllique. Le ruisseau, la montagne, tout appelait à une tranquillité relative. Angèle, perdue dans la beauté du paysage relâcha un tantinet sa vigilance. Peut-être était-ce là que Malo voulait comparer leur technique de pêche. Malheureusement pour elle, elle ne s'était jamais livrée à cet exercice en eaux-vives. Elle ne connaissait qu'un sempiternel lac perdu dans la campagne aux alentours de Manost.

Mais il n'était jamais trop tard pour apprendre.

Comme elle l'avait prédit, le professeur avait décidé de laisser souffler leurs montures une fois le bas du chemin atteint. Un coup d'œil en arrière avait de quoi donner un peu le vertige tant la pente qu'ils venaient de descendre semblait longue et escarpée. Mais le décor valait véritablement les efforts consentis : la végétation était couverte d'un léger givre, concession faite à la saison et à l'altitude de leur position mais le petit torrent était vivace, se frayant un chemin bondissant entre de gros rochers.

- Poursuivons encore un peu : il y a plus loin des endroits où le torrent s'élargit un peu : nous pourrons laisser boire les chevaux pendant que nous péchons notre dîner !

Et de les entraîner sur la berge du cours d'eau en tenant sa monture par la bride.

La pause tombait à point nommé. En descendant de cheval, elle ressentit les premiers assauts de douloureuses courbatures à travers une bonne partie de son corps. Elle avait une nouvelle fois été trop tendue. Et puis, il fallait bien qu'elle se l'avoue, elle n'avait plus vraiment l'âge requis pour les grandes randonnées à cheval. Mais elle se sentait bien. Il était merveilleux de pouvoir se consacrer à une activité saine et tranquille. Pas d'obligations, pas de soucis.

Marchant à coté de Malo, elle respirait un air bien différent que celui de Manost où elle avait parfois l'impression d'étouffer.

Malika s'était placée à l'arrière comme pour mieux les laisser cheminer côte à côte sur le chemin qui ne permettait pas de faire marcher trois chevaux de front. A leur droite, le fond du ruisseau était visible tant l'eau était claire et pure et Angèle ne tarda pas à apercevoir son premier poisson - une truite de belle taille - avant de remarquer que Malo ne regardait plus devant lui. Il était resté silencieux mais la paladine surprit un regard discret posé sur elle.

Angèle écarquilla les yeux, admirative. La truite était énorme. Quant à l'eau, elle était si pure qu'elle donnait presque envie de se baigner dedans. Elle perçut peu à peu le silence de Malo puis son regard posé sur elle. Peut-être voulait-il savoir si elle avait vu la truite. Ou attendait-il qu'elle parle, tout simplement.

Au début, elle fit semblant de ne pas l'avoir remarqué, s'intéressant à la rivière et aux éventuels autres poissons. Puis se rendant compte qu'il continuait lui rendit son regard avec un petit sourire.

"Cet endroit est vraiment magnifique."

Malo lui rendit un sourire rayonnant sans pour autant la quitter des yeux :

- Vous me rassurez : j'avais un peu peur que toute cette nature vous semble trop étrangère. Mais elle semble au contraire vous libérer de vos soucis et je m'en réjouis !

Malika leur passa devant en leur adressant un sourire au passage, déjà prête à poursuivre mais sans pour autant les inviter à se presser.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Cojum