La Couronne de Cuivre

Le gamin se mordit la lèvre.
-Je sais pas... Je crois que je vais pas arriver à dormir, même si je voulais. Tu avais mis des plantes dans la tisane hier, hein ? Celles qui faisaient dormir Taliesin ? Ben elles marchent plus là... Alors si c'est pour faire des cauchemars et avoir peur parce que je suis tout seul dans la chambre, je crois que je préfère encore me lever...
Avant qu'elle puisse ajouter quoi que ce soit, il rejetait les couvertures et, la mine décidée, se débarrassa de sa tunique. Il enfila ses chausses et tenta de les nouer. Mes ses doigts tremblaient et il finit par renoncer, rejetant les lacets avec colère.
-Tu veux bien m'aider ? souffla-t-il en levant les yeux sur la rôdeuse. Très pâle, il paraissait au bord des larmes, et l'éclair de détermination qui l'avait un instant animé n'était plus que lambeaux épars.

« Hé… » murmura-t-elle en s’approchant de lui.
Elle le dévisagea, posa une main sur sa joue, effaça les larmes qui menaçaient de couler.
« Ça va aller, tu sais. »
Dans un élan, l’enfant se jeta dans ses bras et éclata en sanglots douloureux, tandis qu’elle lui caressait la nuque. Elle le laissa pleurer quelques instants, le berçant doucement, puis, en le laissant accroché à son épaule, elle termina de lacer ses chausses et l’aida à se lever. Mais il ne relâcha pas son étreinte et elle finit par le soulever et le porter dans la pièce voisine. Il ne pleurait plus mais elle sentait qu’il tordait le tissu de ses vêtements, comme pour se cramponner et ne jamais la lâcher. Elle le déposa cependant sur le banc, et s'assit à côté de lui, passant un bras consolateur autour de ses épaules. Elle adressa ensuite un pauvre sourire à Taliesin.

Celui-ci acquiesça sans rien dire et poussa devant eux leurs bols emplis d'infusions fumantes. Galathée ne lui l'avait pas demandé, mais il avait pris sur lui de mettre du millepertuis dans celle de Victor. Pas autant qu'il en prenait lui même encore quelques temps plus tôt, mais assez tout de même, espérait-il, pour apaiser la détresse du gamin. Qui devait être encore immense, à en juger par sa mine défaite et par la manière dont il se cramponnait à la rôdeuse.
Jl leur tendit ensuite les dernières tranches du pain qu'ils avaient cuit, deux jour plus tôt, avec du blé sauvage ramassé dans quelque pré du voisinage. Il faudrait en refaire bientôt, de même qu'il faudrait reconstituer leurs réserves de baies et de fruits. Il y en avait encore suffisamment pour ce déjeuner, cependant.
L'elfe finit par prendre place lui-même sur le banc où les deux autres s'étaient serrés pour lui laisser de la place. Il n'osa rien dire, rien faire, et se contenta de manger en s'efforçant de garder un visage avenant. Ce qui n'était pas évident, compte tenu de la souffrance qui émanait de Victor et de l'inquiétude de Galathée.

Mais la rôdeuse aventura une main sur la cuisse de l’elfe et la serra doucement, pour le rasséréner. Ils mangèrent en silence, mais curieusement, petit à petit, elle se sentit mieux. Tant que Taliesin pouvait la soutenir, même par de simples gestes, tant que Victor entrait en interaction avec elle, même de manière larmoyante, elle se sentait capable d’avancer.
Lorsqu’ils eurent terminé, Taliesin se leva pour débarrasser et Galathée fit pivoter Victor jusqu’à l’avoir en face d’elle.
« Nous pensons aller au village un de ces jours. Ce n’est pas très loin, et nous avons des achats à y faire. Est-ce que c’est le genre d’expédition qui te tenterait ? Je sais que nous avons eu des problèmes à Fumeterre, mais les chances de tomber une seconde fois sur des gens malveillants est pratiquement nulle. Nous irons tous les trois, passerons une nuit sur place, puis reviendrons. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Le gamin ne répondit pas tout de suite. Il avait à peine mangé, mais bu sa tisane jusqu'au bout, et, lentement, le millepertuis faisait son effet. Pas encore assez, toutefois, pour qu'il bondisse d'enthousiasme à l'idée de l'expédition.
-Je veux bien. Si on reste ensemble. Mais peut-être pas aujourd'hui. Peut-être... quand je serai moins bizarre .Là, j'ai peur d'avoir peur de tout, d'avoir plein de trucs pas bien dans la tête à cause de ce qui s'est passé la dernière fois. Mais je veux bien qu'on y aille, oui.

« Très bien. » fit la rôdeuse en lui ébouriffant les cheveux.
Ils sortirent peu après et attaquèrent les activités du jour, Victor dans l’ombre de Galathée. Elle renonça donc à sa chasse habituelle et proposa à l’enfant de pêcher dans la rivière. Elle lui montra comment confectionner une ligne et un hameçon, comment s’installer au bord de l’eau et attendre. Victor s’exécuta sans broncher, les yeux toujours rougis. Mais au bout d’une petite heure, après avoir sorti un premier saumon de l’onde, il se lassa et commença à jeter des cailloux dans le courant, dispersant leurs proies potentielles. Galathée le laissa faire, soucieuse, pendant quelques minutes, avant de lui expliquer pourquoi il devait arrêter. Il la regarda, maussade, mais s’exécuta. Une seconde plus tard, il se blottissait contre elle, en larmes, se confondant en excuses. Il resta ainsi tapi dans ses bras pendant la majeure partie de la matinée, alors que la jeune femme sortait encore deux poissons de l’onde. Elle les rapporta vers la maison, les confiant à Taliesin qui avait trouvé à s’occuper dans la maison, puis entraîna Victor vers le four à pain. Cette fois, elle le mit à contribution de manière plus active et il l’aida à pétrir deux miches. Leurs estomacs gargouillaient bien avant qu’elles ne fussent dorées.
L’après-midi ne fut pas très différent. L’enfant suivait la rôdeuse comme une ombre, s’asseyait sur le sol près d’elle, ou l’aidait pour autant qu’elle lui donne des consignes précises. Elle ne savait pas si c’était le millepertuis qui agissait de la sorte sur son comportement, mais sa compagnie était oppressante, et elle se sentait constamment épiée. Si bien que lorsque la journée toucha enfin à son terme, qu’il se fut endormi avec une aide végétale bienvenue, la main crispée autour de celle de la jeune femme, cette dernière se traîna jusqu’à son lit et s’y endormit en quelques secondes à peine. Il faut dire qu’elle n’avait pas lésiné sur sa propre dose de valériane, cette fois.
S’il y avait une urgence nocturne, Taliesin y pallierait certainement.

Il n'y en eut pas, cependant, et Victor comme Galathée dormirent d'un sommeil sans rêves.
Mais il n'en alla pas de même pour Taliesin. Toute la journée, il avait éprouvé un malaise grandissant. Se jouait près de lui un drame auquel il ne pouvait prendre part. Eut-il sut quoi faire qu'il ne l'aurait pas osé ; Il n'avait aucune légitimité pour agir, et il en avait douloureusement conscience.
Le petit garçon l'ignorait purement et simplement, tout entier tourné vers Galathée dont il paraissait être devenu totalement dépendant. Lui qui jusqu'à présent s'était montré indépendant, pudique, prompt à se ménager sa part d'intimité, il semblait à présent incapable de rien faire sans l'aide de la rôdeuse, même les choses les plus simples du quotidien. Et la jeune femme devait lui consacrer tout son temps. L'elfe avait donc dû s'occuper comme il le pouvait, tentant de les aider malgré tout. Il avait préparé les repas, cherché du ravitaillement dans les alentours, travaillé dans le potager et sur le toit de la petite maison dont il avait enfin réussi à boucher le trou. Et lorsqu'il n'avait plus rien trouvé pour s'occuper, il s'était plongé, frénétique, dans la lecture de son livre de sorts. Ils se rendraient bientôt au village voisin, et il n'était pas question qu'une nouvelle mésaventure leur advienne. Ni la rôdeuse ni l'enfant ne le supporteraient sans doute. Alors, il apprit ses sortilèges avec acharnement, lisant et relisant les lignes de symboles cabalistiques jusqu'à la nausée.
Lorsqu'il gagna la chambre, Galathée dormait profondément. Il se pencha, déposa un baiser léger sur sa joue, puis s'étendit et demeura longuement éveillé, les yeux ouverts dans l'obscurité, avant d'enfin sombrer dans un sommeil agité.
Le lendemain ne fut guère plus heureux. Lorsque Galathée revint de la chambre de Victor en portant celui-ci dans ses bras, il paraissait encore plus mal en point que la veille. L'elfe eut un violent pincement au cœur en s'apercevant que l'enfant, pâle, les traits tirés, suçait fébrilement son pouce. Il se détourna avec l'impression que ce n'était pas un petit garçon de huit ans qui se cramponnait à l'épaule de la jeune femme, mais un gosse deux fois moins âgé.
Le petit déjeuner fut triste. Triste aussi la matinée et l'après-midi. Victor ne quittait pas Galathée d'une semelle. La jeune femme faisait face, prévenante, attentive, mais l'ancien barde la sentait tendue, fatiguée et, encore une fois, il ne put l'aider autrement qu'en la suppléant dans les activités du quotidien que la dépendance absolue du gamin lui interdisait. Cuisiner, biner le jardin, ramener des brassées de blé sauvage, de baies, de fruits de saison. Quand il se trouva à cours d'activité, il alla même jusqu'à récupérer, dans sa chambre, la chemise déchirée de Victor et y recousit les boutons qu'il alla chercher dans l'herbe haute, près de l'arbre où s'était joué, l'avant-veille, la scène sinistre dont il n'avait entendu que les échos.
Le soir arriva, lugubre, et ils mangèrent en silence, Comme de coutume, Taliesin était serré contre ses compagnons, sur le banc. Mais l'impossibilité dans laquelle il était de les soutenir semblait avoir dressé entre eux une muraille glacée, infranchissable. L'elfe sentait les ténèbres toutes proches, leur étau plus resserré que jamais. Il aurait bien, lui aussi, absorbé un peu de valériane ou de millepertuis. Toutefois, il se l'interdit, se tançant intérieurement avec virulence. Il devait veiller. C'était son rôle, aussi dur soit-il. Les choses finiraient bien par s'arranger. Il fallait l'espérer. Dans tous les cas, il n'avait pas le droit de se laisser abattre. Il devait à Galathée de tenir le coup. Et il le ferrait, quitte à serrer les dents, quitte à s'abîmer dans la lecture de ce maudit grimmoire jusqu'à en avoir les larmes aux yeux.

Une fois Victor couché, Galathée revint près de Taliesin et s’assit tout contre lui.
« Ça ne va pas mieux, mais ça n’empire plus. Après la régression, vient la progression. Il faut y croire. » souffla-t-elle avec un sourire doux, puis lui posa un baiser sur la joue.
« Je pense que nous devrions aller au village demain. Cela lui changera les idées. Et à toi, et à moi… »

L'elfe opina du chef et lui passa un bras autour des épaules.
-Si tu crois qu'il peut affronter ça sans paniquer ou je ne sais quoi... Je suis d'accord. D'autant qu'on a vraiment besoin de fournitures... De quoi couper du bois, de quoi varier un peu nos repas... Et puis, qui sait. Certains de nos voisins seront peut-être fort sympathiques. Un semblant de vie sociale, peut-être que cela aiderait le môme.

« On verra bien. Je pense qu’on ne risque pas grand chose… Juste qu’il se mette à hurler que nous sommes de vils kidnappeurs d'enfants en plein milieu de la place du village, peut-être. »
Elle sourit.
« Je pense que si nous vendons ma jument, nous aurons de quoi acheter ce qu’il nous manque. C’est une bête de qualité, il faut juste que nous trouvions un acquéreur. »
La jeune femme frissonna. Elle était étonnée de son propre détachement. Aller au village. Sans doute la valériane l’empêchait-elle de songer trop en détail à ce que cela signifiait. A ce que cela avait signifié la dernière fois…
Mais Reynald et son ami étaient bienveillants, eux.
Il faudrait qu’elle prenne de quoi s’armer. Sans avoir l’air belliqueuse. Un bâton suffirait. Taliesin serait là, et Victor… Tout irait bien.

Lorsqu'il la sentit frissonner, l'elfe resserra son étreinte et, du bout des doigts, lui frôla la joue.
-Tout ira bien, tu verras. Hélonna est une terre pacifique, de manière générale... Mais, comme on n'est jamais trop prudent, j'ai appris quelques sorts qui pourraient nous être utiles en cas de besoin. Cela n'a pas été simple, mais j'ai finalement réussi à me les mettre dans le crâne.
Il hocha la tête, soupira doucement.
-Je pourrais aussi vendre certains objets, si la jument ne suffit pas... Et si Victor ne supporte pas que tu t'éloignes pour travailler dans des fermes, je pourrais...
Il s'interrompit. L'idée de reprendre osn métier de barde le terrifiait, mais il le ferait, si la nécessité l'imposait. Il leur devait bien ça.
-Je pourrais toujours louer mes services à l'auberge, s'ils en ont une. Cela t'éviterait de devoir t'éloigner de la maison.

« Nous nous en sortirons. Il va bien falloir que Victor accepte que je suis une entité distincte de lui… Ce n’est qu’un moment difficile… et c’est peut-être dû au millepertuis. Je ne sais pas encore ce que je crains le plus : des affres dépressifs ou cette manie de marcher dans mon ombre. Nous aviserons après le village. Honnêtement, la jument devrait suffire pour tes outils, des vêtements, une chèvre et quelques poules. Et à mon avis, il nous restera de quoi improviser… »
Elle se tourna vers lui, lui toucha le visage.
« Mais merci d’avoir pensé… Je sais que c’est irrationnel, mais je ne peux pas m’empêcher… Je serai plus tranquille de te savoir là. »
Elle ferma les yeux et secoua la tête.
« Je ne suis pourtant pas complètement sans ressources… Mais… »
Elle se mordit la lèvre une seconde, soupira, puis sourit.
« Ce n’est qu’un village. Des gens. Tout ira bien. »

Il lui prit la main.
-Oui, tout ira bien. Dans le meilleur des cas, nous serons bien accueillis et en viendrons peut-être à côtoyer certains habitants. Dans le pire, on nous traitera en étrangers et nous nous contenterons d'avoir des rapports minimaux avec le village. Il n'y a vraiment guère de risques que les choses tournent plus mal.
Il se perdit un instant dans la contemplation du feu crépitant dans l'âtre, puis revint à la jeune femme.
-Et pour Victor... Si tu penses que je peux faire quoi que ce soit, n'hésite pas à ma le demander. Pour Victor ou pour n'importe quoi d'autre. J'essaie de faire mon possible mais... Je ne sais pas toujour comment agir.

« Ce que tu fais est déjà très bien. Mais tu ne dois pas t’effacer sous prétexte que Victor n’est pas dans son assiette. Tu fais partie de notre maisonnée, tu dois y prendre la place qui te revient. Nous pouvons le ménager, un peu… Mais nous ne devons pas articuler notre existence autour de son trouble. Ça ne l’aiderait en rien. »
Elle se leva et lui toucha l’épaule.
« Je vais aller me coucher. Nous devrons partir tôt et peut-être dormir sur place. »

-Je te rejoins dans un instant, murmura-t-il en lui frôlant l'épaule.
Il se leva à son tour, prépara le feu pour qu'il tienne toute la nuit - toujours pour la lumière, pas pour la chaleur - et rejoignit la jeune femme dans la chambre. Il s'étendit tout à côté d'elle et, doucement, lui prit la main. Il la sentait troublée, inquiète pour leur expédition du lendemain, et il s'efforça, dans son simple geste, de lui apporter un peu de réconfort. Elle s'endormit bientôt, assommée tant par les tracas que par la valériane dont, il le savait, elle avait pris une bonne dose. Lui-même, épuisé par ses propres ténèbres, ne tarda guère à sombrer dans les limbes. Des limbes chaotiques, peuplées de cris, de visages torturés... Mais aucun ne fut assez fort pour l'éveiller.

Galathée passa une nuit agitée, s’éveillant régulièrement, en sueurs. Une fois, elle se trouva tellement désorientée qu’elle ne reconnut pas la forme allongée près d’elle et fut prise d’une profonde angoisse qui lui arracha un gémissement. Heureusement, la mémoire lui revint rapidement et elle se recoucha, frémissante. Elle ne parvint cependant pas à retourner dans les bras de l’elfe et resta emmitouflée dans sa couverture, hors de portée.

A l’aube, elle se leva avant les autres, s’habilla rapidement, et se rendit à l’enclos des chevaux pour inspecter la jument. C’était une manière bénigne de s’occuper l’esprit avant le départ pour la civilisation et elle retrouva un semblant de sérénité en posant des gestes simples. L’animal était en pleine forme, mais se montra peu enthousiaste lorsque Galathée l’avertit de l’objectif du voyage. La rôdeuse tenta de la rassurer et lui promit de ne pas la céder à n’importe qui.

Elle gagna ensuite l’intérieur de la petite écurie pour préparer les harnachements, avant de retourner vers la petite maison où ses compagnons devaient être en train d’émerger.

Lorsqu'elle entra dans la pièce, l'eau était déjà en train de frémir dans leur marmite. Taliesin, comme il le faisait chaque matin depuis que les événements avaient pris un tour sinistrement nouveau, était affairé à préparer le petit déjeuner. De Victor, aucune trace, ce qui n'étonna pas Galathée : il semblait incapable de sortir de sa chambre si elle ne venait pas le chercher.
Quaqnd il la vit, l'elfe déposa le pain dans lequel il taillait de larges tranches et se leva du banc. Il la dévisagea un instant, la mine soucieuse.
-Tu m'as l'air épuisée... dit-il sur un ton prévenant. Tu as réussi à dormir un peu, au moins ?

« Un peu. » fit-elle avec un maigre sourire, et elle posa une main fraîche sur celle de l’elfe avant d’aller au devant de Victor.
A nouveau, elle se secoua doucement en murmurant son nom, jusqu’à ce qu’il papillonne des yeux et pose un regard embrumé sur elle.
« Bonjour jeune homme. » dit-elle. « Il faut se lever, nous avons un périple à entreprendre… »

Victor lui adressa un sourire vaillant qui se transforma en grimace à l'évocation de l'expédition. Il parut hésiter à s'enfouir sous ses couvertures mais y renonça, sachant très bien que la rôdeuse ne le permettrait pas. Il s'assit donc sur sa couche, la mine plus inquiète que contrariée, mais n'esquissa pas d'autre mouvement, comme si sa volonté était déjà épuisée.
-On peut pas envoyer Taliesin au village avant qu'on y aile nous ? murmura-t-il. Pour vouir s'ils sont gentils ?

« Nous sommes préparés cette fois-ci. Il n’y a pas de raison que les choses se passent mal. Je serai sur mes gardes. Tu seras sur tes gardes. Taliesin a même préparé des sortilèges au cas où. Nous serons plus forts tous ensemble. Et il ne se passera rien, j’en suis certaine. »
Elle lui toucha le front.
« Tu verras, nous serons bien accueillis. Tu rencontreras peut-être même des enfants de ton âge. »

Il acquiesça sans rien dire et demeura assis, immobile, les doigts jouant dans la fourure de la pelisse qui lui servait de matelas. Il finit par soupirer.
-Ils vont me trouver bizarre... murmura-t-il. Et ils me poseront des questions. Qu'est-ce que je dois leur dire ? Je veux pas refaire une bêtise en parlant trop, mais... Mais ils vont me demander des trucs. Ou alors je leur parle pas, comme ça, ils me trouveront encore plus bizarre mais je ferai rien de mal.

« Je ne pense pas qu’ils te poseront de questions. Les adultes en posent. »
Elle sourit, embarrassée, et se passa une main sur le visage.
« De toute façon, nous n’allons pas rester longtemps cette fois-ci. Nous allons juste voir. Et si tu dois vraiment dire quelque chose… Tu n’es pas obligé d’inventer, ni de toute raconter. Nous sommes des réfugiés luméniens. Ce qui est vrai. »

-D'accord, murmura-t-il.
Il tendit la main, attira près de lui ses vêtements mais s'immobilisa à nouveau. Comme s'il désirait à tout prix retarder son entrée effective dans le fil des événements qui marquerait les deux jours à venir.
-On va dormir à l'auberge, c'est ça ? reprit-il. Alors... faut que tu prennes des trucs pour me faire bien dormir et pas que j'ai d'accident. Parce que sinon... Il frissonna. Ça c’est pas très bien passé la dernière fois que j'étais dans une auberge. Pas très bien du tout.

« Les circonstances étaient tout à fait différentes, Victor. Et Taliesin est désolé de la manière dont il a réagi, tu le sais. Je serai là, de toute façon. Tu n’auras probablement pas d’accident. Et si tu en as un… Ce n’est vraiment, vraiment pas la fin du monde. Si tu veux, je dirai que c’est moi. »
Elle se releva.
« Allez, à présent, debout ! »

Le gamin se mit sur ses pieds à contrecœur et jeta un regard circulaire sur sa chambre. Le chat, roulé en boule sur une couverture, lui fournit une nouvelle occasion de temporiser.
-Il faudra laisser de la nourriture pour le chat, dit-il. Je suis pas sûr qu'il aime bien faire du cheval, et ici il pourra surveiller que personne vienne. Mais il est pas très bon encore pour chasser des souris. Mais une fois je l'ai vu sauter après une mouche.

« Nous laisserons de la nourriture pour le chat, oui. Ne t’inquiète pas pour ça. » fit-elle, impressionnée par les détours qu’il tentait d’emprunter pour retarder le départ.
Pourtant, c’était elle qui aurait dû freiner des quatre fers.
« Victor. Ecoute. Moi je n’ai pas peur, malgré ce qui m’est arrivé à Fumeterre. Tu ne devrais pas t’inquiéter non plus. Tout ira bien. »

Le gamin la dévisagea, esquissa une grimace coupable et vint se serrer contre elle.
-Je t'aide pas beaucoup, hein ? murmura-t-il. Je te demande pardon. Je vais faire un effort. Je vais essayer. Ça se passera bien et j'éviterai de trop me plaindre ou de faire des bêtises. Mais tu resteras près de moi tout le temps, hein ? Si tu es près de moi, je crois que ça ira bien.

« Je ne te quitterai pas d’une semelle. Mais maintenant, je vais te laisser t’habiller, aller prendre mon petit déjeuner et préparer les chevaux. Rejoins moi dehors quand tu es prêt. Et veille à bien manger. Le village n’est pas loin, mais pas si près non plus. »
Elle alla jusqu’à la porte.
« Et ne t’inquiète de rien. Si je n’étais pas dans mon assiette, je compterais aussi sur toi. C’est normal. C’est ce que font les gens qui s’aiment. »
Puis elle sortit, le laissant avec sa chemise et ses chausses, qu’il lacerait, elle espérait, sans difficultés.

Qu'il ait éprouvé des difficultés à s'habiller ou non, Victor parut sur le seuil une demie heure plus tard., alors que Galathée sortait les chevaux de l'écurie, harnachés et sellés. Taliesin ne tarda guère à les rejoindre. Il avait éteint le feu et portait leurs affaires, arcs et carquois compris. Il espérait que cela ne leur donnerait pas une allure trop belliqueuse, mais au moins les armes tiendraient-elles en respect d'éventuelles personnes mal intentionnées; Et puis, les habitants en se formaliseraient sans doute pas : un arc servait avant tout à chasser, par ces contrées sauvages.
Moins de dix minutes plus tard, ils étaient en route. Victor avait hésité a enfourcher sa jument. Il aurait sans doute préféré partager celle de Galathée, mais il n'avait pas osé le lui demander et s'était finalement mis en selle, moins à l'aise que jamais sur le grand animal.
Sans beaucoup parler, ils longèrent la rivière dans la direction qu'avait indiquée la rôdeuse. Il faisait beau, la nature autour d'eux resplendissait, sereine, et Taliesin prit sur lui pour se montrer jovial et enthousiaste. En réalité, il se perdait en vœux muets pour que leur voyage se déroule sans incidents. Si les habitants se montraient accueillants, si tout se passait bien, peut-être cela marquerait-il enfin une évolution, pour eux trois. Il n'était guère optimiste, toutefois...

Ils quittèrent les bois en milieu de matinée, regagnant les espaces ouverts de la prairie. La bourgade s’étendait au cœur des prés, petit amas de maisons jaunes, aussi anodine que l’avait été Fumeterre. Là aussi, une rivière tranquille baignait le village, moins large que dans le funeste hameau qu’ils avaient traversé plus tôt. Avant d’y parvenir, ils croisèrent les chemins bien tracés de plusieurs fermes cossues dont les terres fourmillaient de bétail : vaches, moutons, chevaux parfois, porcs et volailles. Bien que l’appréhension lui noue les entrailles un peu plus à chaque pas, Galathée réalisait qu’il y avait là matière à travailler, à s’intégrer, et en dépit de la chaleur, elle se mit à songer aux Vaux, à la place qu’elle avait occupée jadis dans sa communauté rurale. Une vie tellement simple, rythmée par les bêtes et les saisons. Regardant Taliesin de biais, elle devinait q’il ne pourrait jamais se faire à une telle existence. En même temps, c’était un elfe. Il avait bien des vies humaines devant lui, encore des siècles… Sa prise sur le temps devait être complètement différente de la sienne, un an ne rien représenter, dix ans une once d’expérience, vingt un instant, quarante un moment. Elle secoua la tête et reporta le regard sur l’horizon et les demeures humaines, de plus en plus proches. Se projeter dans le futur était inutile. Pour l’heure, chacun d’entre eux avait besoin d’un refuge pour se reconstruire, au delà, leurs routes se sépareraient certainement à nouveau. Il ne fallait pas se leurrer. Ils n’appartenaient pas à la même chanson.

Ils traversèrent un foirail avant d’entrer dans la rue principale. Des stalles en bois, usées par le vent, le soleil et la pluie, trônaient dans une herbe rase et jaunie, signe que des rassemblements d’animaux s’y déroulaient régulièrement. La jeune femme laissa courir son regard sur la vaste esplanade déserte, et fermant les yeux une seconde, y devina le tumulte des jours de marché, lorsque les bêtes et leurs propriétaires se pressaient entre les barrières. Curieusement, retrouvant des décors familiers, elle commença à se sentir vaguement gênée, comme si elle était responsable de ce qui les entourait. C’était son monde, modeste et fruste, ailleurs mais tellement semblable. Et l’opinion que s’en forgeraient Victor et Taliesin l’inquiétait malgré elle. Elle se morigéna et chassa ses angoisses futiles. Elle ne connaissait même pas le nom du village.

Vers midi, ils pénétrèrent enfin dans le village. Quelques personnes les regardèrent passer, intéressées mais sans hostilité. Galathée aperçut avec soulagement deux femmes et quelques enfants, dont une petite fille. Un peu plus loin, l’artère s’élargissait sur un semblant de place, au centre de laquelle poussait un vieux tilleul. Derrière l’arbre se trouvait une petite auberge à la façade colorée, dont l’enseigne de bois peint grinçait dans la brise. Un camelot avait déballé sa marchandise sur un étal à proximité et une odeur délicieuse de pain chaud et de viande grillée flottait dans l’air, parlant d’emblée aux estomacs des voyageurs.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Par monts et par vaux

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Re : Par monts et par vaux

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