La Couronne de Cuivre

Le château, baigné dans le silence et l’obscurité, dégageait une atmosphère angoissante. En route vers l’entrée présumée de la cave, les enfants se sentaient forcés de faire le moins de bruit possible, sous peine d’être découvert. Les couloirs s’enchaînaient, les pièces se profilaient, tant de recoins où le danger pouvait se tapir. Pas un souffle, pas un son... était-ce le calme avant la tempête ? Où était passé le diablotin ? Monsieur Larouge pouvait-il ignorer ce qui se tramait ? Et son affreuse ex-femme, que ferait-elle cette fois si elle surprenait le petit groupe ? Des questions qui feraient mieux de rester longtemps sans réponse. Voilà la cuisine, si grande, avec, au fond, sa marmite. Voilà la porte verrouillée. Même Vincent qui, jusqu’à présent n’avait pas été méchant, avait interdit d’aller au-delà...

Terrifié de braver ainsi l’interdit et de risquer à tout moment d’être découvert par l’un des affreux monstres, Benoît avait envie d’en terminer au plus vite. Quoique la cave abrite comme horreur, il faudrait y passer et peut être seraient-ils à l’abri de l’ex madame Larouge… C’est pourquoi il se proposa pour faciliter la manœuvre en se tournant vers l'escalier menant aux étages où devaient se trouver les adultes et la plupart des statues :

- On va monter la garde pendant que Cricri ouvre la porte. Allez, faut se dépêcher !

L'angoisse s'emparait progressivement de lui alors qu'il acquiesça d'un signe de tête. Il chercha nerveusement de quoi se débarrasser de cet obstacle ridicule, dans sa boîte à outils. Comme les autres portes, il n'y avait qu'à utiliser quelque chose en remplacement de la clef, et cela devrait fonctionner parfaitement. Sauf, évidemment, s'il y avait un verrou derrière. Mais si c'était le cas, c'est qu'il y avait quelqu'un, ou quelque chose dans la cave, pour fermer la porte de l'intérieur...

Il confia Tony à Piotr.

"Prends-en soin pendant que je fais ça. Il faut vraiment que je le dépose..." il n'arriva pas à terminer sa phrase, une boule dans la gorge l'en empêchait.

Il était resté aux côté de Christophe, afin de le protéger si d'aventure un monstre surgi d'on ne sait où se ruait sur lui. Toutefois, quand son copain lui tendit Tony, il consentit à lâcher la poignée de son arme, qu'il étreignait jusqu'ici avec nervosité.

-Ne t'inquiète pas, j'y ferai très attention, dit-il d'un ton presque solennel en prenant délicatement la peluche. Et si tu veux que je t'éclaire avec ma lampe pendant que tu forces la serrure, il n'y a pas de souci : je peux tenir Tony dans une main et ma lampe dans l'autre.

Il aurait préféré pouvoir tirer son épée au plus vite si un danger menaçait. Toutefois, aider Christophe était également un bon moyen de gagner du temps...

En un froid déclique, Christophe déverrouilla la porte. Au grand soulagement de ses amis, il n’avait pas été long à triompher de cette difficulté. Derrière, un escalier fut dévoilé. Il s’enfonçait vers de nouveaux mystères. Sitôt engagés dans les marches de pierre, les enfants constatèrent que l’élégante bâtisse leur présenta désormais un visage plus sobre, plus dur. C’en était fini des murs polis, des belles tapisseries. L’endroit était aussi plus fraiche. Tous frissonnèrent, se rappelant que depuis le début de leur mésaventure, jamais ils n’avaient vraiment pu se réchauffer.

En bas de l’escalier, la vaste cave. A la lumière des lampes torches, elle semblait être ordinaire. Ici, des tonneaux, là, des caisses. Mais au fond, un couloir. Il suffisait de s’y présenter pour voir que, quelques mètres plus loin, il tournait à gauche. C’était là, à cet angle, qu’il y avait une nouvelle porte. On aurait dit que c’était celle d’une prison. Elle était de métal et de barreaux. Deux chemin donc, suivre le couloir ou passer la porte. En tout cas, ici, le silence était encore plus lourd, plus opressant.

Si la grille pouvait servir à empêcher d’entrer comme de sortir, et donc d’abriter maintes choses ou être effroyables, Benoît considéra qu’ils allaient être obligés de poursuivre par là leurs investigations. Il était peu probable que les LaRouge redoute les monstres et les y enferment derrière cet obstacle. Cela ne signifiait pas pour autant que leurs âmes y étaient forcément cachées mais c’était certainement l’endroit le plus probable pour commencer. Et Benny avait lu quelque part sans vraiment comprendre ce que cela signifiait que les aventuriers ne prenaient jamais tout droit. Alors autant respecter les règles. Du moins si Cricri était à nouveau apte à leur ouvrir le passage.

- Tu crois que tu pourras ouvrir cette grille, Cricri ?

Il regarda attentivement la grille, cherchant un verrou, une serrure... bon, il devait pouvoir s'en sortir, là aussi. En espérant que la serrure ne soit pas rouillée à cause de l'humidité, et qu'elle soit devenue inutilisable sans la forcer, ce dont il serait incapable seul.

"On dirait que ça devrait aller, là aussi. Je veux bien un peu de lumière directement sur la serrure. Faut surveiller la cave aussi, par contre, et pas se faire surprendre dans le noir..."

Ses gestes étaient relativement assurés pour un enfant de son âge, mais sa voix trahissait son anxiété. Certes, ils n'avaient pas le choix et devaient fouiller le sous-sol, mais cela ne rendait pas l'excursion plus plaisante pour autant.

Dernier à descendre dans la cave, Pierre avait pris soin de refermer la porte derrière eux : autant ne pas faciliter la tâche à d'éventuels poursuivants en laissant des indices trop évidents quant à la direction qu'ils avaient prise !

Une fois en bas de l'escalier, il fouilla les lieux avec le faisceau de sa lampe, tout en tenant délicatement Tony de sa main libre. S'il ne s'opposa pas à ses amis quand ils se concentrèrent sur la grille, il ne put malgré tout s'empêcher d'intervenir, au bout d'un moment :

-Vous croyez pas que ça pourrait être bien d'aller voir ce qu'il y a après l'endroit où le couloir tourne ? Si quelqu'un se cache là-bas, il pourrait attendre qu'on soit tous derrière la grille et la refermer... Et alors, ben, on serait prisonniers.

Les propos de Piotr étaient plus que sensés mais Benoît répugnait à changer de plan maintenant que Christophe avait triomphé avec difficulté de l’obstacle. L’équilibre politico-social des forces était encore plus sensible chez des enfants de cet âge que dans les institutions les plus sclérosées. <les tensions qui avaient menacé de diviser le groupe étaient sous-jacentes et pouvaient ressurgir à tout moment, et probablement au pire vu la dangerosité et la précarité de leur situation. Bien évidemment, Benoît ignorait toutes ces considérations mais il savait d’instinct qu’il fallait mettre les formes pour ménager les susceptibilités d’enfants de sept ans :

- On pourrait juste jeter un œil au coin comme le suggère Piotr. Mais après on ira explorer de l’autre côté de la grille s’il y a personne.

Nullement vexé par la proposition, il la trouva au contraire pleine de bon sens. Froussard comme il l'était, l'évocation d'un emprisonnement suffit largement à le convaincre d'être prudent et d'aller s'assurer qu'il n'y avait rien ni personne dans cet angle obscur.

"D'acc, on peut faire ça. J'préfère savoir qu'on est bien seuls ici..."

Il rangea ses outils, tout en conservant un tournevis plat en guise d'arme, dans sa main droite.

Le couloir se poursuivait, égal à lui-même. Dix mètres plus loin, il débouchait sur un autre escalier, mais en colimaçon celui-là. Il s’enfonçait dans les ténèbres, s’enroulant autour d’un large gouffre circulaire dont le centre béant promettait une chute mortelle à celui qui y glissait. Difficile de sonder la taille de l’escalier mais le moindre bruit était repris en échos, donnant une idée d’immensité.

Pour Christophe :

Avisant le changement brusque d’attitude de son camarade, Benoît interrompit lui aussi sa progression pour se tourner vers Christophe et assouvir sa curiosité d’une voix étouffée et un peu anxieuse :

- Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu t’arrêtes ?

Bellatrix qui ne faisait pas attention percuta Benoît. Remise du choc, pas grave au demeurant, elle le considéra surprise. Celui-ci regardait Christophe qui avait l'air tétanisé dans l'obscurité. Elle regarda du même coté pour voir s'il y avait quelque chose. Elle ne vit rien de particulier. Mais son brusque changement l'inquiéta.

"Il y a quelque chose ?"

Il eut du mal à parler, bredouillant sans succès.

"Euh.... je... beuh."

Proche des larmes, il tremblait, et il lui fallut un bon moment avant de pouvoir essayer d'expliquer ce qu'il ressentait.

"C'est... c'est l'escalier que j'ai monté. Dans le rêve, avec la Mort. Elle me suivait, j'ai fui avec le monsieur de la voiture, il m'a aidé à monter ces escaliers, pour que je me sauve..."

Il éclata en sanglots à déchirer le cœur.

"Faut pas aller là !" fit-il entre deux pleurs.

Dans l'état d'angoisse où se trouvait Pierre, les larmes de Christophe faillirent bien se révéler communicatives. Le petit garçon parvint cependant à se dominer de justice, conscient que ce n'était pas le moment de craquer. Ni pour lui, ni pour les autres. Après une brève hésitation, il glissa sa lampe de poche à sa ceinture, s'approcha de son copain et lui posa une main timide sur l'épaule.

-Je comprends que t'aies pas envie d'y aller... lui souffla-t-il. Mais les monstres des statues, ils sont beaucoup moins forts ici que dans leur cauchemar... Regarde, dans le rêve que j'ai fait, le diablotin il balançait des dagues, il se transformait en chat géant, il faisait apparaître une armée de matous... Alors que quand il nous a attaqués tout à l'heure, ben, il pouvait juste balancer les objets et utiliser sa main invisible. Il nous a fait du mal, d'accord, mais Bellatrix a réussi à le battre. Ce sera la même chose pour la Mort. En plus, elle sera peut-être pas là...

Ce n'était pas de gaité de cœur qu'il envisageait de descendre l'escalier. Mais ils devaient aller voir en-bas, au cas où la salle immaculée s'y trouverait...

Il restait hésitant, et prêt à fondre à nouveau en larmes à la moindre occasion.

"J'ai pas envie d'y aller." Pour une fois, son ton était ferme et n'appelait pas vraiment à la contradiction. Il semblait résolu, mais l'attitude du garçon laissait penser qu'il ne savait pas quoi faire.

Bellatrix était bien embêtée. Dans les films, il n'y avait pas de garçons transis de peur et qui pleuraient. Il n'y avait que les héros, et puis ceux qui mourraient. Il y avait aussi les figurants qui appartenaient la plupart du temps à la deuxième catégorie. Et ils ne savaient pas qu'ils allaient mourir. Dans quelle catégorie se rangeait donc Cricri ? Et surtout, comment pouvait-elle l'aider ?

"Tu sais, on a tous peur. C'est normal. On a tous vu des choses effrayantes. Mais si on bouge, on peut s'en sortir. Par contre, si on reste là, sans bouger, je crois que ce qu'on va voir va être pire que ce qu'on a jamais vu. Et puis, tu sais, on est tous ensembles."

Benoît ne savait pas trop quoi faire dans ce genre de situations délicates mais il tenta néanmoins sa chance, sans savoir si son intervention améliorerait les choses ou, au contraire, dissuaderait encore davantage Christophe d’emprunter cet escalier :

- On peut passer devant si ça te rassure. Moi je crois que les statues veulent pas qu’on s’échappe alors si elles nous ont fait peur pour qu’on évite un endroit, c’est forcément là qu’il faut aller. Et puis, s’il y a vraiment quelqu’un qui garde nos âmes, c’est forcément elle, non ?

Par superstition sans doute, il préférait ne pas la nommer et même éviter d’y penser. Les noms avaient une importance capitale, comme l’avaient prouvé ses déboire avec Grincevoix.

À nouveau, le garçon parut hésitant. Il n'avait vraiment pas envie d'avancer là-dedans, de descendre ces escaliers qui signifiaient tant... mais ses camarades avaient peut-être raison, il leur faudrait aller voir au-dessous pour tenter de trouver leurs âmes, même s'il ne comprenait toujours pas complètement ce que cela voulait dire.

"..." fit-il, ouvrant la bouche sans qu'aucun son n'en sorte. Il s'en rendit compte et finit par parler. "Bon... je vais essayer... mais je sais pas si je vais y arriver, je me sens pas très bien."

C’est ainsi que le petit groupe s’engagea dans le long, le très long escalier. De ce que laissaient voir les lampes-torches, les marches s’enfonçaient sans fin dans les ténèbres, si profondément qu’il y avait de quoi avoir le vertige. Chaque pas était repris en échos, sinistres. Ce lieu, humide, froid, était de loin le plus effrayant vu dans le château.

Pour tous : La descente sembla prendre une éternité. Mais elle cessa, enfin. La suite du trajet était un couloir puis, un croisement. Christophe le savait, c’était là le labyrinthe. Aller plus loin, s’était prendre le risque de se perdre. Et pourtant, il devait bien y avoir quelque chose plus loin...

Pour Christophe :

Cet escalier avait de quoi faire frémir et semblait s’enfoncer sans fin vers quelque abîme ou temple maudit décrit dans les livres de son oncle. Que se passerait-il s’ils étaient attaqués ici et s’il fallait remonter cette multitude de hautes marches glissantes avec la mort sur les talons ? Seule sa volonté de ne pas paraître peureux vis-à-vis de ses aînés permettait à Benoît d’avancer, ou plutôt de mettre un pied devant l’autre, mécaniquement. Mais cette volonté était en train de vaciller. Si l’escalier n’aboutissait pas bientôt, il perdrait tout courage. Cela aurait déjà été le cas s’il n’était pas convaincu que suivre ce chemin était la seule possibilité de rentrer vivant chez lui. Pour briser le silence oppressant, le gamin murmura à l’adresse de ses camarades :

- Ça file les chocottes tout de même !

Il frissonnait à intervalles irréguliers, alors qu'il se remémorait ce lugubre séjour dans le rêve de la Mort. Tant de mauvais souvenirs en quelques heures de sommeil... et une question qui restait : comment avait-il pu rêver d'un endroit qu'il ne connaissait pas, et qui existait réellement ? Qu'allaient-ils trouver, ici ? Des fantômes ? Celui de Sophie, peut-être... ou les autres.

Arrivés en bas, les enfants prirent conscience du labyrinthe qui les attendait. Christophe l'avait lui-même arpenté, mais de façon si rapide... et son attention était reportée sur sa simple survie et non son orientation dans ce dédale. D'ailleurs, comment s'en était-il sorti ? Avec l'aide de Tony ! Mais bien sûr ! L'ours en peluche de Sophie connaissait le chemin à suivre.

"Tony va nous aider, maintenant. Sinon, on est perdus. Faut surtout pas le lâcher. Surtout pas. Sinon, on sera perdus, et la Mort va venir nous chercher. Ou les méchants fantômes."