La Couronne de Cuivre

HRP : ça me convient très bien !

La robe était belle à ravir. Elle allait si bien à Chandara qu’elle semblait avoir été coupée spécialement pour elle : moulante là où il fallait sans être inconfortable, dévoilant juste assez de ses épaules, de sa gorge et de ses jambes pour suggérer et laisser imaginer sans pour autant paraître vulgaire ou trop sensuelle. Rayonnante, l’ancienne paladine tourna plusieurs fois sur elle-même comme une jeune-fille une fois qu’elle eut enfile le vêtement. Il lui fallut quelque temps supplémentaire pour arranger ses cheveux. Elle avait décidé de les relever et de les laisser cascader sur une épaule plutôt que de les laisser complètement libre comme à son habitude : la pose valait bien ce petit effort… A la question d’Amélie, elle répondit d’instinct :

- J’avais pensé mettre une chaise devant le plus haut des rosiers et me tenir légèrement de côté par rapport à toi… Qu’est-ce que tu en penses ?

Amélie eut l'air très satisfaite de son modèle. Maintenant, le stylet en main, elle le tenait devant elle pour mesurer les proportions. Puis elle répondit à Chandara.

"Cela me semble une très bonne pause même si elle me semble un tantinet classique. Ce qui n'empêche pas qu'elle te met extrêmement bien en valeur. Essaye de te mettre dans une position que tu pourras tenir pendant un moment. Je dessine assez vite mais j'ai une vilaine tendance à fignoler pour des détails. Surtout que j'ai une sacrée mission : te montrer aussi belle à Arthur que tu l'es réellement. Si tu veux, je rajouterai un peu de couleur plus tard."

Amélie travailla vite. Croquant d'abord et peaufinant après puis travaillant les ombres. Prises par leur occupation, elles en oublièrent la notion du temps et ce n'est qu'en toute fin de matinée quand la faim se fit sentir que la barde consentit à poser son matériel.

"Voila. Il ne reste que la couleur. J'ai toujours quelques pigments dans mon sac ... Déformation professionnelle, sans doute. Ou peut-être que j'aime emmener ma maison avec moi. Mais baste, tu peux venir voir."

Chandara se reconnut sans mal. Amélie l'avait représentée dans un demi profil de la tête jusqu'au bas du buste, posant sur le monde son regard bienveillant. Son sourire quant à lui et la courbe de ses yeux étaient tout en douceur mais plein de dynamisme.

Bouche bée devant la qualité du travail de son amie, Chandara resta une longue minute à observer le moindre détail de l’œuvre d’art avant de tourner un regard brillant d’émerveillement et de reconnaissance :

- C’est tout simplement magnifique, Amélie ! Et c’est exactement ce que je voulais !

Elle regarda à nouveau le dessin qui révélait peu à peu une myriade de détails qui donnaient presque vie à la jeune femme souriante dessinée sur le papier de qualité. Oui, la barde avait un talent incroyable et son cœur bondissait de joie à l’idée d’envoyer ce portrait à Arthur.

Amélie rougit presque jusqu'aux oreilles et Chandara devina sans mal qu'elle était ravie de lui faire plaisir.

"Je rajouterai les couleurs et la touche finale tout à l'heure mais ce sera une surprise. Défense de regarder."

Elle s'interrompit car quelqu'un venait de frapper à la porte. La barde regarda son amie quelque peu inquiète. Soudain, elle ne semblait plus aussi assurée.

"C'est sûrement Léonard. Cela te dérangerait-il d'aller lui ouvrir ?"

« Pas du tout » Chandara déposa un baiser sur sa joue avant de se diriger vers le maison puis vers le salon. Elle portait toujours sa belle robe – bien sûr – mais elle s’y sentait à son aise et n’aurait pas voulu en changer même si elle n’était pas tout à fait adaptée aux circonstances. Avec le sourire, la jeune-femme ouvrit la porte au moment où l’on toquait à nouveau. Etait-ce bien Léonard ? Ce serait une bonne chose qu’il ait accepté leur invitation, même si cela rendait Amélie nerveuse.

C'était en effet Léonard quelque peu nerveux lui aussi. Il avait pris le temps de raser le chaume clairsemé qui lui servait de barbe et avait passé une tunique et des chausses à la place de sa robe réglementaire. Chandara reconnut mieux son ancienne terreur d'enfance qui lui souriait pourtant.

"Es-tu sûr qu'Amélie est d'accord pour que je viennes ? Est-ce qu'elle a un peu parlé de moi ?"

A présent, il passait ses mains sur son menton glabre irrité par le rasoir. Peut-être aurait-il dû attendre pour se raser la barbe.

Chandara adressa un sourire rassurant au jeune-homme, voyant davantage sa fragilité que les restes du garçon qui l’avait tant embêté dix ans plus tôt. Elle se tourna à demi pour le laisser passer la porte tout en répondant d’un ton tranquille :

- Oui et oui. Tu n’as pas agi au mieux en partant fâché mais Amélie vit mal votre dispute. Elle était triste que tu partes ainsi, même si elle ne t’en a pas donné l’impression. Allez, viens : on va arranger tout ça !

"Tu penses qu'elle va vraiment vouloir me parler ?
- Tu veux dire que je n'attends que cela depuis quelques années."

Amélie qui s'était rapprochée discrètement se tenait derrière eux, les bras croisés. Elle affichait cependant un demi- sourire quelque peu craintif.

"Si j'ai bien compris Chandara, tu étais triste quand je suis parti ?"

Elle hocha tranquillement la tête.

"J'ai pleuré tous les jours à partir du moment où tu m'as annoncé ton départ.
- Mais tu ne m'as rien dit."

Amélie chercha du courage dans les yeux de la paladine avant de répondre.

"Parce que tu avais l'air heureux et fier d'avoir trouvé une voie qui te correspondait. Et puis, je voyais que tu t'ennuyais à Cojum, que tu avais besoin de beaucoup plus. En plus de cela, tu avais tellement l'air de chercher mon approbation. J'ai eu peur que si je te montrais que j'avais de la peine, tu renonces à partir."

Chandara se tenait immobile entre ses deux aînés, irradiant toutefois de bienveillance et ponctuant leurs échanges d’une expression tranquille. Elle se tourna tour à tour vers Léonard et Amélie avant d’attraper la main de l’un pour le mener vers l’autre et le petit salon. La glace étant brisée, il ne restait plus qu’à les installer pour les amener à régler cette vieille histoire douloureuse.

- Vous avez énormément à vous dire, tous les deux, et c’est très sain. Mais je ne vais nous préparer du thé à tous les trois car nous en avons pour un petit moment, je pense.

Elle défia alors Amélie du regard – avec douceur mais fermeté – de se défiler. C’était à Léonard et elle de se dire ce qu’ils avaient sur le cœur. Elle, se contenterait d’être présente pour arrondir les angles et éviter de nouvelles incompréhensions dans la mesure du possible.

Décidée à jouer sa part dans leur réconciliation, Chandara déposa une tasse de thé fumante devant chacun d’eux avant de s’installer sur un fauteuil isolé :

- Prenez, ça vous fera du bien. Ne vous sentez pas obligé de parler : je peux le faire pour nous trois si c’est nécessaire mais j’aimerais que vous repensiez tous les deux à vos bons moments, à ce qui vous a réuni et rendu amis alors qu’il faut bien l’admettre, ce n’était pas gagné d’avance !

Si les deux jeunes gens ouvrirent la bouche pour remercier la paladine pour le thé, ils demeurèrent un long moment muets. Et c'est finalement Amélie qui après avoir bu une longue gorgée se décida à briser la glace. Se tournant vers Léonard, elle lui demanda.

"Alors, que deviens-tu ?"

Léonard eut un sourire heureux avant de répondre.

"Je me suis marié il y a un an ...
- Oh !
- Et je suis papa d'une petite fille depuis deux mois.
- Ah
- Elle s'appelle Amélie."

Il y eut un lourd silence puis la jeune barde se leva lentement.

"Quelque chose ne va pas ?", demanda l'ilmate soudainement inquiet. Amélie eut un hoquet puis un deuxième et prit le temps d'articuler lentement.

"ça, bien sûr, tu ne pouvais pas me contacter pour me le dire ? Non, tu as préféré rester fâché ... Espèce de bougre, stupide et borné, Léonard !"

Et elle monta en courant s'enfermer dans sa chambre. Léonard posa un regard interdit sur la paladine.

"J'ai dit quelque chose de mal ?"

Chandara avait levé les yeux au ciel et poussé un soupir à fendre l’âme mais Léonard avait grand besoin d’une réponse : le pauvre bougre – aussi maladroit soit-il – ne méritait pas d’être ainsi laissé à l’abandon face aux émotions à fleur de peau de la barde. L’ancienne paladine répondit donc d’une voix douce :

-Non, ce n’est pas ça : tu as dit quelque-chose de très bien – et je te souhaite d’ailleurs toutes mes félicitations – mais tu aurais dû le dire il y a un an ! Amélie va beaucoup t’en vouloir d’avoir gardé ces bonnes nouvelles pour toi pendant qu’elle s’angoissait à ton sujet…

C’était la pure vérité mais elle ne pouvait pas non plus rejeter tous les torts sur le pauvre Ilmate. Même un clerc du dieu qui pleure ne devrait pas avoir à souffrir ainsi :

- Mais je crois qu’avoir nommé ton premier enfant comme elle l’a aussi beaucoup touché. Positivement. Vous allez avoir du chemin à faire, tous les deux. Déjà en commençant par lui présenter ta femme et ta fille.

Elle se leva ensuite et s’excusa auprès du jeune-homme, l’incitant à ne pas quitter le salon et à finir son thé pendant qu’elle-même irait aux nouvelles, au premier étage. Arrivée devant sa porte, elle frappa doucement et demanda à voix basse :

- Amélie, c’est moi… Est-ce que je peux entrer ?

Léonard un peu sonné avait hoché lentement la tête et laissé monter la paladine à l''étage sans l'accompagner. Il avait l'air totalement perdu. Derrière la porte, Amélie demeura quelques instants silencieuse avant de répondre.

"Je suis là ... Tu te rends compte ? Il a une femme, une fille qu'il a appelé comme moi. Cela veut dire que je compte pour lui quelque part. Alors pourquoi ne m'a-t-il pas recontactée ? Pourtant, il savait pertinemment que j'étais restée à Cojum. Ou sinon, il aurait pu demander à mes parents de me faire suivre sa lettre ? Mais non, il n'y a pas pensé. Pourtant, j'aurais été très contente s'il avait daigné m'en parler. Etre heureux avec une famille, c'est tout ce qu'il mérite. Je serais prête à parier que la moitié de Manost a été au courant avant moi. Et lui, il se contente de venir me l'annoncer la bouche en coeur comme s'il n'y avait aucun soucis ? Tu te rends compte ?"

Chandara pénétra en silence dans la pièce avant de refermer la porte derrière elle. Elle parla alors d’une voix douce, bien trop consciente du chagrin et de l’incompréhension parfaitement compréhensible de son amie :

- Je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous mais je crois qu’il t’apprécie énormément. Sinon, il n’aurait jamais appelé sa fille comme toi, tu ne crois pas ?

Elle attendit un mouvement de la barde avant d’ajouter d’un ton conciliant :

- C’est juste qu’il n’a pas su comment l’exprimer. Il a été terriblement maladroit et ça t’a fait souffrir mais est-il si différent de Marvin ou même d’Arthur ? Et certainement de tous les autres ? Je crois qu’il avait tout simplement peur… Que cette peur a pris le pas et l’a empêché de faire et dire ce qu’il aurait dû. Je crois que lui aussi en a beaucoup souffert. Forcément.

Elle marqua une nouvelle pause et s’approcha encore un peu avant de conclure d’un ton un peu plus énergique :

- Mais sachant cela, maintenant, allez-vous continuer à ressasser le passé et à souffrir ou à aller de l’avant et de profiter de ce que votre ami, à l’un et l’autre, ait trouvé une forme de bonheur. Allez-vous lui en vouloir ou au contraire vous réjouir pour lui ? C’est à vous deux de trouver la réponse.

Amélie croisa quelques instants les bras avant de sourire.

"Tu crois que tout vient de l'incompréhension entre les garçons et les filles ? Je crois que le pire, c'est que tu as raison. Maintenant que tu le dis, je ne pense pas que Léonard a voulu me faire du mal en agissant comme ça. Mais c'est moi ... Peut-être que cela m'a fait mal parce qu'il compte pour moi. Et si Marvin m'avait fait le même coup, je ... Non, tu ne veux pas savoir. Je n'ose même pas y penser. Mais franchement, c'est à se demander à quoi ils pensent. Peut-être qu'ils pensent que tout se règle avec une bonne bière et une tape dans le dos."

Elle sécha ses larmes.

"Bon, je pense qu'il ne me reste plus qu'à aller rejoindre Léonard. Tu m'accompagnes ?"

- D'accord ! Viens, ça va bien se passer ! Elle avait répliqué d'un ton doux, sans rien ajouter d'autre car Amélie avait déjà amplement de quoi méditer et que pour résoudre ce conflit, elle devrait trouver ses propres réponses. Mais Chandara n'escomptait pas pour autant les laisser se débrouiller seuls, Léonard et elle. Non, elle se contenterait à nouveau d'être là, de les écouter et peut-être de se faire l'intermédiaire aplanissant leurs incompréhensions. Décidément, elle n'aurait jamais cru jouer ce rôle un jour sans parler de s'en sentir digne et compétente. Elle offrit sa main à Amélie pour affermir sa résolution et la mena hors de la chambre.

Amélie se laissa mener jusqu'à Léonard. Le jeune homme nerveux faisait les cent pas dans le salon. Il interrompit sa route pour marcher jusqu'à elles. La barde lui sourit légèrement mais sans rien lui dire cette fois, l'invitant de nouveau à prendre la parole. Il regarda brièvement Chandara comme en quête de son assentiment avant de se lancer.

"D'accord. J'ai été un peu maladroit mais franchement, ce n'était pas facile. Je ne m'attendais pas à vous trouver là, toutes les deux et surtout toi. Mais tu me connais : je n'ai jamais cherché à te faire de la peine. J'en ai assez fait comme ça quand nous étions adolescents, non ? Cette histoire d'adoption, tout cela ..."

Il s'interrompit et regarda Chandara.

"Elle est au courant."

Mais elle n'ajouta rien d'autre.

Chandara avait esquissé une grimace navrée d'être la cause de l'interruption et que ce sujet sans doute douloureux pour son amie soit abordé. Après l'intervention de celle-ci, elle encouragea aussitôt le jeune-homme à poursuivre :

- Je sais que tu n'as pas toujours su trouver les meilleurs moyens pour exprimer tes sentiments mais je vois aussi à quel point tu as changé depuis cette époque. Je serais honorée de rencontrer ton épouse et ta petite-fille et c'est pareil pour Amélie, je crois. N'est-ce pas ?

Elle se tourna alors vers cette dernière pour lui adresser un sourire encourageant tout en espérant ne pas être allé trop loin en parlant en son nom.

Cette fois, Léonard chercha l'assentiment d'Amélie qui approuva d'un hochement de tête.

"Oui, pourquoi ne viendriez-vous pas tous les trois dîner. Bien sûr, ce serait un repas informel mais je pense avoir de quoi cuisiner ...
- C'est sûr que si c'est toi qui cuisines, je ne peux pas ne pas venir. Bien sûr, si ma femme veut bien. Et Chandara aussi."

Les regards des deux amis se tournèrent vers la paladine.

Chandara hocha vigoureusement la tête : n'avait-elle pas proposé l'idée ? Le point positif était qu'Amélie et Marvin la faisaient maintenant leur et elle n'aurait pas pu espérer meilleurs dénouement.

- Ce sera vraiment avec grand plaisir, Léonard ! Enfin, si tu n'as pas un peu peur de ce qu'on pourrait se raconter pendant le dîner !

Elle lui adressa un clin d'œil pour bien signifier qu'elle plaisantait. Son objectif, là encore, était de dédramatiser la situation et de détendre l'atmosphère.

Ni Amélie, ni Léonard ne lui en voulurent de n'avoir pas formulé l'invitation. Visiblement, son enthousiasme et son assurance leur faisait du bien à tous les deux. Quand la jeune femme mentionna le fait que les trois femmes allaient sûrement discuter, il eut un sourire tranquille.

"Au moins, je serai tranquille et je n'aurai pas besoin de faire la conversation. Et puis, Amélie me soutiendra."

Comme Amélie secouait la tête amusée, il répliqua.

"Pas toi, mais la beaucoup plus petite."

Son amie haussa les épaules avec un petit sourire. Il continua.

"Sur ce, je vous abandonne. J'ai hâte de retrouver ma famille ... Et surtout de dormir un peu. Et ..."

Sans prévenir, il serra Amélie un bref instant dans ses bras, juste avant de partir.

Chandara resta un moment coite, souriant tranquillement en regardant Amélie. Ce fut - comme de coutume - la première à briser le silence d'un ton énergique :

- Bon Amélie : nous avons un repas de fête à préparer ! Je suis archi nulle en cuisine mais je veux bien t'encourager. Et même couper le pain ou d'autres choses si tu veux me laisser faire.

Hors de question en effet qu'il arrive une mésaventure similaire à la veille, quoiqu'elle s'était terminée pour le mieux, à bien y regarder.

Amélie se frotta les mains. Visiblement, la perspective de préparer un bon repas la comblait de joie.

"Bon, comment allons-nous procéder ? Et surtout, qu'allons nous préparer parce que c'est cela la question essentielle. Morgan avait une foultitude de conserves ... Déjà, nous pourrions aller jeter un coup d'oeil."

Elle descendit en courant à la cave et remonta presque aussitôt avec deux bocaux.

"Il y a du boeuf en sauce et quelques navets. Je pourrais ajouter des carottes ainsi qu'un peu de pain d'épice. Je suis sure qu'il y a un peu de miel."

Elle parlait sans s'arrêter, mue par une agitation extrême.

"Qu'est-ce que tu en penses ?"

L’excitation d’Amélie était communicative et Chandara acquiesça avec enthousiasme :

- Cela me semble tout à fait parfait ! Je vais passer quelque-chose de plus approprié pour t’aider à préparer tout ça : il ne s’agirait pas que je salisse une si jolie robe, d’autant qu’elle ne m’appartient pas.

Il y avait peut-être une petite pointe de regret derrière ce constat mais c’est malgré tout la joie de préparer une petite fête qui prédominait. Elle aurait bien l’occasion de s’acheter de jolies choses à porter quand elle se rendrait à Luménis. Jusqu’alors, elle ne s’était jamais fait ce genre de réflexion mais maintenant certaines choses avaient changé, comme la volonté de plaire à un certain paladin.

Amélie répondit avec gentillesse.

"Tu auras sûrement l'occasion de la remettre. Et puis, tu pourrais demander à Nina de t'en coudre une. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi habile qu'elle avec des aiguilles à coudre. Elle est vraiment très rapide. Et puis, tu l'as entendue : comme tu as sauvé Appoline, elle ne te refusera rien. Je vais passer d'autres vêtements moi aussi."

Les vêtements qu'elle portait étaient nettement moins strictes et bien plus fonctionnels et elle avait de nouveau les pieds nus. Quand Chandara revint, elle lui dit simplement.

"De toute façon, quoi que tu portes, tu es très belle."

Petit passage en solo.

Morgan était partie, puis Angèle, puis Marvin et enfin Chandara. Elle était seule au Clos. Cette constatation ne l'effraya tout d'abord pas. Elle passa son tout premier jour de solitude, au matin du grand dîner organisé pour fêter le départ pour Luménis, à s'occuper du jardin, profitant du soleil. Une fois de plus, la grisaille planant au dessus de sa tête lui avait appris que les températures clémentes ne dureraient pas. Elle ne fut donc pas surprise, le lendemain quand elle fut réveillée par le clapotis de la pluie tapant sur la goutière. Ses perspectives d'occupation en furent quelques peu réduites mais elle fit contre mauvaise fortune bon coeur en allant chercher dans la chambre d'Angèle le luth de sa mère. Elle n'aimait pas spécialement se livrer au voyeurisme mais c'est là qu'elle avait repéré l'instrument auquel manquait une corde. Elle n'aimait d'ailleurs pas passer dans cette pièce abandonnée à un amour perdu. Aussi entra-t-elle rapidement, effleurant le parquet de ses pieds nus d'un pas feutré. Elle avait presque peur de réveiller les ombres.

Le luth entre ses mains, elle s'apprêtait à repartir quand ses yeux furent atirrés par un éclat bleuté. Là, sur le bureau en face du lit, elle reconnut une fine bulle de verre à la couleur trop familière. Elle l'avait offerte à Morgan avant qu'elle ne s'en aille de Cojum. Un fin cordon la maintenait signe qu'elle l'avait portée, là, presque contre sa poitrine. Quelqu'un l'avait sûrement trouvée et renvoyée à l'adresse de sa propriétaire. Angèle était sûrement passée devant mille fois, sans se douter de son importance. Elle s'en saisit et la glissa dans sa poche. C'est alors qu'on frappa à sa porte.

Elle descendit, curieuse, même si elle se doutait déjà de l'identité de celui qu'elle trouverait sur le seuil. Léonard eut un petit sourire.

"Alors, tu tiens le coup ?"

Elle feignit l'incompréhension.

"Le coup ? Pourquoi ?
- Toute seule dans une grande maison. C'est un peu effrayant, non ?"

Il la connaissait mieux que personne. Mais elle le détrompa.

"Tu veux dire que je suis TRAN-QUI-LLE. Libre de jouer quand je veux, ce que je veux, de manger ce que je veux à l'heure que je veux. Je pourrais même installer un atelier au milieu du salon et même me promener toute nue si ça me chante."

Il grimaça.

"A d'autres, Mélie-Mélo. Ton petit air ne trompe personne. Enfin pas moi. D'ailleurs, quand est-ce que tu as été toute seule pour la dernière fois ?
- Sur la route de Cojum à Manost. Il y avait un de bardes qui ...
- Donc tu étais avec eux.
- Un peu.
- Donc tu n'étais pas toute seule.
- Si en plus tu pinailles sur les mots ...
- Alors ?
- Entre le moment où Marvin est parti et Chandara est arrivée.
- Combien de temps ?
- Trois jours.
- C'est peu.
- Mais c'est trois jours.
- Trois jours, c'est peu. Donc ça ne compte pas. Est-ce que tu vas tenir le coup ?
- Tu feras quoi si je réponds non ?"

Il passa sa main sur ses joues irrisées d'une barbe de deux jours.

"En ce moment, je suis beaucoup sollicité au temple à cause de la guerre et des empoisonnements. Mais si tu t'ennuies, je pourrais passer un peu.
- Et Claire ne dira rien si tu passes ton temps libre avec moi ?"

Il secoua la tête.

"Ce n'est pas tous les jours que l'on retrouve son amie d'enfance. Je suis sûre qu'elle comprend. Alors, qu'est-ce que tu as prévu ?
- Prévu quoi ?
- Pour t'occuper. Ne me dis pas que tu n'as rien en tête. Je ne te croirai pas."

Elle minauda.

"Je ne sais pas si je peux te le dire. C'est quelque peu privé.
- Même pour ton grand ami Léonard ?
- C'est que c'est un peu embarassant."

Elle le vit rougir jusqu'aux oreilles avec une certaine satisfaction.

"Je vais devoir trouver des maîtres verriers."

Il eut l'air presque déçu.

"Rien de plus sulfureux ?
- Non, regarde. Je l'ai reçu avant hier."

Elle lui tendit un pli sur lequel il put lire.

"Ma très chère Amélie.
J'espère que tout va bien pour toi loin de Cojum. J'ai dans l'idée que tu t'es déjà adaptée à ton environnement. Ta mère et moi ne nous faisons aucun soucis là-dessus. Je dois par contre t'informer de la décision concernant ton entrée dans la corporation. Ils ont décidé - et le débat a été houleux tu peux me croire - que tu pourrais comme chacun d'entre nous participer à notre exposition. J'ai soutenu le fait que tu as du talent, même si tu es une femme. Ce qu'ils ont reconnu. Tu as donc jusqu'au premier martel - je sais que tu n'as pas oublié le jour de ton anniversaire pour réaliser la pièce maîtresse qui sera évaluée à la fois par les maîtres et tes apprentis potentiels. Je te laisse imaginer à quel point il est important que quelques uns te choisissent pour asseoir ta légitimité dans cette profession qui t'est chère. C'est aussi la réputation de la maison Malone qui est en jeu. Je sais que tu es capable de porter tout cela sur tes petites épaules. Je pense qu'il y a des maîtres verriers à Manost et que tu pourras sans mal t'exercer auprès d'eux, s'ils passent outre le fait que tu es une femme. En attendant, d'avoir de tes nouvelles, je t'embrasse et te dis à bientôt."

Léonard siffla.

"Là, tu as un peu la pression.
- Tu m'étonnes.
- Et qu'est-ce que tu vas représenter ?
- J'ai une petite idée mais pour l'instant, c'est mon secret ..."