La Couronne de Cuivre

Titubant plus qu'il ne marchait, il finit néanmoins par s'éloigner peu à peu. Il n'entendait aucun bruit derrière lui. il était probable que Huasasth restait immobile, comme convenu. Il était probable, également, qu'il y ait non loin des asabis prêts à intervenir... et qui peut-être ne se satisferaient pas de l'échange de prisonniers. Ils pouvaient bien sûr décider d'attaquer dès que Huasasth se serait mis hors d'atteinte des flèches de la druidesse.
Il entendit soudain la voix d'Eärundra qui incantait, non loin de lui, en hauteur. Elle s'était perchée sur l'un des pitons rocheux et se tenait tellement immobile qu'il ne l'avait pas aperçue.
Derrière lui, il sentit un brutal courant d'air.
- Viens vite... J'ai créé un mur d'air, leurs flèches ne pourront pas le traverser. Mais il ne tiendra pas indéfiniment et ils peuvent décider de nous poursuivre...
La druidesse sauta lestement à bas de son rocher.
- Mais... laisse-moi soigner tes brûlures avant, ajouta-t-elle en se mettant à incanter.

Kasumi était complètement sonné et parvenait à peine à mettre un pied devant l'autre tout en agrippant le tas d'affaires qu'il avait récupéré à la hâte. Il aurait bien pu passer devant son rocher sans même l'apercevoir si le son de sa voix n'avait enfin atteint son cerveau. Hébété, il se contenta de s'approcher d'elle sans vraiment comprendre le sens de ses paroles. En réalité, il n'y percevait que la pointe d'urgence et il finit par marmonner en s'arrêtant à côté d'elle :

- Je me sens mal...

Ils ne pouvaient sans doute pas perdre de temps avec tous ces asabis revanchards sur leurs talons mais le demi-elfe n'aurait su aller plus loin sans recevoir de soins.

L'effet de l'incantation fut immédiat. La druidesse ne s'était pas contentée d'un sort de soin superficiel cette fois-ci. Il sentit une magie bien plus puissante inonder son corps, chassant instantanément la douleur, et sa peau cloquée reprit rapidement une apparence normale. Le corollaire immédiat fut une sensation de froid vif, piquant. Mais ce n'était pas la tunique à demi-brûlée, en loques, qui allait l'en préserver...
- Tu dois te sentir mieux là... Tiens, bois ça.
Elle lui tendit une outre contenant un liquide agréablement frais, dans lequel il perçut le goût d'herbes qu'elle y avait mis à infuser.
- Et maintenant on file... droit devant, par là, les aigles nous attendent. J'aimerais autant éviter qu'ils les aperçoivent donc on peut essayer de les semer, en se cachant et en faisant un détour...

La sensation de son corps reprenant vie, de la douleur refluant pour s'effacer quasiment tout à fait était grisante. De sonné, il devint simplement désorienté, confus. Incapable de prendre toute la mesure de leur situation, il décida de faire confiance à Eärundra, de la suivre tout simplement ainsi que ses instructions. Il savait qu'il devait la remercier, que sans son intervention il serait mort ou pire mais il avait davantage conscience qu'ils n'avaient pas une seconde à perdre inutilement s'ils voulaient que ce sauvetage savamment orchestré tourne au désastre. Kasumi enfila à la hâte ses loques : elles étaient toujours mieux que rien et il pouvait ainsi se libérer les mains. Tout en hâtant le pas, il ceignait également ses armes avant de courir franchement à la suite de la druidesse sans une regard en arrière. Il se sentait apte à courir ce qui était un progrès considérable mais l'effet de la tisane ne durerait certainement pas.

La druidesse, au lieu de foncer droit vers les aigles, prit nettement plus à gauche, en veillant à marquer le sol de ses empreintes, allant là où les rochers étaient plus hauts, plus dense, susceptible de gêner la progression des asabi et de les dissimuler aux regards. Le sol rocailleux était si sec qu'ils ne laissaient guère d'empreinte, et pouvaient logiquement espérer semer leurs adversaires.
Ils entendirent ceux-ci se lancer à leurs trousses une ou deux minutes après avoir pris la fuite. Ils avaient suffisamment d'avance pour que les asabis aient les plus grandes difficultés à suivre leurs traces, d'autant que la druidesse changeait fréquemment de direction, s'efforçant de garder à peu près en ligne de mire l'extrémité nord de la zone, là où ils avaient laissé les aigles.
Ils finirent par déboucher hors du chaos rocheux sans avoir été rattrapés, à peu de distance de l'endroit où les attendaient leurs montures ailées.
- On file... Ne le laisse pas prendre d'altitude tout de suite, attend d'être plus loin à l'ouest. On va rejoindre l'endroit où on a laissé nos affaires.

Tout ce qu'entreprenait la druidesse lui paraissait sensé. S'il avait eu tout ses esprits, il aurait probablement adopté la même tactique, du moins se plaisait-il à le penser. Mais il serait bien temps de démêler plus tard ses pensées : le temps était à l'action et il se dirigea droit vers Rubis. Il prit le temps de flatter l'aigle avant de se hisser sur son dos :

- Entendu, nous volerons en rase motte quelques minutes mais je te suis de toute façon !

Il attendit que la druidesse ait décollé pour ordonner à Rubis de faire de même. L'aigle avait de façon compris ce qu'on attendait de lui mais le rôdeur tâcherait de l'empêcher de prendre trop d'altitude si telle était son intention.

L'aigle sembla comprendre ce qu'on attendait de lui, et resta en rase-motte pendant quelques minutes, le temps de s'éloigner suffisamment. Il prit de l'altitude plus tard, suivant sa congénère qui s'élevait dans le ciel. Leur destination était toute proche, et il ne leur fallut que quelques minutes avant de redescendre à nouveau. Kasumi reconnut les "cheminées de fées", devina le petit tas de matériel, provisions, outres et couvertures qu'ils y avaient laissé. L'atterrissage lui parut plus brutal que d'habitude, peut-être parce que les aigles étaient gênés par le manque de luminosité. La lune, en effet, disparaissait déjà à l'horizon.

Le vol - bien que court - avait permis au rôdeur de récupérer en partie ses esprits et il tint bon au choc de l'atterrissage. De fait, il était extrêmement ravi de retrouver la terre ferme et les affaires qu'ils avaient laissées en arrière. Enfiler sa toute dernière tunique correcte ne serait vraiment pas un luxe d'autant qu'il se sentait frigorifié par le bref passage en altitude et qu'il était exclu de faire un feu aussi près du campement de Huasasth. Il se porta à la rencontre de la druidesse dès qu'il eut mit un pied au sol et trouva la force de lui adresser un sourire :

- Eh bien, j'imagine que des remerciements s'imposent : tu nous as sauvé de la catastrophe ce soir. Enfin, c'est surtout moi que tu as sauvé.

La druidesse sourit.
- Ça n'est rien... On savait que c'était risqué, que ça pouvait mal tourner... y'avait trop d'inconnues, trop de risques potentiels. On savait très bien que ça pouvait se terminer en déroute. La fuite a juste pris plus de temps que prévu...
Elle s'assit en tailleur au pied d'une pierre, s'enroulant dans une couverture pour trouver un peu de chaleur.
- Ils t'en ont pas trop fait baver ?

Le rôdeur grimaça en se remémorant certains souvenirs désagréables de la soirée mais il hocha les épaules avant de répondre à la druidesse d'un ton détaché :

[color=#9900000]- Bah, on a à peine eu le temps de faire connaissance et tes soins ont gommé la plupart des effets de leur chaleureux accueil. Raconte-moi plutôt comment tu as réussi la prouesse de capturer leur shaman et d'arranger cet échange de prisonniers sans te faire prendre.[/color]

- Ah, ça... secret de druide ! Je suis à peu près aussi puissante que lui, et il ne s'est pas méfié, il ne s'ettendait pas à ce que je me transforme. bref... il a suffit de l'assomer, il est pas très résistant en fait. Puis j'ai envoyé une flèche avec un petit message amical à ceux du campement... Il ont fouillé partout sans me trouver, ils ont fini par comprendre que l'échange était leur seule chance. Je me doutais qu'ils nous poursuivraient, mais au pire on avait les aigles pour files. Et on a eu de la chance, on n'a pas eu besoin de les exposer finalement ! Ils vont pouvoir rester notre atout secret...
Tout en discutant, elle fouillait dans leurs maigres provisions. Il aurait été risqué de faire cuire leur cuissot de chèvre ici, mais ils avaient encore ce qu'ils avaient emporté en catastrophe la nuit précédente.

Kasumi avait de toutes façons plus sommeil que faim et son corps s'en ressentait des efforts de la journée et de ceux fournis pour la guérison de ses blessures. Il se contenterait aisément de quelques fruits ou racines et d'une bonne rasade d'eau fraîche. Il était néanmoins attentif aux explications d'Eärundra. Si ses premiers mots le firent sourire, il se contenta d'apprécier la suite d'un hochement le tête : la druidesse avait su garder son sang froid contrairement à lui et il mesurait toute la différence d'expérience et de sagesse qui les séparait. C'en serait presque frustrant si ce n'est pas ce qui lui avait permis de survivre à la nuit. Il ne put néanmoins s'empêcher de remarquer d'un ton assombri :

- J'ai à peine pu lui dire quelques mots quand il m'a libéré. Et j'imagine que tu n'as pas non plus discuté longuement avec lui. Nous revoilà donc revenus à notre point de départ mais avec l'effet de la surprise en moins. Je ne sais pas si nous pourrons exploiter les aigles pour le piéger mais c'est effectivement une bonne chose d'avoir gardé cet atout secret...

- On pourra se servir des aigles je pense... Même si l'effet de surprise sera moindre. il faudra faire vite.
La druidesse avait trouvé deux ou trois fruits qu'elle lui tendit.
- Et effectivement, je n'ai pas vraiment pu discuter avec lui... Il faut dire que quand j'ai osé lui ôter son bâillon, il a tenté d'incanter. Mais... il n'y a pas que par les mots qu'on communique. Et ses expressions m'ont au moins confirmé ce que je savais plus ou moins concernant les moyens d'annuler la malédiction... Et ce que je lui ai dit va sûrement le faire réfléchir, et peut-être ce que tu lui as dit aussi. Après, on ne peut pas prévoir dans quel sens ça va le pousser... vers plus de haine ou plus de raison...

Kasumi se saisit de l’un des fruits et fut particulièrement intéressé par ce que la druidesse avait pu apprendre concernant la façon de contrer la malédiction. Il croqua machinalement dans le fruit sucré avant de poser la question qui le taraudait :

- Je ne sais pas si mes paroles l’ont vraiment touché ou conforté dans sa haine. D’un autre côté, si c’est lui qui vient à nous, nous pourrions en tirer un certain avantage : il n’y aurait rien de pire s’il cherchait à se réfugier au sein d’une tribu asabi : je n’ai pas tenté d’épargner sa vie et celle de ses hommes hier pour que cette histoire vire au massacre. Sans compter que nous n’aurions aucune chance de nous en sortir par ce moyen. Et toi, que t’a-t-il confirmé sur le moyen de lever la malédiction qui touche mon père ?

La druidesse prit le temps de répondre, dégustant consciencieusement son fruit, les yeux dans le vague.
- Il existe à ma connaissance deux façons de lever ce genre de malédiction. La plus simple, c'est qu'il accepte de la lever lui-même... ce qui nécessite un rituel assez compliqué j'imagine, mais qui normalement est toujours faisable. La seconde dépend des malédictions... Parfois il suffit que celui qui a lancé la malédiction meure pour en annuler les effets, mais là ça ne suffirait pas, bien sûr. Si tu devais le tuer... il faudrait prélever un morceau de son corps. Idéalement, son coeur, ou bien une main. Un autre shaman pourrait alors lever la malédiction, par un rituel extrêmement complexe... et coûteux. Non pas en argent... mais le rituel exige généralement un sacrifice quelconque. Je me demande si Ta'sslan est capable de lever ce genre de malédiction, ajouta-t-elle pour elle-même. S'il n'est que druide ou s'il a un peu de shaman en lui... mais il saurait de toute façon nous guider...

Les propos d'Eärundra lui arrachèrent une nouvelle grimace : la perspective de devoir convaincre Huasasth paraissait bien éloignée suite à leur première rencontre pour le moins houleuse. Et même s'il y avait un faible espoir de le faire si l'on tenait compte de l'hésitation qu'il avait perçue chez le shaman, il ne voyait pas de moyen de l'aborder à nouveau sans recourir à une force dont ils ne disposaient clairement pas. Huasasth les savait dans la région et redoublerait de prudence voire chercherait à gagner au plus vite l'abri d'une tribu.

Pour autant, il n'était toujours pas résolu à simplement le tuer : l'effet n'était pas garanti et - plus important - malgré ce que le shaman avait fait à son père, il trouvait la mesure extrême et injuste. S'il n'avait pas le choix, ou plutôt si son seul choix était de choisir entre l'asabi et son père, il le ferait mais il n'avait pas envie d'envisager cette possibilité pour le moment. Finissant son fruit sans réel appétit, il répondit sombrement :

- Il sera très difficile de parvenir à le capturer à nouveau pour le convaincre. Et j'imagine que la seule chose qui le ferait réfléchir serait que j'accepte de me livrer à lui.

Eärundra le regarda avec stupéfaction.
- Vous envisagez sérieusement... ça ? Vous vous rendez compte du risque que vous courez ? Ils peuvent très bien décider de vous tuer !
Elle avala sa dernière bouchée, songeuse.
- Vous avez eu la sensation... que Huasasth serait ouvert au dialogue ? Parce que si je me souviens bien, il a tout de même ordonné de nous tuer... Vous pensez qu'il a pu évoluer ?

"Non"

Le rôdeur avait répondu précipitamment, sans même réfléchir mais il précisa aussitôt sa pensée :

- Je ne pense pas qu'il soit prêt à m'écouter même si nous le contraignons à le faire. En fait je ne sais pas : je me sens coupable en quelque sorte. Si on se met à sa place, sa haine est justifiée, non ? J'ai tué ses deux parents pour venger la mort de ma mère. Il y a de bonnes chances pour qu'ils n'aient même pas été impliqués. Alors je me dis que je n'ai pas le droit d'envisager de le tuer tout simplement. Juste parce que cela semble la solution la plus facile. Mais je crois que j'ai besoin d'y réfléchir, de me reposer.

La druidesse hocha la tête, doucement.
- On dit que la nuit porte conseil... Et nous avons tous les deux grand besoin de repos. Nous sommes relativement à l'abri ici. Il leur faudrait plusieurs heures pour nous rejoindre, et ils ne peuvent pas savoir que nous sommes là de toute façon. Eux aussi vont dormir, panser leurs blessures, réfléchir... Je pense qu'on ne risque rien pour cette nuit et qu'on peut dormir tranquille...
Elle lui serra brièvement l'épaule et lui sourit avec douceur.
- Le sol est dur par ici, c'est de la rocaille, et on manque de couverture pour l'adoucir. Voulez-vous... partager mon hamac ? Il est assez large pour deux...

Kasumi était d'accord avec la druidesse sur le premier point : ils étaient autant en sécurité ici qu'ils pouvaient l'être n'importe où ailleurs dans le désert. Et tous deux avaient besoin de récupérer et donc mieux valait prendre le risque de ne pas faire de tour de garde. Sa seconde proposition lui fit hausser un sourcil et il s'efforça de répondre d'un ton léger mais il était évident qu'il était un peu léger :

- Non mais c'est moi qui pourrait penser que tu me dragues maintenant ! Plus sérieusement : je vais dormir par terre. Parce que si Sylvia apprenait que j'ai partagé ton hamac, je n'aurais plus le droit de partager le sien pendant des semaines voire des mois et je n'ai jamais rien su lui cacher.

- Parce que tu comptes lui raconter le moindre de tes faits et gestes ? s'exclama la druidesse en riant de bon coeur. Mais tu vas la lasser, à force, tu sais ? On ne t'a jamais parlé de la nécessité de savoir garder un jardin secret pour l'équilibre de ton couple ?
Elle secoua la tête en levant les yeux au ciel.
- Hum, je devrais peut-être parfaire un peu ton éducation dans ce domaine. Si si, ne fais pas cette tête ! Je suis sûre que j'aurais beaucoup à t'apprendre...
Etait-ce une impression ou son regard s'était fait légèrement aguicheur ?
- Ah, et moi qui me réjouissais d'avoir deux bras musclés pour me réchauffer cette nuit. Et flûte alors... Tu ne sais pas ce que tu perds ! Mais tu sais que tu vas prendre froid, à dormir sur la rocaille par cette température avec à peine une couverture ? Ne compte pas sur moi pour te soigner ! Si tu veux de la chaleur... tu sais où en trouver !, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil... presque suggestif ?
Son ton paraissait plutôt léger, heureusement.
Lui tournant le dos, elle s'affaira à accrocher de son mieux son hamac entre deux rochers.

Kasumi n'en croyait pas ses oreilles mais il fit en sorte de se convaincre que la druidesse cherchait simplement à se moquer de lui. Ce ne serait pas si étonnant quand on connaissait sa propension à considérer que ses choix amoureux étaient parfois trop excessifs... En tous cas, c'était toujours moins étonnant de penser qu'elle puisse être réellement sérieuse. Le demi-elfe se contenta donc d'un grommellement et son regard se fit plus fuyant que d'accoutumée, signe qu'il était tout de même gêné.

- C'est cailloux là ont l'air un peu moins durs que les autres : ce sera parfait !

La druidesse n'insista pas davantage. Il eût même la sensation qu'elle riait sous cape... Elle acheva d'installer son hamac sans un regard dans sa direction, et s'y hissa lestement.
- Hum... le confort idéal ! Tu ne sais pas ce que tu perds ! lança-t-elle en riant joyeusement. Mais bonne nuit quand même ! Ou plutôt... bonne fin de nuit !
Il était difficile de savoir à quelle heure de la nuit il était. La lune disparaissait à l'horizon, gros disque étrangement orangé, comme colorée par les sables du désert qu'elle éclairait. Quoiqu'il en soit, avec les rochers pour leur faire de l'ombre, ils pouvaient escompter dormir un peu plus tard que d'habitude... et récupérer un peu des péripéties de la soirée.

Le lit de gravier qu'il s'était choisi - sans doute un vestige d'une ancienne source - était tout sauf ce qu'il aurait qualifié de confort idéal. Mais même s'il n'avait pas été aussi prude, il n'aurait pas pu décemment donner raison à la druidesse pour la rejoindre dans son hamac. Il fit donc contre mauvaise fortune bon cœur, tâchant de s'installer le moins mal possible : un sac lui fit office d'oreiller et il avait utilisé la selle en cuir de Rubis pour atténuer un peu la dureté du sol. Pour lutter contre le froid, la seule couverture qui restait disponible s'avéra bien peu de chose et il passa un certain temps à grelotter en cherchant le sommeil avant d'être trop épuisé pour rester plus longtemps conscient. Sa nuit promettait d'être peu réparatrice combien même elle ne serait pas hantée par les cauchemars.

La nuit -du moins ce qu'il en restait- ne fut guère réparatrice. Hantée de cauchemars, d'abord, qui le laissèrent en sueur avant que le froid mordant ne prenne le dessus et l'empêche pendant un moment de replonger dans le sommeil.
Il finit par trouver un sommeil plus profond après l'aube, comme l'atmosphère se réchauffait, et se réveilla alors que le soleil était déjà haut. Il se sentait courbattu et frissonnait beaucoup trop, comme s'il avait une légère fièvre peut-être.
Eärundra l'avait laissé dormir. Le voyant ouvrir un oeil, elle lui sourit avec douceur et s'activa à allumer un petit feu sous sa théière.

Kasumi s'éveilla - lui semblait-il pour la dixième fois depuis qu'il s'était allongé. Il se sentait encore moins vaillant que la veille, le "sommeil" ne lui ayant apporté que des désagréments entre cauchemars défaitistes et déprimants, courbatures insupportables et aussi, il le sentit aussitôt en grelottant sous sa couverture malgré la chaleur qui devait maintenant être accablante. Avisant le soleil déjà si haut dans le ciel, il se leva tout de même à la hâte et sentit aussitôt un tournis s'emparer de lui et lui faire voir des étoiles multicolores. Il se mordilla les lèvres pour reprendre contact avec la réalité et se traîna vers le feu en tâchant d'oublier la douleur qui lui barrait les reins. Il devait avoir un teint cireux et - malgré ses efforts - il fut incapable de retourner son sourire à la druidesse. Son ton direct montrait aussi combien son inquiétude d'avoir perdu un temps précieux prenait le pas sur son état de fatigue :

- Bonjour Eärundra. Huasasth va bientôt quitter la zone si ce n'est déjà fait : quelles sont nos options à ton avis ?

Eärundra prit le temps de sélectionner soigneusement quelques feuilles séchées à faire infuser puis s'adossa à la roche avant de lui répondre, avec calme, après un bref regard à la course du soleil.
- A l'heure qu'il est, ils ont sans doute déjà repris la route. Aucun risque qu'ils passent par ici, ça serait un détour illogique... enfin, sauf s'ils décident de contourner la zone par le nord, mais même ainsi, ils ne nous verront pas, on est suffisamment bien cachés...
Elle jeta ses feuilles dans l'eau frémissante, l'air concentrée.
- Nos options... On en a plusieurs. En tout cas, j'en vois deux ou trois, davantage si on compte les plus farfelues... Mais rien qui nécessite une décision urgentissime. Donc... tu vas d'abord prendre le temps d'avaler cette tisane et de déjeûner. On en reparlera quand tu te sentiras un peu mieux...

Le demi-elfe se contenta de s'asseoir devant le feu, perdant son regard dans les flammes en peinant à stabiliser ses pensées. Il avait garda la couverture sur ses épaules et se sentait toujours fébrile malgré le feu devant lequel il tentait de se réchauffer.

- D'accord mais tu as certainement eu déjà l'occasion d'y réfléchir pendant que je me reposais. A moins que tu aies passé une aussi mauvaise nuit que la mienne. Ce dont je doute : tu as toujours l'air au mieux de ta forme, soir ou matin ! C'est parfaitement injuste et je soupçonne quelque tricherie d'ailleurs !

- Je suis elfe, ne l'oublie pas... Enfin, il parait que j'ai eu un grand-père humain, mais ça ne compte pas. Et donc je n'ai besoin que de quatre heures pour me réveiller en pleine forme... C'est rudement pratique, tu n'as pas idée !
La druidesse ajouta une pincée de je-ne-sais-quoi dans la tisane.
- Et je comment bien les plantes... ça aide. Celles-ci ne te guériront pas mais feront tomber ta fièvre, pour quelques heures.
Elle sourit.
- Tu savais à quoi tu t'exposais en dormant au sol... Donc ne compte pas sur moi pour gaspiller un sortilège, que de toute façon je n'ai pas mémorisé. Tu as choisi ce qui t'arrive. Tu devras donc te contenter du pouvoir des plantes...
Ce n'était pas une plaisanterie, ça n'était pas non plus une réprimande. Son ton était celui d'un simple constat.

Kasumi se contenta cette fois d'émettre un grommellement en tendant une main légèrement tremblante pour s'emparer de la tasse :

- Les plantes feront l'affaire : c'est déjà mieux que rien et j'ai connu pire. Ce serait bien de trouver un meilleur lieu de bivouac pour ce soir mais ce n'est pas l'essentiel, encore une fois.

Il porta la tasse à ses lèvres mais dut y renoncer tant elle était encore brûlante. Il reprit d'un ton décidé :

- Je suis têtu, c'est un fait. Et nous avons déjà trop perdu de temps à cause de mes mauvaises décisions de ces derniers jours alors n'y revenons pas : ce serait bien de pouvoir nous mettre en route dans l'heure. Mais pour où ?

La Couronne de Cuivre

[Désert d'Anauroch] Quête : Racines