La Couronne de Cuivre

-Tu connais mon avis sur la question : pour moi, c'est nécessaire dès à présent. Et je crois qu'Hubert est sur une position pas très éloignée de la même.
Elle soupira.
-Mais si nous commençons à nous lancer dans d'interminables débats juste après le petit-déjeuner, nous ne ferons pas grand chose de la journée. Le mieux c'est que tu y réfléchisses et que tu nous dises quand tu auras pu te faire un avis.

" Attends, dit Albérich. Imaginons que j'y consente. Nous pouvons en reparler quand tu seras rentrée de la caserne. Mais je veux que d'ici là, chacun d'entre vous réfléchisse au critère que nous utiliserons pour décider de qui part et qui reste. Je pense que c'est fondamental."
Hubert acquiesça.
" Ça me convient.
— Autre chose, à présent. Les Ithiliens. Je pense toujours nécessaire de les prévenir. J'ai rédigé un document à cet effet. Je veux savoir ce que vous en pensez. Dans l'absolu. Et du texte, le cas échéant."

Elle acquiesxça.
-Très bien. Pour les deux sujets.
La rôdeuse n'avait jamais caché qu'elle ne croyait pas à la réussite de cette démarche : pour elle, les Ithiliens croiraient à un coup monté. Néanmoins, elle n'entendant manifestement pas s'opposer à ce que le projet d'Albérich soit mené à bien.

" Bon, dans ce cas, il faut que je décide d'un endroit où placer ce pli. Un endroit que je pourrais atteindre sans risques... Je ne sais pas encore. Je verrai en fonction de ce que tu découvriras au fort. La présence de la tempête devrait renforcer mes paroles : les conseillers du Duc doivent être conscients que ce n'est pas une perturbation naturelle."
Hubert acquiesça.
" Nous en reparlerons tout à l'heure. Si vous me cherchez, je serai à la bibliothèque."
Il avait d'abord l'intention de retrouver l'Académie, pour savoir qui ils avaient désigné comme coordinateur. Hubert se leva et tint la porte pour Frida, puis Albérich les suivit.

L'Académie avait réintégré la bibliothèque et, aux côtés du Chauntéen et de l'adepte de Deneir, lisaient avec application. Tout le monde le salua amicalement, même s'il perçut des traces d'embarras chez les plus fervents défenseurs de la démocratie - à savoir... tout le monde sauf les deux prêtres susmentionnés. Les deux prêtres que, par ailleurs, on semblait avoir fait en sorte de mettre à l'aise, ce qui était également valable pour les instituteurs dont il connaissait pourtant les réserves vis-à-vis de la profession. Quant au délégué, le rôle avait échu à Philibert, peut-être le plus diplomate du lot.

Albérich n'avait aucune intention de se disputer avec quiconque, même si l'attitude des soi-disants démocrates lui pesait. Sans doute estimaient-ils qu'ils auraient mieux fait de se rouler en boule par terre et attendre la mort. Il enfouit sa hargne le plus profondément possible en lui, sourit à l'ancien instituteur et lui demanda ce qu'il pouvait lire d'utile. Il supposait que l'instituteur aurait assez de jugeote pour l'informer spontanément de découvertes intéressantes. Le contraire aurait été insultant.

Philibert lui expliqua spontanément que Giovanni avait découvert le moyen de bloquer les passages secrets : il suffisait de positionner d'une certaine manière les pierres servant à cacher l'orifice où se trouvaient les mécanismes d'activation pour que ceux-ci soient inopérants. Voilà qui réduisait à néant les risques que le fort soit assailli par surprise.
Pour le reste, pas de grande trouvaille, mais l'instituteurs lui donna la liste de quelques livres qui faisaient partie du programme de lecture et qui semblaient prometteurs.

Même s'il était conscient de leur évoquer des pensées difficiles, Albérich resta dans la bibliothèque pour lire. Fuir aurait été un signe supplémentaire de tension, et il fallait qu'ils acceptent la situation présente, leurs rôles respectifs, qu'ils atteignent une forme d'équilibre malgré leurs rancoeurs respectives. Il n'avait nul besoin de retrouver sa place dans leur groupe : c'était impossible, il en était bien conscient. Mais il n'avait pas pour autant l'intention de se comporter en paria.
Pour le reste, il était prêt à passer sa matinée à lire. Hubert était occupé, Frida en vadrouille, il n'avait rien d'autre à faire dans l'immédiat.

Et bien, il passa donc sa matinée à lire, ne récoltant pas grand chose de vraiment utile.
De son côté, Hubert ne put que constater que Rachel et Edgar avaient fait du bon travail : les mesures de défense du palais étaient au point et pour partie déjà appliquées.
Quant vint l'heure du repas, Frida fit son retour à point nommé. Elle et ses compagnons ne rentraient pas les mains vides : la caserne avait livré ses secrets et les nouvelles trouvailles étaient désormais déposées dans la salle au trésor, avec les précédentes.

Une fois qu'ils eurent mangé, ils se retrouvèrent dans la salle des cartes, pour faire le point.
" Bien... Tous les objets de pouvoir sont désormais entre nos mains... J'imagine que la priorité, pour toi, ça va être de lire la suite des livres...
— Oui, je suppose. Mais si tu veux aller prier dans la chapelle, je peux demander à quelqu'un d'autre de m'assister pendant que je le fais. Ou alors je persévère avec le bouquin sunite : il a l'air sans dangers.
— Oui. C'est peut-être mieux. Et de mon côté, je peux demander à Varamyr de m'accompagner à la chapelle."
Il se tourna vers Frida.
" Est-ce que vous avez pu réfléchir, tous les deux, à la question de l'évacuation ? Aux conditions ?"

Frida haussa les épaules.
-Honnêtement, les critères me paraissent évidents : ne devraient rester que ceux qui savent convenablement se battre ou qui ont des pouvoirs magiques, bref, que ceux qui sont capables de se défendre, qui peuvent se rendre utiles dans les immenses tâches qui nous attendent et que nous n'aurons pas besoin de protéger. Cela exclue donc les enfants, les veillards et une grande majorité des adultes, ceuq qui ne savent pas se battre ou pas assez.

" Je ne suis pas tout à fait d'accord, dit Albérich. Nous allons encore avoir besoin de gens pour guetter, pour explorer sans doute, mais aussi... pour faire la cuisine, la vaisselle, gérer les stocks, réparer les déchirures dans les vêtements, faire la lessive, nettoyer les chambres et les latrines... Lire tous ces fichus bouquins, aussi, qui demeurent une source importante d'information... Je serais pour fonctionner autrement. Tous les enfants partent. Ainsi que les personnes âgées. Les accompagnent... un parent par fratrie minimum. Et puis le reste sur base volontaire : mais il faut des palefreniers pour gérer les chevaux, des gens pour conduire les chariots, une intendance solide. L'objectif est de rallier le village des Paludiers, aux Dents Grises. Je verrai avec Freya ce qu'elle estime nécessaire en termes d'accompagnement. Peut-être quelques civils avec des aptitudes guerrières, quand même. Mais je le ferais largement sur base volontaire, tout en insistant sur le fait que nous pensons nécessaire cet exode. Et nous le passerons au vote."

La rôdeuse soupira.
-Je pense que les soldats, les éclaireurs et les lanceurs de sorts sont tout à fait capables de s'occuper eux-mêmes de leur tambouille, du raccommodage de leurs frusques, de leur ménage... voire de la lecture. Et je ne suis pas convaincu que pour les civils qui resteraient, en être réduit à jouer les "domestiques" des combattants soit très bon pour leur moral. Mais soit, si tu juges que c'est mieux ainsi...

Albérich se tourna vers Hubert.
" Qu'en penses-tu, toi ?
— Je ne sais pas. Je pense que la ligne est ténue, parfois, entre combattant et non-combattant. C'est vrai qu'idéalement... donner le choix aux gens serait le mieux. Mais s'ils décident tous de rester, que ferons-nous ?
— Je pense qu'on peut leur proposer de rester pour autant qu'ils se rendent réellement utiles. Je ne les imaginais pas comme les domestiques des combattants mais comme... la nécessaire intendance qui va avec une troupe armée..."
Il revint à Frida.
" Tu dis que les soldats peuvent lire mais... la motivation parmi les lettrés n'est déjà pas formidable, alors... s'ils s'en vont...
— C'est sûr qu'il ne faudra pas compter sur moi."

-Sauf que tu n'as pas le choix, mon vieux : tu es le seul à pouvoir lire les quatre manuscrits que nous avons découverts et qui semblent, à eux seuls, rassembler la majeure partie des informations dont nous avons besoin. Si cela se confirme, d'ailleurs, nous pourrions tout simplement suspendre les activités des lettrés qui, pour l'instant, n'ont pas apporté grand chose. Par ailleurs, même si l'équipe actuelle s'en va, il est possible de demander aux clercs de les remplacer. Cela ne plaira pas forcément à certains d'entre eux mais... Vu notre situation, on ne peut écouter les diverses envies de chacun : on fait ce qui doit être fait, et si on ne veut pas le faire, on part avec les civils.

" Je parlais de livres normaux. Je ne comptais pas me débiner pour les autres... Il y en avait un à la caserne aussi ? Misère, j'espérais être épargné... Mais c'est sans doute le plus intéressant."
Albérich secoua la tête.
" Excusez-moi d'insister mais nous ne pouvons pas nous aliéner les gens de la sorte. Il faut leur laisser une certaine latitude. Je comprends votre point de vue pragmatique, il est sans doute le plus efficace. Mais il n'est probablement pas nécessaire d'aller jusque là. Je pense que nous devons ménager la sensibilité du gros de notre population. Sinon, quand nous reprendrons Clairétoile, plus personne n'en voudra !"

-Je dirais plutôt que plus personne ne voudra de nous. Mais personnellement, du moment que nous éradiquons les menaces auxquelles nous sommes confrontés et que nous sauvons les vies de nos compagnons, le reste m'importe peu.
Elle secoua la tête.
-Franchement, Albérich : ceux qui vont être écartés constitueront à eux seuls une large majorité. Donc quoi qu'il arrive, même en essayant de ménager les susceptibilités, nous aurons la majorité contre nous : les civils vivront très mal le fait d'être écartés et nous en voudront. Dès lors, pourquoi s'embêter la vie ?

" Je suis assez d'accord... mais pas complètement. Je pense que c'est utile de montrer à la communauté qu'elle est en mesure de prendre les bonnes décisions... de se défendre... sans renoncer complètement à ses principes. Si nous décidons de faire fi de tout, de ne rien respecter de ce qui a été voulu par les gens... Alors comment pourraient-ils ensuite croire que la cité a la moindre chance de devenir une réalité durable ? Je ne crois pas que nous soyons devant une alternative tranchée, un tout ou rien... Il y a mille manières d'atteindre le résultat que nous nous sommes fixés. Les gens doivent rester acteurs de leur destin. C'est crucial... pas pour l'instant, mais pour le futur. Si nous n'en tenons aucun compte... nous allons sauver leurs vies, mais rien d'autre. A ce prix-là, autant ramener les Anteluciens et les Luméniens dans l'instant. Ce sera encore plus efficace."

-Je suis d'accord. Dans le même temps... Hormis les mômes, auxquels on ne demandera pas leur avis, qui parmi les personnes qui partiront de toute façon votera pour ledit départ ? Tu as bien vu ce qui s'est produit lorsque les Écorcheurs se sont approchés de la colonne, juste avant que nous arrivions du fort : les civils se sont armés. Nos compagnons entendent... être acteurs même au-delà de leurs propres limites, au-delà du réalisme. Alors oui, la mesure passera : les combattants la voteront, de même que ceux qui ont des proches à mettre à l'abri et que, plus généralement, les plus raisonnable. Parmi les écartés... quelques-uns voteront peut-être pour aussi, mais... ce sera un vote résigné. Bref, ils partiront... la mort dans l'âme, contraints et forcés. Ils ne seront plus acteurs de rien du tout. Alors même si je comprends tes intentions, je me dis que nous allons nous donner beaucoup de mal pour, au final, ne ménager que très peu de monde, puisque ceux qui partiront n'auront absolument cure de nos efforts et... à raison : ils n'auront rien changé pour eux.

" Je sais... mais c'est une question de principe. Je comprends ce que tu veux dire... et c'est sûrement une sorte de perte de temps...
— Ne crois-tu pas que si nous prenons nous-mêmes cette décision, aussi impopulaire soit-elle, nous permettrons au moins aux gens de rester amis ? Je veux dire... la communauté sera contrainte mais restera unie.
— Non. C'est ridicule. Pourquoi devrions-nous être les mauvais de la fable ? Bouse ! Notre action ne vise qu'à permettre à cette communauté d'exister ! Les gens doivent en être conscients. Ils ont l'intelligence de voir la nécessité des prises de décision. Je suis pour le dialogue. Une assemblée ce soir, une présentation des enjeux, un vote."

-Je préfère ma méthode ou celle d'Hubert : dans le fond, ils n'ont absolument pas le choix, alors pourquoi leur faire croire qu'ils l'ont ?
Elle soupira.
-Mais soit : tu es un homme d’État, tu as une certaine habitude de l'art de gouverner alors que nous, non. Faisons donc selon ta méthode, si tu penses qu'elle est préférable. De surcroit, cela nous évitera de perdre davantage de temps et nous permettra de passer à l'action.

Albérich secoua la tête. Son idée n'était pas de contraindre les gens. Il n'était même pas certain que les mettre en sécurité soit véritablement nécessaire : l'Arche était protégée, c'était le meilleur endroit au monde pour affronter la tempête. Alors pourquoi aurait-il dû les forcer à partir, tous, en choisissant lui-même ceux qui avaient le droit de rester ?
" Nous pouvons présenter les choses en assemblée, et trancher demain matin. De toute façon, dans le meilleur des cas, le départ ne sera pas possible avant après-demain matin : le temps de diviser les fournitures et d'organiser les aspects pratiques."
Il soupira.
" Je ne sais pas si nous avons d'autres choses à discuter..."
Dans le cas contraire, il irait trouver Varamyr pour réaliser son petit saut à la chapelle... plus un second à la caserne.

Frida, qui semblait avoir eu son content de discussions pour le moment - mais qui se serait à n'en pas douter fait violence s'il y avait eu d'autres dossiers à traiter -, leur souhaita bon travail à tous les deux et partit de son côté.
Albérich n'eut aucun mal à trouver Varamyr - Hubert lui avait fait part de son attrait pour les jardins - et le rôdeur accepta immédiatement de l'accompagner. Restait juste à savoir si le clerc tenterait d'utiliser une invocation pour activer le téléporteur ou s'il demanderait au paladin d'intervenir.

Albérich n'avait pas l'intention de déranger le paladin, mais il réalisa qu'il lui faudrait le secours d'un des Tymorans pour trouver le panneau de contrôle côté chapelle, aussi se mit-il en quête de Tara ou Tibère. Un seul serait suffisant. Il fit aussi une petite provision de cierges, histoire de reproduire au mieux la cérémonie que lui avait décrite Hubert. Enfin, il ne lui resterait plus qu'à invoquer le singe et partir.

Tara accepta bien volontiers de le suivre : l'équipe étant au complet, le matériel étant rassemblé, ils gagnèrent la salle des symboles.
Du moins, la salle où les symboles pouvaient apparaître.
Sauf qu'ils n'apparurent pas : le singe céleste convoqué par Albérich eut beau obéir à ses consignes, poser la main sur la petite plaque de métal, absolument rien ne se produisit.
A croire que les Anciens avaient davantage sécurisé ce dispositif...

Albérich grommela : ils allaient être obligés d'utiliser Hubert. C'était une tuile de taille qui rendait à nouveau le paladin indispensable pour les transferts... Il demanda à ses deux compagnons de l'attendre, puis se mit en quête de son ami. Celui-ci, comme prévu, était dans la salle du trésor, mais il semblait plus intéressé par l'armure et l'épée qu'ils avaient rapportées de la caserne que par les livres, aussi put-il l'interrompre sans difficultés. Hubert se rendit donc au téléporteur et, sagement, l'activa.

Si la caserne avait offert aux explorateurs un nouveau manuscrit et divers autres artefacts, les plus impressionnantes trouvailles étaient évidemment l'armure et l'épée : il s'agissait d'objets d'une facture incroyable dont Hubert n'avait jamais vu l'équivalent. Des objets magiques, à n'en pas douter. Des objets qui, de prime abord... lui parurent faits comme pour lui : il devrait encore les essayer pour en avoir confirmation mais... telle était bien son impression.
Une fois les symboles apparus sur le sol de la salle, resta à Albérich à faire son choix parmi toutes les destinations possibles.

Il choisit l'un des symboles présent sur l'enceinte intérieure, à l'est, comme les Temples. C'était une zone qu'ils connaissaient déjà et en cas de pépin, il serait plus facile de s'y repérer. Hubert passa le premier, puis Varamyr et Tara, enfin Albérich ferma leur cortège.

Hubert se matérialisa bel et bien dans l'une des petites chapelles.
Mais ce n'est pas vraiment au décor qu'il prêta attention en arrivant.
Non, ce qui capta son attention, ce fut le son caractéristiques d'épées que l'on tire du fourreau.
Puis un ordre retentit, prononcé dans une langue qu'il ne connaissait pas mais d'une voix qui lui était familière.
-Fichtre, Hubert, on ne vous a jamais appris à frapper avant d'entrer ? ajouta la même voix l'instant suivant.

" Oups, répondit le paladin. Hé bien... Hum. Je frappe. Et je ne suis pas seul."
Il se dégagea rapidement du téléporteur, cherchant Guillermo et les gamins du regard.
" Vous aviez parlé d'un temple, pas d'une chapelle."
Tomber sur Guillermo constituait... un certain manque de veine, tout bien considéré. L'interaction n'irait pas sans tensions.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue