La Couronne de Cuivre

-Il me semblait avoir parlé d'une chapelle. Mais ma langue a pu fourcher, je l'admets volontiers, d'autant que je ne suis pas un expert des terminologies religieuses.
Il donna de nouvelles consignes à ses associés qui allèrent se placer près de la porte et entreprirent de monter la garde... tout en continuant à jeter de fréquent regards en direction des nouveaux arrivants dont le nombre croissait à vue d’œil.
-Si vous avez prévu d'organiser quelque chose ici, nous pouvons très bien déménager : les chapelles ne manquent pas, fit le mercenaire d'un ton dégagé.

" Ce n'est pas nécessaire. Nous pouvons nous déplacer plus vite que vous... dit Hubert en se tournant vers Tara. Enfin... dans quelques minutes, si ça ne vous gêne pas."
Albérich demeura silencieux, bras croisés, surveillant le groupe de Guillermo comme s'il craignait qu'ils n'aient désacralisé les lieux. C'était sans doute le cas : Hubert doutait que le mercenaire envoie ses ouailles se soulager à l'extérieur juste par respect d'un culte ancien.

Et bien, malgré tout le mal que le Luménien pensait des mercenaires, il dut admettre qu'il se trompait.
Les lieux n'avaient été souillés d'aucune manière : il n'y avait pas même la trace d'un foyer. Il remarqua simplement des couvertures en piteux état empilées dans un coin, ainsi que des objets hétéroclites alignés au pied d'un mur - sans doute Guillerm les avait-il récupérés au cours de ses explorations et de ses combats.
-Avez-vous réussi à découvrir à quoi servait ce type d'endroit ? s'enquit l'ancien capitaine d'un ton badin.

Hubert jeta un coup d'oeil vers Albérich et celui-ci haussa les épaules, bras croisés.
" A rendre grâce aux célestes qui ont permis la création de la ville, je pense, dit Hubert. Au-delà de ça... Nous ne savons pas. Peut-être à les appeler directement... C'est ce que nous allons tenter de savoir. Mais ce sont des supputations. Pour l'heure, nous n'avons pas percé leur mystère. Mais nous avons trouvé des artefacts puissants dans les Temples. Merci pour ce... coup de pouce."

-Pas de quoi.
Il observa quelques instants le groupe qui lui faisait face.
-Nous allons nous replier, afin de vous laisser procéder à... à la cérémonie que vous envisagiez, je présume. Je ne voudrais pas que nous soyons un obstacle.
Il donna de nouveaux ordres et ses acolytes, abandonnant leur guet, entreprirent de rassembler leurs affaires. Guillermo lui-même alla récupérer un petit coffret qu'il vint ensuite déposer entre les mains du paladin.
-Apparemment, l'un des traitres l'avait gagné aux dés. J'ai pensé que vous seriez heureux de le récupérer.
Il s'agissait du jeu d'hermines.

Hubert resta stupéfait et prit l'objet avec une révérence maladroite. Il n'aurait jamais imaginé que Guillermo puisse savoir à quel point il y tenait.
" Je suis plus qu'heureux, merci, dit-il. Il parait que tu es redoutable, à ce jeu, en plus... d'être redoutable dans tous les domaines. J'espère que... nous aurons l'occasion d'y jouer ensemble un jour."

-Je l'espère également.
Il lui donna une tape amicale sur l'épaule puis s'en fut récupérer le reste de son matériel et rejoindre ses associés. Toutefois, il s'immobilisa sur le pas de la porte et se retourna.
-J'ai l'impression que la situation n'est plus tout à fait sous le contrôle du duc, à la forteresse. En tout cas, ça ne doit pas être très serein, là-bas, car il commence à y avoir des désertions. Je ne sais si c'est positif ou négatif pour vous... Quoi qu'il en soit, soyez prudents, il y a désormais des petits groupes de soldats en maraude dans la cité.

" Merci de l'information." dit Hubert, regrettant de le voir partir.
Une fois qu'il fut sorti, il se tourna vers Albérich.
" Ne peut-on vraiment pas... faire quelque chose pour eux ?
— Non. Je suis désolé. Soit ils sont avec nous, soit ils ne le sont pas. Les choses sont trop précaires pour les demi-mesures. Nous avons besoin de lutter pour un but commun, clairement défini. Les électrons libres représentent un risque. On ne peut, par définition, pas s'y fier."
Le paladin soupira.
" Je sais."
Il alla rejoindre la Tymoranne.
" Tu trouves ?"

-Désolée, mais je me voyais mal commencer à fouiller les lieux alors que leurs occupants étaient encore présents, répondit la Tymorane que la scène avait manifestement laissée très perplexe.
Et il n'y avait pas qu'elle : Varamyr aussi fronçait les sourcils, une légère grimace aux lèvres.
Mais ni l'un ni l'autre n'évoquèrent la question : le Paludier alla se placer près de la porte, pour monter la garde, et la prêtresse débuta ses recherches.

" Bon, profitons-en, dit Albérich. Réexplique-moi exactement le contenu de ta vision, dans le plus de détails possibles."
Il s'assit sur un banc, le paladin le rejoignit et s'efforça de se remémorer tout ce qu'il pouvait de ce qu'il avait "lu" la veille. Le clerc l'écoutait, concentré, manifestement bien décidé à reproduire la scène au mieux, ce qu'il ferait sans doute dès que Tara aurait déniché le panneau de contrôle.

Hubert put se remémorer l'endroit où avaient été installés les candélabres - lesquels se trouvaient toujours dans la chapelle -, ainsi que l'air de certains des hymnes entonnés - ceux qui lui étaient familiers, en réalité. Il n'eut pas de mal, non plus, à se souvenir de la place occupée par l'assistance, par les officiants...
Le temps qu'il termine son récit, Tara avait découvert le mécanisme.

Laissant le Paludier garder la porte, Albérich fit ensuite asseoir Tara et Hubert, puis il s'improvisa célébrant. Il alluma les cierges qu'il avait emportés, les plaçant sur les candélabres, puis entonna un hymne proche de ceux qu'avaient entendus le paladin, avant de prier. Il n'avait pas d'idée précise de quoi dire, mais il se laissa porter par son inspiration, saluant les célestes, louant leur bonté, les implorant de leur venir en aide. Il repoussa toute hésitation au plus profond de lui-même. C'était une tentative comme une autre, et ils étaient obligés de ne rien laisser au hasard...

Si la Tymorane fut embarrassée de participer à une cérémonie lathandrite - car les airs reconnus par Hubert et antonnés par Albérich étaient bien de cette nature -, elle ne protesta pas et se recueillit de son mieux.
A l'issue de la célébration, peut-être une vingtaine de minutes plus tard, Albérich eut l'impression que rien n'avait changé, si ce n'est qu'il se sentait particulièrement bien, particulièrement apaisé.
Tara attira alors son attention sur un détail.
Les yeux de la statue s'étaient mis à luire, tels deux petits soleils venant de s'extirper de l'horizon, flamboyants.

Albérich était assez stupéfait que sa petite cérémonie — bien agréable au demeurant — ait eu le moindre effet. Mais Tara avait raison : la statue avait désormais les yeux lumineux.
" Diable..." souffla-t-il.
Quelque chose s'était réveillé... ou activé... mais quoi, et pourquoi... ?
Il regarda si les yeux fixaient quelque chose en particulier, à tout hasard. Sinon, il faudrait peut-être sortir pour en juger... ou attendre qu'Hubert ait lu davantage de choses dans son livre.

Les yeux ne paraissaient rien fixer de particulier : ils luisaient, simplement, comme les symboles dans la salle des téléporteurs. Rien d'autre n'avait changé à l'intérieur du bâtiment et, quand ils sortirent, ils ne notèrent aucune différence dans son apparence extérieure ou dans les environs. En revanche, ils constatèrent de visu que les nuages d'un noir d'encre s'étaient étendus, recouvrant désormais une bonne partie de la cité. L'air était glacial, immobile, silencieux.

" Il faut peut-être tous les allumer, dans tous les sanctuaires, pour qu'ils génèrent quelque chose, dit Hubert après qu'ils aient refermé la porte. Un dôme protecteur ou un rayon...
— Vu le temps que ça prend, on va attendre que tu aies vu quelque chose de plus précis dans un des livres, répondit Albérich. Rentrons à présent. Je voudrais encore que tu m'emmènes rapidement à la caserne.
— Que comptes-tu y faire ?
— Y déposer mon message pour les Ithiliens."
Ils repartirent donc vers le téléporteur et le palais. Ensuite, Hubert et Albérich feraient leur dernier voyage de la journée.

Comme ils ne semblaient vouloir aucune escorte, ni Varamyr ni Tara ne s'imposèrent, restant plutôt au palais.
Quelques instants plus tard, les deux amis, quant eux, se matérialisaient dans la caserne.
Restait à choisir un emplacement où déposer le fameux message : l'endroit étant fort vaste, le choix ne manquait pas. Heureusement, Hubert commençait à bien connaître l'édifice.

Hubert opta pour un endroit reconnaissable, près de l'entrée. Il serait ainsi plus facile pour Albérich d'indiquer à Louis où le trouver lorsqu'il le contacterait. Dès que cela serait fait, il ne leur resterait plus qu'à rentrer au palais. Le paladin y avait une pile de livres à feuilleter et il avait envie de regarder l'armure et l'épée de plus près... Sans parler d'une assemblée houleuse à organiser... La journée était loin d'être finie.

Ils regagnèrent sans entrave la salle des symboles puis le rez-de-chaussée du palais.
La Communauté vaquait à ses occupations habituelles. Peu de choses avaient changé, en réalité, hormis le fait que le nombre des résidents avait plus que doublé et que les hommes d'armes étaient beaucoup plus visibles, montant la garde, patrouillant, s'exerçant...
Difficile de nier qu'on était sur le pied de guerre.

Satisfaits de leur escapade, Albérich et Hubert se séparèrent. Le premier avait l'intention d'aller contacter Louis, puis de préparer l'assemblée qui aurait lieu après le souper — il fallait d'ailleurs encore en informer les gens et il devait revoir Freya pour voir exactement les modalités de cet exode, tandis que le second allait sagement lire quelques pages du livre lathandrite avant d'organiser une petite réunion d'état-major. Tout cela les mènerait assurément au souper.

Une fois n'est pas coutume, lorsque le Luménien eut lancé son sortilège et établi le contact, son correspondant ne lui laissa pas le temps d'entamer la conversation.
Megrall, ordonnez évacuation. Ici, chefs fous, ceux qui peuvent fuient. Catastrophe imminente.
Il y avait une vive inquiétude, dans son ton. De la détermination, aussi.

Au temps pour sa tentative de les raisonner.
Impossible. Catastrophe doit être jugulée sinon Hélonna en danger. Les mines sont-elles dégagées ? Où sont nos amis ?
Il était conscient de laisser à Louis une belle opportunité de lui mentir, mais il fallait compter sur une petite once de décence survivante, et peut-être sa panique...

Aux mines. Jour et nuit. Toujours creuser, déblayer.
Court silence.
Ai caché écuyer Étienne et d'autres. Ou les envoyer ?

Etait-ce un piège ? Etait-ce la vérité ? Comment le savoir ? Louis s'était rendu coupable d'un crime innommable, il avait trahi Etienne, pourquoi aurait-il soudain eu pitié de certains ?
Mais Albérich ne pouvait pas ne pas prendre le risque.
Il devait y avoir un sanctuaire près de l'ancienne caserne. Même si les Ithiliens essayaient de les piéger, jamais ils ne devineraient qu'ils pouvaient s'y introduire directement par l'intérieur.
Chapelle non loin caserne.
Il essaya de visualiser le tracé de l'ancienne enceinte, la position des symboles.
Vers centre. Statue ailée.

Il n'obtint aucune réponse. Et pour cause : Louis était à court de mots.
En revanche, il en restait quelques-uns au Luménien.

Albérich ne sut qu'ajouter. Une mise en garde, une menace, un encouragement, un signe.
Qu'il tente de se rattraper après toute cette infamie, c'était presque drôle...
Lathandre était le dieu des secondes chances, bien sûr.
Mais cela ne voulait pas dire que les coupables ne devaient pas payer pour leurs crimes.
Nous viendrons les chercher demain, dit-il finalement, rien d'autre, avant d'effacer le contact.
Il remonta ensuite à l'étage, cherchant Frida plutôt qu'Hubert.

Il finit par la dénicher dans une salle immense où avaient été installées des manières de cibles et où elle supervisait les exploits de plusieurs archers civils, se fendant de conseils ou d'encouragements. Néanmoins, elle abandonna son poste sitôt qu'elle l'aperçut.
-Rassure-moi, dis-moi que nous n'allons pas organiser une nouvelle réunion séance tenante...
Elle plaisantait.
Quoique peut-être seulement à moitié.

" Non, je te rassure, murmura-t-il, conscient de sa crainte, et la comprenant malgré lui. Je voulais te parler d'une question... et bien militaire, je suppose... et comme Hubert est occupé..."
Ce n'était pas la véritable raison de cette approche. Il avait l'impression que les principes du paladin le feraient hésiter là où la rôdeuse saisirait peut-être une opportunité...
" Les Ithiliens sont en pleine débandade. Il y a apparemment beaucoup de désertions. Je me demandais si ce serait opportun d'essayer de prendre des prisonniers. Pas pour faire pression sur le Duc mais pour disposer, peut-être, d'une source d'information... A côté de ça... Il est possible que nous récupérions quelques uns des nôtres demain..."
Au moment de le dire, il eut l'impression que c'était une énormité.
" J'ai donné un rendez-vous à Louis, demain. Il m'a dit avoir soustrait quelques personnes aux Ithiliens."

La rôdeuse écarquilla les yeux.
-Et tu le crois ? Cette petite merde nous a tous menés en bateau, nous a trahis, est responsable de la chute de la forteresse, de la mort de plusieurs de nos compagnons, de l'asservissement de plusieurs dizaines d'entre eux et... Tu as cru à son histoire ?
Elle prit une profonde inspiration.
-On va dire... que c'est... hum... Une... Une particularité religieuse.

" Je sais. Et je suis conscient qu'il m'a sans doute menti. Mais je ne pouvais pas... je ne sais pas. Nous ne sommes pas obligés d'y aller." dit-il avec un haussement d'épaules.
Elle avait raison, il était stupide.
" Nous en revenons à ma première question."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue