La Couronne de Cuivre

Une fois les prières terminées, une fois la cérémonie de l'aube présidée, Albérich alla rassembler de quoi manger puis rejoignit ses collègues dans la salle du conseil. Il se sentait plus vaillant que la veille, le lever du soleil avait fait son oeuvre en dépit des ténèbres. Il brillait toujours, immanquablement, au-dessus des nuages.
" Je suis désolé mais je n'ai pas pu leur imposer de partir, dit-il finalement, quand ils furent rassemblés. Vu notre manque d'arguments, ça aurait été de l'abus de pouvoir. Nous le regretterons peut-être mais voilà... J'ai le sentiment diffus qu'ils feraient mieux de partir... certains d'entre eux du moins... mais on ne gouverne pas sur un sentiment diffus."
Il soupira.
" Je vous propose de ne plus y revenir. Je verrai s'il y a des volontaires pour le départ ce matin et préviendrai Freya en fonction. Au-delà de ça... Laissez-moi gérer les civils et occupez-vous de vos objectifs comme s'ils étaient absents. Et si les choses dégénèrent... Les gens auront choisi leur destin. C'est ce qu'ils veulent. Vu ce qu'il s'est déjà produit jusqu'ici... on dira que c'est une décision bien informée."

-En réalité, je pense que tu as agi au mieux, dit Frida, tranquille. Hubert et moi, par notre caractère ou notre formation, manquons sans doute un peu de délicatesse, et leur imposer un départ aurait probablement eu des effets néfastes. Au contraire, leur laisser le choix aura, à mon sens, des effets plus positifs que tu ne le penses.
Elle sourit.
-Mais bref, nous verrons bien. Et d'ici là, je pars à la chasse aux Ithiliens.

" Veux-tu partir par les souterrains depuis le palais ou préfères-tu que je vous téléporte tout de suite près de la zone cible ? demanda Hubert.
— Et nous devons discuter de Louis avant de nous séparer. Après en avoir... parlé avec Etienne hier, si on peut appeler ça parler, je suis plus ou moins convaincu qu'il pourrait avoir été honnête... et je voudrais savoir si vous pensez qu'une intervention sûre est possible..."

Frida se tourna d'abord vers Hubert.
-Je vais sortir par les souterrains. J'ai pris un clerc dans l'équipe, il pourra donc ouvrir les portes et je voulais vérifier s'il n'y a pas des pistes aux abords immédiats du palais.
Elle fit face à Albérich.
-Pour vérifier sans risque, rien de plus simple : il suffit que quelqu'un se rende invisible avant d'utiliser le téléporteur. En cas de traquenard, il pourra se replier avant que les Ithiliens ne se rendent compte de quoi que ce soit. D'autant que comme ils ignorent que nous disposons de ce moyen de déplacement, c'est l'extérieur qu'ils surveileront.

" Je suis d'accord, mais il y a un petit problème, dit Albérich. Je lui ai stupidement fixé rendez-vous dans un endroit que nous n'avons pas encore visité... et nous ne savons pas donc pas où est le panneau de contrôle...
— Si la personne fait immédiatement son retour, le symbole sera encore actif...
— Si c'est toi, je pense.
— Ça peut être moi.
— Bon...
— Et il est quand même possible que le panneau soit partout au même endroit dans les chapelles... Sinon ce serait diablement tordu, tu ne crois pas ?
— Ça te surprendrait vraiment ? dit Albérich en souriant.
— Oui, d'accord... A moitié.
— Mais prévoyons ça pour la fin de journée, de toute façon. Nous verrons... si ça se trouve, nous trouverons des Ithiliens collaborants qui pourront tout nous dire sur les humeurs de Louis.
— Bon. Ça marche. Je lis, tu traques, et toi tu... fais une liste des personnes en partance."
Le programme étant fait, ils n'avaient plus qu'à se mettre au travail.

Une fois n'est pas coutume, le Luménien ne cessa de recevoir des visites tout au long de la matinée.
Les colons avaient prit le temps de réfléchir durant la soirée, sans doute durant une partie de la nuit, aussi.
Certes, les arguments manquaient pour justifier une évacuation, ou plutôt pour motiver son caractère urgent. Toutefois, Albérich restait l'ancien Aubemestre d'Helonna, l'un des plus puissants serviteurs de Lathandre que comptait l'île : dès lors, fort logiquement et passées les primes réactions de dépit, on avait tendance à se fier à son avis.
Au final, l'intégralité des enfants de la Communauté partiraient, de même que, pour chaque fratrie, un parent - ou, pour ceux dont les parents étaient captifs, un proche ou une personne dévouée. Seraient encore du voyage les anciens qui se sentaient le courage d'affronter à nouveau un tel périple.
Au total, plus de deux cent personnes s'en iraient. On ne pouvait pas exactement dire que leur moral était bon, c'était plutôt la résignation et le découragement qui dominaient. Néanmoins, les gens s'efforçaient de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Albérich était surpris qu'ils soient si nombreux. Il prit note de chacun des noms, leur donna rendez-vous pour une assemblée qui leur serait réservée en milieu d'après-midi, leur dit qu'ils avaient la possibilité de changer d'avis jusqu'à la dernière seconde. Il assura ceux qui en avaient besoin qu'il était persuadé que c'était un bon choix, qu'ils pourraient participer à une véritable vie de village, profiter des extérieurs, que les enfants seraient bien accueillis, qu'ils rendaient service à la communauté en tissant des liens avec de proches voisins, les Paludiers, et que ce serait tout bénéfice s'ils avaient le temps d'apprendre certaines de leurs techniques pour survivre dans les Landes : usage des plantes, des animaux locaux, appréhension du terrain... Il y avait de quoi faire !
Mais il reprendrait ces aspects après avoir discuté avec Freya... ce qui attendrait après le repas...

De son côté, malgré ses réticences, Hubert s'était à nouveau penché sur le manuscrit découvert à la caserne.
Il avait eu d'autres visions de cérémonies dans les chapelles. Mais, surtout, il avait assisté à une scène impliquant l'être ailé : devant ce qui devait être le conseil d'une Clairétoile naissante, il avait dessiné un plan, sur le sol, et placé divers points sur ce qui semblait être l'emplacement des premiers remparts ; suite à cet échange, le paladin fut témoin de l'édification de l'un des petits sanctuaires.

Albérich ne quitta son poste qu'une fois le repas servi. Il rejoignit la salle principale pour y retrouver Hubert et celui-ci l'entretint de ses visions matinales.
" Je pense que ça vaudrait vraiment le coup de tout activer...
— Oui, mais ce serait déjà bien si on vérifiait que la statue d'hier a toujours les yeux ouverts... Est-ce que tu as vu quelque chose par rapport à ça, dans les visions ? Si c'était crucial, ça aurait dû y figurer de manière claire...
— Pas que je me souvienne. Je n'ai peut-être pas été assez attentif à cet aspect des choses...
— Ecoute, va toujours voir avant d'organiser cette histoire avec Louis. De mon côté, je vais être occupé par les aspects pratiques de l'évacuation pendant toute la journée.
— Combien de personnes, au final ?
— Plus de deux cents. Jamais je ne l'aurais imaginé, vu la manière dont les choses se sont déroulées hier...
— Il y a toujours une majorité silencieuse qui ne crie pas aussi fort que les indignés...
— Sans doute. Maintenant, il ne faut pas les décevoir."
Dès qu'ils auraient terminé de manger, Hubert irait à la chapelle, Albérich trouver Freya.

Mais avant qu'il ne trouve Freya, ce fut Philibert qui le trouva.
-Albérich, est-ce que je peux te dire un mot ?
Vu sa mine grave, il n'était certainement pas question des dernières découvertes de l'équipe de lecture.
-Voilà, je voulais simplement te prévenir qu'Agathe, Rebecca et moi-même ferons partie des évacués.

Albérich sourit doucement.
" Je m'en doutais, dit-il avec franchise. Je le déplore, mais je le comprends."
Il hésita.
" J'espère que vous prendrez le risque d'attendre la fin des hostilités avant... d'autres décisions."

Il rit.
-Sois rassuré sur ce point : on est des teignes, on ne renonce pas si facilement. Pour le reste, je ne vois pas comment tu peux déplorer notre départ, dans la mesure où... nous sommes des instituteurs et que, par définition, nous n'avons absolument aucune raison d'être dans un groupe militaire dont les enfants sont exclus. Mais je ne doute pas que les clercs, avec leurs sorts de compréhension des langues, nous remplaceront avantageusement.

" Sans doute... mais mon regret de voir partir des gens n'est pas forcément lié à leur seule utilité pratique, répondit Albérich. Vous avez été les premiers à m'accueillir dans la communauté, et je n'oublierai jamais la camaraderie de l'Académie, nos journées de périple à lire, jouer, bavarder et boire ce formidable Castel Margelle. Vous m'avez... ouvert vos portes... même après que je vous ai trahis auprès d'Alban. Tout ça est peut-être lointain, et beaucoup de choses se sont produites depuis... mais pour moi, ça reste important. Vous voir partir, c'est... difficile, c'est tout. J'ai le droit de le déplorer même en étant persuadé que vous pouvez faire du bon travail aux Dents Grises, auprès de nos enfants ou des Paludiers, même en sachant que nous nous débrouillerons pour lire ces vieux bouquins sans votre expertise. Mais je suis rassuré de savoir que vous allez vous accrocher... Alors ce ne sera qu'un au revoir, et nous pourrons célébrer ensemble, quand tout ceci sera terminé."

-Nous n'avons pas non plus oublié, Albérich, et nous espérons bien que tout ceci ne sera qu'une sombre parenthèse, que nous pourrons ensuite reprendre les choses là où nous avons été contraints de les laisser...
Il soupira.
-Tu sais, si nous ne te connaissions pas, si nous ne te faisions pas confiance, je pense que tu aurais trouvé en nous des opposants acharnés. Alors certes, nous sommes amers et malgré nos efforts pour le dissimuler, cela doit transparaître et te donner l'impression que nous sommes des gens ingrats et inconséquents... Ce n'est pas le cas, pourtant, et nous nous doutons bien que les choses ne sont pas simples, pour toi. Mais voilà, nous nous débattons... avec ce qui ressemble beaucoup à un deuil.

" Je sais, dit Albérich avec un sourire embarrassé. Mais je n'ai pas rejoint la communauté avec les mêmes attentes que vous. Je comprends le deuil... mais je crois aussi que nous n'avons pas de latitude, ou très peu. Je sais que ça n'en rend pas forcément la mixture plus facile à avaler... Mais l'alternative est de périr, simplement. Nous avons déjà beaucoup perdu... Les concessions sont douloureuses, je sais. Mais je pense que si les membres de la communauté étaient réellement prêts à mourir plutôt que de se réorganiser... C'est ce que l'assemblée aurait décidé. Le désir de survivre est puissant. Je crains de mieux le comprendre que les absolus."

-Je le comprends aussi. Je le respecte, même. Silmpelment...
Il secoua la tête.
-Comprends que pour nous, Albérich, il ne s'agit pas de simplement faire des concessions : en l'occurrence, il s'agit de renoncer à à peu près tout. Dès lors, je pense qu'on peut nous pardonner... L'amertume que nous nous efforçons de contenir.
Il soupira à nouveau.
-Enfin, nous verrons. Si ce qui se bâtit ensuite ne nous convient pas, et je pense que cela ne pourra plus nous contenir, compte tenu de tout ce qui s'est passé, rien ne nous empêchera de chercher un ailleurs. Et d'ici là, nous ferons notre possible non seulement pour ne pas gêner mais, de surcroit, pour nous rendre utiles. Nous demandons simplement à être compris comme nous comprenons les autres, à ne pas être jugés par ceux qui, contrairement à nous, ne voient pas tout ce à quoi ils aspiraient être réduit à néant.

Albérich faillit lui dire que non, il ne comprenait pas. C'était vrai. Il ne mesurait pas ce que ce "tout ce à quoi nous aspirions" signifiait. Etait-ce juste parce qu'on avait sondé des auras ? Mais on l'avait fait au lendemain de la trahison d'Ignace, déjà... le faire avec le nouveau groupe était très simplement nécessaire vu ce que Louis avait mis en branle. Etait-ce le fait que transitoirement, le temps d'une guerre potentiellement dramatique, le conseil ait un peu plus de latitude ? Cela semblait peu de choses, aux yeux du Luménien. Surtout que ces deux éléments n'étaient pas appelés à se pérenniser...
" Personne ne vous juge. Et je vous suis gré des efforts que vous faites pour ne pas laisser votre amertume vous submerger."
Pourquoi ces gens étaient-ils à ce point pétris d'absolus ? Pourquoi un homme qui avait fui le temple, qui avait eu une vie trouble, était-il soudain à ce point extrême ? Il le saurait peut-être un jour, quand ils pourraient reparler de cette époque autour d'un verre de vin. Ce n'était pas aujourd'hui.

L'instituteur le fixa, soupira à nouveau.
-Essaie juste de toujours garder à l'esprit ce que c'est, d'être le pion de base d'une structure autoritaire. D'être celui qui doit exécuter les consignes, qui doit ployer l'échine, qui doit accepter les décisions venues d'en haut, accepter d'être mis de côté sitôt que les hautes sphères le décident. Tu n'es pas l'un de ces nantis qui ont toujours commandé : tu viens d'en bas, je suis bien placé pour le savoir. Mais parfois, à force d'être en haut... On peut en venir à oublier que ceux d'en bas ne sont pas juste des petits soldats bons à obéir aux ordres. Hubert et Frida, eux, l'ont manifestement oublié. Tant que toi tu t'en souviendras... Tout ne sera pas perdu pour la Communauté.

C'était trop difficile de résister.
" Philibert, quand, au juste, une telle chose s'est-elle produite ? Quelle structure autoritaire ? Nous convoquons des assemblées presque tous les deux jours... J'ai cherché des candidats pour rejoindre le conseil, personne n'a bronché... Nous avons discuté tous ensemble des options, des dangers... Je ne comprends pas d'où vous vient cette... angoisse... ou cette perception... que le pouvoir est subitement exercé d'en haut, sans vous demander votre avis... Je veux dire... Que vous a-t-on imposé, au juste ? Je dois avouer que... je suis vraiment interloqué."

Il eut un sourire amer.
-Il y a quand même... des façons biaisées de présenter les choses pour parvenir au résultat qu'on souhaite obtenir. Prenons un exemple : si tu avais rappelé que le palais, de l’aveu même de Lathandre, était parfaitement sûr ; si tu avais ensuite souligné que le trajet jusqu'aux Dents Grises prendrait plus d'une veille, que c'est l'hiver, que nous pourrions être pris dans une tempête, attaqués par des monstres, des cannibales ou des Ithiliens en maraude... crois-tu que tu aurais eu tant de gens pour accepter ?
Il secoua la tête.
-Voilà comment commence à se faire le glissement, voilà comment un représentant du peuple élu pour exercer les volontés de celui-ci s'arrange pour faire accepter au peuple ses propres volontés.

C'était vil. Et injuste. Et sans doute un peu vrai.
" Il est quand même... normal... qu'un représentant fasse des propositions, non ? Rien ne vient jamais d'en bas. J'ai eu beau... quémander... des opinions, je n'ai rien obtenu, jamais, depuis que nous sommes ici. Je sais que les gens sont assommés par la défaite, mais nous ne pouvions pas rester assis à nous lamenter pendant des mois, si ? C'est ça que vous auriez voulu ? Qu'on attende que quelque chose vienne ? Je suis un citoyen comme un autre. Si personne n'a rien à dire, je garde le droit de donner mon avis, même si je suis un représentant. Ce qui tue la démocratie, dans ce groupe, ce n'est pas que les conseillers imposent... c'est que les autres ne proposent rien."

Son sourire se fit mauvais.
-C'est vrai. Et Frida ne s'est pas attribuée les pleins pouvoirs dans la colonne, en violation flagrante de la charte. Et Marthe a quitté le conseil juste parce que c'est une hystérique capricieuse. Nous sommes les uniques fautifs de tout ce qui se passe. C'est exactement ce que disent tous les grands chefs.
Il s'inclina.
-Mes respects, votre majesté.
Et il tourna les talons.

Albérich soupira et se mit en quête de Freya. C'était inutile de discuter avec les gens extrêmes, il le savait bien. Ils voyaient toujours les choses de manière tranchée, se targuaient de distinguer le bien du mal, l'acceptable de l'inacceptable, sans percevoir les nuances de gris qui existaient dans la plupart des situations. Il ne fallait plus y songer : les instituteurs partaient, en emportant leur vision apocalyptique du conseil, et c'était mieux pour tout le monde. L'amertume qui les rongeait aurait fini par se déverser à l'extérieur : il suffisait de voir comment la conversation avait tourné.
Une petite promenade aux côtés de la Paludière dans les jardins lui ferait le plus grand bien.

Mais il était décidément très demandé, ce jour-là...
-Albérich !
Giovanni le rejoignit en quelques enjambées... puis grimaça.
-Mince, je suis désolé, j'ai l'air de très mal tomber... Enfin, rassure-toi, ce sera bref. Je voulais juste te dire que je serai au nombre des évacués.

" Oh." dit Albérich.
Ce n'était pas une surprise non plus, tout bien réfléchi. Ils avaient dû se monter la tête dans l'Académie de manière spectaculaire. Il hésita : son échange avec Philibert l'avait passablement échaudé. S'il remettait le couvert, il risquait de prendre le train des Dents Grises parmi les premiers.
" Est-ce que tu es certain ? Il y a... beaucoup de choses que tu sais faire qui nous seraient très utiles..."

Il secoua la tête.
-Tu es gentil de dire ça, Albérich, mais c'est faux, et tu le sais. Mes... hum... capacités à découvrir des passages secrets étaient déjà plus que discutables quand je travaillais avec une certaine élue de Tyomra, alors maintenant qu'il y a des clercs de cette déesse sur le pont, je suis inutile de ce côté là. Lire des bouquins, je me débrouillais, même si ce n'était pas ma spécialité, mais maintenant que vous disposez de tout un tas de clercs avec le sort de compréhension des langues, franchement... Bon, et mes quelques sorts, ils ne servent honnêtement à rien, surtout depuis qu'il y a de nouveaux magiciens dans le groupe... Bref, je pense que si je peux aider quelque part, c'est auprès des autres civils comme moi : ils vont avoir sacrément besoin qu'on leur remonte le moral.

Albérich pinça les lèvres.
" Tu dois bien sûr faire ce que tu sens, c'est le plus important. Je sais que ceci... n'a plus rien à voir avec les raisons qui t'ont mené à rejoindre la communauté... et je comprends que tu aies envie de changer d'air... de prendre tes distances... mais ne minimise pas ce que tu as fait pour nous jusqu'ici... et ce que tu aurais encore pu faire."
Hubert allait être stupéfait. Et il n'allait sûrement pas laisser le barde filer sans essayer de le convaincre de rester...

Il le dévisagea, surpris par ses paroles, puis sourit.
-Tu as discuté avec les instits, toi...
Il retrouva son sérieux.
-Ne généralise pas leur amertume à toute l'Académie, Albérich : ils ont un parcours... particulier, qui les rend beaucoup plus sensibles à certaines choses et beaucoup plus... entiers dans leurs aspirations, dirais-je. Mais bref : en ce qui me concerne, je n'ai pas spécialement envie de prendre mes distances ou de changer d'air. Simplement, objectivement, je pense que je serai plus utile avec les civils. Si vous voulez avoir du monde a ramener ici quand vous aurez éliminé démons et Ithiliens, si vous voulez que tout les exilés, entretemps, n'aient pas déprimé au point de renoncer et de gagner la côte, il va falloir des gens pour essayer de maintenir le moral.

Albérich faillit lui parler du moral des soldats, qui allaient se retrouver au coeur de la tourmente, peut-être de l'horreur, et qui auraient eux aussi besoin de soutien, de détente, de divertissement. Les Paludiers avaient sûrement des bardes, et la découverte de leur culture, le partage des tâches au coeur de l'hiver, les nouvelles rencontres... paraissaient déjà des éléments propres à réchauffer le coeur des plus transis. D'autant que Freya avait dit avoir une certaine expérience des humeurs grises...
" C'est vrai. Je te retrouverai à l'assemblée, dès lors. Je dois aller m'enquérir des aspects pratiques de votre périple..."
Hubert allait se charger du peintre dès qu'il serait au courant, c'était inévitable.
" Préviens quand même Hubert de tes intentions. Je pense que... il apprécierait."

Il secoua vivement la tête.
-Je me doute et... dans l'absolu, j'aimerais bien le faire. Mais c'est beaucoup, beaucoup trop risqué. Il serait foutu de m'obliger à rester pour une raison ou une autre. Mais je ne suis pas un soldat : je suis un civil, moi monsieur, et je partagerai leur tragique destin !
Le tout prononcé sur un ton léger.
-Allez, bon courage Albérich, à une prochaine.
Et il s'en fut.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue