[Lieu] La campagne luménienne

[Voyageuse]

C'était court et sibyllin, comme toujours avec ce sortilège... et déjà fini...
" Rejoignez nous vite. J'ai hâte que tu sois là, mon amour", répondit-elle. Elle allait ajouter quelque chose quand elle réalisa que le canal de communication s'était refermé. Elle n'avait pas compté vraiment les mots, mais elle devait déjà avoir atteint son quota. Trente mots, c'était si court...

Elle laissa échapper un soupir, puis la bonne humeur reprit aussitôt le dessus. Il lui avait parlé, ils arrivaient, c'était l'essentiel. Et il avait apparemment trouvé des solutions pour les enfants. Tout irait bien.
" Ils sont à Bortheïas, mais ils nous rejoindront bientôt", résuma-t-elle à Byron en le rejoignant. "Apparemment tout est en bonne voie."

[Galathée]

Le centaure opina du chef avec le sourire et ils poursuivirent leur route. La piste serpentait entre les champs et les prés fleuris, ils virent du jeune blé vert, des plants de légumes, des vignes encore jeunettes, des vaches et des brebis suivies de leurs innombrables petits, les fermes étaient de plus en plus nombreuses et ils traversèrent un premier hameau où ils ne passèrent pas inaperçus. Pour la première fois, Astrée saisit un commentaire désobligeant au moment où ils dépassaient une auberge, une remarque graveleuse, proférée d'une voix avinée, mais comme Byron semblait n'avoir rien entendu, comme l'importun ne les suivait pas, ils continuèrent leur progression sans s'arrêter. A la sortie du village, une paysanne proposait des légumes frais, récoltés du jour, et Astrée put refaire leurs réserves avant de poursuivre. Le ciel était légèrement voilé et la brise piquante, mais les nuages étaient trop légers pour pleuvoir, et le soleil luttait avec énergie pour réchauffer l'atmosphère.

[Voyageuse]

Astrée avait accéléré le pas en entendant les commentaires désagréables, et il lui fallut quelques minutes pour se détendre à nouveau. Bon, elle n'était pas certaine des mots exacts qu'elle avait entendus, mais elle avait saisi l'idée générale et n'avait nulle envie de s'attarder dans les parages. Heureusement que Byron semblait n'avoir rien entendu. Ou peut-être qu'il faisait semblant après tout. C'était ce qu'il y avait de plus sage à faire en l'occurrence...
Le malaise ne dura pas, se dissipant lorsqu'elle échangea quelques mots avec la marchande de légumes. La route était de plus en plus fréquentée, signe qu'ils approchaient de la ville. Et elle savait par expérience qu'ils trouveraient, de ce fait, de plus en plus de petits marchands installés comme elle au bord de la route, vendant fruits, légumes, oeufs frais, confitures ou miel. Exactement ce qu'il fallait pour refaire leurs réserves.
Elle guettait à l'horizon l'apparition des murs de la ville, espérant qu'ils arriveraient suffisamment tôt pour pouvoir, au moins, s'organiser pour se loger quelques nuits, peut-être avec les conseils d'Isudë.

[Galathée]

Malheureusement, si Luménis finit par surgir devant eux, Astrée réalisa qu'ils n'atteindraient pas les murailles avant la nuit noire et peut-être même la mi-nuit. Or, si les portes pouvaient s'ouvrir en cas d'urgence, il était fort probable qu'elles resteraient closes pour deux voyageurs sans motif valable. Byron les aurait sans doute ralliées sans grande difficulté, mais la jeune femme ne marchait pas aussi vite, et elle savait qu'il ne la prendrait pas sur son dos.
Alors qu'ils progressaient, elle réalisa qu'elle reconnaissait les alentours : ils étaient à proximité du village où elle avait rencontré le forgeron et sa petite Zélia, à l'aller. Ils étaient encore loin de la ville, cependant, et s'ils s'arrêtaient là, ils n'arriveraient à Luménis qu'en fin de journée le lendemain.

[Voyageuse]

Astrée n'avait pas l'intention de perdre du temps inutilement. Bien sûr, elle savait avoir un point de chute tout trouvé ici, mais ils étaient trop loin de Luménis, et il était surtout trop tôt dans la journée, pour songer à s'arrêter. Il valait mieux poursuivre leur route.
Elle décida tout de même de faire un petit crochet vers la forge, ne serait-ce que par politesse. Zélie serait certainement estomaquée de rencontrer un centaure. A condition toutefois que Byron soit d'accord. Après tout, il pouvait se trouver mal à l'aise, intimidé, ne pas avoir envie de s'arrêter.
- Byron... Je reconnais ce village, j'y ai passé une nuit à l'aller, chez un forgeron et sa fille. Est-ce que tu penses qu'on peut prendre quelques minutes pour aller les saluer ? ce n'est pas indispensable, c'est juste que j'avais dit que je repasserai les voir un jour, mais j'aurai aussi d'autres occasions.

[Galathée]

" Pas de soucis, dit le centaure en haussant les épaules. De toute façon, nous devons nous arrêter pour manger."
Il lui sourit et emprunta aussitôt le chemin de terre qui menait, en contrebas, à Tournebride. Astrée reconnut rapidement les maisons et la forge, dont s'échappait une fumée fournie, et le bruit du marteau sur l'enclume leur parvint bientôt, porté par le vent. La verdure s'était métamorphosée en son absence : les arbres étaient plus verts, les buissons plus fournis, la glycine sur la façade des maisons était en fleurs, dégageant un parfum capiteux. Byron se laissa guider par la rôdeuse et ils ne tardèrent pas à atteindre leur but, sans avoir été dérangés par les villageois, qui devaient se trouver aux champs, pour la plupart. Seul un chien noir, hirsute, les suivait en remuant la queue, curieux de leur pèlerinage.

[Voyageuse]

Astrée s'approcha de la forge en fouillant dans sa mémoire pour tenter de retrouver le nom du forgeron. Zélia, elle s'en souvenait bien, mais son père... Ah, oui, Léoric, c'est comme ça que l'avait appelé le paysan qui était avec lui à ce moment-là... Enfin, il lui semblait. Elle n'était plus très sûre.
Mais en s'approchant de l'entrée de la forge, elle sentit subitement les mots fuir son esprit. Brusque accès de timidité. Ou souvenirs des événements un peu embarrassants de la nuit. Elle se reprit rapidement, et poussa la porte.
" Hum... Il y a quelqu'un ?"
Bien sûr que oui, il y avait quelqu'un, vu le bruit. Mais est-ce qu'il la reconnaîtrait sans Prince ? Il avait prêté davantage attention à son étalon qu'à elle. Elle se demanda vaguement si la jument, Tâche-de-Lune, portait un petit poulain miel...

[Galathée]

" Non, le marteau est enchanté ! lui répondit une voix joyeuse. C'est plus reposant comme ça, non ?"
Le forgeron se retourna, essuyant ses mains noires de suie sur son tablier de cuir. Il s'empourpra aussitôt qu'il vit la rôdeuse.
" Oups. Je vous ai prise pour quelqu'un d'autre. Je ne voulais pas... Oh, mais on se connait ! Bonjour, Astrée. Je vous serrerais bien la main mais..."
Il jeta un oeil à sa paume.
" Je ne pense pas que vous apprécierez."
Il s'écarta du foyer et vint vers elle et la lumière du jour.
" Vous voilà de retour de votre périple ?"
Il n'avait manifestement pas encore vu le centaure.

[Voyageuse]

Astrée sourit au forgeron, renonçant à lui serrer la main.
" Oui et non..., répondit-elle à sa question. En fait je dois retourner là-bas d'ici quelques jours. Mais j'ai rencontré quelqu'un qui devait se rendre à Luménis et avait besoin d'un guide...
Elle recula de quelques pas et s'écarta de côté, désignant Byron d'un geste.
" Je vous présente Byron. Byron, voici, heu... Léoric, qui m'avait gentiment hébergée à l'aller.

[Galathée]

Le forgeron eut un temps d'arrêt dans l'embrasure de sa porte.
" Wouah, dit-il finalement. Ça alors."
Il secoua la tête puis tendit une main amicale au centaure, qui la serra.
" Incroyable, répéta le forgeron. Enfin... Je savais bien que vous existiez, mais... C'est quand même différent de vous voir en vrai.
— Ça m'a fait la même chose la première fois que j'ai vu un être humain." commenta le centaure avec un sourire.
Le forgeron rit de bon coeur.
" C'est sûr que nos pieds pleins d'orteils sont moins élégants que vos sabots parfaits."
Le centaure rit à son tour.
" En fait, il m'a fallu un certain temps pour comprendre que vous pouviez enlever vos bottes."

[Voyageuse]

Astrée rit joyeusement de l'échange de plaisanteries.
" Ce serait tellement pratique si on pouvait se passer de bottes... On est bien trop fragiles !"
Elle sourit à Byron, puis se tourna à nouveau vers le forgeron.
" Comme on passait juste à côté du village, je me suis dit qu'on pouvait vous saluer au passage. Et je vous remercie encore pour votre hospitalité, d'ailleurs. Mais dites-moi, comment va Zélia ? "

[Galathée]

" Zélia va très bien. Si vous me laissez une minute, je vais aller la chercher. Elle sera contente de rencontrer... Messire Byron."
Le centaure sourit.
" D'autant que cela lui permettra de se rengorger devant toutes ses copines ensuite..."
Léoric jeta un coup d'oeil dans la rue derrière eux.
" Mais dites-moi, où est votre superbe cheval ? J'espère qu'il ne lui est rien arrivé. Il était vraiment magnifique."

[Voyageuse]

" Non, ne vous en faites pas, il va bien !"
Elle sourit, hésitant un peu sur l'explication à donner.
" Il reste simplement quelques jours en pension chez... le beau-frère d'un ami."
Inutile de préciser que c'était aussi loin que Bortheïas. Mais elle se sentait un peu obligée d'expliquer pourquoi elle avait dû s'en séparer : il aurait été plus logique, plus pratique, d'accompagner un centaure en étant elle-même à cheval.
" Il a eu beaucoup de succès auprès de notre hôte, dans la Trouée. Il voulait absolument le garder encore quelques jours, apparemment il souhaitait l'avoir auprès de lui pour une fête locale, pour l'équinoxe. Comme on n'était pas parfaitement sûrs d'être de retour à temps, j'ai préféré lui laisser jusque-là."

[Galathée]

" Ça ne m'étonne pas qu'un beau petit cheval comme ça excite les convoitises, dit le forgeron avec le sourire. De mon côté, je ne sais pas encore si Tache de Lune est pleine. C'est trop tôt pour le dire. Elle n'est plus en chaleurs, c'est déjà ça : le quotidien est plus tranquille."
Il sourit.
" Bon, je vais chercher Zélia. Ne bougez pas... Je vous inviterais bien à manger à l'intérieur, mais... je crains que ce ne soit pas très pratique. Mais si vous contournez la maison par la gauche, il y a le jardin. Il fait un peu mouillé par terre, mais je suis sûr que vous trouverez de quoi vous asseoir... Une chaise, un billot de bois... Enfin, pas vous, évidemment..."
Rougissant, il fila le long de son atelier pour regagner la petite maison où, ils l'entendirent, il se mit aussitôt à appeler Zélia.

[Voyageuse]

Astrée sourit à Byron.
" Viens, allons voir ce jardin. On va bien trouver où s'installer. Zélia sera ravie de faire ta connaissance..."
Elle l'entraîna à sa suite, contournant la maison comme il leur avait indiqué.
" Le problème des maisons humaines, c'est que pour la plupart elles sont trop basses de plafond pour toi. On n'est plus chez Goran... Mais ça n'est pas forcément si grave, puisque les centaures vivent beaucoup dehors... Tant qu'il ne pleut pas, on n'a pas à se plaindre."

[Galathée]

" C'est la bonne saison pour voyager. Et je dois avouer que je ne crains pas un peu de pluie. Les maisons humaines sont un peu effrayantes, avec leurs murs rigides et leurs toits... On dirait des sortes de grottes. Les tentes sont plus aérées et... en cas de problème, on peut toujours en franchir les parois..."
La jardin était de belle taille, et servait à moitié de potager. Astrée trouva aisément une bûche sur laquelle s'asseoir, parmi celle que devait encore fendre le forgeron. Byron se coucha sur le sol, sans s'inquiéter de la boue qui maculerait bientôt ses jambes équines.
La porte arrière de la bâtisse s'ouvrit quelques secondes plus tard sur Zélia et son père. La gamine sourit à Astrée, ravie, mais courut vers le centaure devant lequel elle pila.
" Ouah ! Ouah ! T'as vu papa !
— J'ai vu. Zélia, il faut dire bonjour.
— Bon-jouuuuuuur !
— Bonjour, répondit le centaure.
— Il paaaaaaaaaaarle !"

[Voyageuse]

Astrée éclata de rire.
" Bien sûr qu'il parle. C'est un centaure !"
La gamine semblait complètement ébahie. Et il y avait de quoi, après tout.
" Tu sais, moi non plus je n'avais jamais rencontré de centaure... Et je crois que je les imaginais moins grands. Mais oui, il parle, il parle même deux langues, la sienne et la nôtre. D'ailleurs il sait même lire !"
Elle sourit à la gamine, et jeta un coup d'oeil à Byron, se demandant comment il prenait cet assaut de curiosité. Il commençait à y être habitué, depuis le début de leur périple.
" Et il s'appelle Byron."

[Galathée]

" C'est un nom bizarre, ça.
— Pas autant que Zélia."
Elle lui tira la langue.
" Astrée ! T'es revenue ! Tu vas rester un peu ? Je voudrais que tu m'apprennes plein de recettes ! Avec... du poulet et du lapin et aussi avec des carottes et des épinards et peut-être des lentilles et des champignons... J'ai des morilles et des pleurotes...
— Astrée ne s'arrêtait que pour le midi, Zélia.
— C'est vrai ? Trop nul."

[Voyageuse]

" Je suis désolée ma grande... mais on a du pain sur la planche à Luménis, Byron et moi. Enfin, surtout lui d'ailleurs. Mais je repasserai par ici tôt ou tard, tu sais. Et cette fois j'essaierai de m'arrêter un peu plus longtemps, c'est promis ! Mais si tu veux que je t'écrive une ou deux recettes, y'a pas de souci. Ensuite tu verras à l'usage si elles te plaisent, et puis ce sera à toi d'innover, d'ajouter des ingrédients ou d'en enlever le jour où il te manque quelque chose..."
Elle sourit à Zélia.
" Et là tu dis que tu as des pleurotes et surtout des morilles ? Miam ! Tu peux faire un poulet à la crème et aux champignons. Enfin, si tu as de la crème. C'est délicieux tu verras, et facile en plus, si ça se trouve tu connais déjà. Et puis en accompagnement, des épinards ça irait pas mal, ou sinon des pommes de terre sautée. Mais bon, c'est juste une idée comme ça, tu as sûrement déjà prévu un autre menu, j'imagine... alors fais ce qui te tente. Et sans vouloir te mettre la pression, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil, Byron espère bien découvrir plein de spécialités culinaires des humains... je suis sûre que tu vas te surpasser !

[Galathée]

Zélia la regarda étrangement.
" Quoi ? Tu veux que je cuisine pour vous ?"
Elle secoua la tête.
" Hé ! Il est pas marqué auberge de la forge, là !
— Zélia !
— Non, mais elle a raison, dit Byron. Nous n'allons pas nous faire servir comme de grands seigneurs alors que nous débarquons à l'improviste. Je suis trop grand pour rentrer dans ta cuisine mais si tu m'apportes quelque chose à faire... et nous pouvons contribuer au menu. Nous avons du lièvre. Je suis certain qu'il se mariera très bien avec les champignons."

[Voyageuse]

Astrée se sentit rougir, mais ne se démonta pas. Après tout, c'était Zélia qui avait souhaité qu'elle reste pour apprendre à cuisiner...
" Hey, c'est toi qui me demande de t'apprendre des recettes ! Le meilleur moyen pour cela c'est de les faire ensemble, non ? Je ne comptais pas te laisser faire tout le travail, bien sûr... "
En revanche, elle avait parlé sans réfléchir à l'appétit d'un centaure.
" Par contre, effectivement, tu n'auras sûrement pas assez pour nous nourrir tous les deux en plus. Donc en fait ce n'était pas du tout une bonne idée, il vaut mieux qu'on mange de notre côté... enfin sauf si on cuisine nos lièvres comme le propose Byron. Mais je suis sûre que ton père a bien autre chose à faire, qu'il comptait sans doute manger rapidement à midi et non pas avoir des invités imprévus... donc même si je t'apprends une recette, on n'est absolument pas obligées de rester pour la goûter.

[Galathée]

" Sang de vouivre, comme vous êtes compliqués, tous !" s'exclama le forgeron en se levant.
Il retourna à l'intérieur de la maison tandis que Zélia le suivait des yeux avec une grimace interdite. Elle haussa les épaules, se trouva une bûche couchée pour s'asseoir —*pas trop loin de Byron — et croisa les bras. Léoric revint peu après avec deux pains, une bouteille de cidre, et du fromage et du saucisson qu'il posa dans l'herbe, avant d'y ajouter une motte de beurre frais et quelques oignons de printemps.
" Maintenant ça suffit, les grandes discussions et les amabilités. C'est l'heure du repas."

[Voyageuse]

Astrée sourit au forgeron, un peu embarrassée toutefois. Il n'avait pas idée de l'appétit d'un centaure. Mais elle soupçonnait que Byron allait refréner son appétit pour, justement, ne pas trop déranger. Bah, ça n'était pas grave, ils se rattraperaient le soir.
" Si vous voulez... mais seulement si j'aide Zélia à cuisiner pour la suite !"
Elle se tourna vers la gamine.
" Enfin, si tu es d'accord... On peut faire du sauté de lièvre en sauce, avec des champignons... J'ai aussi d'autres légumes si tu n'en as pas assez. Ou si tu préfères cuisiner le poulet, je peux te laisser un des lièvres en échange, il sera encore meilleur ce soir. C'est toi qui vois ce que tu préfères.
Elle se demanda, un instant, si Byron allait accepter un verre de cidre. Il disait que l'alcool était mauvais pour lui... Mais seulement à partir d'une certaine dose ou dès le premier verre ? Dans le doute, mieux valait qu'il s'abstienne...

[Galathée]

" Quelle suite ? fit le forgeron, incrédule.
— Quelle suite ?" répéta Zélia.
Byron regarda Astrée avec une grimace.
" C'est très bien comme ça, fit-il. Je ne vois pas ce que nous devons...
— Tu peux me noter la recette sur un morceau de parchemin. Et vous pouvez garder vos lièvres. Ça goûte trop fort, de toute façon."
Le forgeron coupa une tranche de pain épaisse qu'il tendit au centaure, lequel l'accepta avec un sourire.
" Et qu'est-ce qui vous ramène à Luménis, alors ?"

[Voyageuse]

Bon... et bien au pire, il ne leur resterait plus qu'à se faire un autre casse-croûte un peu plus loin. Mais d'un autre côté, elle savait que les centaures pouvaient jeûner sans problème quelques temps et se rattraper ensuite. Donc ils mangeraient doublement ce soir, c'est tout. Pourquoi donc, finalement, se préoccuper des quantités tout de suite...
La question du forgeron, en revanche, la laissa un peu embarrassée. Les problèmes des centaures ne les concernaient en rien, et Byron n'avait pas forcément envie de les étaler sur la place publique. Elle resta donc vague.
" Oh, pas grand-chose en fait. Byron est en quelque sorte... l'ambassadeur de son peuple auprès des autorités de l'île. Il doit se rendre à Luménis, pour discuter de quelques problèmes locaux, et il avait besoin d'un guide. Et comme j'étais dans les parages...
Elle estimait que s'il voulait en dire plus, c'était à lui de le faire.

[Galathée]

Le forgeron n'en demanda pas davantage et Byron ne développa pas. Ils déjeunèrent tranquillement dans l'herbe, sous un soleil presque tiède, tandis que Zélia posait mille questions au centaure qui y répondait avec bonne humeur. Elle finit rentrer à l'intérieur pour chercher un parchemin et un crayon à pointe de plomb, puis elle fit poser Byron et Astrée pour en dessiner le portrait. Elle s'appliqua tout en se hâtant, pressée par son père qui ne voulait pas qu'elle mette le curieux duo en retard. Luménis était effectivement encore relativement loin pour qui devait aller à pied. Lui-même finit par prendre congé alors que la rôdeuse terminait de donner sa recette de poulet aux champignons à la petite fille, le travail de la forge le rappelait à son devoir.

[Voyageuse]

Astrée salua le forgeron avec un large sourire, le remerciant encore pour son hospitalité, et termina d'écrire la recette, ajoutant quelques explications orales en la tendant à Zélia.
" Fais voir ton dessin, Zélia ? Ouah, tu es drôlement douée ! Tu sais très bien rendre l'allure générale, et même l'expression des visages... Non, vraiment, c'est un chouette portrait ! Et toutes tes copines vont être jalouses, c'est certain !", conclut-elle en le lui rendant, avant de se lever et de charger son sac sur son dos..
Il était grand temps pour eux de partir. En avançant d'un bon pas, ils arriveraient probablement à Luménis dans l'après-midi du lendemain, si son estimation était bonne. Mais ils avaient déjà bien assez traîné.

[Galathée]

Ils repartirent donc en début d'après-midi. Zélia les suivit un moment et Byron la prit dans ses bras. Il lui expliqua gentiment que les centaures ne prenaient jamais personne sur leur dos et elle parut trouver cela tout à fait raisonnable. Sauf pour jouer à la bataille de chevaliers. Mais les centaures n'avaient pas ce genre d'activités.
Lorsqu'ils atteignirent l'extrême limite du village, la petite fille les abandonna, non sans suggérer à Astrée de revenir, seule, à l'occasion. Son papa avait plein de qualités formidables. Enfin, elle disait ça comme ça. Sans attendre de réponse, elle fila ensuite vers la forge, sautillante. Byron avait l'air un peu interdit, mais il ne fit aucun commentaire. Ils regagnèrent la route principale et reprirent leur longue marche sur une voie de plus en plus peuplée, de plus en plus large, bordée de maisons éparses mais nombreuses et de champs bien ordonnés.

[Voyageuse]

La suggestion, tout sauf innocente, de la petite fille, fit sourire Astrée un instant. Mais ça n'avait rien de drôle en réalité. D'abord, elle se doutait que l'enfant était certainement en mal d'une maman depuis la mort de sa mère, et son père peut-être en mal de compagne. Mais elle se voyait mal expliquer à la petite fille qu'elle avait un compagnon, qui n'était plus le même que celui qu'elle avait laissé à Luménis juste avant son premier passage ici, et que de surcroît ça n'était pas un compagnon pour la vie, mais que pour autant elle ne s'intéressait pas à son père malgré toutes ses innombrables qualités. Non, mieux valait ne pas s'embourber là-dedans, éluder le sujet et faire mine d'avoir pris la remarque comme une simple réflexion sans aucun sens caché. Même Byron avait compris, pourtant.
Ils reprirent leur route d'un bon pas, certainement très lent pour un centaure, mais aussi rapide que le pouvait la rôdeuse. La campagne était de plus en plus peuplée, et elle se dit qu'il leur faudrait peut-être s'y prendre un peu plus tôt que la veille pour trouver un lieu propice au bivouac. Mais même aux abords de Luménis, on trouvait encore quelques petits bosquets, notamment en bordure des rivières. Ils trouveraient bien quelque chose...

[Galathée]

Ils cheminèrent ainsi jusqu'à ce que le ciel commence à s'assombrir. A leur droite, les champs verdoyants révélaient la fertilité du delta de la Lézarde, mais on les imaginait encore gorgés d'eau, propices à la culture de certaines céréales et de certains légumes avides de fraîcheur. Plus loin, les marais étaient exploités pour leur sel en bordure de mer, mais aussi pour leurs crustacés et batraciens, sans compter les zones où l'on extrayait de la tourbe. De l'autre côté de la route, les maisons et les fermes étaient plus nombreuses, les parcelles plus sèches et plus vastes. Des canaux d'irrigation passaient sous la voie pour aller arroser les légumes et abreuver les bêtes. Partout, des paysans étaient au travers. On labourait par là, on semait ailleurs, on désherbait plus loin. Des espaces de friche accueillaient des troupeaux et soudain, Astrée et Byron se retrouvèrent noyés dans un immense torrent de brebis bêlantes. Un peu plus loin, les animaux quittèrent la route pour gagner un pré ouvert, filés par trois chiens hirsutes, puis la rôdeuse se mit à scruter les environs pour leur trouver un point de chute. Il y avait un petit bois un peu plus loin, qui noyait la route sur un tiers de lieue, et plusieurs bosquets de saules et de bouleaux jaillissaient du marais... Ils promettaient d'être humides, cependant.