La Couronne de Cuivre

« Ne soyez pas si dure avec vous-même. A cent ans, je serai sous terre depuis des lustres… Bon, je sais, c’est normal… Mais quand même ! Sans votre mur de flammes, nous aurions été débordés bien plus tôt, et les hommes du baron n’auraient trouvé que nos cadavres. Enfin, le mien, certainement. »
Il avala une lampée de son breuvage et sourit d’aise tant le mélange concocté par la halfeline était délicieux.
« Avez-vous eu l’opportunité d’aller voir si l’esprit avait laissé une trace au vieux temple ? Le baron est d’ores et déjà sur le pied de guerre, sans parler de son sénéchal… »

-Cela ne m'étonne pas... soupira la vieille halfeline. Sire Hugues ne s'est jamais vraiment fait à cet arrangement, même s'il a scrupuleusement respecté les règles en place, depuis son arrivée. Quant au baron... Sa colère est bien légitime, compte tenu de tout ce qu'il a subi.
Elle secoua la tête, serra un peu plus la hanse de sa tasse. Ses mains tremblaient légèrement, remarqua l'ancien aubemestre.
-Et pas de nouvelles de l'esprit.

« Il peut encore se manifester, j’imagine… » lâcha l’ancien clerc, pour dire quelque chose.
Il était bien conscient qu’Ada l’espérait sans plus vraiment y croire. La vieille femme avait vraiment besoin de se reposer. Les questions éventuelles pouvaient attendre.
« Ada, pardonnez-moi mais vous m’avez l’air vraiment à bout… Vous devriez essayer de dormir. Voulez-vous que je vous confectionne une infusion soporifique ? J’imagine que les circonstances vous obligent à faire face, mais vous serez plus efficace avec un peu plus d’énergie… »

-Je ne peux pas me le permettre... répondit-elle tout net. Les choses sont en train de s'accélérer. On ne le voit pas encore, mais elle se mettent doucement en place. Je vous assure que j'essaye de dormir dès que je peux. Mais un sommeil artificiel... Non. Je dois être prête au moindre signe, au moindre appel. C'est mon lot : je suis bourgmestre de Combeloup, après tout. Je n'ai pas accepté cette responsabilité en vain...
Elle lui sourit, vaguement encourageante.
-Ne vous faites pas de souci pour moi, Albérich. Je tiendrai le coup.

Il s’était attendu à cette réponse et ne chercha pas à brusquer la vieille femme. Elle était la mieux placée pour juger, il la connaissait à peine.
« Permettez-moi au moins de vous aider, d’une manière ou d’une autre. Je dois avouer que je ne comprends pas grand chose à ce qui se passe et ce que vous attendez exactement de moi. Personne n’a l’air de penser que le pacte ait été enfreint, et j’imagine que vous n’espérez pas que j’aille courir les bois pour prendre des nouvelles de la santé d’un esprit dont je ne sais rien… »
Il secoua la tête.
« Pensez-vous que l’affrontement soit encore évitable ? »

-Je ne sais pas... Mais j'ai de plus en plus tendance à penser que c'est tout droit vers cela que nous nous dirigeons... soupira la vieille halfeline. Ce n'est pas l'absence de réponse de l'esprit qui me tarabuste le plus : cela prend souvent du temps. Ce qui m'inquiète, c'est le tour que vont prendre les événement ici. Les loups se rassemblent, pour je ne sais quelle raison. Et ils ne sont peut-être pas les seuls. On parle d'ours. Et j'ai vu des rapaces, dans les hauteurs... Face à un tel péril, quelle qu'en soit la cause, sire Eudes ne restera pas les bras croisés. Demain, après-demain peut-être, il fera jouer ses prérogatives et décrètera la mobilisation. Les gens protesteront. Mais la plupart pour la forme seulement : sans réponse de notre contact, avec un danger croissant, comment pourrait-on le leur reprocher ? Et comment reprocher sa colère au baron, ? Il a été le premier touché par ce qui se passe. Doit penser qu'on l'a sciemment visé... Comment s'étonner dès lors qu'il penche du côté de sire Hugues, son homme de confiance, plutôt que du mien ? Je prône l'attente. La compréhension. Ce n'est pas exactement les choses les plus faciles à accepter, a entreprendre, à cette heure.

« Pourquoi dites-vous que sire Eudes a été le premier frappé ? Faites-vous le lien avec les événements d’il y a un an ? Je pensais que son fils s’était perdu dans la brume… Y avait-il des loups, alors ? Et qui auraient attendu un an de plus avant de former une alliance ? Cela me semble avoir peu… peu de sens… A moins que vous ne parliez de Bastien ? Je dois avouer que tant de choses m’échappent… Pourquoi Hughes est-il si hostile à cet arrangement alors que jusqu’à hier, il vous était favorable ? Des envies d’expansion ? Un esprit belliqueux ? Je suis un peu… perdu, Ada. »

La vieille femme sourit.
-Je crains de l'être un peu également... murmura-t-elle. Même si, je l'avoue, j'ai à ma disposition plus d'éléments. Concernant sire Hugues, il a l'impétuosité de la jeunesse. Trouve que nous sommes trop timorés, que l'accord que nous avons conclu est trop à notre désavantage. Il ne l'a pas souvent dit, n'a pas vraiment essayé de changer les choses. Mais il n'en a pas non plus fait mystère. Cependant, il s'est toujours montré loyal envers sire Eudes, et comme celui-ci respectait l'accord...
Ada reposa sa tasse. Vide, désormais.
-Quant au baron... Il fait le lien entre les événements de l'année précédente et ceux d'aujourd'hui Forcément. Ce sont les seuls incidents de ce type qu'ait connu Combeloup depuis des décennies, si l'on excepte la mort d'Eloi. Les trois seuls, entendez-bien.
Elle le regarda droit dans les yeux.
-Et, comme par hasard, ils ont visé... ses trois fils.

Albérich resta muet de stupeur. Pourquoi diantre ne lui avait-on pas dit les choses plus clairement, plus tôt ?
Parce que jusqu’ici, ça n’avait aucune importance.
Et peut-être que personne n’était au courant.
Peut-être aussi n’était-ce qu’une figure de style.
« Bastien est le fils naturel du baron ? Ou bien voulez-vous dire qu’il l’a élevé ? »
Quelle que soit la réponse de la halfeline, l'ancien clerc comprit soudain pourquoi Eudes se montrait si protecteur d'Elisa.

-C'est son fils naturel... répondit doucement Ada. Mais je ne peux pas vous en révéler plus. Ce secret ne m'appartient pas. Je vous en ai peut-être trop dit, déjà... Cependant, je vous fais entière confiance, et je sais que vous n'ébruiterez pas la chose. Même si je crains que cela n'ait plus guère d'importance, au final, vu que... Vu que Bastien n'est plus qu'une coquille vide. Qui ne survivra sans doute plus très longtemps.

Albérich aurait aimé détromper la halfeline et l’encourager à la confiance et à l’espoir. Il n’en fit rien et retomba dans le mutisme, lorgnant sa tasse entre ses mains. Une légère pellicule de petits dépôts végétaux s’était formée à la surface, qu’il remua en imprimant un mouvement circulaire au breuvage. La mort des trois fils du baron semblait effectivement constituer une coïncidence peu crédible. Mais pourquoi la nature aurait-elle eu intérêt à mettre un terme à la lignée du baron, alors que celui-ci respectait les termes du contrat ? Parce qu’il s’y était soumis à contrecoeur ?
« Savez-vous si les loups ont fait des dégâts cette nuit ? Le baron reste-t-il le seul affecté par cette subite agression du monde sauvage ? »

-Pour l'heure, les loups se contentent de se rassembler, si j'en crois les quelques informations données par les soldats du donjon... répondit Ada. En tout cas, le village n'a pas été attaqué, cette nuit. Les fauves tournent autour, hurlent à la mort. Ils n'ont pas encore franchi la frontière, cependant. Vous et moi sommes les seuls, avec Hodor et Bastien, a avoir subi leurs assauts.
Elle soupira à nouveau.
-Mais, là encore, je gage que cela ne tardera pas à changer. Bien sûr, tout ce cirque peut être juste une mise en scène, ou alors un simple hasard. J'en doute, malheureusement...

L’ancien clerc acquiesça, sombre. Il se sentait vaguement mal à l’aise face à la halfeline, parce qu’au fond de lui, il était conscient de ne pas accorder la même importance au pacte qu’elle. Nouveau à Combeloup, il aurait plutôt réfléchi aux moyens de survivre « normalement » dans la nature, pas au prix d’une alliance étrange dont il n’avait jamais rien vu. Quand il entendait Ada parler de mesure, alors que les forces de la nature avaient déjà ravi trois fils au baron, il la trouvait presque insensible. Il savait pourtant qu’elle ne l’était pas, et qu’elle songeait avant tout au bien-être des Combelupins. Risquer un conflit était risquer le village entier. Mais combien de morts faudrait-il avant que la limite ne soit franchie ? Eudes avait raison d’être sur le pied de guerre. Mille loups ne valaient pas la vie d’un gosse. Malgré lui, Albérich se mit à songer aux plantes qui empoisonneraient efficacement leurs agresseurs et à la chance d’en trouver dans la pharmacopée du cottage. En préparant quelques cadavres de moutons et les disséminant dans la campagne alentours, il y aurait certainement moyen de se débarrasser d’un bon nombre de prédateurs. Il porta la main à son flanc blessé. L’expérience avait semé des graines de résolution en lui, il en était conscient. Cependant, il ne prendrait pas d’initiatives, pas encore. Ada semblait croire en cette voie de l’apaisement.
« Je vais remonter au cottage. Si vous avez besoin de moi… »
Il se reprit, réalisant qu'il ne pouvait plus mentionner l'usage d'un messager.
« Je descendrai souvent voir comment les choses se passent et si je peux vous être utile. J’espère que vous trouverez le moyen de vous reposer. »
Puis il se leva.

La vieille femme se leva à son tour et, à petits pas, le raccompagna jusqu'au seuil de sa maison. Elle ne le salua pas immédiatement, passant au contraire quelques instants à contempler les rues de Combeloup, si bien ordonnées, si rutilantes sous la neige immaculée. S'il n'y avait eu de vagues hurlements portés par le vent, l'endroit aurait pu paraître idyllique.
-J'espère que je n'ai pas été aveugle... murmura-t-elle. Que tout cela n'est que coïncidences. Que je n'ai pas manqué les signes, préféré me reposer sur notre antique tranquillité plutôt que de me montrer vigilante... Enfin...
Elle secoua la tête.
-Bon retour chez vous, Albérich. Et... Soyez prudent.

Une seconde, la manière que la vieille avait de parler par énigmes l’agaça. Ne pouvait-elle pas exprimer franchement ce qui la turlupinait ? Mais il se reprit, mit sa brusque bouffée de colère sur la tension palpable qui régnait dans l’air, fit un pas en arrière et salua affablement la halfeline. Ensuite, il reprit le chemin de son refuge, les mains dans les poches. Lorsqu’il dépassa le temple de Lathandre, il hésita une seconde à aller y jeter un œil, mais renonça. Réfléchir à des moyens concrets de protéger le village semblait bien plus urgent que de guetter l’intervention d’un être de broussaille. S’il venait, Ada le réceptionnerait, c’était son rôle.
Tout en grimpant vers les hauteurs, il se demanda pourquoi on avait laissé un enfant se lier avec un animal au point d’en perdre la tête. La chose lui paraissait dangereuse, pour ne pas dire meurtrière, et il était surpris qu’aucun adulte ne soit intervenu pour prévenir cette situation. Cela n’avait rien de sain, d’autant que même si l’on avait laissé Belle aller jusqu’au bout de sa vie naturelle, elle serait toujours morte bien des années avant son maître. Décidément, les Combelupins étaient des gens étranges, et Albérich commençait à trouver les secrets du village des plus pesants. En atteignant les abords de l’ancienne garnison, il maudit Alaric à voix basse. Son cadeau se révélait des plus empoisonnés.

Les signes montrant que sa demeure n'était pas déserte sautèrent d'emblée aux yeux d'Albérich. D'abord, un homme faisait les cent pas sur le toit, sa silhouette se détachant entre les créneaux, sur le ciel nuageux. Ce dernier lui adressa d'ailleurs un signe de la main lorsqu'il l'aperçut.
Ensuite, il faisait bon, à l'intérieur. Un feu nourri crépitait dans l'âtre de la cuisine, et on voyait sur la table les reliefs d'un petit déjeuner. Une théière encore à demi pleine se trouvait non loin, et de l'eau avait été mise à chauffer. Vu le froid mordant qu'il faisait au dehors, il n'était rien d'étonnant à ce que l'on garde de quoi requinquer la sentinelle...
Enfin, des ronflements ténus provenaient de l'une des chambres du rez-de-chaussée. Sans doute l'homme qui dormait là avait-il passé la nuit à veiller...
Pour le reste, la maison était parfaitement en ordre. Le baron n'avait pas menti : ses soldats avaient fait en sorte de se montrer aussi discrets que possible.

Albérich emporta les vestiges oubliés du petit déjeuner à la cuisine et fit une rapide vaisselle avant de regagner sa chambre. Les vêtements que lui avait prêté le baron étaient confortables, mais il rechignait à s’en servir comme s’ils lui appartenaient. Il avait fait l’impasse sur ses ablutions ces derniers jours et il décida d’y remédier en priorité. Cela lui permettrait de surcroît de nettoyer ses plaies et d’en constater la lente guérison. Emmitouflé dans une robe de chambre, il fit un crochet par la cuisine pour fouiner dans la pharmacopée qu’Ada lui avait laissée, avant de retourner à son programme. Une fois propre et pansé de frais, l’ancien clerc se changea, réalisant au passage qu’il lui faudrait bientôt retourner voir Umberto et sa garde-robe, au train où il saccageait ses vêtements. Il regrettait en réalité surtout le vieux manteau qu’il avait amené de Luménis et qui avait fini dans la gueule d’un loup. C’était une relique qu’il avait chérie sans en prendre conscience, jusqu’au jour où il l’avait perdue. Trois fois rien, sans doute, mais c’était une trace d’avant, simplement. C’était peut-être mieux, en fait.
Il ressortit dans le jardin enneigé, quitta l’enceinte de la garnison pour contempler la nature assoupie autour d’eux, toute cette blancheur faussement tranquille, à perte de vue. Il se sentait rasséréné d’avoir deux hommes avec lui, même s’il ne les connaissait pas, qu’ils étaient sans doute d’humeur belliqueuse. Avisant celui qui n’avait pas quitté son toit, il décida de se montrer un hôte attentif et alla lui préparer un en-cas, avant de le rejoindre dans les hauteurs.

L'homme et son comparse pour l'heure endormi n'avaient pas perdu de temps : la plateforme bordée de créneaux qui surmontait l'ancienne garnison s'était vue doter d'un impressionnant tas de bois, lequel avait été recouvert d'une épaisse bâche de toile, afin de le préserver des chutes de neige. Le feu d'alarme évoqué par sire Eudes, à n'en pas douter : ses dimensions excluaient la possibilité d'un foyer destiné à réchauffer la sentinelle, dusse-t-elle être particulièrement frileuse.
Ce qui ne semblait pas être le cas. Portant un confortable manteau de laine par dessus ses mailles, l'homme paraissait parfaitement à son aise. Brun de cheveu et de barbe - qu'il avait touffue -, ses traits étaient vaguement familiers à Albérich. Il l'avait déjà croisé, que ce soit lors de ses visites au donjon où au début de la battue, quelques jours plus tôt. En dehors de cela, une trentaine d'années tout au plus, solide et probablement agile. Le moindre de ces gestes témoignait d'une longue habitude des activités physiques, et d'une grande attention : même lorsqu'il se tourna vers le nouveau venu, il continua à garder un œil sur les environs.
-Salutations, messire Ferwyn ! dit-il en souriant. Et grand merci pour votre prévenance. Cependant, vous n'auriez pas dû vous donner ce mal...
Il lui tendit la main.
-Fergus Gannon, à votre service. Je ferai en sorte de ne pas trop vous déranger tant que je serais sous... enfin, sur votre toit.

Albérich prit la main tendue et la serra amicalement.
« Vous ne risquez pas de me déranger. De la compagnie est bienvenue, surtout par ces temps troublés. » répondit-il.
Il alla se camper près du guetteur. Le panorama était magnifique, à couper le souffle et Albérich laissa un instant son regard se perdre à l’horizon.
« Alors ? Les bêtes rôdent-elles sous le couvert des arbres ? » demanda-t-il finalement.

-Sous le couvert des arbres, sur la neige immaculée et dans l'azur du ciel... répondit le soldat. Il n'est pas toujours évident de déterminer ce qui tient à leurs meurs coutumières et ce qui se rapporte aux événements qui nous occupent, mais... L'on sent tout de même une certaine nervosité et une activité inhabituelle. Les meutes de loups ne se sont pas dispersées ; au contraire, elles paraissent s'assembler. J'ai vu deux ours, aussi, alors qu'ils ne s'approchent guère, d'ordinaire. Quant aux oiseaux...
Il désigna un corbeau solitaire qui fendait l'air en vastes cercles concentriques.
-C'est comme s'ils nous surveillaient, faisaient le guet, à l'instar de votre serviteur. Pour l'heure, en dehors des... incidents que nous avons connus, les animaux n'ont pas franchi les frontières de Combeloup. Elles s'arrêtent ici, au pied de la colline, juste à l'orée des bois.
Il soupira.
-Reste à savoir jusqu'à quand cela va durer.

L’ancien clerc lorgna l’oiseau qui les survolait avec inquiétude. La situation n’avait décidément rien de naturel. Son esprit retomba dans ses ornières habituelles, et il songea à Malar, le dieu des bêtes sauvages, qui vivait pour la chasse et le sang, dont la fureur aurait pu exactement prendre cette forme : animaux contre humains, nature déchaînée contre civilisation. Mais s’il y avait eu un Malarite parmi les villageois, il ne serait pas resté anonyme longtemps, non… Il n’était pas impossible que les montagnes en dissimulent une secte, cependant.
Il frémit malgré lui. Morféa Nwalk, des adeptes de Shar, des suppôts de Malar… Si la patte griffue du Traqueur démoniaque foulait les environs, Hélonna était décidément bien malade. Les bardes d’autrefois en chantaient la lumière, il n’y demeurait que ténèbres.
Il se ressaisit, conscient d’emprunter une pente dangereuse. Pour l’heure, il ne savait rien de ce qui menaçait Combeloup. Sinon que c’était anormal, et c’était déjà trop.
« Je vais vous laisser à votre vigilance. » murmura-t-il. « Si vous avez besoin de quoi que ce soit… Tapez des pieds, je vous entendrai. »
Puis, abandonnant son plateau auprès du guetteur, Albérich reprit le chemin des profondeurs. Il se sentait un peu rouillé, signe que son organisme travaillait encore à retrouver son énergie, et décida de remettre toute investigation au lendemain. A trop batifoler, il risquait de se retrouver au lit, bien plus atteint. Il valait mieux s’offrir une demi-journée de rétablissement. Il cantonna donc ses activités au fauteuil du bureau, où il s’installa pour reprendre le plan de son futur ouvrage d’histoire luménienne. La perspective n’était pas des plus roses, mais tragédie pour tragédie, au moins la dictature avait-elle eu un dénouement heureux. Cela l’occupa jusque tard dans la journée, avant qu’il ne décide d’obéir aux injonctions du corps, pour manger puis dormir. Il manqua de peu le repas du second garde, mais se promit de faire plus ample connaissance dès le lendemain. Il craint un peu que le sommeil ne le fuie, pourtant il n’en fut rien : son organisme savait où se trouvait son intérêt, et malgré les premiers hurlements sinistres qui emplissaient la nuit, il sombra.

Ceux-ci l'accompagnèrent toute la nuit. Ils ne troublèrent pas réellement son sommeil, ne l'interrompirent jamais vraiment, mais le nimbèrent d'une atmosphère particulière, peuplant ses rêves d'ombres fugaces, d'yeux brillants où dansaient la lueur de flammes fugitives, de sons sinistres se répercutant sur les parois enneigées des montagnes, par delà les brumes...
Lorsqu'il s'éveilla, au matin, Albérich se sentit somme toute relativement bien reposé. Autour de lui, la maison était calme, silencieuse. Ses invités se faisaient discrets, et le vent s'abstenait de tout hululement. De même que les loups, semblait-il.
Etait-ce la cause de cette subite tranquillité ? N'avait-ce aucun rapport ? Il n'aurait pu le dire. Mais toujours est-il qu'en repoussant la tenture voilant la fenêtre de sa chambre, l'ancien clerc sonstata que du village, en tontrebas, montait un panache de fumée noire.

Cette vision insolite le laissa paralysé pendant quelques secondes. Un incendie au village ? Même si ce n’était pas exactement réjouissant, c’était peu compatible avec une attaque de loups voraces. Il s’emmitoufla dans sa robe de chambre, se mouilla rapidement le visage, puis quitta sa chambre et décida de monter sur le toit. L’escalade aurait un double avantage : il jouirait d’une meilleure vue sur Combeloup et pourrait bavarder avec le garde en faction.

L'homme de faction se révéla être encore Fergus. Ses traits chiffonnés et ses yeux bouffis de sommeil témoignaient qu'il avait succédé à son compère depuis peu. Lequel, sans doute plus habitué aux guets nocturnes, avait probablement regagné son lit.
-Alors, vous venez voir le spectacle ? s'enquit-il après l'avoir salué, d'un ton faussement enjoué. Vous avez manqué l'essentiel. D'après Kevan, l'ancien temple a commencé à flamber deux heures avant l'aube. Avec le temps limpide qu'il fait, ce devait être assez impressionnant...
Sans les indications du soldat, Albérich n'aurait probablement pas pu identifier le bâtiment touché par le sinistre, à cause de sa connaissance encore superficielle du village. Mais maintenant qu'il savait, il lui fut plus aisé de confirmer, de visu, l'information. Le feu n'avait touché que le sanctuaire, mais de ce qu'il pouvait contempler, à cette distance, il avait dû être particulièrement intense. Ne demeuraient plus qu'un toit effondré et des murs noircis.

Albérich se sentit curieusement creux et son regard se perdit dans la fumée qui s’élevait dans l’air. Le temple de Lathandre. Bien sûr, il était désaffecté, abandonné, il ne servait plus à personne. Sauf si on songeait à cette sacristie étrangement bien préservée. Tous ces livres partis en fumée… Il frissonna. Et le lieu où ils pouvaient retrouver l’esprit. C’était désormais chose impossible. Le cercle de pierres était resté silencieux, le sanctuaire avait disparu. Albérich se força à ne pas imaginer d’emblée le pire. Pourtant… C’était comme si quelqu’un essayait activement d’empêcher les choses de se résoudre par la voie du dialogue. Peut-être quelqu’un avait-il aperçu quelque chose… Un incendiaire en goguette… Peu probable. Il soupira.
« Je vais descendre au village, voir ce qu’il en est. » fit Albérich.
Une chose était certaine : Lathandre avait définitivement déserté Combeloup. Une fois de plus.

-Très bien... répondit Fergus. On garde le fort en attendant. Je compte sur vous pour nous ramener des nouvelles... Bon, je ne crains pas réellement que quelqu'un ait été blessé lors de l'incendie, mais on ne sait jamais.
Au terme d'un périple sans incident, Albérich gagna le village, puis les abords immédiats du temple. Les rues de Combeloup étaient complètement désertes : pourtant, les habitants étaient sortis, plus tôt dans la matinée où même durant la nuit, à en crore les multiples traces de pas qui marquaient la neige. Ils semblaient cependant avoir pris le parti de se cloîtrer chez eux, désormais.
Les flammes s'en étaient donné à cœur joie, mais une observation attentive révéla à l'ancien aubemestre qu'elles avaient particulièrement fait rage dans la partie gauche de l'édifice, celle où se trouvait la sacristie. De ce côté-là, le toit s'était effondré, les murs étaient complètement noircis, certains blocs de pierre s'étaient même fendus sous l'ardeur du brasier. Les portes béaient sur leurs gonds tordus, mais elles ne s'étaient pas entièrement consumées. Et de ce qu'il put voir par l'ouverture, les structures de la nef, son côté droit, surtout, n'avaient souffert que de dégâts superficiels. En revanche, les bancs et tous ce qu'il restait du mobilier vermoulu abandonné dans les lieux était parti en fumée.

S’introduire dans la nef, même si elle semblait partiellement préservée, aurait été suicidaire, et Albérich avait suffisamment risqué sa peau ces derniers jours. Il se contenta donc d’observer le sinistre à distance, ne sachant pas très bien ce qu’il convenait d’en penser. On avait manifestement visé cette petite salle intacte, ses nombreux livres, le repaire de quelqu’un, de qui ? Il n’avait toujours pas posé de questions à ce sujet. Les rues désertes de Combeloup parlaient en réalité plus que la ruine fumante. Les gens s’étaient blottis chez eux, à l’abri des loups et des flammes. L’ancien clerc ne savait pas très bien ce qu’il faisait là, comment et pourquoi il s’était retrouvé mêlé à cette étrange affaire. Le hasard, simplement. Il aurait pu se contenter d’observer, mais il n’imaginait pas pouvoir rester à ne rien faire alors que des gens qui s’étaient montrés bienveillants envers lui se débattaient dans un drame imprévu. Pourtant, il n’était pas certain de pouvoir leur être utile d’aucune manière.
Il avait pensé aller voir Bastien ou Umberto, mais il mit le cap sur la demeure d’Ada, comme chaque jour. Si quelqu’un savait, elle saurait.

-Oh, Albérich... Entrez ! fit la vieille halfeline en lui ouvrant sa porte. Je vais finir par croire que vous éprouvez un amour immodéré pour mon thé, mais je ne songerais certainement pas à m'en plaindre, bien au contraire.
Elle paraissait toujours aussi fébrile et peu reposée. Mais au moins, de ce qu'il pouvait en juger, les choses n'avaient pas empiré de ce côté là.
-Vous devez vous demander ce que vous faites dans un tel guêpier... reprit-elle lorsqu'ils furent installés dans la salle à manger. Et je gage que s'il apprenait la situation, l'Ours n'en dormirait plus la nuit, rongé par la culpabilité... Évidemment, il ne pouvait pas prédire ce qui se produirait, mais il ne s'en voudrait pas moins pour autant.
Elle soupira.
-Quelles sont les nouvelles des hauteurs ? La frontière est-elle toujours préservée ?

« Votre thé est délicieux, Ada, mais il est vrai que ce n’est pas la raison principale de ma visite… » commença-t-il. « Je dois dire que je ne me suis pas informé précisément de ce qui s’était produit cette nuit… L’événement le plus marquant semblait avoir eu lieu au village et le guetteur que j’ai croisé ne m’a rien appris d’autre. Je ne lui ai pas vraiment posé la question, je le reconnais. Cependant je gage que s'il s'était produit quelque chose, on m'en aurait averti. »
Il eut un sourire embarrassé.
« Mais le temple a brûlé. Ce n’est certainement pas un loup qui a allumé ce brasier-là... »

La vieille femme sourit
-Oh, la nature recèle bien des mystères, et il n'est pas impossible d'imaginer des loups cracheurs de feu. Ou qu'en guise de loups, nous ayons plutôt à faire à des muloups qui sont eux tout à fait capables de manier une torche. Mais je ne crois ni à la première solution, ni à la seconde. Ce que je crois...
Elle s'interrompit. Grimaça.
-Je ne suis pas certaine que je doive vous dire ce que je crois, Albérich. Je n'ai pas de preuve, il s'agit juste d'un ressenti, et si je vous en parle, cela pourrait s'apparenter à une tentative de persuasion, à une manœuvre pour vous faire basculer dans mon camp. Car vous n'êtes pas sans soupçonner qu'un profond clivage partage désormais Combeloup.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes

Quête : Brumes