La Couronne de Cuivre

Pour Pierre aussi, la descente avait été éprouvante, très éprouvante, même. A vrai dire, il s'en était fallu d'un rien qu'il ne craque, tant ses nerfs étaient à vif à cause de l'ambiance lugubre des lieux, à cause, aussi, des éprouvantes expériences qu'il avait vécues au cours des heures précédentes. Mais, contre toute attente, ils étaient arrivés en bas sans encombres, et entendre les voix de ses amis le rasséréna quelque peu.

-Tu veux le reprendre ? proposa-t-il à Christophe en lui tendant l'ours en peluche auquel, il le savait, le garçon tenait énormément. Je suis sûr qu'il nous guidera. Et pour vraiment prendre aucun risque, tu as qu'à faire des signes sur les murs avec ta craie, Benny... Bon, normalement, pour pas se perdre, on sème des petits cailloux, mais vu qu'on en a pas...

Il se fiait à son copain quant aux pouvoirs de Tony. Cependant, son anxiété était telle qu'il préférait mettre toutes les chances de leur côté.

Benoît était soulagé de quitter les escaliers mais la mention de fantômes le fit blêmir. Le gamin écouta la proposition de Piotr avec attention et l’accueillit avec enthousiasme :

- Bonne idée, je pense avoir assez de craie si ce labyrinthe n’est pas trop grand ou si j’économise mes symboles. Je vais aussi regarder si j’ai quelque chose pour convaincre ces affreux fantômes dont a parlé Cricri.

Benoît consulta son grimoire afin de voir s’il avait quelque chose contre les fantômes. Entre ses doigts, les pages défilèrent puis le hasard le conduisit à découvrir une formule contre... les loups garous. Tant pis. Au moins allait-il pouvoir marquer les murs avec sa craie et ainsi offrir au groupe un moyen de ne pas se perdre. C’était déjà beaucoup. De son côté, Pierre redonna l’ours en peluche à Christophe. Le jouet semblait désigner une direction de son bras. Sitôt que les enfants s’engagèrent dans le labyrinthe, il fut certain que Tony les guidait. Où ? Là était la question. En tout cas, ils n’avaient qu’à suivre.

Tous les couloirs se ressemblaient. Ce n’était pas exactement comme dans le cauchemar de Cricri, mais ce n’était pas forcément mieux. Les murs bruts suintaient d’humidité. Les dalles irrégulières étaient désagréables sous les chaussures. Excepté les torches, pas une lumière n’illuminait leur progression angoissée. Les corridors défilaient, tous identiques. Virages, croisements et, enfin, une salle au bout de ce qui semblait déjà une éternité. Ce fut là qu’ils virent, qu’ils entendirent...

« Jonas, moins vite ! »
« C’est par là, je suis sûr que c’est par là ! »
« On est forcé de la trouver cette satané salle blanche ? Ce serait pas plus simple de partir directement ? »

Trois voix, trois enfants, trois fantômes. Par un autre passage, ils pénétrèrent dans la salle, devant le groupe qui s’était figé. Formes bleutées, le trio ne semblait pas avoir remarqué le quatuor. L’un courrait devant, les deux autres suivaient difficilement. Le garçon de tête, le dénommé Jonas, finit par s’arrêter.

« Phil, Sophie, vous trainez ! On est pressé, ils vont savoir qu’on s’est échappés ! », fit Jonas, impatient.

Pour Christophe : Pour Pierre :

Il s'était figé, comme pétrifié. Le visage, l'apparence de Sophie... c'était elle, la fille fantôme du rêve. Elle et ses amis cherchaient aussi la salle blanche avec leurs âmes ? Et ils n'y étaient pas arrivés... Il se rappelait que Sophie lui avait dit qu'elle s'était enfuie de la maison. Sans son âme ? Était-ce ça qui l'avait tuée, ou avait-elle récupéré son âme et s'était faite tuer au-dehors ? Comme son fantôme errait ici, Christophe pensa que la fillette n'avait pas pu retrouver son bien...

"C'était elle ! Sophie. La fille qui m'a aidé dans mon rêve. J'pense que... qu'elle a jamais retrouvé son âme, et qu'elle est morte en essayant de partir d'ici, dehors. Et sans son âme, ben... elle est morte." Il rougit, ne sachant pas s'il était très clair. Vue l'obscurité, ses camarades ne remarqueraient sans doute pas sa gêne passagère.

Ce que venait de dire Christophe fit blêmir le petit Benoît comme pour renforcer le contraste avec la rougeur de son camarade. Ainsi donc ces fantômes étaient ce qu’ils pouvaient eux-mêmes devenir s’ils échouaient. Connaître les risques et en être témoin étaient deux choses bien différentes. Benoît se sentait donc plus que jamais mal à l’aise mais crut bon de poser la question qui lui taraudait l’esprit :

- Vous préférez les éviter ou leur demander s’ils savent où se trouve la salle blanche ?

En entendant l'histoire des enfants, Bellatrix avait eu envie de pleurer. Pour eux, mais aussi parce que c'était ce qui risquait de leur arriver. Et elle ne voulait pas ça. Elle se reprit.

"Je pense qu'on peut. Ils n'ont pas l'air méchants. Peut-être qu'ils voudront encore nous aider."

Immobile, Pierre observa la scène avec des yeux ronds comme des soucoupes... et pour le moins embués. Certes, le gamin était effrayé : même non hostiles, des fantômes demeuraient des fantômes, c'est-à-dire des créatures que, jusqu'ici, il avait uniquement rencontrées dans les pages des livres. Mais, surtout, il éprouvait un chagrin immense. Il savait que bien des enfants étaient morts en ces lieux ou avaient été transformés en personnages féériques ou cauchemardesques. Toutefois, être confronté à leur spectre en train de répéter ce qui s'était produit avant qu'un funeste destin ne s'abatte sur eux, alors qu'ils avaient encore l'espoir de s'en tirer, cela rendait les choses autrement plus réelles, autrement plus atroces...

Lorsque ses amis parlèrent, il s'efforça de s'arracher à sa contemplation et aux pénibles sentiments qui menaçaient de le submerger. Cela ne fut pas aisé...

-D'a... D'accord, on peut essayer...murmura-t-il d'une petite voix enrouée.

Pierre eut à peine terminé sa phrase qu’il réalisa, avec ses amis, que les fantômes s’étaient volatilisés. La salle, face à eux, étai vide. Un examen un peu plus poussé pouvait révéler des traces de pas, dans la poussière, mais impossible de dire à qui elles appartenaient. Seule l’imagination pouvait fournir des réponses. Quoi qu’il en soit, Tony continuait d’indiquer le chemin. C’était là que le trio disparu se dirigeait.

La marche reprit, avec son lot de virages et de couloirs. Pour uniques bruits, ceux du groupe, un vacarme dans le silence opaque. La moindre respiration était mise en évidence, soulignée. Et le temps prenait un malin plaisir à se figer. Voilà tout de même la fin du trajet. Une porte se dressa, volumineuse, à double battants. Elle était en bois sombre, ornée de sculptures élégantes en argent. Mais, plus que tout, sous elle, une lumière immaculée filtrait, ne laissant guère de doute sur ce qui se trouvait derrière. Une grosse serrure, d’une taille peu commune, s’imposa vite au regard de tous...

La tension était palpable, et l'émotion le rendait encore plus nerveux. Cette porte le mettait mal à l'aise, parce qu'il ne savait pas ce qu'ils allaient trouver par-delà. Leurs âmes, flottant en l'air, attendant qu'ils les touchent pour les récupérer ? Peu probable. Une horde de monstres sanguinaires ? Pas davantage. Des choses intangibles, prêtes à consommer le peu de vie qu'il leur restait, telle la Mort dans son rêve affreux ? Voilà une option qui paraissait terriblement crédible... il sentit son estomac se nouer.

Silencieusement, il s'approcha de la porte à la serrure si étrange et gigantesque. Comment allait-il pouvoir ouvrir cette chose ? Évidemment... elle n'était peut-être même pas fermée à clef. C'était la première chose qu'il faisait quand il tombait sur des obstacles de ce genre : essayer de le faire fonctionner normalement.

Regardant ses camarades, il demanda :

"Est-ce que quelqu'un peut tenir Tony pendant que je tente le coup ? Je veux bien un peu de lumière, mais... faut pas laisser le couloir dans le noir, j'pense."

Plus que jamais, il tremblait.

"Moi, je veux bien le tenir, si tu veux. Je lui ferai pas de mal à ton Tony."

Bellatrix essayait d'être gentille et de ne pas faire de blagues. Parce que le petit Cricri avait besoin de tous ses moyens pour leur ouvrir la porte. Alors, elle ne dirait rien. Elle se contenterait de rire discrètement dans sa barbe à des bêtises imaginaires. Mais elle n'avait pas de barbe et ne riait pas du tout. ça, c'était sûr.

Elle espéra vivement que la serrure cède vite. Machinalement, de son autre main, elle enserra délicatement la souris dans sa poche en espérant que son monstre n'était pas trop triste d'être devenu aussi petit.

Christophe se mit à l’ouvrage. Les bruits mécaniques qu’il produisait par son travail semblaient amplifiés dans le silence presque irréel. Pierre, prévoyant, montait la garde. Bellatrix, consciente que l’heure n’était plus aux mauvaises farces, s’occupait de Tony. Benoît, curieux, examinait les gravures d’argents sans en déceler un sens précis. Les enluminures semblaient abstraites mais d’une élégance étrange. Encore une fois, le temps s’étira, chaque seconde s’attardant plus que de raison. Et enfin, le verrou tourna en un déclique solennel.

Musique d’ambiance

La lourde porte, d’elle-même, pivota lentement sur ses lourds gonds. Aussitôt, une lumière d’une pure blancheur se déversa dans le couloir, repoussant loin les ombres du dédale. La pièce immaculée fut dévoilée, identique à ce que Piotr avait rêvé. Toutes de marbre blanc, parcheminée de colonnes sculptées et de flambeaux radieux... il fallut un instant aux enfants pour que leurs yeux s’accoutument à la luminosité. Un vent frais les avait enveloppés, une douce atmosphère.

Elles étaient là, les quatre silhouettes de lumière, au milieu de la pièce. Chacun se reconnu, les regards se croisèrent. Etait-ce cela des âmes ? Rien que des formes aux traits merveilleux. Elles étaient si tristes mais déjà leurs visages reprenaient vie. Elles faisaient face à leur légitime propriétaire mais restaient sur place, sans doute incapable d’aller de l’avant.

Un autre détail frappa tout de suite le groupe, la petite porte noire au fond de la salle. Elle leur inspira instinctivement une vive crainte. Ce n’était pas une porte comme les autres, c’était tout un symbole, la fin de tout, la mort. Elle était close, pour l’instant, mais elle donnait l’impression de pouvoir s’ouvrir à tout moment. Il fallait pourtant s’approcher d’elle pour aller jusqu’aux âmes...

Délaissant les sculptures qui ne revêtaient aucun sens intelligible pour lui, Benoît avait relevé la tête dès que Christophe eut ouvert les lourdes portes. Ebloui par le contraste entre la pénombre de l’escalier faiblement éclairé par leurs maigres lampes torches et la salle resplendissante, le gamin plissa les yeux avant de penser à éteindre sa lampe inutile. Autant économiser les piles…

Mais ces considérations pratiques s’envolèrent quand il repéra ce qui ne pouvait être que son âme. Et elle lui souriait ! Une bouffée d’euphorie le poussait à avancer la rejoindre mais, aussitôt, l’angoisse le figea alors qu’il jetait un regard hypnotisé vers la sombre porte, la fin de tout, il en était convaincu. D’une voix tremblante, jetant des regards à la ronde plus pour échapper à la vue de la sinistre issue que de découvrir des dangers potentiels, le gamin interpela ses camarades :

- Vous croyez qu’il faut simplement… qu’on avance ? Si c’est le cas, il vaut mieux y aller tous ensemble, non ?

La clarté éblouissante nimbant la salle de marbre, les silhouettes de lumière immobiles au milieu des colonnes, la porte sinistre ménagée dans l'un des murs... Tout était exactement conforme à ses visions. Jusqu'au sentiment d'angoisse et d'urgence qui, se mêlant à l'espoir, envahit le petit garçon.

-Faut se dépêcher, en tout cas, souffla-t-il. Et je crois que c'est mieux si on y va pas tous ensemble. Parce que si la grande porte elle se referme derrière nous, et si la petite porte toute noire elle s'ouvre... Ce sera affreux.

Pour se rassurer, il tira son épée.

-Je reste ici pour monter la garde. Allez vite chercher vos âmes. Moi, j'irai quand vous serez revenus...

Bien sûr, il n'avait qu'une envie : courir jusqu'à l'être de lumière qui lui ressemblait trait pour trait. Cependant, ce n'était pas le moment de commettre d'erreur...

Dans les films d'horreur, c'était toujours à ce moment là que le gros vilain arrivait sans prévenir et non seulement faisait sursauter tout le monde mais tuait un des héros. Celui dont on s'attendait le moins, d'ailleurs. Alors, même si c'était tentant, il valait mieux ne pas se précipiter.

"Je pense qu'il y a un piège. Je sais pas quoi, mais un piège."

Elle regardait l'être de lumière qui lui ressemblait trait pour trait. Étrange, hirsute. Mais elle avait vraiment envie de courir vers lui.

Benoît craignait que tergiverser puisse leur faire perdre leur chance de recouvrer leur intégrité. Mais il sentait également que ses camarades hésitaient comme lui, craignant un danger. Et pourtant, il fallait se décider à agir :

- Bon, je vais avancer si vous voulez. Surveillez mes arrières…

Et d’avancer d’un pas incertain dans la direction des êtres lumineux en serrant son grimoire à la main, en un geste protecteur et réconfortant.

Benoît s’était donc avancé vers l’immaculée silhouette à son image. Elle le regardait, le fixait, tout sourire désormais. Pas à pas, elle était plus proche. Elle finit par sortir du rang formé par les trois autres âmes pour, à son tour, rejoindre le garçon maintenant qu’il avait passé le seuil. Un instant, les deux moitiés de ce même être s’immobilisèrent, face à face, nez à nez. Une ultime seconde, elles étaient encore divisées. Mais voilà qu’elles se fondaient l’une dans l’autre.

Benny sentit en lui une bouffée de chaleur. Le froid qui, depuis le début, depuis l’accident de car, ne l’avait jamais quitté, venait de s’évanouir. Ce ne fut qu’à cet instant qu’il prit pleinement conscience de ce froid disparu, irréel. Il était de nouveau lui-même, tout à fait vivant. Quand il fit face à ses compagnons, ceux-ci constatèrent que leur ami avait également retrouvé ses couleurs. Il n’était plus si pâle, si fragile.

Ce fut Bellatrix qui, la première, commenta. Elle ne le fit pas comme on aurait pu s’y attendre. Elle ne lâcha que deux mots qui tombèrent tel le glas.
« Ils savent. »

Elle venait encore de parler sans s'en rendre compte. "Ils savent." C'était plus que bizarre, c'était assez effrayant. Surtout qu'elle pensait avoir une idée nette et précise de ceux qui pouvaient bien savoir. Ce n'étaient pas les statues et encore moins les corbeaux. Oh, ils savaient aussi sûrement. Mais ceux qui l'intéressaient étaient Vincent et pseudo Morticia. Et eux risquaient de débarquer sous peu.

"Peut-être qu'ils faut qu'on bloque la porte. Ou alors qu'on se dépêche tous de récupérer nos âmes et on verra ensuite."

Elle commençait à vraiment avoir peur. Dans le même temps, au vu de la métamorphose de Benny, elle était aussi impatiente.

Pierre, qui avait appris à se fier aux étranges propos de Bellatrix comme à ses propres visions, était en partie d'accord avec son amie. En partie seulement.

-Si on s'enferme là-dedans, on est morts, parce qu'un truc horrible sortira de la petite porte noire, affirma-t-il. Mais par contre, oui, faut qu'on se grouille... Alors allez vite récupérer vos âmes ! Moi j'attends que Benny soit revenu. Ensuite, faudra qu'on essaye de s'enfuir du château.

Puis, interpellant l'unique membre de leur quatuor à s'être avancé :

-Benny, reviens ! Faut surveiller le couloir et empêcher que la porte elle se referme !

Sitôt que le garçon aurait pris sa place, il se ruerait à son tour à l'intérieur de la salle immaculée.

Voir ainsi Benny à nouveau "entier" lui coupa l'envie de pleurer. Ou alors, l'émotion n'était plus mélancolique, mais pleine d'espérance. Ils allaient enfin redevenir eux-mêmes ? Et pouvoir quitter cet endroit affreux ? C'était trop beau pour être vrai...

Et soudain, Bellatrix laissa tomber deux mots, froids et durs comme la pierre. Qui savait ? Vincent et Morticia ? Les corbeaux ? Les fantômes qu'il avait rencontrés durant son rêve ? Personne de sympathique, en tout cas...

Lorsque Benny revint vers eux, Christophe poussa doucement Piotr dans le dos pour qu'il aille lui aussi recouvrir son âme.

"Chacun son tour. Faut rester prudents !"

"Allez-y alors. J'irai après vous."

Voila, elle l'avait fait. Elle avait placé une réplique de film. Une réplique de héros. De héros un peu monstrueux mais de héros. Même si cela lui fichait fichtrement la trouille. A l'instar de Benny, elle sortit son carnet et son crayon fétiche et se mit à dessiner. Un monstre assez grand, au corps caparaçonné et aux grandes dents : Alien. Elle l'aimait beaucoup, à condition qu'elle ne s'amuse pas à sortir d'un estomac quelconque mais bien de sa feuille.

Pierre, Christophe, Bellatrix, tour à tour, récupérèrent cette vie qui leur avait été arrachée. C’en était fini du froid et du teint blafard. Désormais, tous étaient en mesure de quitter les limbes. Mais encore fallait-il accomplir le rituel. La cause et le moyen disait le livre trouvé par Benny. Si le moyen apparaissait comme évident, le car, il en allait autrement pour la cause. Quel document trouver et modifier, pour nier cette arrivée dans l’étrange cauchemar ?

Désormais, le petit groupe était assemblé sur le seuil de la salle blanche. Il était tant de partir d’ici. Mais voilà qu’un bruit les fit tous sursauter, un déclique, une poignée. Avec horreur, ils aperçurent la porte noir, tout au fond, s’entrouvrir. Un courant d’air glacial s’en échappa, ainsi que des murmures.

Pour Pierre : Pour les autres :

Redevenu lui-même, Christophe reprenait ses aises dans son corps désormais "entier". La chaleur qui l'envahissait brusquement était agréable et douillette, et il ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire en ressentant cela. Il lui semblait aussi avoir une perception plus aiguë de ce qui l'entourait, mais c'était sans doute psychologique. Toujours était-il qu'il se surpris lui-même lorsque la porte du fond s'ouvrit avec un clic sonore sinistre : au lieu de mouiller son pantalon ou de hurler, il regarda tranquillement dans cette direction pour discerner les choses innommables qui risquaient de s'en échapper sous peu. Il ne comprit pas pourquoi il n'eût pas peur ; sans doute s'était-il tellement attendu à ce phénomène qu'il s'y était préparé ?

Sortant un marteau de sa boîte à outils, il avisa Bellatrix qui tenait toujours Tony dans les bras.

"Ne le lâche surtout pas", lui souffla-t-il. Quelque chose lui disait qu'il pourrait encore les aider. Beaucoup, même : sortir de ce labyrinthe... et ils devaient toujours déposer Tony dehors...

À l'instar de ses camarades, Pierre avait ressenti un immense sentiment de bonheur et de plénitude lorsque son âme avait reintégré la place qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Mais ces sensations, particulièrement réconfortantes après les épreuves des dernières heures, ne durèrent pas plus de quelques instants. Dès que la porte noire s'ouvrit, elles se volatilisèrent immédiatement, cédant la place à des émotions toutes différentes. Car si le petit garçon demeura immobile sur le seuil de la salle immaculé, il ne fut pas insensible, loin s'en faut, à ce qu'il entendait...

-M... Maman ? hoqueta-t-il comme des larme se mettaient à ruisseler sur ses joues. P... Papa ?

Sans qu'il en eut conscience, sa main s'était ouverte, laissant tomber sur le sol pavé l'épée de bois à laquelle il s'était jusqu'ici cramponné à toute force.