La Couronne de Cuivre

Il vit la rôdeuse rougir, chercher du regard Eärundra non loin, hésiter... Puis préférer décliner l'invitation.
- J'en ai dans mon sac, expliqua-t-elle à voix basse, les joues un peu trop colorées.
Effectivement, vu son gabarit, leurs compagnons verraient immédiatement que la tunique n'était pas la sienne et elle s'exposait à des moqueries...
Elle demanda cependant au rôdeur de lui servir de paravent tandis qu'elle se changeait rapidement, enfilant l'une de ses propres tuniques, confiant l'ancienne aux bons soins de Kasumi.

Eärundra s'activait à préparer des couchages, observant d'un air soucieux le ciel.
- Il fera peut-être beau demain... mais j'ai bien peur qu'on prenne une nouvelle averse pendant la nuit. Peut-être devriez-vous monter vos tentes... ou alors il faut s'enfouir un peu plus profondément sous le couvert des arbres...
Ils ne disposaient que de trois places sous tente : la tente deux-places apportée par lui-même et Tilmandil , et la tente plus petite apportée en complément par Sylvia. Bul doute que Tilmandil céderait sa place sans discuter. Eärundra, elle, semblait décidée à s'en passer, quoiqu'il advienne.

Kasumi avait appris à se fier aux impressions d’Eärundra et monter les tentes était somme toute une bonne idée qui les préserverait plus efficacement des nuisibles des marais. Ils pouvaient en outre se servir des lits de branchage déjà en place et n’auraient donc qu’à dresser la toile pour achever leurs abris. Le rôdeur embaucha son demi-frère pour y procéder et put ainsi constater avec plaisir que Tilmandil avait gagné en assurance et en habileté dans cette tâche. Il ne manqua pas de l’en féliciter avant de lui demander timidement alors qu’ils dressaient la tente apportée par Sylvia :

-Sylvia voudra certainement te prêter sa tente. Enfin… Si ça ne te dérange pas trop…

Il ne leur restait d’ailleurs plus qu’à gagner leurs couchages respectifs.

Tilmandil fit mine de ne pas comprendre.
- Ah bon ? Je croyais qu'on faisait une tente masculine, une tente féminine... Enfin, sauf Eärundra j'imagine...
Il rit.
- Je plaisante. Bien sûr que je vais prendre la tente de Sylvia. Et puis, il y aura moins de ronflements...
Et il s'éloigna aussitôt, sans attendre la réaction, certainement outrée, de son demi-frère.

Sylvia n'avait pas perdu une miette de l'échange. Glissant sa main dans celle de son compagnon, entremêlant leurs doigts, elle l'entraîna doucement en direction de la plus grande des deux tentes. Elle affichait un sourire radieux, manifestement ravie d'avoir l'occasion de retrouver un peu d'intimité. Eärundra et Léo avaient déjà disparus. Et le ciel, quoiqu'elle en dise, n'était pas si menaçant. Sans doute dormirait-elle quelque part dans les arbres.

hrp : je te laisse nous mener jusqu'au lendemain matin... sauf si tu veux une longue discussion avec Sylvia avant bien sûr

Kasumi était resté coi devant les taquineries de Tilmandil, ne sachant décidément pas quoi lui répondre. Mais au moins se rassurait-il en songeant que son manque de repartie avait toutes les chances de décourager l’elfe. Et pour tout dire, il oublia bien vite l’incident dès lors que Sylvia l’entraîna vers leur tente. Elle était trop proche pour leur accorder toute l’intimité qu’ils auraient pu souhaiter mais dormir à côté de la rôdeuse lui suffisait déjà amplement. Dans la pénombre de la tente, le demi-elfe manifesta cependant l’envie de prolonger la veillée de quelques minutes :

- Laisse-moi retirer tes bottes, je voudrais examiner cette cheville pour être bien certain qu’il n’y a plus de séquelles.

Son ton détaché était transparent, signifiant qu’il avait d’autres idées en tête. Et effectivement, à peine eut-il jeté un regard appréciateur à la cheville parfaitement remise qu’il profita que Sylvia avait les pieds nus pour les lui masser avec application. Au bout de quelques instants, il ajouta cependant d’un ton un peu plus grave :

- Tu sais, j’ai beau me retourner la tête encore et encore mais je n’ai aucune idée de ce que je dirai à mon père. A supposé qu’on parvienne à le rejoindre au bosquet…

Sylvia avait fermé les yeux durant le massage, laissant ses muscles endoloris se détendre petit à petit. Mais elle les rouvrit lorsqu'il s'ouvrit à elle de ses inquiétudes.
- On le retrouvera, j'en suis certaine... Et toi seul peut savoir ce que tu vas lui dire. C'est ton père...
La rôdeuse sourit dans l'obscurité.
- Mais ne te tracasse pas de cela à l'avance. Cela dépendra de là où il en est dans sa tête. S'il a trouvé ou non cette racine. S'il a encore de l'énergie ou est trop affaibli. Je sais que les druides du campement ont tenté de le faire changer d'avis, même si j'ignore ce qu'ils lui ont dit exactement au sujet de son mal. Peut-être que Eärundra le sait... Ou peut-être que nous trouverons des réponses là-bas...
Doucement, elle se redressa, et passa un bras autour de ses épaules en un geste de réconfort, l'attirant contre elle avec douceur.
- Il ne sert à rien de te préoccuper de toute cela maintenant. Pour le moment, tu as besoin de dormir. Peut-être qu'un massage te détendrait, toi aussi... Veux-tu que j'essaie ? Ou bien est-ce que tu préfères dormir tout de suite ?

Kasumi se laissa aller dans ses bras, reléguant rapidement ses pensées inquiètes grâce à la douceur des paroles de Sylvia et sa tendre étreinte. Son regard brilla quand il répondit timidement et il se mit à rougir mais il faisait sombre et il lui tournait le dos aussi garda-t-il un minimum d’aplomb :

- Merci... Et euh, pour ta proposition généreuse, j’ai un peu mal aux épaules et je n’osais pas trop te le demander… Mais si tu es fatiguée, on peut dormir, ça me fera du bien aussi !

Sylvia s'appliqua, avec le plus grand sérieux, à lui dénuder le torse pour pouvoir lui masser le dos. Peut-être pensait-elle qu'il avait réellement des douleurs à soulager. Ou n'osait-elle pas imaginer que sa proposition ait pu avoir un autre sens. Ou, tout simplement, peut-être voulait-elle lui montrer ses talents de masseuse... qui, il faut bien le dire, étaient réels.
Elle l'obligea à s'allonger, s'installa sans façon à califourchon par-dessus son dos, et se mit à masser les muscles endoloris, doucement, puis fermement, étirant et appuyant tour à tour, sans répit. Durant un temps qui lui parut infini. Il sentait peu à peu ses muscles se relâcher - même ceux dont ils ignoraient qu'ils étaient tendus. Il sentait également une douce torpeur l'envahir. Au point qu'il mit quelques temps à réaliser qu'elle avait cessé de le torturer pour, doucement, déposer de légers baisers dans son cou.

Kasumi se laissa faire sans même chercher à résister, ne perturbant aucune des initiatives de la rôdeuse qui savait exactement comment procéder pour le détendre au-delà de ce qu’il pensait possible. Il ne se formalisa même pas – bien au contraire - quand il sentit la jeune femme se placer sur son dos pour poursuivre son massage des plus bienfaisants. Quand elle stoppa pour l’embrasser dans le cou, il frissonna de plaisir et répondit d’une voix à demi ensommeillée mais émerveillée :

- Par les cieux, la liste de tes qualités n’arrête plus de s’allonger. Je suis vraiment le plus chanceux des hommes de t’avoir.

Elle ne répondit rien, mais il sentit ses baisers se faire plus insistants, et ses mains commencer à dispenser autre chose qu'un vigoureux massage. La pointe d'un sein lui caressa le dos, comme par inadvertance, éveillant en un frisson des sensations exquises. Elle continua, en silence, à le frôler, le caresser, glissant ses mains à des endroits qui ne nécessitaient nul massage mais savaient éveiller le désir. Et puis, enfin, elle le laissa se retourner, plongeant ses yeux brûlants dans son regard, et posa ses lèvre sur les siennes en guise de bâillon. Ce fut elle qui lui fit l'amour, sans lui laisser la moindre initiative. Sans un mot, sans un gémissement susceptible d'alerter la tente voisine, mais avec une douceur et une lenteur calculées qui le portèrent au paroxysme du désir avant, qu'enfin, elle n'apaise dans l'étreinte le feu qui le brûlait. Il lut dans ses yeux un plaisir égal au sien. Et une certaine fierté, aussi, d'avoir réussi à l'emmener au septième ciel...

Au-dehors, tout était calme, silencieux, apaisé. Personne ne semblait les avoir entendu. Ils pouvaient dormir en paix.

Le massage l’avait pleinement détendu, promettant de l’emmener vers un monde de doux rêves et ce qui avait suivi en était un parmi les plus beaux. Il s’était complètement laissé porter par le fleuve de plaisir que lui prodiguait sa partenaire, n’avait jamais senti le besoin de la guider pour qu’elle l’emmène au-delà des limites de son plaisir, qu’elle le guide avec aisance et assurance vers un éden insoupçonné. L’étreinte avait été silencieuse comme un songe mais il ne s’était jamais senti aussi vivant, aussi éveillé, aussi conscient de toutes les sensations merveilleuses que Sylvia savait si bien faire résonner en lui, si bien porter à leur paroxysme. Et il sentait son plaisir se calquer sur le sien, leurs corps se fondre à la perfection pour n’en former plus qu’un, son cœur s’accélérer en atteignant un orgasme tu par le goût de ses lèvres sur les siennes et paraissant d’autant plus intense qu’il devait être contenu. Quand leurs regards s’effleurèrent dans le noir, il l’attira sur lui avec les dernières forces que sa volonté voulait bien lui accorder, désireux de sentir son corps chaud s’allonger sur lui et s’endormir avec la sensation d’une étreinte qui n’en finirait plus. Il murmura à l’oreille de Sylvia sans qu’elle puisse déterminer s’il était encore éveillé ou non :

- Mon bonheur. Mon amour. Ma perfection incarnée…

Le chant des oiseaux rivalisant de trilles les réveilla le lendemain. Il faisait beau, comme Sylvia l'avait annoncé. Et il n'avait pas plu durant la nuit. A se demander si Eärundra n'avait pas volontairement invoqué l'excuse de la pluie pour les pousser à s'abriter. Non, c'était une idée stupide.

Tilmandil était déjà levé lorsqu'ils se décidèrent à sortir de la tente, et s'évertuait sans succès à allumer un feu récalcitrant avec du bois trop humide. Eärundra, comme à son habitude, était en vadrouille quelque part, avec Léo. mais elle dut deviner que toute la torupe était éveillée puisqu'elle apparut subitement, sautant avec grâce d'un arbre voisin, avec des fruits plein sa besace : pommes, poires, raisins sauvages même. Des oeufs, également. Ainsi que des châtaignes et des feuilles de pissenlit pour le déjeuner de midi. Sylvia pinça les lèvres mais ne fit aucun commentaire.
- La forêt devient plus touffue au fur et à mesure qu'on s'avance vers le nord. On risque de ne pas avancer bien vite. Je perçois la présence de gros animaux, de félins sans doute. Il faudra rester sur nos gardes.

Kasumi s’était éveillé avec un sourire radieux aux lèvres en sentant le parfum de Sylvia qui lui avait instantanément rappelé le moment de perfection de la veille. Il s’habilla avec entrain avant de rejoindre Tilmandil près de sa tentative de feu. Il commençait à lui donner quelques conseils quand Eärundra apparut encore une fois comme par magie. Grâce à elle, ils n’avaient pas à chercher de quoi déjeuner encore une fois mais, même s’il se sentait quelque peu pris en faute de s’en remettre systématiquement à la druidesse, cela ne suffisait pas à altérer son moral au beau fixe.

- Nous progresserons toujours plus vite que dans les marais à mon avis même s’il faut rester vigilants. Il y aura plus de gibier pour Léo et nous devrions avoir moins de difficultés à progresser droit vers le nord. D’après la carte de Jeremiah, nous pourrions rejoindre le sentier principal d’ici à la nuit si nous nous pressons. Mais avant cela, je meurre de faim !

Le petit déjeuner fut rapidement expédié. Tous étaient conscients qu'ils approchaient de l'endroit où Elryndel avait été téléporté par sa compagne, et, au-delà, du terme de leur expédition. Et l'impatience, mâtinée d'anxiété, se faisait à nouveau ressentir en chacun d'eux. Tilmandil y était particulièrement sensible : il fut le premier à avoir terminé son déjeuner, le premier à être prêt à partir. Son caractère taquin et joyeux semblait l'avoir abandonné. Le regard grave, il gardait les yeux fixés vers le nord, attendant que les rôdeurs -ou Eärundra- donnent le signal du départ.
La progression était bien différente de ce qu'ils avaient connu dans les marécages. Il n'était pas certain qu'ils aillent beaucoup plus vite : la forêt était dense, touffue, et nul sentier ne semblait aller dans la direction voulue. Avancer au milieu des ronces leur demandait plus d'effort que de se laisser porter par les canaux... du moins pour ceux qui avaient peu manié la perche. Tilmandil était de loin le moins endurant, mais il ne se plaignait pas.
Le soleil au zénith rappela à leurs estomacs affamés qu'ils avaient besoin de se sustenter. Ils se trouvaient à proximité d'une clairière, traversée par un petit ruisseau. Les montagnes leur barraient l'horizon nord-est. Et tout paraissait parfaitement paisible.

Kasumi avait cherché à plusieurs reprises à accrocher le regard de Tilmandil pendant la matinée. L’elfe semblait en difficulté et pas seulement par la nature du terrain. Le rôdeur se promit donc de faire en sorte de lui parler en tête à tête dès que l’occasion lui serait offerte. Bien qu’il ne sache pas vraiment quoi lui dire pour lui remonter le moral, il voulait au moins lui faire comprendre qu’il était là, à l’écoute de doutes qu’ils partageaient, au moins en partie.

A l’approche de la clairière, le demi-elfe n’oublia pas toute prudence et fit signe aux deux elfes que lui et Sylvia allaient avancer pour vérifier que nul danger ne s’y tapissait. Kasumi avait également l’intention de parcourir les environs du ruisseau afin de déterminer quels animaux venaient s’y abreuver et donc s’ils risquaient une mauvaise rencontre pendant le temps qu’ils y passeraient. Pour cette reconnaissance, le rôdeur choisit d’utiliser son arc plutôt que ses épées : il tenait une flèche prête à être encochée au cas où ils se retrouveraient nez à nez avec une créature hostile.

L'exploration des rôdeurs leur confirma ce qu'avait annoncé la druidesse : il y avait dans cette forêt de grands mammifères, mais aussi de gros prédateurs, des félins principalement. Leurs traces n'étaient pas apparentes dans la clairière, mais en longeant le ruisseau, ils découvrirent de larges empreintes évoquant une panthère ou un tigre peut-être, de grande taille. Plus loin, ce furent les traces d'un gros animal, peut-être une sorte d'ours, qui alertèrent les rôdeurs. L'endroit était effectivement riche en bêtes féroces. Mais peut-être ne venaient-elles boire au ruisseau qu'au petit matin et en fin de journée. Pour l'heure, tout paraissait tranquille. Ou peut-être le calme n'était-il qu'apparent... Kasumi eut, un bref instant, la sensation d'être observé. Par un fauve à l'affût ? Mais nul bruit, nul mouvement, ne vinrent confirmer cette impression.
Lorsqu'ils revinrent vers la clairière, un feu flambait joyeusement et Tilmandil aidait Eärundra à préparer le repas.

Malgré tout quelque peu rassuré ne voir aucune espèce qui lui aurait été totalement inconnue, Kasumi revint le feu en remettant au carquois la flèche qu’il avait tenue à la main pendant toute leur inspection. Il jeta un regard attendri en direction de Tilmandil qui cherchait à se rendre utile avec une assiduité louable. Le rôdeur choisit d’en plaisanter en adressant un sourire à son demi-frère :

- Je vois que vous vous débrouillez toujours pour ne rien nous laisser faire et surtout pas la cuisine ! En aurais-tu déjà assez du ragout de serpent petit frère ? A moins que ce soit un affreux complot elfique pour me laisser m’occuper tout seul de Léo ?

Il ajouta ensuite d’un ton plus sérieux comme pour éviter que cette idée fasse son chemin dans l’esprit de la druidesse :

- Une chose est sûre : je ne choisirais pas cet endroit pour un bivouac mais il devrait faire l’affaire pour une brève halte en journée. J’ai tout de même eu l’impression d’être observé : ce n’est sans doute rien de plus que cela mais je préfère que personne ne s’éloigne seul. C’est d’ailleurs valable jusqu’à ce que nous sortions des bois.

Il appuya particulièrement son regard sur les deux jeunes femmes avant de rougir, gâchant ses beaux efforts d'autorité.

Sylvia rougit également -simple contagion-, et Eärundra se contenta de hocher la tête.
- C'est plus prudent en effet.
Mais elle ne releva pas l'allusion à Léo.
Ils purent déjeuner tranquillement, oubliant peu à peu les dangers susceptibles de rôder alentours. Tilmandil ne parlait guère, signe qu'il était réellement préoccupé. Eärundra ne parlait pas plus, mais c'était plutôt habituel chez elle. Et Sylvia paraissait gênée de devoir briser le silence un peu lourd qui s'installait. Aussi le repas se déroula-t-il dans le calme.

C'est lorsque le feu fut éteint, alors que Tilmandil et Kasumi achevaient de faire la vaisselle -les filles avaient décrété que c'était leur tour-, que Léo dressa brutalement les oreilles. Eärundra fronça les sourcils et se dirigea vers son arc.
- il y a quelque chose...
L'espace d'un instant, Kasumi vit des yeux jaunes les observer depuis un buisson. puis ils disparurent.

Kasumi ne trouvait pas non plus le moment approprié pour briser le silence qui s’emparait de la petite troupe. C’est l’état de son demi-frère qui l’inquiétait le plus mais il jugeait préférable d’aborder la question avec lui en privé : probable qu’il se contente d’éluder ou de tourner ses soucis en dérision devant Eärundra et même devant Sylvia malgré sa camaraderie à son égard. Quand ils s’étaient isolés pour faire la vaisselle, le rôdeur avait cru tenir son occasion mais la réaction de Léo l’amena à des considérations plus présentes et concrètes. Il prit lui aussi son arc et désigna le fourré où il avait surpris une présence fugace :

- J’ai vu quelque chose là. Peut-être un félin de belle taille. Mais il n’est peut-être pas seul.

Un sourd grondement s'échappait de la gorge du lion. Ses yeux étaient fixés sur un buisson, à plusieurs mètres de celui où Kasumi avait vu briller des yeux. Eärundra, quant à elle, lorgnait attentivement un bouquet d'arbre en bordure de la clairière, à l'opposé. Ce qui, à bien y réfléchir, semblait indiquer qu'il y avait au minimum trois fauves dans les parages...
Kasumi entendit un léger craquement de branchages, toujours dans le buisson où étaient apparu les yeux. Sylvia se tendit à son tour : elle aussi avait entendu. Son arc à la main, une flèche encochée, elle se tenait prête à tirer. Mais la clairière n'était pas immense, et les fauves se trouvaient à la fois bien protégés par les arbres qui les entouraient, et très proches d'eux s'ils décidaient de bondir subitement...

S’ils divisaient leurs forces, ils avaient toutes les chances de vite se retrouver mis en difficulté si l’un d’eux flanchait. Kasumi demanda donc d’une voix forte à ce que toutes et tous se rapprochent et se mettent dos à dos pour former un ensemble compact plus susceptible de dissuader une attaque des fauves. Avec la végétation dense des environs, il pensait bien pouvoir en bloquer un ou deux grâce à ses sortilèges s’ils attaquaient malgré tout. A condition de réagir assez vite…

- Restons au plus près de l’eau, cela devrait les faire réfléchir encore un peu plus et ça nous donnera plus de champ !

Ses camarades obéirent promptement, Léo y compris et ils se mirent à guetter ensemble une éventuelle attaque. Qui ne vint pas. De temps à autre, un regard jaune se laissait apercevoir. Ils avaient la sensation que les fauves tournaient autour d'eux. Attendant... quoi ?
- Il me semble qu'il y en a quatre maintenant, fit Eärundra. S'il y en a d'autres qui les rejoignent encore, on ne va pas s'en sortir.
Elle se mit à incanter, et au bout de quelques instants, une nuée d'insecte s'échappa de ses mains et se mit à tourbillonner, se dirigeant vers les buissons. Un feulement se fit entendre : les félins n'appréciaient guère le traitement. On devinait la colère monter en eux.

Kasumi partageait l’impression d’Eärundra. Il avait d’abord cru avoir affaire à quelques fauves isolés qui auraient pu les attaquer ou s’en détourner en quelques instants mais il soupçonnait de plus en plus que les félins coordonnent leur chasse, guettant un relâchement de leur défense. Ou peut-être ne souhaitaient-ils tout simplement pas décamper sans avoir pu s’abreuver. Dans un cas comme dans l’autre, l’attente n’était pas la bonne solution. Le rôdeur libéra donc la main qui tendait la corde de son arc pour ramasser la plus grosse pierre ou morceau de bois qu’il pourrait trouver et jeter. Son intention était de la lancer par-dessus le fourré pour forcer leurs potentiels assaillants à prendre une initiative.

- Préparez-vous !

Un nouveau feulement se fit entendre. Puis il y eut comme une hésitation, infime. Comme si le temps était suspendu une fraction de seconde. Eärundra recommença à incanter, Tilmandil également.
Et puis, d'un coup, ils bondirent. Des panthères, apparemment. Léo avait bondi presqu'en même temps, se ruant sur l'une d'elle. Mais il en restait quatre autres qui se précipitaient, de deux endroits à la fois, vers le petit groupe.

Kasumi sut immédiatement qu’il n’aurait pas le temps de décocher une flèche avant que les félins ne soient au contact, il lâcha donc son arc, dégaina ses épées et fit aussitôt volte-face pour se porter à la rencontre des deux panthères qui avait cherché à les prendre à revers. S’il ne se faisait pas déchiqueter dans la seconde, cela laisserait le temps à ses compagnons de l’assister à distance. Léo devrait en faire de même de son côté avec l’aide d’Eärundra, sans aucun doute… Il fallait frapper vite et fort sans leur laisser le temps de se ramasser pour bondir.

Sylvia avait eu exactement le même réflexe que Kasumi, au même moment. Les deux rôdeurs s'étant placés de part et d'autre du groupe, elle fit donc face aux deux autre panthères. Elle avait le maigre avantage que celles-ci soient occupées à se défaire d'un essaim de frelon. Ce qui les empêchait de se concentrer, mais les rendait également beaucoup plus hargneuses.
Mais Kasumi, concentré sur son propre combat, était bien en peine de regarder davantage ce qui se passait de l'autre côté. La première panthère avait bondi, l'obligeant à parer de son épée, blessant au passage l'animal au flanc. La seconde, déjà, le contournait. Et la première se ramassait à nouveau sur ses pattes, prête à bondir.
Au même moment, Tilmandil acheva son incantation, et une silhouette impressionnante jaillit brutalement du néant. On aurait dit un lion, mais un lion gigantesque. Ce n'était hélas qu'une illusion, incapable de rugir. Heureusement, sa simple vue, associée peut-être aux piqûres d'insectes, suffit à mettre en déroute les deux panthères qu'affrontait Sylvia. La rôdeuse vint immédiatement prêter main-forte à Kasumi, attaquant par surprise la panthère qui était en train de le contourner. Celle qui faisait face au rôdeur choisit ce moment-là pour bondir.

Kasumi ne pouvait pas se préoccuper de ce qui se tramait dans son dos, bien trop occupé à ne pas se faire transformer en proie sanguinolente : ces panthères étaient diablement agiles et il devait à la fois éviter leurs gueules aux crocs impressionnants et leurs griffes acérées. Un seul coup de l’une ou l’autre suffirait probablement à le blesser grièvement voire davantage. A peine avait-il réalisé que la seconde panthère qu’il avait surpris du coin de l’œil tardait à attaquer que la seconde bondit droit sur sa poitrine. Le demi-elfe tenta de se déporter de côté tout en gardant ses épées en protection et légèrement dans la trajectoire de l’animal. S’il ne réussissait ni à le blesser, ni à se faire tuer, il pourrait certainement contre-attaquer en frappant au sol avant que la panthère ne bondisse à nouveau.

Il blessa à nouveau la panthère, ce qui la rendit proprement folle de rage. Elle attaqua à nouveau, oubliant toute prudence, oubliant que l'humain face à elle était armé d'épées. Et il parvint à la blesser à nouveau en esquivant. Plus grièvement, cette fois-ci. suffisamment, en tout cas, pour qu'elle fasse subitement demi-tour et s'enfuie sans demander son reste.
Lorsqu'il put à nouveau s'intéresser à ce qui se passait autour de lui, Kasumi vit Léo en train d'achever son adversaire - avec une certaine délectation aurait-il pu jurer. Tilmandil se tenait à côté d'un lion gigantesque, mais immobile. simple illusion. Et Eärundra avait saisi son arc et attendait le moment opportun pour viser la panthère qu'affrontait Sylvia. La rôdeuse, en effet, avait fort à faire pour maîtriser l'animal déchaîné. Blessée au bras, elle avait du mal à manier son épée.

Avisant en un clin d’œil que la situation des deux elfes ne requérait aucune assistance mais que sa compagne était blessée et en danger, le rôdeur perdit de vue son adversaire en fuite pour se porter immédiatement aux côtés de Sylvia, la contournant du côté de son bras désarmé. Dès qu’il l’eut dépassée, il poussa un cri de rage et bondit en avant pour surprendre le félin, visant directement sa nuque et son dos pour parer à toute éventualité de bond en avant.

Le félin ne s'attendait pas à affronter un second adversaire, et le rôdeur bénéficia pleinement de l'effet de surprise. Son épée blessa grièvement l'animal au flanc, et la panthère retomba à terre avec une sorte de miaulement paniqué. Boiteuse, elle n'était guère en état de s'enfuir. Et du reste, une seconde plus tard, une flèche d'Eärundra lui traversait la gorge, l'achevant en un gargouillement sourd.
- Un bon travail d'équipe, commenta la druidesse en se rapprochant. Léo, lui, ne lui accorda qu'un coup d'oeil distrait, trop occupé à dévorer quelques morceaux choisis de la panthère qu'il avait lui-même occis. Sylvia se tenait le bras, un peu trop pâle.

Kasumi lâcha ses épées et se précipita vers Sylvia pour lui offrir aussitôt son appui du côté de son bras indemne :

-Appuie-toi sur moi mon amour ! Je vais t’aider à t’asseoir. Tu as été très courageuse et formidable comme dans mes souvenirs.

Il leva les yeux vers la druidesse pour réclamer silencieusement son aide. Une fois que Sylvia se serait assise, réduisant les risques de malaise, il oserait regarder l’état des dégâts.

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines