La Couronne de Cuivre

Eh bien, puisqu'il n'avait rien de particulier à faire, puisqu'aucune tâche urgente ne réclamait son attention, il allait se chercher un rocher, à minima un gros caillou. S'il en trouvait un près du chariot, il n'hésiterait pas et y enfoncerait son épée. Il se disait qu'en cas de problème, il serait ramené à la réalité, ce qui lui permettrait d'intervenir.
Et puis, les sentinelles du convoi n'étaient pas loin.

Des pierres, il y en avait mille, aussi n'eut-il pas à s'écarter outre mesure. Il trouva sa pierre, prit l'épée et celle-ci, comme la fois précédente, s'enfonça dans le roc sans plier. Il fut aussitôt ailleurs, dans la rotonde enténébrée qu'il avait déjà visitée, et le fantôme à la voix rauque se trouvait exactement à l'endroit où il l'avait quitté, comme si cela s'était passé moins d'une minute auparavant.
Urthemiel ne parut pas surpris de le voir revenir.
" Tu peux lâcher l'épée. C'est sans danger."

Il s'exécuta sans hésiter il n'avait aucune raison de se méfier, de douter de son interlocuteur.
-Salutations, lui dit-il, courtois. Comme vous devez vous en douter, nous sommes revenus sur Toril... Et j'ai donc attendu une occasion pour rendre l'épée à la pierre.
Des évidences. Mais une entrée en matière tout de même !

" Elle serait revenue à la pierre si tu ne l'avais fait toi-même, dit le fantôme. Elle n'est pas encore tienne."
Il s'approcha d'elle, fit mine de la saisir, mais sa main passa au travers de la poignée et il haussa les épaules. Il n'était manifestement pas surpris.
" Que connais-tu du maniement des épées ?"

-Mon maître m'a appris à me servir des rapières, des épées courtes et des épées longues, et c'est surtout des dernières dont j'ai usé au fil des ans. Je n'ai rien d'un brillant bretteur ou d'une fine lame, mais j'ai souvent eu l'occasion de croiser le fer et, d'ordinaire, je me débrouille.
Il s'était efforcé de répondre le plus honnêtement possible à la question.

" Voyons voir." dit Urthemiel.
Il se frotta les mains l'une contre l'autre et fit apparaître une épée entre ses paumes, comme s'il la tirait de son armure. Elle parut d'abord aussi intangible qu'il l'était mais gagna consistance, tandis que l'elfe lui-même semblait se solidifier. Autour du barde, le décor changea. La rotonde de pierre s'estompa et il se retrouva debout dans un espace de terre grise limité par de la brume. Le rocher et son épée étaient toujours près de lui et il faisait toujours nuit, mais le ciel était désormais invisible, tout entier caché par le brouillard.
" Prends l'épée. En garde."

Il s'exécuta, ne cherchant pas à soigner plus que de coutume sa position mais se comportant plutôt comme il le ferait d'ordinaire au début d'un combat. Le but, en effet, n'était pas de donner le change : il s'agissait d'être évalué.
Quelque chose lui disait que le prince serait aisément en mesure de le vaincre. Et il trouvait étrange, des décennies après la fin de sa formation, de se retrouver à nouveau en position d'élève.
Mais il s'y ferait, d'autant que c'était pour la bonne cause.

Le prince avait dû mourir à un âge similaire à celui de Taliesin, peut-être même un peu plus jeune, mais il était effectivement plus expérimenté dans le maniement de l'épée que le barde, ce qui était quelque part rassurant. Il le laissa attaquer quelques fois, parant parfois son assaut très tôt, parfois à la dernière seconde, puis se fendit lui-même de quelques passes offensives, sans jamais laisser sa lame toucher son adversaire, cependant. Sa mine, d'abord concentrée, devint plus détendue, il se permit un sourire, puis salua le barde de l'épée pour mettre fin à l'affrontement.
Il fit quelques pas pour rejoindre le barde.
" Donne-moi ta main gauche."
Lorsque Taliesin se fut exécuté, le fantôme lui toucha le poignet de deux doigts, un contact glacé, franchement désagréable, mais très bref. Ensuite, Urthemiel recula.
" A présent, nous allons recommencer, mais avant de m'attaquer, tu vas lever la main et me jauger, en te servant de ta main comme si tu voulais prendre ma mesure... Tu devrais... percevoir quelque chose... qui devrait te donner un avantage..."

HRP : Taliesin peut désormais se servir du sort mineur Coup au But à volonté.

Quoique surpris, Taliesin s'exécuta.
Et surpris, il le fut encore bien davantage en constatant le résultat...
-C'est... Une manière de sort ? s'enquit-il.
Cette intuition qui lui était venue quant à la meilleure manière d'atteindre le prince avec son arme ne pouvait qu'être magique.
Mais cela différait de ce dont il avait l'habitude, indéniablement.

" Oui. Une magie peu puissante mais qui a son efficacité et, tu le verras, dont tu peux user sans contrainte, au besoin..."
Il para aisément l'attaque suivante du barde.
" Aussi utile soit-elle, elle ne fait pas de toi un maître d'armes, cependant. Rien ne remplace jamais l'entraînement. Mais notre voie mêle la magie et la lame beaucoup plus étroitement que tu ne l'as connu auparavant... Tu étais déjà... doué pour l'un et l'autre... Un peu bretteur, un peu magicien... Désormais, tu vas pouvoir devenir un expert de l'un sans devoir renoncer à l'autre."
Il baissa son arme.
" Possèdes-tu une armure ?"

-Jadis, on m'avait offert une cotte de mailles elfique, mais je l'ai perdue, de même que tous les présents qui l'accompagnaient. Depuis, je me suis acheté une besantine de bonne facture en la cité de Loth Imarhil.
Il s'en servait rarement, peut-être parce qu'il lui avait toujours moins fait confiance qu'à l'armure qui l'avait précédée. On ne passe pas du métal au cuir sans conséquences...

Urthemiel acquiesça.
" C'est mieux pour la voie que tu as accepté d'emprunter. Une armure est nécessaire, mais elle doit rester légère. Le métal se marie mal à la magie."
Il eut un sourire.
" Mais ça, je suppose que c'est plutôt ta tunique de nuit ?"

-Nous sommes en route pour rentrer chez nous. Nous avons fait halte pour la nuit et comme je suis reposé alors qu'il reste encore bien des heures avant l'aube, j'en ai profité. Mais même sans cela... Je me promène rarement avec une armure, je dois bien l'avouer. Surtout... depuis quelque temps : après des années fort tumultueuses, disons, je me suis un peu... rangé. Mais je reprend peu à peu du service, d'où ce voyage.

" Tu ne dois pas te justifier, dit le prince sans se départir de son sourire. Je me demandais juste si la mode elfique avait changé à ce point depuis mon départ."
Il retrouva une mine plus sérieuse.
" Il faudra que tu songes à la porter, cette armure, cependant. Il est critique d'apprendre à en maîtriser le poids tout en s'accordant au chant de la lame et de sa magie. Mais tu peux la mettre juste lorsque tu viens me voir."
Il fit disparaître sa lame.
" Nous avons déjà bien travaillé et ton monde va te rappeler. Dis-moi... est-il certains sortilèges, parmi ceux dont tu uses souvent, dont tu aimerais conserver l'usage... des choses simples... illusions, tours de magie ?"

-Eh bien, il m'arrive de recourir à de la prestidigitation durant certains concerts, et j'use fréquemment de sons illusoires dans le même contexte au... au cours d'opérations moins pacifiques. Mais...
Il le dévisagea quelques instants.
-Cela veut-il dire que... cette voie va m'empêcher de recourir à la magie bardique ?
Ce ne serait pas rien, ça.

" Non. Peut-être certains sortilèges seront-ils... modifiés, d'une manière ou d'une autre... C'est difficile à dire. Ce qui est certain, c'est que la magie va t'envahir de manière beaucoup plus... intime. Elle te sera plus naturelle, plus vive... mais aussi plus puissante. Je ne sais pas si tu y perdras quelque chose... Mais ce que tu perds, tu le regagneras au centuple, sans aucun doute."
Il sourit.
" J'ai été formé dès l'enfance. Je n'ai pas dû... bifurquer. Toi, c'est différent. Mais tu n'es pas loin de moi."
Il s'écarta et soudain, la rotonde reparut autour d'eux, avec sa pierre, ses colonnes et son lierre éternel.
" Demain, ou le jour d'après, tu t'assiéras au calme. Tu poseras l'épée sur tes genoux, et tu songeras à un sortilège... Ces histoires de... prestidigitation... voilà. Tu le laisseras venir à ton esprit, mais sans le lancer. Juste les paroles, dans ta tête, jusqu'à ce que tu sentes la Toile mais sans y puiser. Tu le feras... dix ou vingt fois de suite. Garde la lame sur tes genoux, elle t'aidera à focaliser tes pensées et à toucher... cette magie juste là... à ta portée... Ensuite, tu reviendras et tu me raconteras."

Il garda le silence quelques instants, pour bien graver les consignes dans sa mémoire, puis acquiesça.
-Je n'y manquerai pas. En revanche, je ne puis vous dire quand exactement je pourrai le faire : nous sommes en voyage, je dois veiller sur les enfants... J'aurai davantage de latitude lorsque nous serons arrivés à destination. Alors, d'avance, mes excuses pour l'attnte éventuelle avant ma prochaine visite.

" Pour moi, il n'y a pas d'attente. C'est elle qui ne sera pas d'accord, si tu la négliges."
Il désignait l'épée.
" Je n'existe que pour la transmettre. Elle exige de reprendre sa danse."
Il adoucit ses propos d'un sourire.
" Mais ne t'inquiète pas... Elle n'en est pas à quelques jours près. Et tu verras que c'est peut-être toi qui finiras par brûler de revenir."
Il lui désigna la pierre à sa droite.
" Il te suffit de replacer l'épée pour rentrer chez toi."

-Avant cela... Sachez bien que ce n'est pas l'envie de revenir qui me manque. J'ai fait ce choix volontairement, et si je continue à le trouver intimidant... je persiste, aussi, à le trouver enthousiasmant. Je doit juste composer avec les circonstances et j'ai préféré vous en prévenir. Mais si j'ai pu venir cette nuit, je pourrai sans doute la suivante. Ou au moins celle d'après.
Si le prince n'avait rien à ajouter, il le saluerait puis remettrait l'épée en place.

Urthemiel n'avait rien à ajouter et, une seconde plus tard, Taliesin était de retour près du chariot, dans la nuit tranquille. Le ciel avait changé, grisé peut-être, mais en plein été, cela ne voulait pas dire qu'il était pour autant l'heure de se lever. D'autant que ses passes d'armes avec le fantôme l'avaient quelque peu fatigué... Une ou deux heures de transe supplémentaire seraient peut-être bienvenues... à moins qu'il ne décide de faire la sieste pendant la journée.

La vie lui ayant enseigné qu'il valait mieux se reposer quand on le pouvait, c'est pour la transe qu'il opta.
Si quelque chose clochait, il en serait tiré. Et s'il s'y attardait, les enfants se chargeraient de le ramener à la réalité.
Ensuite débuterait une autre journée de voyage. Elle n'aurait rien de désagréable, si elle se déroulait comme la précédente. Mais il n'était pas impossible que, cette fois, elle se conclue par une nuit à l'auberge - sauf si tout le monde se prononçait en faveur du bivouac.

Au petit matin, Taliesin émergea de sa Transe parfaitement reposé. Après un petit déjeuner délicieux, avec les compliments de Champsdor, les quatre enfants et le barde reprirent place dans le chariot, sous la houlette de la demi-orque qui, Taliesin l'apprit de Marius, se prénommait Gloria. Les boeufs les ramenèrent au coeur du convoi et ils repartirent, par monts et par vaux, à un rythme soutenu mais néanmoins suffisamment tranquille pour que les enfants puissent se promener aux alentours et remonter dans leur véhicule sans prendre de risques. Même Baptiste s'y colla, en décochant un clin d'oeil malicieux à l'elfe avant d'affronter la nature. A la mi-journée, ils s'immobilisèrent un moment pour reposer les animaux. Kelvim apprit au barde qu'ils atteindraient la route d'Anarion avant la nuit et que l'auberge se trouvait juste à la jonction des deux voies. Les caravaniers iraient installer leur campement à une courte distance, de manière à ce qu'ils puissent les rejoindre au petit matin.

Au cours de la matinée, Taliesin avait lui aussi quitté le chariot pour marcher.
Et il le fit à nouveau l'après-midi. Cela lui permettait de se dégourdir les jambes et de profiter du paysage de la vallée qui, outre être splendide, lui rappelait d'agréables souvenirs, des souvenirs d'un autre été.
De l'été au cours duquel il avait quitté les ténèbres pour retourner la lumière.
De l'été dont le moindre détail restait gravé dans sa mémoire.
Il se promenait donc avec des souvenirs plein la tête. Mais pas seulement : il songeait également au prince, à son enseignement, à ce que cela impliquait, aux exercices qui l'attendaient, à ce qui en découlerait... Comme il l'avait dit au fantôme, il demeurait toujours autant enthousiaste et intimidé, deux sentiments intimement liés. Mais comment pourrait-il en être autrement, face à pareille décision, face à pareil tournant ?

Le ciel fonça tandis que les enfants, désormais un peu fatigués, faisaient une bataille de coussins à l'arrière du chariot. Gloria la demi-orque proposa à Taliesin de venir s'asseoir près d'elle pendant que la zone de guerre ne lui permettait aucun repli. On lui avait dit qu'il était barde et elle lui demanda s'il n'avait pas une histoire simple ou l'autre à lui raconter, pour passer le temps. En échange, elle lui dirait quelques mots du coin, et effectivement, elle lui désigna un arbre remarquable car on y avait pendu autrefois un célèbre bandit de grand chemin, qu'on disait moitié-gnoll, un amas de rochers qui avait autrefois abrité un vieux magicien troll, les vestiges d'une tour, dont on savait peu de choses, et, plus loin, un pré fleuri dans lequel vivaient toujours des créatures ravissantes et dangereuses, dont l'influence avait plus d'une fois perdu un paysan crédule, attiré par la beauté du site.
Les chariots grimpèrent péniblement une côte assez raide puis débouchèrent sur une route plus vaste, en meilleur état et, chose remarquable, fréquentée par d'autres voyageurs. Une centaine de mètres plus loin se trouvait l'auberge dont avait parlé Kelvim, les Sangliers de l'Eté.
" Prenez pas le sanglier, c'est mon conseil, dit Gloria en s'immobilisant devant la porte. Y'en a plus dans la région et ils le font venir de vachement loin, pour leur réputation. Ça vaut pas le coup."

-Merci du conseil, lui répondit-il, amical - leur conversation avait été, en effet, des plus agréables.-Mais il n'est pas dit que les enfants renonceront à une nouvelle nuit de bivouac...
C'est ce qu'il allait s'empresser de leur demander : voulaient-ils à nouveau camper ou préféraient-ils profiter du confort d'une auberge ? Baptiste opterait pour la deuxième solution, forcément, mais cela en laissait trois autres... Il se plierait en tout cas au souhait de la majorité et si elle optait pour les Sangliers de l’Été, ils iraient de ce pas y réserver deux chambres - ils étaient trop nombreux pour qu'une seule suffise.

Il y eut débat. Baptiste avait envie de tester l'auberge, Titus était moins enchanté, Victor n'était pas contraire, Marius penchait pour l'auberge aussi. Bref, le faune était minorisé.
" Je peux garder le petit avec moi, si vous voulez." dit la demi-orque.
Titus ouvrit de grands yeux catastrophés.
" Il reste un pantalon et un chapeau pour moi ? demanda-t-il d'une voix misérable, en sylvestre.
— Je vais pas te manger, biquet."

-Ne prenez pas mal sa réaction, dit-il à Gloria. Titus est du genre timide, et il a déjà eu affaire à des gens mal intentionnés, ce qui le rend... encore plus timide.
Il se tourna vers le petit faune.
-Tu ne risque rien, avec elle. Rien du tout. Mais si tu ne veux pas rester seul malgré tout...
Il fit face à Victor.
-Ca ne te dit pas, de rester camper avec Titus ? Tu serais son garde du corps.

Victor leva les sourcils, Titus fronça les siens et Baptiste poussa un bref soupir.
" C'est bon, on peut tous camper, c'est pas grave. J'ai pas vraiment besoin d'aller à l'auberge. Je suppose qu'on devra y aller tôt ou tard, on se rattrapera à un autre moment, non ? Et puis... Amrod nous a mis encore des provisions pour aujourd'hui, ce serait bête de les gaspiller."
Il remonta dans le chariot. Gloria regarda vers Taliesin : c'était lui, évidemment, qui aurait le dernier mot.

-Soit, campons.
Il sourit aux amateurs d'auberge.
-Pour l'instant, nous pouvons bivouaquer sans risque : nous sommes en bonne compagnie. Mais après Togoria, nous devrons probablement passer toutes nos nuits sous un toit, ce qui sera dur pour Titus. Alors voilà, offrons lui encore quelques nuits à la belle étoile.

Une fois tout le monde à l'intérieur, Gloria relança les deux boeufs (qui s'appelaient Julius et Augustus, d'après Marius, toujours) sur la route et ils rejoignirent, cahin caha, les autres chariots qui s'étaient installés à l'écart de la route, dans un pré.
" Je vais vous mettre sous les arbres, là au fond, mais cette fois, on sera plus près. Désolée d'avance si ça ronfle. C'est sans doute moi."
Elle guida son attelage jusqu'au lieu dit.
" Il y a un ruisselet plus bas, mais je vous conseille quand même de faire bouillir l'eau."
Elle détacha les boeufs et les entraîna vers le reste du groupe, tout en leur souhaitant la bonne nuit.

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...