La Couronne de Cuivre

Chandara ne manquait jamais une occasion d'assister à l'un de ses récitals mais prenait aussi grand soin de lui laisser sa liberté lorsqu'ils arrivaient dans un village et plus particulièrement lors de ses représentations. Du reste, le passage d'une paladine était souvent remarqué dans ces petites communautés isolées et elle ne rechignait jamais à dispenser son aide, parfois par une simple conversation pour partager des nouvelles ou alors par des soins plus directs aux blessés et aux malades.

Plus le temps passait, plus ils se montraient attentifs au paysage. Car ils se rapprochaient sans cesse davantage du premier des deux sites vers lesquels, d'après leurs recherches, la carte dénichée dans la caverne près de Bordeleaux pouvait pointer. Bien sûr, ils auraient pu se renseigner auprès des habitants des villages qu'ils croisaient, leur montrer ladite carte : mais ç'aurait été courir le risque d'éveiller la curiosité, voire d'être devancés... Par conséquent, d'un commun accord, ils s'en remirent à leurs seules observations.
Enfin, au lendemain d'une journée orageuse et quelques heures après avoir quitté la modeste auberge dans laquelle ils avaient passé la nuit, ils atteignirent un pont de pierre enjambant une rivière au cours rapide. Son embouchure, à quelque distance sur leur droite, ainsi que la forme du littoral leur parurent familières. Ils consultèrent donc le précieux document en leur possession et constatèrent que, selon toute vraisemblance, 'ils étaient arrivés.

Chandara peinait à contenir son excitation mais elle répéta plusieurs fois, au cours de leur approche, qu'ils avaient deux endroits à explorer et qu'il ne faudrait pas être déçu si la découverte du trésor n'était que partie remise. Une façon de conjurer une déception. Mais celle de qui, Quentin aurait bien été en peine de l'affirmer avec assurance.

La paladine se référa, une fois de plus, à la carte qu'elle connaissait pourtant par coeur et tenta de s'orienter.

- Je pense qu'il faut commencer par voir s'il existe une grotte comme la dernière fois. Et peut-être ne se révélera-t-elle qu'à marée basse. Dans tous les cas, il faudra certainement se mouiller !

Cette perspective ne semblait pas la déranger outre mesure.

-Ne vous réjouissez pas trop vite, fit Quentin, sentencieux. Il est tout à fait possible qu'il s'agisse d'un trésor enterré à la surface. Ou que si grotte il y a, son entrée se trouve dans les terres.
En tout cas, trouver l'endroit correspondant au fameux X ne serait pas évident, car la carte n'était pas spécialement précise. Peut-être n'était-elle même pas à l'échelle. Chandara put toutefois noter qu'il leur fallait traverser la rivière. Mais au-delà de ça, sans doute faudrait-il fouiller une vaste zone valonnée et, s'ils ne trouvaient rien, explorer le pied des falaises basses, presque de simples butes rocailleuses, qui surplombaient la mer.

La paladine suivit les indications et les déductions de son jeune acolyte pour traverser la rivière. Là, elle s'imprégna un moment de leur environnement sauvage, respirant à pleins poumons avant de livrer l'état de ses réflexions :

- Nous allons devoir nous montrer plus méthodiques que la dernière fois. Peut-être devrions-nous délimiter la zone de recherche ? Des morceaux de tissu feront très bien l'affaire ! Ensuite, nous n'aurons plus qu'à parcourir la zone.

Une autre solution était de se laisser guider par son instinct mais elle avait appris à ne pas trop se reposer dessus.

-Des morceaux de tissu ? demanda Quentin, sourire en coin. Voudriez-vous que nous déchirions nos effets ? A mon humble avis, de petits tas de pierres pourraient tout aussi bien délimiter la zone, sans compter qu'ils risqueraient moins de s'envoler si se lève le vent...
Il observa la carte pour la énième fois avant de jeter un nouveau regard circulaire sur le paysage.
-En tout cas, il va falloir nous armer de patience : la carte n'est vraiment pas précise. En même temps, un trésor, ça se mérite !

Chandara répondit d’un ton innocent qu’ils avaient bien assez de tissu sur eux pour en sacrifier un peu mais elle se rangea tout de même à l’avis de son jeune compagnon :

- Voyons un peu cette carte : si le terrain est dégagé aux extrémités de la zone de recherche, nous appliquerons ton idée sinon il faudra sans doute en passer par quelques menus bandeaux de tissu nous aux branches. Et nous ne sommes pas pressés : le lieu semble agréable et l’exploration n’est jamais une perte de temps, quoique nous trouvions.

A la suite de quoi, la paladine chercha à déterminer à quel type d'environnement elle avait affaire.

En termes de végétation, la zone à explorer était plantée de hautes herbes, de buissons et de quelques arbres. En matière de relief, elle était vallonnée, les pentes s'avérant tout sauf escarpées. C'était un peu surprenant, d'ailleurs, car la carte semblait indiquer, au nord-est, une éminence assez marquée, là où on ne notait guère qu'un petit rehaussement de terrain arrondi.
Maladresse du dessinateur ?
Au moins la rivière, derrière eux, et la falaise, sur leur droite, fournissaient-elles deux limites nettes. Les autres, en revanche, restaient à définir, d'autant que la route n'apparaissait pas sur le parchemin.

Ces différences étaient perturbantes : certes, la carte avait pu être dessinée à une autre époque, expliquant l’absence de la route. Mais l’absence de l’éminence plus marquée qui constituait un important point de repère n’était pas bon signe. Bien entendu, la paladine n’allait pas se laisser décourager si facilement par quelques inexactitudes. Elle prit donc la direction des opérations, désignant un arbre comme troisième jalon à la zone de recherche et y noua une de ses tuniques de rechange. Elle compta ensuite quelques toises le long de la plage pour se donner un peu de marge où elle entassa quelques pierres en une pyramide improvisée.

- Voilà, il ne nous reste plus qu’à passer cette zone au peigne fin : tu préfères qu’on se répartisse les zones de recherche ou qu’on reste ensemble ?

-Séparons-nous : ainsi, nous couvrirons plus de terrain en moins de temps. Et en cas de problème ou de découverte... Un appel suffira : nous ne serons jamais éloignés au point de ne pouvoir nous entendre.
D'appel, il n'y eut point au cours de l'heure suivante. Et pour cause : ils ne croisèrent aucune menace, pas davantage que le moindre signe de trésor enfoui, de ruines ou de quoi que ce soit sortant de l'ordinaire. Mais il leur faudrait encore persévérer un moment pour être certains d'avoir passé tout le secteur au peigne fin. Tout, sauf la plage et sa falaise basse, qu'ils étaient partis pour garder pour la fin.

Avant d'en arriver là mais après tout de même près d'une heure de recherches supplémentaire, Chandara décida qu'il était temps pour son valeureux compagnon et elle-même de prendre une pause bien méritée. Elle retourna donc vers l'endroit où elle avait laissé ses affaires et Lune de Miel et appela d'une voix enjouée. Qu'importait après tout qu'ils fassent chou blanc pour le moment : il restait la falaise à explorer et ce n'était de toute façon pas une raison de se priver des petits plaisirs du quotidien :

- Quentin ? Il est grand temps de prendre le goûter !

-C'est déjà fait ! lui répondit le musicien qui ne se trouvait pas très loin de là. J'ai découvert tout un tas de champignons plein de couleurs et je les ai tous goûtés jusqu'au dernier !
Quelques instants plus tard, il l'avait rejointe.
-Mais en dehors de ça, malheureusement... je rentre bredouille.

La jeune femme écarquilla les yeux de stupeur avant de se rendre compte qu'elle venait de se laisser avoir par une nouvelle plaisanterie de son joyeux compagnon. Elle joua néanmoins son jeu en adoptant une attitude paniquée :

- Quoi !? Et à quoi ils ressemblaient ces champignons ?!

Quentin haussa les épaules.
-Je ne saurais trop vous dire : il y en avait pas mal et ils étaient tous différents... Oh, mais il y en a quand même certains dont je me souviens très bien, parce que je les ai trouvés particulièrement jolis : ils avaient de superbes chapeaux rouges à pois blancs.

Devant ces précisions, l'assurance de la jeune femme fondit comme neige au soleil : elle n'était soudain plus aussi certaine que le garçon plaisantait. Elle dut blêmir visiblement et sa voix était bien moins affirmative quand elle rétorqua :

- Tu es bien sûr de toi ? Moi je n'ai croisé aucun champignon dans mes recherches !

Elle ne pouvait pas s'empêcher de guetter d'éventuels signes avant-coureurs d'empoisonnement. Si c'était le cas, elle pourrait y faire face mais pas si elle négligeait de surveiller son état de santé.

Mais Quentin semblait au mieux de sa forme.
-Normal : je crois bien le avoir tous mangés, répondit-il d'un ton détaché.
Son sourire s'élargit.
-On verra si j'ai des hallucinations : certains champignons en provoquent. Bon, mais j'ai encore un petit creu pour le vrai goûter.

Chandara fut rassurée - à en juger par son interprétation des mimiques du jeune garçon - sur le fait qu'il n'était effectivement pas sérieux. Elle ne résista pas à la tentation de jouer encore son jeu en faisant remarquer que s'il se mettait à voir des gens nus, il fallait immédiatement la prévenir.

Elle sortit ensuite de son sac le petit en-cas qu'elle avait prévu pour cette pause : des biscuits et même quelques fruits secs. Ils devraient malheureusement se contenter d'un peu d'eau fraîche pour les accompagner car elle n'avait pas pu se ravitailler en jus de fruits depuis le dernier village.

Quentin avait répliqué qu'il n'y avait aucune chance que pareille chose se produise. En revanche, des éléphants roses, il se pouvait qu'il en voie.
Il goûta ensuite avec appétit puis bondit sur ses pieds.
-On y retourne ? J'ai peur qu'on en ait encore pour un moment...
Et s'ils tardaient trop, il leur faudrait camper cette nuit-là. Ce qui, ceci dit, n'était pas forcément un problème.

Chandara avait bien exploré la première zone qu'elle s'était affectée aussi était-il temps de tourner son attention vers le relief des falaises qu'elle avait d'emblée repéré. Mais avant cela, elle vérifia tout de même où en était le garçon pour l'aider s'il lui restait une trop vaste zone à explorer : autant qu'ils soient deux pour explorer la zone la plus prometteuse et potentiellement gratifiante.

Quentin en avait déjà terminé avec sa parcelle mais, méticuleux, il préféra en faire un ultime tour, par acquis de conscience, pour s'assurer que, vraiment, il n'avait rien manqué.
Ce qui était le cas.
Alors, tous deux se dirigèrent vers les basses falaises, pour en explorer tant le sommet que le pied.
Et la encore... Chou blanc : aucune ruine, aucune grotte, aucun élément sortant un tant soit peu de l'ordinaire...
Juste des falaises basses bordant la plage.

Un nouveau coup d'oeil à l'ébauche de carte qu'ils avaient récupérée acheva de convaincre Chandara que ce lieu n'était certainement pas le bon. Toutefois, elle ne manifesta pas vraiment de déception : la difficulté de la recherche ne faisait qu'accroître la valeur et le sentiment d'accomplissement lors de la découverte. De plus, si les ruines avaient été trop visibles, ils n'y auraient certainement plus rien d'intéressant à y dénicher. Alors que le ciel commençait à pâlir, la jeune femme se tourna vers son jeune acolyte :

- Que dirais-tu de bivouquer ici ce soir ? Ensuite nous reprendrons la route vers l'autre site de fouilles !

Encore un point positif à cette perspective : il n'y avait aucune raison que leurs chemins se séparent au cours des prochains jours et Chandara appréciait vraiment la compagnie de Quentin.

Quentin acquiesça.
-Si vous voulez. Camper sera agréable, par ce beau temps. Et puis, ça nous évitera de devoir forcer l'allure pour tenter d'atteindre le village avant la nuit.
Vu son habitude des bivouacs, il n'était pas étonnant que la proposition de la paladine reçoive de sa part un écho favorable. Sans compter que le site, sans être exceptionnel, s'avérait plutôt plaisant.

Chandara annonça qu'elle se chargeait de chercher des sources de bois le long de la plage pour leur préparer un petit feu de camp. La soirée promettait d'être agréable avec le son du ressac et le ciel étoilé pour ponctuer ses conversations désormais habituelles avec quentin : il aurait été dommage de ne pas en profiter.

Le bois flotté n'étant pas rare et les préparatifs nécessaires à leur bivouac, à l'inverse, n'étant pas nombreux, ils en eurent terminé alors que le soleil planait encore assez haut au-dessous de l'horizon. Le ciel était toujours d'un bleu limpide, la température toujours estivale : leur veillée s'annonçait donc sous les meilleurs auspices, malgré la déception liée à l'absence de toute découverte. Mais il restait encore un site à explorer : nul doute que ce serait le bon ! Et d'ici là, oui, il y avait de quoi profiter.

Tout en préparant gaiement le feu puis le repas, la jeune paladine interrogea avec taquinerie le jeune garçon sur ses idées pour la soirée : avait-il envie d'un de ses traditionnels bains de boue ? D'un nouveau bain tout court ? Ou peut-être la gratifierait-elle d'un petit récital improvisé ? Ou alors préférait-il se contenter de bavarder innocemment d'un sujet ou d'un autre ? D'ordinaire, Quentin ne manquait pas de lancer des sujets qui alimentaient leurs conversations et leur compréhension mutuelle et elle avait vite appris à apprécier ces moments privilégiés.

Quentin expliqua qu'autant la boue était connue pour ses vertus, autant l'eau était réputée pour son caractère néfaste et qu'il valait donc mieux s'en tenir le plus éloigné possible. Quant aux sujets de conversations, il se fendit de plusieurs idées : l'inutilité de l'art, la vanité de la beauté, l'illusion qu'était l'amour...
Le jeune barde était d'humeur espiègle, pas de doute là-dessus, signe que l'échec de leurs recherches ne l'affectait en rien.

Chandara était maintenant accoutumée à ces fausses provocations assénées sur le ton de la plaisanterie. Elle en fut rassurée sur l’état de moral de son jeune acolyte mais elle choisit de ne pas lui donner de grain à moudre en tentant une nouvelle fois de défendre sa position. Au lieu de cela, elle évoqua le programme du lendemain : si la nuit ne leur apportait aucune inspiration particulière, ils allaient reprendre la route et se lancer dans la prochaine étape de leur périple et le deuxième emplacement qu’ils avaient repérés sur leur carte. Il valait donc mieux tâcher de se reposer car la route serait longue le lendemain.

Ils mangèrent en observant le soleil s'enfoncer derrière les collines basses, à l'ouest, tandis que la plage et ses environs se paraient de teintes splendides : ors, pourpres, oranges du plus bel effet.
Puis ce fut la nuit, laquelle s'avéra particulièrement belle et claire : dans un ciel parfaitement dégagé brillaient des myriades d'étoiles ainsi qu'une lune quasiment à son plein, laquelle se reflétait sur les flots paisibles et nimbait d'argent un paysage qui, sous cet éclairage, prenait des allures presque fantastiques.
-J'espère qu'il n'y a pas de loups-garous dans le secteur ! plaisanta Quentin.

Chandara était admirative des beautés que sa déesse lui donnait de voir en ce lieu paisible. En cette soirée, il lui était encore plus facile que d'habitude de se sentir proche de Sunie et elle se sentait prête à déplacer des montagnes - ou explorer des lieues de plage en quête des trésors dont elle s'était mise en quête. La jeune femme n'était pour autant pas d'humeur méditative et elle plaisanta sur le fait que les loup-garous étaient peu appréciés des membres de son ordre. Une des raisons en était leur tendance à se couvrir bien trop. Les Sunites avaient d'ailleurs pour coutume de les effrayer en suspendant leurs vêtements aux alentours de leur campement pour les tenir à distance : ils risqueraient leur peau poilue à venir leur chercher des noises !

Quentin ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.
-Vraiment ?
Il parut pensif puis acquiesça.
-Eh bien, si c'est vraiment nécessaire...
Soit il croyait vraiment Chandara, soit il jouait fort bien la comédie. Ce qui, le connaissant, n'aurait rien d'étonnant.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer