La Couronne de Cuivre

Baptiste esquissa une moue indécise.
" Et qu'est-ce qui s'oppose à ce projet ? Lui ? Toi ?"
Il jeta un oeil vers le faune.
" C'est sûr que la vie pastorale... C'est peut-être ce qui lui faut. Mais à regarder tout le temps en l'air, il va se faire bouffer par un ours."

-S'il décide de rester, sa nouvelle famille lui apprendra les lois de la survie ici.
Il soupira.
-Après, je n'aime pas l'idée de le confier à une inconnue, pour qu'elle l'emmène quelque part où je ne pourrai pas veiller sur lui. J'aurais préféré... rencontrer les gens qui sont susceptible de prendre la suite, vérifier qu'il serait bien, là-bas, s'il décidait de s'y installer. Ne pas povoir le faire m'ennuie, m'inquiète.

" Et pourquoi tu ne vas pas avec eux, si ça t'inquiète tant ? Evidemment quelques jours de plus... Tu es sûr que c'est des jours ? Mais si c'est important et que c'est pour le bien de Titus... Je suppose que ça vaudrait le coup."
Il haussa les épaules.
" Lui, il ne va jamais décider tout seul. Il est trop petit. Ça vieillit comme un humain, un faune ? Ou comme un elfe ? Ou plus vite, comme une biche ?"

-Je n'en ai pas la moindre idée. Et il est tout simplement hors de question que je vous laisse seuls : Lola pourrait vous dire quoi faire et quoi ne pas faire, mais comme elle l'a dit elle-même, Victor et Marius ne respecteraient pas ses consignes.
Déjà qu'ils ne respectaient pas les siennes...

" Si c'était plus court, ce serait possible... On pourrait rester à l'auberge... un moment, au moins. Peut-être que si tu expliques la situation à Victor... Mouais, non, laisse tomber, tu as raison. Mais j'imagine que même si Victor et Marius ne respectaient aucune consigne... Ils seraient quand même en sécurité au sein du festival... Non ?"
Les deux principaux intéressés faisaient la planche, à présent, flottant l'un et l'autre à la surface du lac.
" Ils s'entendent bien." remarqua Baptiste, d'un ton presque déçu.

-Ils pourraient malgré tout s'attirer des ennuis, s'ils enfreignaient les règles du festival. Or, des règles, il y en a beaucoup, je pense...
Il avait suivi son regard.
-On dirait que ça ne t'enthousiasme pas des masses, qu'ils s'entendent bien.

" Oh, si, c'est chouette, dit Baptiste. Ils ont le même genre de tempérament, je suppose... Celui qui ne respecte pas les consignes."
Il poussa un bref soupir.
" Je me demande toujours comment... Victor fait pour avoir cette joie de vivre après tout ce qu'il a traversé... et ça doit être la même chose pour Marius... J'aimerais bien comprendre comment ils font... mais je n'y arrive pas. Je ne suis pas comme eux. Ce n'est pas très grave. Je suis parfois juste un peu jaloux de ne pas avoir cette résilience qui semble leur venir... si naturellement."

-Je comprends. Mais je pense que tu te poses trop de questions et que du coup, ça t'inhibe quelque peu...
Il sourit.
-Mais tu es résilient, toi aussi. Et peu à peu... Tu te libères. Tu ne t'en rends peut-être pas compte mais moi... Je note les changements, à de petits détails... Notamment quand tu joues avec Victor, ou quand vous vous taquinez.

" Je ne sais pas, dit Baptiste. Se poser des questions, ça fait partie de qui je suis. Ça ne va jamais changer. Je vais toujours être tourné, un rien, vers le passé. Je ne dis pas que je ne trouve pas de bonheur dans l'instant. Bien sûr que si. Mais il y a une ombre..."
Il esquissa quelque chose dans le ciel au-dessus de lui.
" Elle est toujours là. Elle me rappelle toujours que tout peut voler en éclats. Que rien n'est acquis. Faire semblant de rien... J'aurais juste l'impression d'être malhonnête et de me voiler la face."

-Tu sais, tout le monde doit composer avec ça. A des degrés divers, bien sûr, en fonction de ce qu'on a déjà vécu, de ce qu'on a déjà perdu. Mais du moment que l'on est conscient de sa mortalité et de celle des autres, on sait que rien n'est acquis. Dans ce monde, en tout cas. Mais il faut essayer de ne pas laisser trop de place à cette certitude : sinon, on ne vit plus, on ne profite plus de rien... On renonce, en quelque sorte, à ce que l'on sait pouvoir perdre, alors qu'on l'a encore et qu'on l'aura sans doute encore fort longtemps.
Il observa le lac, la clairière.
-On peut cependant transformer cette douloureuse certitude en force. Se dire que puisque c'est ainsi, il faut d'autant plus profiter de ce que l'on a, de ceux que l'on a. La joie de vivre, la capacité à savourer l'instant présent... Ce sont des choses qui se cultivent.

" Sans doute. Mais le savoir ne le rend pas plus facile. C'est une question de... tempérament. Et on a chacun notre tempérament."
Il haussa les épaules.
" Mais je ne sais pas pourquoi je raconte tout ça. Peut-être que je devrais aller nager, moi aussi. Et toi aussi, d'ailleurs. Puisqu'on n'est pas partis..."

-Excellente idée !
Il se pencha pour ôter ses bottes.
-Mais auparavant... Tu dis que c'est une question de tempéramment, et c'est vrai. Mais c'est aussi une question de discipline... Par exemple, quelqu'un de casanier ne va pas être ravi, si on lui propose une excursion. S'y joindre lui demandera un effort. Mais la plupart du temps, il sera content, une fois qu'il y sera. Et après coup, il sera content de l'avoir fait.

Baptiste lui jeta un regard en coin.
" Ça dépend comment l'excursion se termine..." dit-il avant de retirer sa chemise.
Il entreprit de se défaire de son pantalon.
" Du nombre de gobelins et de prêtres maléfiques croisés en route, par exemple."

Taliesin rit.
-Tu es terrible, Baptiste ! Pourquoi toujours envisager le pire ? Il peut très bien ne croiser aucun ennemi et faire une paisible et agréable excursion. Ou en croiser, parvenir à les éliminer et être ravi d'avoir débarrassé le monde de leur présence. Ces possibilités positives ne sont pas moins probables que les négatives, alors pourquoi ne pas se concentrer sur elles ?
Il vérifia qu'il possédait toujours la corde invisible remise par le prince puis la posa, de même que sa tunique, à un endroit où il était sûr de pouvoir la retrouver.
-Tu es du genre à voir le verre à moitié vide, je le crains. Un peu comme moi, en vérité. Mais on peut s'exercer à voir plutôt le verre à moitié plein. Ça aussi, ça se travaille.

Baptiste était entré dans l'eau jusqu'à la taille. Malgré la générosité du soleil, elle était diablement froide.
" Mais tu es comme moi. Il a fallu que Galathée te jette dehors pour que tu quittes la maison. Tu étais aussi échaudé par tout ce qui est arrivé... Mélandis, le procès... Et tu as eu raison : nous avons eu plein d'ennuis. Et nous n'en sommes même pas sortis. Je ne dis pas qu'il faut se rouler en boule au pied d'un arbre et se laisser mourir mais... Imaginer le pire, c'est sans doute ce qui nous permet d'être toujours vivants."

-Sauf qu'à trop imaginer le pire, on ne vit plus vraiment.
Tout en le rejoignant, il s'assura, du regard, que Titus était toujours visible.
-Il y a donc un équilibre à trouver. Se montrer précautionneux quand c'est nécessaire, être conscient des risques s'il y en a, mais ne pas partir du principe que tout va toujours mal tourner et profiter des bons moments qui s'offrent à nous.

Titus était tout à fait de l'autre côté du lac, dont il avait entrepris de faire le tour complet. Il était manifestement en train de chanter l'une de ces ritournelles en sylvestre dont il semblait avoir un large répertoire, à moins qu'il ne s'adresse aux libellules qui le précédaient. Marius et Victor avaient surveillé leur entrée dans le lac et semblaient se déplacer comme des créatures aquatiques, le visage émergeant à peine de la surface, comme s'ils avaient l'intention de les attaquer soudainement.
" Regarde-les, dit Baptiste d'un ton dégagé, l'eau jusqu'à la poitrine. N'es-tu pas d'avis qu'il faut imaginer le pire ?"

Il prit un air effrayé.
-Tu... Tu as raison. En réalité, il faut toujours imaginer le pire. Toujours. Mais... Peut-être n'est-il pas encore trop tard.
Et de dédier à Marius et Victor un sourire désarmant.
-Vous ne pensez pas que vous devriez plutôt sortir pour sécher au soleil ? leur suggéra-t-il d'un ton innocent. Si vous restez plus longtemps dans l'eau, vous risquez d'attraper froid...

" Taaaa-dam... répondit Victor en nageant dans leur direction. Taaaa-dam ! Tantantantantantan TA TA TAAAAAN !"
Marius disparut sous la surface de l'eau, mais ses pieds continuèrent de battre dans leur direction.
" Il a appris drôlement vite, dit Baptiste, blasé. J'ai déjà fait mon testament, cela dit."

-Mais non mais non : contentons-nous de nous éloigner suffisamment pour qu'ils soient obligés de refaire surface avant l'assaut. Et quand ils seront en mesure de m'entendre, j'abattrai une nouvelle carte !
Et il joignit le geste à la parole, tentant de se mettre hors d'atteinte.

Baptiste imita Taliesin, Victor et Marius les prirent en chasse. Le premier nageait bien, même très bien, comme la plupart des enfants luméniens. Marius, par contre, faisait du surplace en dépit d'une quantité impressionnante d'éclaboussures. Baptiste restait épaule contre épaule avec le barde.
" Quel est le plan, chef ?"
Victor se rapprochait dangereusement... mais il était seul contre deux.

-On lui fait crier grâce ! lança-t-il joyeusement.
Puis, plus bas.
-Tout en faisant mine d'oublier complètement Marius. Comme ça, il pourra tranquillement se rapprocher, nous attaquer par surprise et donc jouer avec nous.
Ce serait bête qu'il soit exclu car moins rapide que Victor...
Quant aux bottes secrètes de barde qu'il gardait en réserve... Cela attendrait.

Victor en profita pour les rattraper. Plongeant sous l'eau à quelques mètres, il disparut un moment, et Taliesin le vit — très nettement, l'eau était parfaitement transparente — progresser jusqu'à lui en brasses silencieuses. Son intention était immanquablement d'attraper le barde par un pied pour le tirer sous l'eau...

Il se fendit d'un sourire faussement sardonique.
-Je le distrais et tu l'attrapes ? souffla-t-il à Baptiste.
Il avait l'intention de se dérober à la dernière seconde puis d'accaparer suffisamment l'attention de l'assaillant pour que son frère puisse passer à l'action.

" J'ai moins de souffle que lui." dit Baptiste avec une grimace.
Mais il suivit néanmoins les directives du barde. Ce dernier évita Victor, Baptiste plongea, s'ensuivit une courte lutte sous-marine, puis les deux garçons émergèrent. Baptiste était plus grand, mais Victor plus costaud, et les deux adversaires se séparèrent après quelques secondes. Marius en profita pour sauter sur le dos de Taliesin en s'agrippant à ses épaules comme un petit chat sauvage.

-Me voilà pris... s'exclama-t-il tout en faisant mine d'essayer vainement de se libérer.
Il sourit à Baptiste
-Ne reste plus que toi pour racheter l'honneur de notre équipe...
Lui-même ferait attention à Marius : il se débrouillait incroyablement bien, pour quelqu'un qui ne savait pas nager une heure plus tôt, mais mieux valait être prudent.

Mais Baptiste redoutait manifestement de s'en prendre à Victor, pour qui les limites entre jeu et réel pugilat étaient toujours floues, et qui n'était pas connu pour être bon perdant.
" Je ne fais pas le poids, dit Baptiste.
— Trouillard." lui répondit Victor.
Mais il en fallait davantage pour que le plus grand cède à la provocation.
" Je crois que je vais t'abandonner, Taliesin. C'était chouette de t'avoir connu."

Il arbora une mine des plus déçues, poussa même un soupir.
-Es-tu sûr de ton choix ?
Son ton se fit lourd de menace.
-En es-tu vraiment, vraiment sûr ? Parce que je pourrais... acheter la collaboration de Victor et de Marius pour qu'ils te fassent payer ta traitrise...

" Je nage vite." rétorqua Baptiste avant de filer vers la berge, d'une brasse élégante et, effectivement, rapide.
Victor se tourna vers le barde.
" Combien tu paies ? Grouille, parce qu'il sera bientôt hors d'atteinte."

Il sourit.
-Je pourrais me rappeler que je t'avais autorisé à acheter un petit objet magique. Du moins si Marius est toujours d'accord... Oh, et t'ammener avec moi dans la Zone Glauque, bien sûr !

La Couronne de Cuivre

[Quête] Escapade en Féérie