La Couronne de Cuivre

Une fois la dernière personne passée, Hubert se rendit dans la cour pour assister aux derniers préparatifs. Mû par une subite impulsion, il se mit en quête des enfants. Il les avait à peine entraperçus depuis leur séparation imprévue, mais à présent qu'ils allaient réellement quitter les lieux, il avait l'impression de leur devoir quelque chose, peut-être un serment, ou une déclaration. Tout ce monde, toute cette grisaille, il essayait de ne pas se laisser bouleverser. Il avait foi, et la foi renverse des montagnes... Ce n'était qu'une séparation temporaire, il ne pouvait pas en être autrement. Mais il avait conscience d'être pratiquement le seul à y croire... et sans doute était-ce là la faute des Ithiliens, qui avaient jeté tous les espoirs à terre pour les piétiner.

S'avançant au milieu de la foule où rares étaient les yeux à demeurer secs, où les étreintes désespérées et les adieux déchirants se multipliaient, quels efforts qu'aient pu faire les colons pour rester dignes, il fini par les repérer.
Ils se tenaient près d'Ingrid et du gang des couturières. Celui-ci étant exclusivement composé de mères de famille, c'est en intégralité qu'il quitterait Clairétoile.
Hubert connaissait bien ceux qui, un temps, avaient été ses écuyers.
Dès lors, et quoi qu'ils se tiennent immobiles et qu'ils arborent une expression neutre, un regard lui suffit pour comprendre que Ruth débordait littéralement de fureur et qu'Alban, lui, était complètement anéanti.

C'est ce qui l'empêcha d'aller jusqu'à eux. Il les avait trahis. S'ils avaient encore été ses écuyers, il les aurait gardés auprès de lui. Ou peut-être pas, tout compte fait. Ce n'était pas dans sa nature d'exposer deux enfants aux ténèbres, alors qu'ils étaient si jeunes, si mal préparés. Il comprenait leurs émotions extrêmes, car il les connaissait bien, mais elles étaient dévoyées. Ruth n'aurait combattu aucun démon, même si elle était restée. Alban reviendrait. L'un dans l'autre, rester au palais en observant le ballet des hommes d'armes les aurait terriblement frustrés. Ils lui en auraient voulu, se seraient aigris jour après jour, et auraient fini par faire une monumentale bêtise qui les aurait mis en péril.
C'était mieux qu'ils partent, aussi douloureux cela soit-il. C'étaient des gosses. Ils rebondiraient.
Il recula et repartit dans la foule sans s'être montré, puis alla se positionner en dehors de ces étreintes et de ces larmes. En les contemplant, il avait l'impression de vivre dans une autre réalité.

Sentant sans doute que plus les adieux se prolongeraient, plus ils deviendraient insupportables, ls colons finirent par se séparer. Ceux qui restaient se reculèrent, ceux qui partaient montèrent dans les chariots.
Un membre de l'escorte donna alors le signal du départ.
Les portes du fort furent ouvertes.
Les chevaux s'ébrouèrent.
Puis, un par un, les chariots franchirent la voûte et s'engagèrent sur le chemin, longue file sous la neige qui forcissait.
Une immense colonne s'était reconstituée, semblable à celle qui, quelques veilles plus tôt, avait vaincu maintes épreuves pour enfin parvenir en vue des remparts de Clairétoile.
Sauf que cette colonne-ci leur tournait le dos.
Pas étonnant que les coeurs soient si lourds : on avait beau dire qu'il s'agissait d'un repli stratégique, d'une mise à l'abri, cela avait malgré tout d'évidents dehors de retraite, de renoncement.
D'échec, en un mot.

Albérich était venu se placer près de lui, et Hubert lui sourit doucement, sans joie.
" Quand je contemple toute cette souffrance, murmura le Luménien à mi-voix, je me dis que nous aurions dû les renvoyer à Grand Estuaire. Ça n'aurait pas changé grand chose et la route était certainement plus sûre."
Il soupira.
" Bon, rentrons. Je voudrais que tu m'emmènes dans un maximum de chapelles. Je vais aller ouvrir les yeux à toutes ces statues, et on verra bien ce qui se passe. Prends un des bouquins avec toi, histoire de ne pas t'ennuyer. Et il faudra avertir les gens de la présence de Guillermo avant de le laisser se balader."
Il fit ensuite volte-face, vers le téléporteur. Le paladin l'accompagna sans rien dire, clé nécessaire pour que les colons qui étaient restés puissent rentrer au palais.

Pour le clerc, ce fut un retour dans un palais quasiment désert et qui, même quand ce qu'il restait de la Communauté l'aurait réintégré, paraitrait sans doute beaucoup plus sinistre qu'autrefois.
Pour le paladin, ce fut un nouveau défilé de mines sinistres. Pire que le précédent, peut-être, car il lui permit de mesurer à quel point il aurait du travail pour regonfler le moral des troupes.
Seul point positif : il vit passer devant lui Gaspard et Giovanni, quoique ceux-ci aient semblé ne même pas le remarquer.
Il vit passer Marthe, aussi; Quant à savoir si c'était également une bonne nouvelle... C'était une autre histoire.

Une fois que tout le monde fut passé, il se mit en quête d'Albérich. Celui-ci terminait de préparer sa provision de chandelles et de boucler son sac.
" Albérich.. Est-ce que tu crois que c'est une bonne idée que nous quittions le palais alors que la colonne vient de s'ébranler ? J'ai l'impression que... ce serait mieux que nous restions ici. Juste pour... partager leur trouble. Même si nous ne le ressentons pas comme eux... Je crois que c'est important."
Le Luménien soupira.
" Qu'est-ce qui est le plus important ? Que nous réglions le problème qui a contraint les gens à partir, ou que nous nous morfondions sur le trépas d'une illusion pour leur faire plaisir ?"
Le paladin ferma une seconde les yeux.
" Je crois que tu devrais aller dormir un peu. Tu es manifestement à cran. Ce que je comprends. Mais ça ne va rien donner de bon. Et les statues ne vont pas ouvrir les yeux pour un clerc furibard qui gesticule."
Le Luménien le dévisagea, outré.
" Un quoi ?
— Tu vois bien, tu n'es pas en état."
Albérich baissa les yeux.
" C'est vrai, tu as raison. Je vais me reposer une heure. Mais ensuite, nous irons.
— D'accord."
Le paladin sourit doucement à son ami puis le laissa dans l'intendance et regagna la salle commune. Le repas aurait sans doute un peu de retard, mais c'est là que les gens finiraient par converger, aussi las et désoeuvrés soient-ils.

Le repas eut un peu de retard, effectivement.
Et les derniers membres de la Communauté gagnèrent bien la salle à manger, oui.
Mais ils ne s'y attardèrent pas, avalant leur pitance en quatrième vitesse avant de s'en retourner vaquer, machinaux, aux diverses tâches qui étaient les leurs.
Allégé un moment, le dispositif de sécurité avait repris comme les jours précédents : rondes, guetteurs...
On recommença les entraînements dans la salle dédiée.
On se remit à lire dans la bibliothèque, à entretenir l'équipement à l'armurerie, à vérifier les réserves à l'intendance.
Ailleurs, rien, uniquement des pièces vides et silencieuses.

Puisque les gens semblaient n'avoir aucune envie d'échange, Hubert céda aux plans d'Albérich et une fois que le Luménien eut passé une petite heure dans un des fauteuils de la salle des cartes, il l'emmena jusqu'à la salle de téléportation. Le clerc semblait n'avoir aucune intention de mentionner leur accrochage de la veille, et Hubert se garda bien de ramener les choses sur le tapis. La journée était assez pesante comme ça, autant ne pas en rajouter une couche.
" Bon, on va faire le tour. On a activé celle-là, donc on va faire la suivante... Il nous faudrait un Tymoran, pour bien faire...
— Je vais aller débaucher Tara, et on est partis."

Moins affectée que beaucoup d'autres - comme tous les nouveaux arrivants, elle connaissait à peine la plupart des gens qui étaient partis, n'avait pas vécu des mois au quotidien avec eux -, Tara fit néanmoins remarquer qu'il aurait pu être judicieux d'embarquer également quelques Lathandrites : elle craignait en effet qu'à force de participer à des cérémonies d'une divinité autre que la sienne, elle ne perde les faveurs de Tymora. Cela ne l'empêcha toutefois pas de les accompagner jusqu'en la chapelle choisie par Albérich, similaire en tout points à la précédente.

Pour pallier à ce problème, Hubert proposa à la jeune femme de ne pas s'installer dans la chapelle, et de repasser de l'autre côté dès le panneau découvert. Il demanderait à Tibère de les accompagner pour la chapelle suivante, histoire qu'elle ait le temps de vaquer à d'autres occupations avant qu'ils ne la rappellent pour le troisième voyage.
Sauf si les panneaux étaient toujours au même endroit, auquel cas ils pouvaient se passer complètement d'elle.
Pendant qu'ils bavardaient, Albérich avait commencé à installer ses bougies. Il attendit cependant que le paladin et sa compagne en aient terminé avant de se lancer.

Le panneau s'avéra être au même endroit que dans l'autre chapelle et la Tymorane put donc s'en aller.
Dès lors, Albérich commença sa cérémonie, accompagné du seul Hubert.
Il procéda exactement de la même manière que précédemment, antonna exactement les mêmes hymnes.
Mais cette fois, les yeux de la statue ne s'illuminèrent pas.

Le Luménien contourna l'autel et vint s'asseoir sur un banc. Hubert se leva, marcha jusqu'à lui, s'assit à son tour, et passa un bras autour de ses épaules. Albérich se laissa aller légèrement en arrière, les yeux fermés.
" Ça n'a pas marché, remarqua-t-il.
— Il nous faut sans doute une congrégation...
— La dernière fois, nous étions quatre, dont deux qui n'ont pas la moindre fibre lathandrite... Tara songeait sans doute à autre chose et Varamyr surveillait la rue... Je ne crois pas que ce soit ça. Il y a peut-être un ordre à respecter. Ou alors les yeux des statues n'ont aucune importance. Essaie de te remémorer ce que tu as vu dans tes lectures...
— Des cérémonies. J'aimerais être plus précis, mais je n'ai rien remarqué de spécial. Des cérémonies ici, des cérémonies dans les temples... Bon, chaque fois, il y avait du monde... Mais les chapelles se ressemblent trop pour que je puisse t'en dire davantage."
Albérich acquiesça et se passa les paumes sur le visage. Il secoua la tête.
" Je n'ai jamais cru à cette entreprise. N'y a-t-il pas quelque chose d'ironique... d'injuste, même, à ce que je sois contraint d'en ramasser les pots cassés aujourd'hui ?
— Lathandre t'en a donné la mission.
— Je sais. Et je dois croire qu'il attend de moi que je referme ce sceau, avec toi, avec ceux qui voudront bien nous suivre. Pour le reste... Pas un seul d'entre eux n'a foi dans les lendemains. Pas un seul d'entre eux n'espère. Ils ont tous abandonné. Et rien de ce que je pourrai dire n'y changera quoi que ce soit. Chaque jour je prêche, et chaque jour ils espèrent moins. Je m'échine en vain."
Il soupira à nouveau.
" Rentrons. Il faut que tu retournes dans ces livres. Nous perdons notre temps."
Mais Hubert l'empêcha de se lever et le serra plus étroitement. Ils s'embrassèrent ensuite doucement.
" Je suis désolé d'avoir ramené Guillermo en sachant que cela te contrarierait. Mais je ne pouvais pas le laisser mourir. Comprends-moi.
— Je te comprends. Et je suis désolé. Tu as bien fait.
— Nous allons nous en sortir.
— Oh, je sais bien. Je dois juste me souvenir que mon objectif est de refermer ce sceau, de sauver les prisonniers qui peuvent l'être... Pour le reste, la communauté se débrouillera sans moi."
Ils se levèrent et se dirigèrent vers le téléporteur, toujours l'un contre l'autre. Hubert actionna ensuite le panneau de contrôle et ils retournèrent dans l'ambiance morne du palais.

Rien n'avait changé en leur absence. Et pour cause : elle n'avait pas duré longtemps.
Patrouilles, guet, entraînements, lectures...
Bruit des bottes, de la maille, des lames qui s'entrechoquent.
Quelques conversations pratiques, parfois.
Voilà à quoi se résumait le palais.

Hubert ne s'en inquiéta guère : c'était l'ambiance de la caserne du Rayon à Solarcis, celle de la commanderie luménienne, une ambiance familière, dans laquelle il s'était toujours senti à sa place. Il savait que les soldats étaient des hommes comme les autres, avec leurs amitiés et leurs inimitiés, leurs rêves et leurs angoisses, qu'ils aimaient rire et danser à la taverne, jouer aux cartes, discuter des mérites d'un barde entendu par hasard, d'une décision politique, des aptitudes d'un cheval ou de leurs amours.
" Bon, je vais peut-être aller libérer Guillermo d'abord... puis je te retrouve dans la salle du trésor ?
— Parfait."

Omniprésents, les bruits martiaux l'étaient jusqu'au deuxième étage, jusque dans la salle où leurs invités s'étaient installés.
Guillermo, en effet, entraînait ses ouailles avec application et Hubert entendit le son de l'acier contre l'acier bien avant de voir les passes d'armes.
Le mercenaires, quoiqu'il l'eut remarqué, prit quelques instants pour terminer son échange, pour se fendre de quelques conseils. Souci du travail bien fait, sans doute. Puis il se tourna vers le paladin.

" Vous pouvez circuler, la plupart des civils sont partis, en ce compris tous les enfants de leur tribu... Bon, je crains que tes compagnons ne soient désormais les derniers gosses dans le palais, mais c'est sans doute mieux."
Il jeta un oeil aux trois Ecorcheurs.
" Pour le reste... C'est toi qui sais quelles limites sont nécessaires. J'espère que... la cohabitation sera plus ou moins harmonieuse."

Guillermo sourit.
-Ne vous inquiétez pas : personne ne les verra, personne ne les entendra. Personne hormis moi, évidemment : je les garderai à l’œil. Et lorsque vous aurez besoin de moi, venez me trouver ici, ce sera le plus simple. Je précise d'ailleurs, à nouveau, que je me tiens à votre disposition pour discuter de ce que vous voudrez quand vous le voudrez.

Hubert acquiesça.
" Je viendrai sans doute te voir cet après-midi... Là, j'ai d'abord du travail... et n'hésite pas à emmener tes garçons aux thermes. Ils n'ont pas besoin d'être complètement invisibles... tant que tu parviens à limiter les frictions. Nous n'avons pas eu l'opportunité de prévenir les gens de leur présence... mais tu as la confiance de tous ceux qui te connaissent. Je crois que Frida, notamment, sera contente de te voir. Ne reste pas inutilement dans ton antre."
Puis il redescendit et rejoignit Albérich dans la salle du trésor pour une nouvelle séance de lecture.
" Je pense qu'il faut épuiser un livre avant de passer au suivant. Essayons d'aller au bout du lathandrite."
C'était dans celui-là qu'Hubert avait eu l'atroce vision des combats, la veille, aussi était-il un peu hésitant, mais un sourire doux de son partenaire suffit à le rasséréner et il ouvrit l'épais volume.

Mais Hubert ne savait pas lire le livre.
Il y avait simplement quelque chose, en lui, qui réagissait face aux étranges symboles. Ceux-ci provoquaient des sensations, des émotions, parfois des visions alors qu'il parcourait au hasard les pages de l'épais manuscrit.
Dans ces circonstances, impossible de prédire ce qu'il verrait et quand il le verrait. Impossible, aussi, de savoir s'il avait tout vu... Sans compter que les informations qu'il recueillait ne lui parvenaient pas dans un ordre logique...
Mais au moins recevait-il quelque chose à chaque fois.
Ce matin-là, il "assista" à d'autres cérémonies dans les chapelles et s'efforça de leur porter davantage d'attention.
A l'issue de chacune d'entre elles, il vit les yeux obscurs des statues s'illuminer.
Il eut le sentiment que, pour que ce produise le prodige, il fallait un certain nombre de présences, une certaine... quantité d'énergie spirituelle, peut-être.

Hubert finit par reposer le livre.
" Alors ?
— Il faut plus de gens, Albérich. Nous ne pouvons pas faire des petites cérémonies privées. J'imagine qu'il faut... davantage de foi. Je ne sais pas bien l'expliquer."
Le Luménien acquiesça.
" Très bien. Dans ce cas nous ferons un appel à la fin du repas et nous y retournerons cet après-midi."
Le paladin hocha la tête et se leva.
" Je vais faire une pause, si tu veux bien. Ça me donne le tournis, tous ces souvenirs qui ne sont pas les miens.
— Bien sûr. Je vais aller voir ce qui me reste comme clercs...
— Je vais aller nourrir nos prisonniers, de mon côté. Et voir s'ils ont envie de me raconter quelque chose."

Tandis que le paladin s'en allait voir ses captifs, dont il était cependant fort à craindre qu'ils soient aussi peu décidés à coopérer que la veille, le clerc se mit en quête de ses homologues.
Ceux-ci étant tout sauf regroupés, cela lui prit du temps... Heureusement, il finit par tomber sur Thibault, dont le sourire amical ne suffisait pas à cacher la morosité. Il lui apprit que Lorenzo, Suzanne et Corentin étaient partis. Les autres étaient restés bon gré mal gré, y compris un Gabriel particulièrement déprimé qu'il n'avait pas revu depuis l'aube.

Albérich se mit en quête du jeune Lathandrite. Il savait qu'il y avait moyen de se perdre, dans ce palais, mais l'endroit où se trouvait Gabriel serait indicateur de son envie, ou non, d'être trouvé. Si personne ne pouvait le renseigner, s'il n'était pas dans les lieux classiques — jardins, salle de prière, bibliothèque, amphithéâtre, il en déduirait que son cadet avait besoin de solitude et cesserait de le chercher.

Il finit par le dénicher. Mais pas là où il l'aurait imaginé.
Son jeune collègue se trouvait dans la salle d'entraînement, occupé à marteler de sa masse un adversaire - pourtant soldat de profession - peinant à parer ses assauts. Gabriel ne semblait pas pris de frénésie, paraissait toujours en mesure de contrôler ses coups. Mais il était évident qu'il avait besoin d'évacuer beaucoup de choses... Beaucoup de grisaille, sans nul doute.

Ce n'était assurément pas le moment de lui parler. Il restait donc sept clercs et cinq paladins, dont six Lathandrites, trois Sunites, deux Tymorans et un Dénéite. Le déséquilibre en faveur du Seigneur du Matin était flagrant, mais finalement, c'était peut-être logique. C'était d'espoir qu'ils avaient besoin avant tout. Il fallait espérer qu'ils parviendraient à inspirer quelque chose à leurs compagnons... s'ils parvenaient déjà eux-mêmes à dépasser leur propre découragement.
Albérich se mit alors en quête de Marcus. Il avait besoin de davantage de chandelles... et son intendant d'autrefois était peut-être la personne idéale pour l'accompagner dans ces chapelles. Après tout, il avait à peine quitté la cuisine depuis qu'il les avait rejoints.

Même s'il ne le montrait pas trop, sans doute par respect pour la douleur des autres, Marcus ne semblait guère affecté par le départ des colons. Peut-être parce qu'il les connaissait peu, peut-être parce qu'il avait foi en leur proche retour, peut-être, simplement, parce qu'il était habitué à vivre dans des temples où les civils, somme toute... n'étaient que des invités. Quoi qu'il en soit, il procura sans mal autant de chandelles à Albérich que celui-ci en voulut et, s'il parut paniqué à l'idée du retard dans son travail que lui causerait l'excursion, il accepta sans hésiter de l'accompagner.

Même si leur échange demeura un peu trop pragmatique à son goût, Albérich se sentit soulagé d'avoir le soutien de Marcus. Il espérait qu'ils pourraient cependant bavarder plus à leur aise, un jour ou l'autre, à la faveur d'un repas ou d'une petite soirée improvisée. Il avait l'impression de l'avoir retrouvé sans avoir pu se poser une seule fois avec lui, et l'interroger sur ce qu'il avait fait tout au long de cette année écoulée. Mais cela attendrait.
Il convint de venir le chercher au moment du départ puis offrit ses services en cuisine : après tout, sans civils, il faudrait que tout le monde mette la main à la pâte.

De son côté, Hubert avait gagné la cellule improvisée des Ithiliens avec de quoi les nourrir. Il avait l'intention de les détacher une fois à l'intérieur. Juste les mains, bien sûr, il n'était pas question de prendre des risques inutiles...

Les deux gardes de faction déverrouillèrent la porte et le laissèrent passer sans poser la moindre question.
Quant aux captifs, ils ne tentèrent rien d'insensé, se laissant simplement détacher et se contentant de manger.
En revanche, Hubert n'eut droit à aucun merci, ni même à aucun mot.
Ce n'était pas vraiment surprenant...

Mais il n'était pas prêt à baisser les bras pour autant.
" Vous n'avez toujours rien envie de me dire ? demanda-t-il. Je ne vous demande pas grand chose, pas les plans subtils de vos chefs, ni l'étendue de votre force de frappe, ou le nombre de guerriers parmi vous... Je vous demande juste de me raconter ce qu'il y a sous terre. Vous êtes bien allés jusque là, non ?"

-Non, répondit le plus jeune.
-La ferme, lui intima son aîné.
Puis se tournant vers Hubert :
-Quand bien même on y serait allés, on vous aurait rien dit. On collabore pas avec l'ennemi. Même dans vos contrées laxistes et décadentes, c'est quand même une notion qui est encore comprise, non ?

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue