La Couronne de Cuivre

" Stop !" souffla Hubert, accompagnant son ordre d'un geste.
Quelque chose approchait. Evidemment, avec les bougies qu'ils avaient allumées dans la chapelle, ils trahissaient leur présence à l'extérieur. Il se retourna vers la congrégation et essaya d'estimer lesquels d'entre eux étaient encore en état de se battre. Giovanni, sans doute pas. Les paladins, oui. Les soldats... il fallait juger au cas par cas. Thibault devait être le plus fatigué d'entre tous, vu l'effort constant qu'il fournissait depuis le début de la soirée.
Il fit signe à Varamyr et à Guillermo de s'approcher des portes, en silence. Il n'était pas question qu'ils laissent cette chapelle être détruite... et ils étaient suffisamment nombreux pour la défendre.

Thibault, Giovanni et deux des soldats semblaient épuisés. Mais ils semblaient aussi d'humeur belliqueuse et les convaincre de partir ne serait sans doute pas une mince affaire : après tout, il était question de défendre contre des profanateurs un sanctuaire que l'on pouvait considérer comme proche de la déesse qu'ils vénéraient, voir qu'ils servaient...
Au dehors, le paladin entendit le son de pas dans la neige.
Le cliquetis de la maille, aussi.
Mais pas un mot.

Hubert n'avait pas l'intention d'obliger Giovanni et Thibault à se replier : il comprenait parfaitement leur envie — leur besoin, même — de défendre les lieux. Mais il leur intima de se mettre à l'arrière. Le premier pourrait tirer, le second lancer des sortilèges, ce serait déjà une contribution bien suffisante.
Pour le reste, il ne voulait pas prendre l'initiative avant de savoir à quoi ils avaient affaire. Le lynx aurait pu leur servir d'yeux à l'extérieur, s'ils avaient disposé d'une sortie secondaire, via une fenêtre, par exemple...

Mais les fenêtres étaient trop hautes pour que l'animal puisse y accéder...
Les pas se rapprochèrent.
Bientôt, ils s'immobilisèrent, à quelque distance de l'autre côté de la porte.
Pas un mot ne fut échangé entre leurs "visiteurs".
Mais Hubert entendit les premiers sons d'une incantation.

Il jura, incapable de reconnaître le sortilège aux bribes qu'il en perçut.
" Ça incante, tout le monde au fond !" dit-il, tout en dégainant son épée.
Interrompre le mage ou le clerc serait impossible, désormais. Il fallait espérer que la porte était visée et non les gens à l'intérieur. Une fois l'entrée défoncée, ce serait sans nul doute le chaos, mais comment faire autrement ?

La porte ne tarda pas à littéralement exploser, balayée par ce qui ressemblait fort à une boule de feu.
Elle n'affecta pas les occupants de la chapelle qui s'étaient repliés à temps. Mais tous sentirent, sur leur peau, le souffle brûlant de la déflagration.
Les flemmes, déjà, s'étaient dissipées.
Et, déjà, des Ithiliens se ruaient par l'ouverture, épées brandies.

Il n'y avait pas grand chose à faire sinon charger, défendre la chapelle et sa propre peau. Tout en donnant l'assaut, Hubert chercha à estimer le nombre d'adversaires qu'ils avaient en face d'eux et surtout l'endroit où se trouvait leur mage, qu'il fallait absolument éliminer en priorité. Enfin... s'il n'y en avait qu'un. Il était conscient d'avoir rassemblé au même endroit trois de ses meilleurs éléments, sans compter Thibault et Giovanni, qu'il devait se préserver sans quoi ils seraient incapables de rentrer au palais, mais dans le même temps, il était lui-même un bon combattant et il espérait identifier le moment où le vent tournerait en leur défaveur.
Les Ithiliens, déterminés à détruire la chapelle, ne pouvaient pas savoir combien ils étaient et quelle était leur force de frappe. Avec un peu de chance, ils ne seraient pas nombreux ou peu solides, et ils en viendraient à bout aisément.

En tout, ce fut une vingtaine d'Ithiliens qui envahirent le sanctuaire.
Ce ne serait donc pas du deux contre un mais... pas loin, tout de même.
De surcroit, le duc n'avait pas conduit à Clairétoile des jeunes recrues ou des bras cassés : non, ses hommes étaient d'excellents soldats.
Toutefois, c'était bien p la plupart des meilleurs combattants de a Communauté que ceux-ci étaient confrontés.
La lutte promettait donc d'être furieuse mais... il semblait probable qu'elle pencherait au final en faveur des défenseurs.
Du moins, si d'autres assaillants ne faisaient pas leur apparition.
Dans l'immédiat, ce n'était pas le cas. Même le mage demeurait hors de vue.

Tout en luttant, Hubert tenta de se rapprocher de Varamyr. Il aurait aimé que le Paludier envoie son lynx à la recherche du mage. Dans le même temps, il essayait de garder un oeil sur tout le monde. Giovanni et Thibault étaient fatigués, il fallait qu'il s'assure qu'aucun assaillant ne s'approchait trop d'eux. Mais pour l'heure, il avait l'impression qu'ils étaient en mesure de repousser leur assaut. Il demeurait prêt à insuffler de l'énergie à quiconque en aurait besoin.

Qu'ils soient plus raisonnables qu'on ne pourrait le croire, trop fatigués pour faire autrement ou simplement désireux de protéger la statue, Giovanni et Thibault étaient demeurés devant celle-ci : le premier usait tant bien que mal de son arbalète - tirer dans la mêlée sans blesser ses compagnons n'était pas simple -, le second brandissait son épée mais, pour l'heure, il s'était contenté d'invoquer des élémentaires de feu pour que ceux-ci prêtent main forte à ses alliés.
Du côté des combattants au corps-à-corps, Varamyr, quoique plus à l'aise à l'arc, se débrouillait honorablement et bénéficiait du soutien de son lynx ; Gaspard était appliqué, méticuleux, efficace ; quant à Guillermo, il avait des allures de véritable machine à tuer.

Il n'y avait rien d'autre à faire que se battre et se battre encore, et espérer qu'ils viendraient à bout de la petite escouade qu'avaient envoyé les Ithiliens... Ils aviseraient ensuite : s'ils en avaient l'opportunité, mener la cérémonie à bien était sans doute la meilleure chose à faire. Quoi qu'il advienne, le paladin avait l'intention de refaire le tour de toutes les chapelles pour voir si leurs efforts avaient été complètement vains.
Mais d'abord, éliminer ce groupe de profanateurs... manifestement guidé, d'une manière ou d'une autre, par la force démoniaque venue des profondeurs.

Les ennemis tombaient un à un : l'équilibre des forces fut bientôt rétabli.
Mais il y avait des blessés, sinon des morts de leur côté aussi : du coin de l’œil, Hubert vit un soldat s'effondrer, vit Gaspard écoper d'un mauvais coup.
Puis, subitement, la voix de Thibault retentit :
-Écartez-vous !
Une incantation se mit alors à résonner.
Deux, même : l'une du côté de la statue...
...et l'autre du côté de la porte.

Hubert ne comprit pas ce qui était en train de se passer, mais d'instinct il obéit à Thibault, non sans essayer de se porter dans la direction de Gaspard. Le chevalier avait besoin d'un coup de pouce, et Hubert n'avait aucune intention de le perdre — il était malheureusement trop tard pour son compatriote antelucien.

Il entendit un rugissement.
Puis ce fut une nouvelle explosion, dont le souffle le projeta violemment au sol.
Il entendit le crépitement des flammes, le choc du métal et des corps contre les pavés de la chapelle, des plaintes et des cris.
Il sentit une vive odeur de brûlé.
De chair calcinée.

Le mage ithilien avait sans doute pu lancer sa boule de feu. Un peu sonné, le paladin essaya de se remettre debout, pour appréhender au plus vite la situation. Il y avait sûrement des blessés à aider rapidement. Puis... peut-être se replier, cette fois. Malgré son pouvoir, cet endroit ne valait pas un carnage...

Il vit, sur sa gauche, Giovanni et Thibault se redresser près de l'autel qui leur avait servi de rempart.
Il vit, en face de lui, Roland et Renaud se remettre debout.
Il vit, sur sa droite, l'ombre de Guillermo filer par la porte, arme au poing.
Il vit, surtout, les corps jonchant le dallage de la chapelle, alliés et ennemis mêlés, certains s'agitant, certains gémissant, certains animés de spasmes...
Certains totalement immobiles.

Varamyr et Gaspard furent les deux premiers à traverser son esprit, mais il chercha un signe de vie sur tous leurs alliés. Son imposition des mains était plus rapide que n'importe quel sortilège de Thibault. Il devait s'assurer de sauver qui pouvait l'être... Ensuite, il ouvrirait le passage pour que les blessés puissent rentrer. Mais il espérait que Guillermo n'irait pas se perdre dans la nuit...

Gaspard était grièvement blessé, atteint par le coup vicieux d'un ennemi qui, au cœur de la mêlée, l'avait frappé par derrière.
Varamyr était mort, tout comme son lynx : le sortilège les avait quasiment réduits en cendres.
Autour d'Hubert, Thibault et les autres paladins s'activaient, soignant qui pouvait encore l'être.
Guillermo refit son apparition avant longtemps mais ne quitta pas l'embrasure de la porte, surveillant l'extérieur avec attention.

Hubert s'interdit de s'appesantir sur la perte du Paludier dans l'immédiat, malgré le subit noeud qu'il ressentit dans le ventre. Une fois Gaspard tiré d'affaire, il activa le téléporteur.
" On ramène les blessés." ordonna-t-il, avant de se porter aux côtés de Guillermo.
En traversant la pièce, il essaya d'évaluer l'état et le nombre des blessés ennemis. Ils ne pouvaient pas les abandonner là.
" Il y en a encore dehors ?"

Le mercenaire secoua la tête.
-Non : le mage et ses gardes du corps se sont volatilisés. Téléportation, je présume.
Il soupira.
-A mon humble avis, il faut soit que les Sunites terminent leur rituel sans tarder, soit que nous protégions ce lieu jusqu'à ce qu'ils soient en état de conclure. Si les Ithiliens sont prêts à tuer leurs propres hommes en même temps que les nôtres pour le profaner, c'est qu'il a son importance.

Le mage s'en était sorti, c'était une déception.
" C'était bien mon intention, si Thibault est encore en état. Mais Giovanni et Gaspard rentrent. Et il faut qu'on décide de ce qu'on fait des survivants de chez eux..."
En se tournant vers les Ithiliens blessés, son regard tomba à nouveau sur le corps de Varamyr et il frissonna.
" On va les rapatrier. Et je vais parler à Thibault."
Il repartit vers le téléporteur pour voir ce qui se passait de ce côté-là et sonder l'énergie résiduelle du clerc sunite.

Si Guillermo avait sa propre idée quant à ce qu'il convenait de faire des prisonniers, il se garda bien de la verbaliser.
Thibault, pour sa part, avait l'air aussi épuisé que secoué. Mais il restait malgré tout concentré.
-Ces gens sont devenus complètement fous... souffla-t-il.
Il soupira.
-Il va falloir déplacer les corps, nettoyer les lieux... J'espère que ça suffira, mais j'ai un peu peur que ce bain de sang ne les ait désacralisés...

Hubert se tourna vers Renaud et Roland.
" Retournez avec Giovanni au palais. Ramenez-moi Luther et Letho. Réveillez Albérich et Frida, avertissez-les de ce qui s'est produit, mais qu'ils restent là-bas. Nous allons prendre les Ithiliens blessés en charge, il leur faut des soins et une pièce pour les accueillir. J'ai besoin de quatre volontaires supplémentaires pour assister à la cérémonie de Thibault. Et si un clerc a un sortilège de consécration en mémoire, qu'il vienne . Ramenez l'aube sunite, aussi. Elle est dans la salle du trésor, Albérich vous la donnera."
Il se retourna vers Thibault.
" On va voir... Ce n'est pas une profanation magique. Nous pouvons déblayer. Toi, tu te reposes. Guillermo guette. Je me charge du nettoyage en attendant les renforts. Et pas de discussion, c'est un ordre."

Il leva les yeux au ciel.
-Tu vois, tu te serais abstenu de cette dernière remarque d'un autoritarisme inutile, je n'aurais même pas songé à discuter : je ne suis pas complètement stupide. Mais là, j'ai plutôt envie de te rappeler...
Il secoua la tête.
-Et puis merde, trop crevé pour entrer dans des polémiques stériles.
Et il lui tourna le dos pour aller s'appuyer contre un mur.
Tous les blessés de la Communauté avaient été évacués à présent. Restait deux soldats en état de l'aider, les Ithiliens et... on monceau de cadavres.

Hubert faillit réagir à la tirade de Thibault, mais il s'abstint. Ils étaient tous épuisés. Il demanda aux deux soldats encore valides de trier les morts des vivants, tandis qu'il chargeait un premier cadavre sur son épaule pour aller le jeter dehors. Pas les leurs, bien sûr : ils seraient rapatriés au palais. Mais les Ithiliens... Il ne fallait pas pousser. Il voulait bien sauver les blessés, mais pas gérer leurs dépouilles. Puisque les Ithiliens reviendraient, qu'ils décident quoi en faire eux-mêmes.

-Il faudrait les brûler, lui souffla Guillermo quand il passa près de lui. Si nous nous contentons de les laisser dehors, ils risquent fort d'attirer des morts-vivants, voire pire encore, d'en devenir eux-mêmes. j'ai déjà assisté au phénomène.
Derrière eux, les soldats s'activaient pour mener à bien, au plus vite, cette sinistre besogne.

" Parons au plus pressé. Si nous avons le temps, nous les brûlerons en partant. Sinon, franchement, quelques morts-vivants de plus ne changeront pas grand chose à notre situation."
Il retourna à l'intérieur pour se charger d'un second cadavre. Il le déposa plus loin de la chapelle, cette fois, dans l'idée de faire ce qu'avait suggéré Guillermo plus tard, puis revint en arrière pour en chercher un autre. Il réalisa qu'il lui faudrait aller rouvrir le téléporteur du côté du palais, cependant, sans quoi les renforts n'arriveraient jamais. Mais il compta qu'il pouvait encore en sortir au moins trois ou quatre avant de le faire. Il en profiterait pour rapatrier un blessé ithilien au passage. Vu la manière dont ils avaient été traités par leurs compatriotes, peut-être seraient-ils un peu plus conciliants que les deux autres prisonniers...

Dans la salle des symboles, il trouva ses deux collègues qui l'attendaient. Ils n'avaient pas été longs à accourir mais... ils semblaient encore plus qu'aux trois-quarts endormis...
De son côté, Albérich avait été tiré du sommeil agité dans lequel il avait fini par sombrer : Renaud et Roland, couverts de sang, lui firent un rapide rapport de la situation et s'enquirent de l'aube sunite.

L'odeur, l'apparence, les paroles des deux paladins arrachèrent Albérich à son sommeil plus efficacement qu'un seau d'eau glacé.
" Je vais la chercher, leur dit-il. Allez prévenir Frida."
Il avait besoin d'être seul pour faire sens de ce qu'ils venaient de lui apprendre, et reprendre le contrôle de son coeur affolé. Attaqués dans la chapelle. Des morts. C'était pire que les cauchemars dont sa courte nuit avait été ponctuée.
Il alla chercher l'aube et arriva dans la salle de téléportation au moment où Hubert, debout devant le blessé ithilien qu'il avait rapporté, en sondait l'aura, mains légèrement écartées, front plissé. Il s'immobilisa, attendant qu'il en ait terminé, résistant à grand peine à l'impulsion de courir jusqu'à lui pour l'étreindre. Il était couvert de sang et dégageait une terrible de brûlé. Mais il avait l'air indemne.

Cette fois, le paladin détecta quelque chose de clair, de net, de précis.
L'aura de l'Ithilien était maléfique.
En comparaison, celle des associés de Guillermo paraissait très encourageante. Pour ne pas dire tout à fait fréquentable.
Letho et Luther, pour leur part, avaient depuis longtemps gagné la chappelle - restait à espérer qu'ils ne s'y endormiraient pas.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue