La Couronne de Cuivre

Hubert grimaça et se tourna vers Albérich.
" Hubert... est-ce que ça va ?
— Ça pourrait aller mieux. Nous avons perdu Varamyr. Et celui-ci a l'aura viciée. Je le ramène de l'autre côté, c'est trop dangereux."
Il le chargea sur son épaule, Albérich fit un pas en avant.
" Varamyr...
— Je dois y retourner. Toi et Frida, restez ici. Occupe-toi de nos blessés... de Giovanni, de Gaspard... Nous revenons dès que possible.
Albérich acquiesça, paralysé ; Hubert lui sourit douloureusement et reprit le chemin du téléporteur.

On n'avait pas transporté les blessés bien loin : on s'était contenté de les sortir de la salle des symboles, pour ne pas encombrer le passage, et de les installer dans la pièce voisine. A même le sol mais... Il n'y avait pas le choix.
Giovanni se trouvaient en leur compagnie. Sans doute quelqu'un d'autre était-il allé chercher des couvertures ou réveiller des clercs. En un regard, Albérich vit des plaies béantes et, surtout, de graves brûlures.

Le guérisseur en lui reprit le dessus, chassant la stupeur de ce réveil monstrueux. Il évalua rapidement la situation, para au plus pressé. Avec son arsenal de sortilèges, il pouvait aisément sauver tous les blessés à lui seul, mais il respectait le besoin du corps de récupérer par lui-même, crucial pour que la guérison soit totale, l'énergie retrouvée, l'organisme en paix avec sa trajectoire, et la longévité préservée. Mais les brûlures étaient de vrais nids à infection et extrêmement douloureuses, aussi comptait-il doser son intervention pour les réduire à un seuil tolérable, en commençant par le plus touché de leurs blessés. Il nota cependant rapidement que les paladins et sans doute Thibault étaient déjà passés par là, et personne n'était heureusement à l'agonie...

Il fit vite le tour : même si les blessures avaient été graves, le nombre des blessés était restreint.
Giovanni ne pipait mot : adossé à un mur, il regardait dans le vague.
Roland et Renaud ne tardèrent pas à apparaître pour récupérer l'aube. Puis ils repartirent en direction de la chapelle.
Ce fut ensuite au tour de Frida d'entrer dans la pièce et d'observer la scène, la mine fermée.

Albérich se releva, les mains un peu tremblantes.
" Ils sont tirés d'affaire, murmura-t-il. Il faudrait... trouver des gens pour les transporter... les installer confortablement pour la nuit... Je vais aller demander à Marcus de préparer des infusions anti-douleur... Il faudrait que nous improvisions une infirmerie."
Il s'interrompit, passa une paume lasse sur son visage.
" Giovanni, est-ce que ça va ?"

Le barde releva la tête, s'ébroua.
-Oui oui. C'est juste...
Il soupira.
-Enfin, peu importe. Tout va bien, ne t'en fais pas.
Frida, elle, s'esquiva après avoir annoncé qu'elle préviendrait Marcus pour l'infusion.

" Ça peut ne pas aller, dit Albérich doucement. Tu devrais peut-être... aller te reposer. Vous avez été à pied d'oeuvre toute la nuit et tu as l'air épuisé. Marcus peut te préparer une infusion pour les nerfs, si tu as peur de ne pas pouvoir t'endormir."

Il secoua la tête.
-Non, je vais simplement souffler un moment puis y retourner. Thibault, Renaud, Roland, ils sont crevés, eux aussi, mais... il faut qu'on termine ce qu'on a commencé.
Il eut un sourire très triste.
-Si je n'arrive pas à être utile quand il le faut... Cela ne sert à rien que je sois resté.

" Ne sois pas trop dur avec toi-même, murmura Albérich. Je suis sûr que tu viens déjà d'être très utile. Et même l'utilité... Ça ne se mesure pas forcément à ce qu'on fait de... visible. "
D'autant qu'il fallait qu'Hubert songe à venir rechercher le barde... Ce qui n'était peut-être pas du tout dans ses intentions.
" Que dirais-tu plutôt de m'accompagner en bas ? Nous devrions aller chercher de l'aide pour transporter les blessés et peut-être préparer un en-cas pour le reste du groupe, quand il reviendra."

-Je pense que Frida s'en chargera...
Il regarda les blessés, poussa un profond soupir.
-Et puis zut : ça suffit, l'auto-apitoiement, le découragement... Je dois me ressaisir.
Il farfouilla dans sa poche, en tira son éternelle flasque et s'en envoya une longue lampée.

Albérich croisa les bras et regarda vers le téléporteur. Aucun signe d'Hubert. Ils devaient avoir commencé la cérémonie sans Giovanni. Après tout, le paladin l'avait englobé parmi les blessés, alors même qu'il paraissait physiquement en un seul morceau.
" Je ne suis pas certain qu'Hubert comptait encore sur toi, osa finalement le Luménien. Il semblait penser... que tu avais déjà beaucoup donné."

Le Sunite grimaça.
-Tu as sans doute raison. C'est un peu vexant, quelque part : il me demande de rester puis m'écarte à la première occasion. Si on veut que quelqu'un se sente inutile, on ne peut pas mieux s'y prendre. Mais je serais injuste de lui en vouloir : il a raison, dans le fond.
Il secoua la tête.
-Je n'aurais jamais dû venir ici : je ne suis pas de taille. En réalité... Personne n'aurait dû venir. Tout ce que nous avons récolté, ce sont des morts, de la souffrance, des regrets.
Il s'interrompit, se racla la gorge.
-Excuse-moi, Albérich. Ce n'est pas le genre de propos à tenir devant un Lathandrite. Devant perosnne, d'ailleurs, surtout en ce moment.
Et il se détourna, se dirigeant à grands pas vers le couloir.

" Giovanni..." dit le Luménien.
Mais il ne le prit pas en chasse. Il voulait rester auprès des blessés tant que personne n'était venu les chercher, et surveiller le téléporteur. De surcroît, il n'était pas suffisamment proche du barde pour l'aider à affronter cette douleur, et son statut de clerc de Lathandre constituerait probablement même un frein à la franchise du barde, s'il ne le rendait pas revanchard. Hubert, s'il en avait l'énergie, s'acquitterait mieux de cette tâche. Albérich savait qu'il vouait une affection profonde au Sunite, sans quoi il ne l'aurait pas écarté de la sorte. C'était le travers, et la bénédiction, du paladin : il protégeait ceux qu'il aimait, même contre leur gré.
Il soupira et reprit sa veille, refit un tour des hommes blessés pour s'assurer que l'état d'aucun d'entre eux ne s'était dégradé, puis se redressa et attendit, tâchant de museler sa fébrilité.

Des hommes solides vinrent prendre en charge les blessés, les transportant avec précaution jusqu'au rez-de-chaussée. L'un d'entre eux l'informa que l'intendance était passée à l'action, que tout était paré pour les installer confortablement et leur donner la fameuse infusion.
Bientôt, le Luménien se retrouva seul au deuxième étage. Frida avait préféré demeurer en bas, estimant peut-être qu'au vu des circonstances, il valait mieux qu'un conseiller soit présent avec le gros des troupes.

Il finit par l'y rejoindre. Attendre comme un misérable dans une pièce sombre dont il était incapable de tirer quoi que ce soit n'avait rien de joyeux, et dans son état de nervosité, s'occuper les mains et l'esprit, se réchauffer à la présence de semblables, était indispensable. Il décida quand même de trouver, parmi les personnes réveillées, quelqu'un pour aller monter la garde en haut, histoire de les prévenir en cas de pépin. Idéalement, quelqu'un qui parviendrait à rester de marbre en dépit des enjeux. Pour le reste, il avait l'intention de s'occuper des blessés avec Marcus.

Dans la chapelle, on avait fini d'évacuer les cadavres des Ithiliens - Hubert et ses compagnons n'avaient pas tardé à recevoir le renfort de Letho et de Luther, ce qui avait accéléré l'opération car même s'ils dormaient debout, les deux jeunes gens s'étaient avérés efficaces.
Ne restait plus, à présent, que les corps de leurs compagnons tombés au champ d'honneur. Ainsi que leurs ennemis blessés... Il y en avait une bonne demi-douzaine.

Hubert commença par sonder toutes leurs auras, pour s'assurer qu'ils reflétaient tous la même noirceur. La présence d'une telle malfaisance chez ces soldats était surprenante... Peut-être étaient-ils possédés par les démons... Le paladin ne savait pas si une telle chose était possible... Il ne savait pas non plus s'ils pouvaient le détecter ou de le soigner.

Les Ithiliens survivants avaient tous la même malfaisance en eux.
Il se pouvait qu'ils soient tous possédés, oui. A moins, simplement, que leurs chefs aient choisi ceux dont ils étaient certains qu'ils exécuteraient sans coup férir leurs basses besognes...
Autour du paladin, personne ne tentait de s'approcher. Surtout pas Thibault qui, adossé à son mur, donnait l'impression de dormir à poings fermés.

Inquiet, Hubert décida de le déranger.
" Thibault, s'il te plait..." murmura-t-il.
Il ne voulait pas le brusquer, conscient que le clerc était à fleur de peau... Or il avait plus que jamais besoin de sa collaboration. Sans autoritarisme mal placé.

Le clerc sursauta.
-Je ne dormais pas ! s'exclama-t-il.
Il étouffa un bâillement.
-Non, je... réfléchissais intensément, voilà ! Parce qu'il n'y a que les Lathandrites pour dormir la nuit, période normalement dévolue aux réjouissances de tous ordres, et pour s'activer à l'aube, moment imaginé par la Création pour que les hommes jouissent d'un repos bien mérité !
Il se redressa.
-Que puis-je faire pour toi ?

Le paladin sourit : Thibault avait retrouvé sa bonne humeur malgré leur accrochage antérieur.
" Bientôt célébrer Sunie. Mais d'abord partager ton savoir avec moi. Ces hommes... Les Ithiliens... Ils ont une aura noire de nuit, comme j'en ai rarement perçue... Est-ce qu'il y a un moyen de savoir si c'est la leur propre ou si elle émane d'une autre entité... S'ils sont possédés, en somme ? Et si c'est le cas... Sais-tu s'il y a moyen de les en guérir ? Et en sommes-nous capables ?"

-Heu...
Le Sunite fit un effort manifeste pour remettre de l'ordre dans ses pensées encore brumeuses.
-Je ne suis pas spécialiste de la question mais je sais qu'il y a des moyens pour être fixés quant à une éventuelle possession et pour y mettre un terme, le cas échéant. Cependant, c'est long, difficile, cela réclame beaucoup d'efforts...

Autant dire que Thibault n'avait qu'une vague idée de la manière dont aborder la chose. Hubert se retourna vers les quatre jeunes paladins.
" On sort tous les blessés dehors."
Le paladin ne savait que faire : les abandonner, les achever... Il ne s'était jamais retrouvé dans une situation similaire et il ne savait pas ce que son code exigeait. Détruire le mal. Ne pas attaquer un ennemi désarmé. Ce qu'il savait, c'est qu'ils ne pouvaient pas se permettre de perdre du temps. Il aviserait ensuite. Dès qu'ils auraient sorti les blessés, Thibault pourrait entamer sa cérémonie.

Ses collègues n'avaient pas encore pu se mettre au travail que Guillermo se tournait dans sa direction.
-Pourquoi ne me laisseriez-vous pas m'occuper d'eux ? Ainsi, vous pourriez dès à présent commencer à célébrer la cérémonie...
Il sourit.
-Après, je ne sais s'il est sacrilège pour les fidèles d'une divinité précise de participer à un rituel lié à un autre dieu, fut-il allié. Néanmoins... L'offre est faite.

Hubert le dévisagea avec une grimace.
" La cérémonie ne commencera de toute façon pas avant qu'ils soient tous dehors." dit le paladin.
Mais il savait très bien ce que proposait le mercenaire... et il savait aussi que se faire complice d'un acte répréhensible équivalait à le commettre. D'autant que s'il était prêt à condamner ces hommes à mort, il avait la sensation qu'il aurait dû se faire l'instrument de la sentence.
" Mais je vais communier avec les Sunites, oui. Lathandre sait que c'est nécessaire, il n'en prendra pas ombrage."

Le mercenaire haussa les épaules et reprit son guet.
Les cinq paladins entreprirent donc de transporter les blessés au dehors, les déposant à quelque distance du tas de cadavres. La nuit était aussi noire que glaciale.
Bientôt, il n'y eut plus aucun Ithilien, mort ou vif, dans l'enceinte de la chapelle.

Hubert fit déplacer leurs morts près du téléporteur — ou du moins ce qu'il en restait. Puis il fit signe à Thibault qu'il était l'heure d'entamer sa cérémonie. Il expliqua à Luther et Letho que Lathandre ne prendrait pas ombrage de leur participation modeste à la cérémonie. Il était temps de voir si la chapelle était encore en état de s'activer malgré ce qui s'était produit. Puis de rentrer panser leurs blessures.

Luther et Letho ne parurent pas ravis à l'idée de participer à une nouvelle cérémonie alors qu'ils en avaient eu leur content le jour précédent. D'autant qu'il s'agissait ici d'une cérémonie sunite... Dans d'autres circonstances, peut-être se seraient-ils permis quelque remarque, pourquoi pas humoristique. Mais en l'occurrence, ils firent contre mauvaise fortune bon cœur.
Ce ne fut pas le rituel le plus flamboyant qui soit, et l'assistance ne fut pas la plus réceptive que l'on puisse imaginer.
Néanmoins, malgré la fatigue et les différences de croyance, chacun fit de son mieux et... les yeux de la statue finirent par s'illuminer.
Mais... Rien d'autre ne se produisit.

Hubert remercia Thibault de ses efforts puis dirigea le petit groupe vers le téléporteur et activa la console.
" Guillermo, si tu veux bien rester encore un peu avec moi..." lui demanda le paladin, tandis qu'il invitait les paladins, le clerc et les deux soldats survivants à regagner le palais.

Ce qu'ils firent.
Guillermo, lui, conformément à sa demande, n'avait pas bougé de son poste, observant toujours la nuit avec attention.
-Que puis-je pour vous ? s'enquit-il lorsqu'ils se retrouvèrent seuls.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue