La Couronne de Cuivre

L'ambassadeur fixa un instant l'Emissaire sans mot dire. Sa question pertinente l'ennuyait. En réalité, lui-même savait très bien que réduire la contrebande sur Dorrandin impliquerait une baisse des revenus pour l'Empire... Mais il ne pouvait décemment pas donner cette raison, sous peine de déclencher une guerre définitive entre les deux cités.

"Votre question se justifie. Nous avons fort à faire, dans ce domaine, mais je ne suis pas certain que le résultat sera à la hauteur de vos espérances. La contrebande est presque entrée dans les moeurs, difficile de l'abolir en un clin d'oeil... Je pense que vous comprenez cela. Malgré tout, nous tenterons de faire des efforts."

Mornagest était presque certain que les bénéfices d'un commerce efficace pouvaient dépasser ceux provenant des activités plus... sournoises.

Ce retour de Ravestha sur la question des contrebandes, d'ailleurs frappé au coin du bon sens (aïeuh), n'aurait pu mieux tomber; il venait de plonger l'ambassadeur mélandien dans un embarras manifeste qui fit sourire le semi-drow.

"La diplomatie n'est rien d'autre que la guerre poursuivie par d'autres moyens"...

Chez quel sage un peu cynique avait-il lu cela? * En tout cas, ce n'était certainement pas le moment de lâcher prise. L'économie parallèle, en plus du manque à gagner qu'elle représentait pour les autorités, était un vrai fléau pour le commerce légal. Si l'on autorisait la circulation des marchandises par-delà les frontières, on lui facilitait la tâche d'autant...

Se montrant donc modérément miséricordieux en cette circonstance, Lothringen enfonça le clou.

- Hmmm... Et plus concrètement, quelles mesures comptez-vous prendre?


* Nulle part, c'est moi qui massacre Clausewitz à dessein. :notme:

Sans trop se laisser démonter, l'ambassadeur tourna la tête vers Lothringen, et prit le temps de réfléchir un instant. A vrai dire, les solutions n'étaient guère nombreuses, mais radicales. En revanche, il n'avait pas la moindre envie de les appliquer... cependant, c'était la seule issue favorable à toutes ces discussions, sans cela rendues stériles par un manque de volonté que les manostiens décèleraient immédiatement. A moins d'être un fameux menteur, ce qu'il n'était pas.

"En clair, pourchasser et arrêter les responsables de la contrebande. Le menu fretin ne nous intéresse pas, il se dispersera une fois la tête du réseau coupée. Nos services de renseignements sont performants, reste à interprêter correctement leurs informations, et à prendre les mesures adéquates. Cela se traduira par un ressèrement des contrôles en ville, pour toutes les marchandises importées et exportées, mais aussi, une surveillance accrue lors des transports réguliers. Le pillage des convois légaux constitue également une source de revenus pour les malandrins, vous vous en doutez."

Mornagest savait qu'ils seraient capables de réaliser cela. Tout ce qui l'ennuyait à présent, était de se savoir en route vers une cité moins chaotique. Ils seraient sans doute amenés à revoir d'autres conventions, intra muros, afin de pallier ce sursaut d'honnêteté.

Ravestha ne put retenir un sourire. Si les Melandiens tenaient à commercer avec Manost, ils allaient devoir faire quelques efforts qui ne fairaient sans doute pas leurs affaires. Au moins, Mornagest n'avait pas pu se contenter d'une réponse évasive et maintenant le conseil de Melandis serait bien obligé de tenir ses engagements.

- La période d'essai que nous effectuerons entre Melandis et Aghoralis nous permettra de voir si les mesures que vous venez de proposer sont efficaces. Je pense que nous savons tous l'importance des enjeux, et donc j'espère que malgré ce que vous avez dit, le résultat sera à hauteur de nos attentes...

Un peu agacé, Mornagest n'en laissa rien paraître. Certes, Melandis n'était pas à proprement parler une ville en laquelle on pouvait aveuglément faire confiance, mais Manost ne pouvait guère s'adjoindre ce titre, elle non plus. L'ambassadeur tira donc la conclusion, avant de risquer de s'emporter réellement face à cet individu caustique et revêche.

"Par définition, la période d'essai permettra de vous faire une idée de notre bonne volonté. Il vous reviendra de juger, comme à l'accoutumée, de la qualité de nos effforts afin de promouvoir les échanges commerciaux. J'espère que de votre côté, vous constaterez nos actions mises en place...".

Ravestha sourit : les Melandiens faisaient visiblement preuve de bonne volonté, et quelque soit ce que les dirigeants de la cité du chaos aient à faire en contrepartie de leurs engagements auprès des Manostiens, seul comptait pour lui le fait que le commerce qui allait se mettre en place se fasse dans de bonnes conditions et n'ait pas de répercussions négatives. Il semblait bien que, conte toute attente, cela soit finalement possible.

- Ne vous en faites pas, nous ne resterons pas aveugles devant les efforts que vous ferez et nous saurons rester objectifs devant les résultats. Nous avons tous à gagner dans ce projet. Je comprends également qu'il vous faudra un certain temps pour améliorer la situation. Nous avons d'ailleurs nous aussi notre part de travail à faire. Laissons nous un peu de temps avant de nous lancer dans cette période d'essai, que les premières mesures soient effectives. Quoi qu'il en soit, les tests entre Aghoralis et Melandis apporteront les premières réponses sur la viablité de ce projet.

Mornagest soupira intérieurement. Enfin, l'Emissaire se montrait plus laxiste qu'il ne le paraissait. Il serait sans doute étonné de la vélocité avec laquelle Melandis règlerait ses problèmes de contrebande.

"Fort bien. Nous pouvons, je pense, d'ores et déjà signer un accord écrit afin de cautionner toutes ces promesses. Je pense que c'est nécessaire, la confiance que nous nous accordons mutuellement est assez... faible, autant ne pas l'effriter davantage pour le moment."

Le melandien semblait pressé de conclure, une disposition d'esprit que Lothringen appréciait fortement même s'il était de son devoir de la freiner. C'était assez amusant d'ailleurs, cette coïncidence, que Melandis aussi bien que Manost aient choisi des guerriers pour occuper un tel poste... ça donnait le ton.

- Bien d'accord, répliqua Lothringen en dissimulant mal son amusement.C'est pourquoi il aura sans nul doute été plus aisé de s'accorder sur les principes de cet accord que d'en rédiger les clauses. Laissons à nos services respectifs le soin de s'entendre là-dessus, il existe suffisamment d'accords commerciaux types susceptibles de nous servir de base de travail.

Quand nous aurons abouti à un texte assez complet pour satisfaire tout le monde, ce qui ne devrait pas prendre plus de quelques semaines m'est avis, ne restera plus qu'à le signer. Ce sera peut-être l'occasion pour vous de visiter votre ambassade de Manost, qui entre nous soit dit tombe en ruines. Ou bien ce sera moi qui ferai le déplacement, selon ce que permettront les circonstances. J'aurais même un certain plaisir à revoir cette cité... Vous l'ignorez sans doute, je l'ai déjà visitée par le passé, et elle tient une place importante dans mon souvenir... au point qu'il me semble ne l'avoir jamais vraiment quittée. ( :notme

C'aurait pu être de la basse flatterie, mais il semblait bien que Lothringen était sincère. Ce n'en était que d'autant plus inquiétant, en un sens.

L'ambassadeur esquissa un sourire à l'adresse du drow. Il était heureux de voir se conclure enfin un accord plus ou moins valable, et bientôt écrit, sans doute, entre les deux villes, même si tout semblait les séparer, sur le papier.

Restait à concrétiser et à finaliser le "contrat", et l'on reverrait sous peu des colonnes de marchands aller et venir entre Manost et Melandis.

"Je suis content de vous l'entendre dire. Je pense que nos fonctionnaires auront rapidement rédigé un contrat en bonne et dûe forme, et que nous pourrons nous revoir afin de le signer ensemble.

D'ici là, je pense qu'il ne nous reste plus qu'à prendre les mesures qui s'imposent, chacun de notre côté, pour respecter nos futurs engagements.

A moins que vous n'ayiez d'autres détails à éclaircir, nous allons vous laisser entre vous.", acheva Mornagest.