La Couronne de Cuivre

L'envier ? Le passé de Lothringen, ou le sien, devait être bien sombre. Car l'amnésie, même si elle n'était que temporaire, était difficile à vivre. Il croyait pouvoir se remémorer progressivement son histoire, mais en attendant...

"Euh... je n'en ai aucune idée... hum. Tu choisis pour moi ? Après tout, c'est toi qui devras me regarder tous les jours, non ?"

Si, toutefois, les obligations de Lothringen lui laisseraient ce loisir. Il se sentait bien avec le semi-drow, et il n'avait pas envie qu'il aille s'occuper de régler les problèmes de la cité. Bien sûr, il n'aurait guère le choix...

"Disons tout de même, moins grand ? Je ne passe pas inaperçu. Mais, euh... c'est définitif, ce... cette métamorphose, si tu lui ajoutes ce sortilège de permanence ?" Un soupçon d'inquiétude se mêla dans sa voix. C'est qu'il s'aimait quand même, dans l'ensemble. Son physique lui avait permis, il s'en souvenait, de batailler sans crainte dans la plupart des cas.

Lothringen se mordillait le doigt, l'air amusé.

"Oui. Tu resteras donc toute ta vie une petite soubrette accorte aussi lourde qu'une plume et aussi épaisse qu'un parchemin, ça me tente assez."

Devant la mine horrifiée de son interlocuteur, il éclata de rire.

"Je plaisante. En fait le sort peut tenir indéfiniment, sauf si nous tombons sur un mage assez puissant pour le contourner ou le faire tomber. Ce qui n'est pas à souhaiter, car il nous serait très difficile de retrouver un parchemin de permanence. Sérieusement : tant que tu seras sur Dorrandin, et pour quelques années encore, il vaut mieux que cela n'arrive pas."

Il s'efforçait, dans le même temps, de réfléchir à une apparence convenable pour le guerrier, mais rien ne l'emballait vraiment. Lui aussi préférait Mornagest au naturel.

Le guerrier fit grise mine. Ils n'avaient guère le choix, évidemment, mais ce n'était pas si facile de se décider de la sorte pour changer d'apparence pour un temps si long...

"Bien... plus petit, moins costaud, ce sera déjà une bonne chose... pour le visage, hum... moins carré, peut-être."

Il avait les traits rudes, burinés par les conditions difficiles de sa contrée natale. Un visage ne s'oubliait pas forcément, même s'il apparaissait sur quelqu'un d'autre. Il fallait tout changer...

"Me vieillir aussi, peut-être ? Aaah... choisis pour moi, s'il te plaît. C'est trop difficile."

Lothringen ne cessait de dévisager Mornagest. Il s'était habitué à cette carrure de colosse, à ces traits durs dont il savait surprendre les expressions les plus infimes, que d'autres ne remarqueraient pas. Ils étaient partie intégrante de l'homme qu'il aimait. Le guerrier avait déjà perdu une bonne partie de ses souvenirs ; s'il devait perdre aussi son corps, que demeurerait-il de lui ? Son caractère, bien sûr, sa démarche, son regard, sa façon de parler. Mais Lothringen aurait lui aussi besoin d'un temps d'adaptation.

"Tu n'as jamais été un excellent acteur, alors je crois qu'il vaudrait mieux s'en tenir à une forme de guerrier humain. C'est une catégorie du reste très répandue dans cette cité... Te vieillir un peu serait une bonne idée, en effet..."

Mais pas trop quand même, songea-t-il. La forme d'emprunt vieillirait avec son porteur.

"Nous ne sommes pas obligés de le faire tout de suite, je crois avoir encore besoin d'y réfléchir. Quand j'aurai trouvé quelque chose qui me conviendra, je t'en ferai la projection illusoire au préalable."

Lothringen reporta son regard sur ses mains noires.

"Etre prisonnier d'une apparence qui ne vous convient pas, c'est une peine que je ne veux pas t'infliger..."

Dans leur projet initial, ils devaient tous deux changer d'apparence. Lothringen avait néanmoins besoin de rester lui-même quelques temps encore. Après... Tout dépendrait de la façon dont il quitterait cette cité.

"Je préfère prendre un peu de temps, si c'est possible. Cela fait trop de choses en peu de temps... mort, ressuscité, un lourd passé qui m'est en partie inconnu, un avenir qui laisse présager des surprises également..." Il fit une moue triste, puis secoua la tête avant de reprendre, l'air plus enjoué : "Allons... je suis en vie, ç'aurait pu être pire. Même si le prix a été élevé..." Dire qu'il soupçonnait, plus tôt, ce matin, le semi-drow d'éventuellement le manipuler... ce qu'il avait accepté était une folie ! Fallait-il qu'il l'aimât, pour prendre de tels risques...

"S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour t'aider, n'hésite surtout pas. Je... je te suis redevable, à plus d'un titre. Et je gage que cette métamorphose m'évitera des problèmes à venir..."

Il sourit d'un air mélancolique. Il aurait voulu savoir pourquoi, dans ses rêves, il se voyait dans les bras de Lothringen. Pourquoi il avait été sous son charme, et réciproquement. Comment leur relation avait débuté... Visiblement, elle était intense... et il avait perdu cela. Peut-être pourrait-il s'en souvenir... oh, comme il l'espérait !

Lothringen eut un sourire gêné.

"Tu m'aides déjà, en fait. A chaque fois que tu respires. Je serais perdu sinon. Mais... cela fait déjà une bonne dizaine de jours que j'ai quitté mon poste pour me rendre à Mélandis ; maintenant que tu sembles remis, au moins physiquement, il serait bon que je refasse une apparition au Palais... D'autant que si j'en crois ce que m'a dit le grand-prêtre à Cojum, la situation à Mélandis ne cesse d'évoluer. Gageons que les accords seront rompus, et que le Grand Emissaire voudra préparer la guerre, sinon la déclarer le premier. Je dois m'aviser de ce qu'il en est."

Il interrompit là son exposé précipité. Il oubliait qu'il parlait à un homme à moitié amnésique et fraîchement ressuscité. Ce n'était plus l'affaire de Mornagest, tout cela... Même si sa mort en était indirectement la cause, il n'avait plus à composer avec ce genre d'affaires. Veinard ! Le semi-drow soupira.

"Toi... C'est un peu pour ça que je pressais les choses, pour la métamorphose : maintenant que tu es bien portant ou à peu près, tu ne vas pas tarder à t'ennuyer à mourir si tu restes cloîtré ici. A terme, j'avais pensé que sous ta nouvelle forme tu pourrais circuler en ville, peut-être trouver un emploi temporaire... Le temps que ta mémoire te revienne, ou que j'en finisse avec cette cité, si tu veux rester avec moi..."

Il rougissait presque. Il était bien obligé d'envisager la possibilité que le Mornagest nouveau ne veuille pas renouer avec les choix de l'ancien...

"Encore une fois, je suis désolé... Cela fait des jours que j'attends ton réveil, et je te bombarde d'informations et de requêtes. Tu ne dois plus savoir où tu en es. Pour aujourd'hui, repose-toi ; j'irai au Palais, et je reviendrai ce soir te donner les nouvelles, si cela te convient."

Il opina du chef. "Cela me convient très bien. J'en profiterai pour réfléchir à mon apparence idéale..."

Il n'osa pas répondre directement au sous-entendu de Lothringen. Comment leur situation allait-elle évoluer ? Il ignorait beaucoup de choses sur leur passé commun, et il sentait une vague de tristesse l'envahir à nouveau. Il imaginait tant bien que mal la douleur que devait ressentir le semi-drow, en ce moment, taraudé par l'incertitude, alors qu'il avait tant de bons souvenirs d'eux deux. Il reprit la parole, essayant de chasser ces idées de la tête.

"Est-ce que tu penses que le prêtre chez qui nous logeons illicitement a de la lecture à me proposer ? Tant qu'à faire, autant passer le temps de façon instructive... j'ai beaucoup de choses à... à réapprendre." Il rougit, lui aussi. C'était maladroit, très maladroit, mais trop tard.

"Hum... Je crois avoir aperçu quelques livres dans sa salle de consultation. Mais Corwin Balder est un prêtre guérisseur, alors tu risques de trouver surtout des livres de prières helmites et des recettes de baumes et d'onguents. Je pourrai t'en rapporter du Palais des Murmures, si tu veux. Il y a un peu plus de choix..."

Il avait fini son repas et appréhendait un peu son départ. Pas vraiment parce qu'il laissait Mornagest seul - ça avait l'air d'aller - mais plutôt parce qu'il commençait seulement à songer au mic mac politique qu'il avait laissé en plan pour s'occuper du guerrier. Quelle situation allait-il retrouver, à présent ? Est-ce que cela n'aurait pas eu le temps d'empirer mille fois durant son absence ?

"Je vais te laisser..." dit-il ne se levant à regret. "Je te souhaite un bon après-midi." Il souriait quand même. Mornagest était en vie, en bonne santé, près de lui, et délivré des intrigues mélandiennes. Les choses auraient pu être, et du reste avaient déjà été bien pires. N'était ce problème de mémoire...

Et il prit congé, à sa façon toute particulière, qui était de se mettre à incanter, de disparaître, et de ne laisser derrière lui qu'un vague champ d'énergie magique crépitant.

Lothringen = => téléportation : Le Palais des Murmures

http://www.baldursgateworld.fr/lacouron ... post223310

L'air ondoya étrangement à l'endroit où se tenait le semi-drow, à peine une seconde plus tôt. Puis ce fut le retour à la normale, et le silence complet. Mornagest soupira, et ressentit une nouvelle vague de mélancolie déferler sur lui. Il avait encore la tête hors de l'eau, mais il savait qu'il devrait s'occuper pour ne pas trop penser à... tout cela.

Son amnésie avait du bon. Il n'aurait plus à s'occuper de problèmes politiques, et cela l'éloignerait des risques de mort violente. Il pourrait accorder tout son temps à des occupations plus simples, plus calmes. Mais il savait qu'il ne supporterait pas très longtemps l'isolement, Lothringen avait parfaitement raison sur ce point. Lothringen... étrange personnage, pour s'intéresser ainsi à lui, alors qu'il avait été, dans son ancienne vie, quelqu'un de brutal, apparemment... qu'est-ce qu'il avait pu lui trouver ?

La question de savoir si le nouveau Mornagest lui plairait tout autant se posa alors. Rien n'était moins sûr, et réciproquement... il appréciait le manostien, revoyait succinctement des souvenirs de leurs moments passés ensemble, mais il ignorait encore comment leur relation avait débuté. Il aurait bien prié pour retrouver sa mémoire à ce sujet, mais quel dieu voudrait s'occuper de lui ?

Essayant de balayer sa tristesse, il se mit en quête d'un ouvrage à compulser sans sombrer dans l'ennui vertigineux des questions religieuses trop pointues. Il dénicha un livre traitant des plantes médicinales, et estima qu'il pourrait toujours en tirer parti, pour le cas où il se retrouverait encore à l'aventure, comme jadis.

Ses yeux parcoururent les lignes, et il s'aperçut au bout d'un long moment qu'il n'avait pas oublié comment lire... une bonne chose. Il observait également les gravures des plantes décrites, et en connaissait déjà une partie assez importante. Il avait eu une vie d'aventurier assez chargée, visiblement. Chélidoine, laurier rose, ortie, guimauve, liseron, absinthe... tout cela lui était déjà connu.

Venant du

En fin d'après-midi, Mornagest fut tiré de sa studieuse lecture par un fracas épouvantable issu de la cuisine, bientôt suivi d'un juron drow qu'il ne comprit heureusement pas.

"Ulu uoi'nota xuil nindol ki", cracha la même voix, furieuse.

En arrivant sur le seuil de la cuisine, il y trouva Lothringen accroupi, en train de se masser la joue d'une main et d'empiler de l'autre livres et victuailles s'échappant de deux sacs éventrés. Son humeur s'adoucit un peu à la vision du guerrier.

"ça m'apprendra à vouloir me téléporter avec les bras chargés... Quand je me suis rematérialisé ici, j'ai vu que j'allais avoir la jambe prise dans un barreau de chaise, alors j'ai dû modifier au dernier moment mon point de destination... et j'ai glissé sur le dallage."

Lâchant sa joue meurtrie, il entreprit de ramasser un à un les objets éparpillés et de les déposer sur la table.

"Je suis passé au Palais des Murmures en rentrant, et j'ai un peu pillé les cuisines et ma bibliothèque... Voilà de quoi tenir un petit siège" conclut-il en brandissant une miche de pain de diamètre imposant, même selon les critères de Mornagest.

Le semi-drow finit par se redresser en se massant les cuisses avec un petit rictus de douleur. Elles non plus n'avaient pas aimé la rencontre accélérée avec le dallage.

"Mais ce n'est pas une solution à long terme. J'ai pu m'entretenir avec le Grand Emissaire... Et les nouvelles ne sont vraiment pas bonnes. Il a ordonné l'arrestation de tous les ressortissants mélandiens sur le territoire."

L'après-midi avait été longue. Il avait passé la majeure partie de son temps à compulser plusieurs ouvrages, espérant dénicher quelque chose d'intéressant, mais la plupart des livres étaient effectivement basés sur la religion et la prière, domaines qui ne parvenait qu'à l'ennuyer au plus haut point. Il avait donc achevé rapidement l'ouvrage sur les plantes médicinales, et se rabattait maintenant sur les premiers soins à apporter en cas d'accident au travail ou en combat. Là encore, il connaissait une partie du contenu du livre, mais il apprit quelques techniques de suture de plaies assez barbares mais apparemment efficaces. Toujours bon à savoir...

Il fut brutalement interrompu par le vacarme que provoqua Lothringen, faisant là une entrée des plus tapageuses. Le guerrier alla voir de quoi il en retournait, et il aida le semi-drow à se débarrasser de sa charge, tout en commençant à ranger les victuailles qu'il avait ramenées.

Les nouvelles étaient inquiétantes, et il s'arrêta un instant de ranger lorsque Lothringen évoqua la traque des mélandiens. Une vengeance ? Une précaution de sécurité ? Il se sentit mal à l'aise, pris au piège dans cette cité inconnue et qui semblait désormais si hostile à son encontre, pour la simple raison qu'il venait de Melandis...

"Ça s'annonce mal... je ne vais pas pouvoir me cacher ici bien longtemps... s'ils sont suffisamment zélés, ils utiliseront des sortilèges de détection, ou quelque chose du genre. Ils me trouveront. Et s'ils font le lien avec toi... enfin, quand ils le feront... tu seras considéré comme un traître."

Lothringen hocha la tête, comme pour chasser le spectre de cette éventualité. Non seulement il n'était pas un traître, mais personne ne le trouverait. Ne les trouverait. Non mais.

"Et de une, il n'existe pas de sortilège de "détection du mélandien". Détection de l'alignement ou de la race, d'accord, ou alors une détection ciblant ton nom, mais tu es mort... Ils auraient du mal à te trouver sans recourir à des sortilèges de haut niveau. Et de deux, comme je t'ai dit hier, j'ai déjà lancé sur toi le sortilège de protection contre la divination que nous avions préparé pour notre départ, alors ça n'arrivera pas. Ce que je crains davantage, c'est que les patrouilles n'en viennent à faire le tour des maisons vides pour vérifier qu'aucun groupe d'espions ne les squatte."

Il soupira.

"Il y a une solution simple, et tu la connais... Changer tout de suite d'identité, et prendre les devants en signalant nous-mêmes ta présence à la garde. Je n'aurai qu'à te présenter comme un allié que j'ai ramené blessé de mes voyages, et que j'ai logé chez Corwin le temps de sa convalescence... Ce ne sera même pas faux.."

Il conserva quelques instants le silence, espérant vainement une réponse de Mornagest. Comme ils en avaient discuté plus tôt dans la journée, il savait que ce dernier aurait volontiers repoussé un peu plus longtemps le moment de son changement d'identité. Sauf qu'il y avait urgence.

"C'est idiot. Je pensais vraiment que Manost serait un endroit sûr pour toi, mais il y a eu un putsch du fils de Venuma à Mélandis, et nous allons entrer en guerre... Comment prévoir cela ?"

On en revenait au même problème. Tôt ou tard, il devrait quitter son apparence si familière, même après sa résurrection, et recommencer sa vie avec une mémoire incomplète et le corps d'un autre... difficile à imaginer, mais il n'avait pas le choix. Sa stature était trop bien connues des dirigeants manostiens, c'était certain. Il soupira intérieurement. Il ne pouvait pas mettre leur vie en danger pour une raison aussi futile, tout de même.

"Bien... il faut se décider sur une apparence, au moins... j'y ai un peu réfléchi, mais j'aurais voulu ton avis. Mmh, plus petit, ça, c'était déjà acquis. Les traits plus fins, les joues plus creuses. Les yeux plus sombres, les cheveux foncés... la stature plus élancée, aussi. Il faut vraiment que je ne dépasse plus personne d'une tête ; c'est trop voyant, je pense. Euh... je suis incapable de dessiner, je ne sais pas si tu pourras te faire une idée simplement comme ça, en revanche..."

Lothringen, ayant achevé de ramasser livres et nourriture, s'assit pesamment sur la chaise qu'il venait de maudire quelques instants plus tôt. La journée avait été intense, et un peu de repos n'était pas de refus.

"Je ne suis pas un très bon dessinateur, moi non plus. En revanche, j'ai ceci..."

Lothringen = > Image silencieuse

Le sortilège fit apparaître une silhouette humaine en trois dimensions répondant grosso modo aux indications données par le guerrier. Elle portait une simple tunique beige et Mornagest eut la surprise de voir certains de ses traits évoluer progressivement au fil des propositions de Lothringen.

"Allons, profites-en, c'est du sur mesure. Les cheveux, tu les veux longs, courts ? Bruns, noirs ? Un front large, ou plus bas ? Et les traits, plus durs peut-être ? Les yeux plus enfoncés, plus écartés, plus grands ? Prends le temps de bien décrire ce que tu as en tête, et de corrigerai mon illusion au fur et à mesure."

Le guerrier essaya, pendant un bon moment, de décrire l'être qu'il allait désormais être. Tâche ô combien compliquée, surtout qu'il produisit quelques ratés assez cocasses.

"Cheveux noirs, courts... ça me changera de ma tignasse. Hum... les joues plus creuses, les traits encore un peu plus fins... Ah... non, j'ai trop l'apparence d'un elfe, pour le coup ! Là, comme ça, c'est ce que je me faisais comme idée. C'est pas si mal", conclut-il en regardant le résultat. Il eut un soupir triste. Pas si mal, mais ce n'était plus lui-même... après avoir perdu une bonne partie de sa mémoire, voilà qu'il allait en plus changer d'apparence. Que resterait-il de lui ? Des fragments ? Il eut des picotements aux yeux, et refoula ses larmes tant bien que mal.

"Qu'est-ce que tu en dis ?"

Lothringen contemplait l'illusion avec une certaine réticence. Il la fit marcher quelques pas, comme à la parade, pour essayer de se la figurer vivante. Pas si mal,en effet... D'un point de vue strictement esthétique. Mais où était le corps immense qui faisait sa fierté, où étaient sa vigueur, sa jeunesse et sa force, et cette façon d'être maladroit et doux avec lui qui l'attendrissait à chaque fois ?

Je le trouverais pas mal si mon cœur était libre. Mais ce n'est pas l'homme que j'aime.

Ce dernier commençant à lui manquer, il reporta son regard sur Mornagest et décida de garder la réflexion pour lui. Ça n'avait pas l'air d'aller.

"ça risque d'être assez déroutant, au début, mais je pense que je pourrai m'y faire. Tu sais..."

Il effleura la main du guerrier sur la table, mais à peine, car il venait de se rappeler que ce dernier avait presque tout oublié de leur relation.

"Il n'y a pas que le corps et les souvenirs. Il y a la voix, la démarche, la façon d'être, et surtout les choix que l'on fait au jour le jour. Tu es bien celui que j'ai quitté au cimetière de Mélandis, je n'en doute pas un seul instant. Mais tu as payé très cher le droit de repartir sur de nouvelles bases, de te construire une nouvelle vie. Tu seras ce que tu décideras d'être. Ton passé était lourd à porter, alors, c'est aussi une chance..."

Lothringen n'était pas certain de se montrer très convaincant. Au fond de lui, il sentait bien que son discours était contradictoire. N'était-ce pas lui qui l'avait fait ressusciter ? N'appartenait-il pas lui-même à cette ancienne vie ?

"Pour ce sortilège... es-tu prêt ? Ou préfères-tu attendre encore un peu ?"

Tout délai représentait une prise de risque supplémentaire, évidemment. Mais le malaise du guerrier était communicatif, et le semi-drow avait soudain une stupide envie de lui faire l'amour, pour le rassurer, ou bien pour saluer ce corps qui allait disparaître. En ces circonstances, pure chimère, qui ne faisait que lui faire prendre plus cruellement conscience de son impuissance.

Retarder l'inévitable, la tentation était grande, mais qu'y gagneraient-ils ? L'amertume serait toujours là, les faits aussi... et le risque à prendre pour le peu qu'ils avaient à gagner tendait à faire pencher la balance en faveur d'une action rapide.

"Je pense qu'il est plus sage de... de changer maintenant. Enfin, rapidement, disons. Tu hésites aussi...", constata-t-il, sans pouvoir, cette fois, ravaler ses larmes, qui inondèrent ses joues, rudes et taillées par ses années passées dans les contrées gelées. Tout changer... il avait l'impression de renaître, tout en ayant un lourd passé à assumer. Ses choix n'en étaient pas ; seul l'aspect esthétique lui était laissé. Le reste... fuir, se cacher, tenter de retrouver une partie de sa mémoire, avec le risque de recouvrer des détails trop durs pour lui. Qu'avait-il pu commettre ? Comment avait-il pu, malgré cela, charmer Lothringen ?

Il parvint à se calmer un peu, ne sachant s'il pleurait pour son apparence ou ses souvenirs perdus. Les deux ? La vie était cruelle... Il aurait voulu que Lothringen choisît pour lui, mais c'eût été tout aussi dur.

"Vas-y", parvint-il à souffler. Il ferma les yeux.

Un long moment, le guerrier n'entendit plus que le silence. Il y avait dans la rue de nombreux passants, des éclats de voix. On s'interpelait. Un crieur, au loin, clamait des nouvelles indistinctes. Il releva un bruit de bottes marchant en cadence : l'une des fréquentes patrouilles qui rayonnaient depuis la place du temple... Pendant ce temps, Lothringen rassemblait sa concentration et fixait l'illusion pour mieux en graver l'image en son esprit. Puis il se mit à incanter le sortilège de métamorphose. Il le maîtrisait bien, pour en avoir fait usage si souvent sur lui-même, du temps de son errance... Aurait-il jamais deviné qu'il en viendrait à l'utiliser sur son propre amant ?

Se mordant les lèvres, il dissipa l'illusion, puis libéra l'énergie magique. La métamorphose fut presque instantanée. Un autre homme se tenait désormais en lieu et place de Mornagest, mais il avait la même expression douloureuse...

"Ce n'est pas fini. Il me reste à lancer la permanence..."

Le semi-drow tira de son justaucorps le précieux parchemin qu'Eloern lui avait préparé en paiement de sa dette. Cette magie excédait de beaucoup ses propres compétences : il ne s'agissait pas de se tromper en le lisant. Heureusement, la calligraphie était soignée.

"Anduvaï Kenayé Geteph..."

Ces mots avaient-ils un sens ? Cette langue lui était inconnue. Enfin, il n'avait qu'à se contenter de lire, de toute manière... Après une ou deux minutes de diction fastidieuse, il sentit que la magie venait de se libérer, et le parchemin disparut.

"Voilà, c'est fait."

En rouvrant les yeux, Mornagest constata que Lothringen s'était approché et lui tenait les épaules. Chose singulièrement plus facile à faire sous sa nouvelle apparence.

"N'oublie pas que ce sort peut être annulé, que nous pouvons quitter Dorrandin et qu'au-delà personne ne sait rien de toi, que rien n'est définitif en ce monde... Je t'en prie, reprends-toi. C'est trop dur d'avoir acheté si cher le droit de te faire pleurer."

Il hocha la tête en silence, regarda ses mains, ses bras. Changé. Rien n'était éternel... il était mort, et revenu à la vie, après tout. Pourquoi pas retrouver son apparence, plus tard ? L'espoir était mince, cependant... Il sécha ses larmes du revers de sa manche.

"Je sais, je suis désolé. Je me sens tellement... c'est si étrange de repartir de zéro. Enfin, pas tout à fait. Tu sais, j'ai lu, cet après-midi, et certaines des notions exposées dans les livres ne m'étaient pas du tout inconnues. Notamment des plantes médicinales, mais aussi sur les divinités... en lisant certains noms, je visualisais les représentations des dieux. Tu penses... que cela va me revenir progressivement ?"

Après tout, il revoyait fugitivement certaines scènes intimes avec Lothringen, sans qu'il pût tendre un fil conducteur clair entre les différents événements de sa vie passée... et le fait de le voir si près de lui provoquait en lui une sensation curieuse. Ce regard, ces traits... il lui semblait les connaître même sans les voir.

Brusquement, il se vit, encore sous son ancienne apparence, embrasser fiévreusement le semi-drow. Ils étaient tous deux nus, dans la nature. Puis la vision s'effaça aussi soudainement, et il eut l'impression de s'être endormi, le temps d'un battement de cœur. Le sien s'était emballé.

On aurait dit que le guerrier venait d'avoir une absence. Lothringen se redressa, cherchant la réponse à la question difficile que ce dernier venait de lui poser.

"Ce que tu me dis ne m'étonne pas vraiment. On connaît mal le fonctionnement de la mémoire... On a vu des archimages gâteux se souvenir à l'intonation près de leurs plus puissants sorts, alors qu'ils auraient été incapables de donner leur propre nom. Et, à l'inverse, les victimes d'un coup violent désapprendre jusqu'au langage, tout en conservant apparemment le souvenir de leurs proches... Ce que l'on peut dire, c'est que la mémoire de l'histoire personnelle et le savoir ne vont pas forcément de paire. Toi, tu sembles avoir des réminiscences de l'une comme de l'autre, et c'est plutôt bon signe. Je pense que ça devrait continuer de te revenir peu à peu, oui. Mais j'ignore si tu récupéreras totalement."

Il aurait été tellement plus agréable de pouvoir faire le tri, pourtant !

"Je... Je te l'ai dit, je préfèrerais que tu te souviennes tout seul, mais s'il y a quelque chose qui te tracasse, que tu voudrais savoir tout de suite, tu n'as qu'à me demander..."

Il baissa les yeux, constatant au passage qu'ils arrivaient maintenant à hauteur de ceux de Lothringen. Que voulait-il savoir ? Tout, et rien... son passé l'effrayait, mais certains événements lui donnaient cependant envie d'en savoir plus... leur relation, évidemment, et comment elle avait abouti. Mais ce serait long, et il n'était pas certain que le semi-drow pût lui relater leur histoire sans rechigner. Y avait-il un autre moyen de recouvrer ses souvenirs ? Il finit par se jeter à l'eau.

"Comment... comment nous sommes-nous rencontrés ? Je... j'ai quelques souvenirs qui nous concernent très directement, mais je ne parviens pas à savoir comment nous... euh... disons qu'il me manque le début de l'histoire, alors que j'ai en tête des souvenirs intimes..." Il rougit violemment, repensant à ces images fugaces qui s'étaient découpées devant ses yeux incrédules. La vision du corps dénudé du semi-drow, la sensation lointaine mais distincte des caresses, des baisers... troublant. Mais pas désagréable, à vrai dire.

Des souvenirs intimes ? Etrange sélection de sa mémoire... Que fallait-il en penser ?

Le regard de Lothringen se voila tandis qu'il se remémorait ces souvenirs.

"La première fois que je t'ai vu, c'était au festival des Arts de Lumenis. Mais nous y avons à peine échangé quelques phrases, alors, je suppose que cela ne compte pas vraiment... En fait, c'est lors de ton séjour à Manost, quelques mois plus tard, que nous nous sommes vraiment rencontrés. A l'époque, tu n'étais encore qu'ambassadeur, et tu étais venu négocier avec moi des accords commerciaux. C'est alors que nous avons un peu appris à nous connaître.

Néanmoins, je doute que cela serait allé plus loin s'il n'y avait pas eu cette histoire d'attentat et d'émeute lors de la réouverture du théâtre de la Harpe. Il y avait eu de nombreux morts et, sans y être pour rien, nous y avions été mêlés de trop près. On nous a alors demandé de nous éloigner un peu, le temps que les esprits se calment... Et c'est comme cela que nous nous sommes retrouvés à battre la campagne, tout seuls, à l'ouest du Bosquet. Et puis... il y a eu ce combat contre une patrouille d'elfes, où nous avons été grièvement blessés... Surtout moi, je dois dire..."

Ç'avait été une période marquée par les combats, les blessures, les doutes, les conversations douloureuses, et pourtant, le souvenir en était globalement positif. Conquérant, même. Lothringen se repassait la multitude des premières fois qui avaient marqué le progrès de leur relation, et chacun de ces moments faisait naître un sourire heureux sur ses lèvres.

Le guerrier écoutait sans mot dire Lothringen lui conter ses souvenirs, et les assimilait d'autant plus facilement que... il se voyait dans certains d'entre eux. Un théâtre... il avait une vision fugitive d'un décor amovible représentant quelque chose d'énorme ; d'une bousculade, également. Les conséquences de l'attentat, sans doute.

Des combats, il en revoyait plusieurs. Dans les bois, dans une cave, dans des tunnels obscurs, dans un jardin... toujours avec Lothringen non loin de lui. Mais toujours, aussi, par brèves images, sans lien apparent entre les séquences. Il reconstruisait son passé avec ce que le semi-drow lui révélait.

"Et ce combat nous a rapprochés, je suppose ?" Il sentait qu'il devait s'expliquer, et lui raconta la manière dont ses souvenirs lui revenaient, de façon parcellaire. "Lorsque tu m'en parles, je nous revois, dans certaines de ces situations. En fait, je nous revoyais déjà, avant... pendant des combats, pendant des discussions que nous avons eues... et, il y a quelques minutes, hum... c'est pour ça que je t'en ai parlé de manière aussi... peu délicate, et tu m'en vois désolé. J'aimerais tellement connaître à nouveau notre histoire... et la poursuivre", conclut-il, l'air quelque peu rêveur. Puis, il rougit à nouveau. Cette caractéristique, il ne l'avait décidément pas perdue...

C’était une chose étrange que de reconnaître les mimiques de Mornagest sur ce visage étranger, que de l’entendre parler de la même manière que lui, bien que la voix soit différente… Pour l’heure, Lothringen devait fournir un effort intellectuel, à chaque fois qu’il regardait son interlocuteur, pour l’identifier avec son compagnon. Et il avait la vague impression de faire des confidences intimes à un quasi inconnu. Peut-être l’habitude atténuerait-elle un peu cette désagréable impression.

« Hé bien… tu m’en vois ravi, répliqua-t-il en forçant un sourire. A vrai dire, si tu avais voulu me rejeter, je crois que je t’aurais rendu la vie difficile. Car je ne peux pas l’accepter. Mais… reprenons ce récit, alors, si cela t’aide. Ce combat contre les elfes… » Il revoyait la fontaine d’Inselwenn, leur pénible réveil après la téléportation, et le bref carnage que ç’avait été… « Ce n’était pas tout à fait la première fois que nous nous battions ensemble - nous avions déjà combattu des gobelins ou des contrebandiers - mais cette fois, le contexte était différent. Nous nous trouvions à des lieues et des lieues de Manost, pour commencer ; et à tout instant, avant, pendant et après ce combat, je m’étais attendu à ce que tu me trahisses ou m’abandonnes à mon sort. Après tout, nos nations ne s’aimaient guère… Grièvement blessé comme je l’étais, j’étais à ta merci. Et c’est exactement l’inverse qui s’est produit. Si loin de Manost, si loin de Mélandis, nos charges n’avaient plus de sens. Tu te montrais beaucoup plus prévenant que nécessaire. J’ai fini par découvrir que tu m'attirais. Tu parlais d’amitié. Je… Il sourit plus franchement. … trouvais cela insupportable. A Ysté, je t’ai dit pourquoi. C’est comme cela que ça a commencé... »

Et il se rappelait précisément ce moment, devant le temple d’Ysté, où il avait effleuré la joue de son compagnon pour la première fois. Ç’avait été une telle joie, une telle solennité… Il espérait de tout cœur que Mornagest se rappellerait aussi ce genre de moments suspendus, car ils en disaient à eux seuls plus long que tous les autres.

Il fouilla encore ses souvenirs, faisant un effort mental pour rassembler les bribes éparses qu'il avait entrevues pendant son sommeil, avec le récit que lui contait Lothringen. Un parcours à cheval, des combats, des combats à n'en plus finir, dont un très particulier... ou plusieurs ? Il avait un nouveau souvenir bref, du visage de Lothringen, froid et haineux, qui le regardait avec une expression d'envie de meurtre très claire. Mais il n'était pas certain de l'avoir vécu, ou de l'avoir simplement rêvé. Et ce souvenir, s'il existait vraiment, était quelque peu douloureux.

"J'étais... un mélandien atypique, alors. Qui aidait sans demander en retour ?" Il y avait note d'espoir dans sa voix, comme s'il attendait que le semi-drow lui révèle qu'il n'avait jamais fait de mal aux autres intentionnellement, et par pur plaisir. Mais une petite partie de son esprit lui hurlait le contraire, braquant vers lui un doigt accusateur, lui laissant entrevoir quelques horreurs qu'il avait vues... et commises. Comment avait-il pu attirer Lothringen ? Son comportement semblait avoir été schizophrénique, en réalité.

"Non", dit-il enfin en secouant la tête. "J'agissais ainsi uniquement avec toi." Curieux, comme cette phrase était remplie d'un paradoxe effrayant. Elle prouvait que Mornagest aimait, ou du moins, appréciait déjà Lothringen, mais en contrepartie... il y avait tout le reste. Des crimes commis, une position politique ignoble...

Lothringen baissa les yeux, songeant à tout ce qu'il avait découvert, mois après mois, de ce que faisait Mornagest en son absence... A chaque fois, la tristesse l'avait disputé à l'incompréhension et à la tentation de tout nier en bloc. Mais il était venu un temps où le guerrier était allé trop loin pour que fermer les yeux lui demeure possible, sauf à cesser lui-même de s'occuper de la politique étrangère de Manost.

"Oui. Tu n'agissais ainsi qu'avec moi. J'ai mis longtemps à m'en rendre compte, plus encore à l'admettre..."

Il fit l'effort de reporter son attention sur son compagnon. Ce dernier paraissait accablé. Quel effet cela peut-il faire que de se rappeler avoir commis des actes où l'on ne se reconnaît pas ? D'autres diraient sans doute qu'il était temps d'expier. Lothringen, pour sa part, avait mal pour lui.

"Il y a eu une période difficile où nous nous sommes beaucoup éloignés, crut-il bon d'expliquer. Et puis, il y a un peu moins de deux mois, nous nous sommes revus... Les retrouvailles ont été houleuses mais tu paraissais avoir enfin pris conscience de ce que tu devenais. Tu voulais laisser tout cela derrière toi, abandonner Mélandis et les rêves de pouvoir... Ce n'étaient pas que des projets vagues, je te l'ai dit, nous étions en train de passer à l'action. Le vampire t'a trouvé juste avant..."

Le semi-drow chercha quelques instants ses mots. Il se sentait maladroit, mais il avait un message à faire passer.

"Ce que je veux dire, c'est que tu avais commencé à changer. Et c'est pour cela, sans doute, que tu te juges si mal, maintenant. Tu ne te rappelles plus quel raisonnement te conduisait à agir ainsi. Tu le faisais parce que tu croyais que les autres conseillers te tenaient, que tu n'avais pas le choix si tu voulais survivre... Tu le faisais parce que tu étais en colère contre le genre humain ; on t'avait fait du tort jadis, et ta haine était inextinguible... Et tu étais si mal, quand je t'ai revu. Si proche de la folie. Pourtant, tu m'as écouté. Et tu as changé d'avis en très peu de temps... sans doute parce que cela faisait quelques temps déjà que tu voyais bien dans quelle impasse tu te trouvais. Je ne veux pas t'empêcher de te souvenir ou de comprendre ce qu'il s'est passé. Mais il faut que tu le saches, toujours : ce n'est pas la mort qui t'a changé, c'est un effort de ta volonté, c'est toi-même. De cela, au moins, tu peux être fier, et je suis fier. Car tu revenais de très loin..."

Le guerrier resta cette fois sans mot dire. Aurait-il changé de par sa propre initiative, comme le lui suggérait Lothringen ? Cependant, il restait écœuré par la seule évocation de ce qu'il aurait pu commettre dans son ancienne vie ; peut-être la mort et la résurrection l'avaient davantage changé que ce qu'ils pensaient.

"La folie", finit-il par laisser tomber d'une voix neutre. "N'est-ce pas pire que la mort ? Ne m'a-t-elle pas, elle, permis de prendre un nouveau départ ? J'ai... beaucoup de mal à m'imaginer tuer d'autres personnes sans nécessité, même si je me suis "vu" le faire. Est-ce que la mort m'a lavé de mes crimes ? Dois-je en répondre devant les dieux ?"

Il revit brièvement ce monde désolé, maudit, affreux, dans lequel il avait erré durant une éternité, guidant les morts, écoutant leur plainte, racontant leur propre mort, tantôt violente, tantôt innommable, tantôt plus paisible. Des récits qui le firent frémir, même si tout cela semblait ne jamais s'être vraiment passé. La mort, la folie... laquelle était la plus cruelle ? Il avait connu les deux, à en entendre le semi-drow, mais il ne parvenait guère à en tirer de conclusion correcte. Au moins vivait-il, sain, soucieux d'agir non point à l'encontre des autres, mais pour lui-même, pour Lothringen, en paix. Si c'était possible.

"Je ne ressens plus de haine... juste de la honte vis-à-vis de ce que j'ai pu faire. Quelles que purent être ces motivations, elles ne justifient pas de tels actes. Je... cette mort était méritée, finalement."

Lothringen était demeuré silencieux, mesurant l'ampleur des changements qui s'étaient opérés dans son compagnon. Il n'était pas demeuré mort très longtemps... Etait-il à ce point marqué ? Le manostien aurait dû se réjouir de le voir rejeter ses anciens choix de vie, mais il ne voyait que son malaise, et ce dernier était communicatif. Le semi-drow ne l'avait pas fait revenir pour le faire payer, mais pour lui donner l'occasion d'être heureux... Aux derniers propos de Mornagest, il finit par hocher la tête, incrédule.

"Le vampire qui t'a déchiqueté avait plus de sang sur les griffes que tu n'aurais pu en accumuler en cent ans d'existence, alors, si c'est cela, la justice : le triomphe des monstres... la mort de celui qui veut changer... Je ne... je ne peux pas parler pour les dieux. Je ne sais même pas ce que tu as vécu, dans l'au-delà. Une chose est sûre, ils sont loin de parler d'une seule voix. Tyr se soucie de la justice, mais Kelemvor ne s'intéresse qu'à ta fidélité à un dieu, quel qu'il soit, et ma propre déesse dirait qu'il faut se soucier des vivants et non des morts.

Pour ma part... Contrairement aux Ilmates, je pense que la souffrance ne rachète rien et n'est jamais souhaitable, même si je comprends ce que tu éprouves. Tu as l'occasion d'agir autrement, peut-être de compenser certains actes par d'autres... Tu es encore très jeune, sais-tu ?" conclut-il en souriant à demi.

Timidement, il lui rendit son sourire, opinant silencieusement du chef, avant de poursuivre :

"Oui... je change de vie, d'apparence, mais... cela peut être une bonne chose. Cette ancienne vie, je... je ne veux pas tout en rejeter", précisa-t-il en fixant Lothringen dans les yeux, "mais certaines choses sont trop dures. Je pense qu'elles me reviendront en mémoire, tant pis. Je les conserverai... et j'essaierai d'éviter de reproduire toutes ces... ces erreurs."

Difficile de se nommer un meurtrier quand on n'avait que peu de souvenirs de son passé sanglant, et il éluda la chose. Des erreurs qui avaient coûté cher, outre la vie ; il devait échapper à la vigilance des manostiens, et peut-être, plus tard, des mélandiens.

"Repartir sur de bonnes base, finalement. D'ailleurs... dans l'immédiat, as-tu des choses à faire ? Je vais peut-être pouvoir sortir un peu, maintenant... et revoir la lumière du jour, redevenir libre... ça va me faire du bien, je l'avoue."

"J'ai toutes sortes de choses à faire, à vrai dire. Une guerre à préparer, des tensions internes à surveiller... Mais si je n'y mets pas moi-même de bornes, je ne dormirai pas d'ici plusieurs semaines. Alors, je me suis accordé la soirée."

Il détourna la tête, et Mornagest ne comprit pas tout de suite que c'était pour écouter les murmures de la rue. En ce début de soirée, elle était encore très passante, et les éclats de voix le disputaient aux charrettes et aux bruits de pas.

"Je suis d'accord avec toi, cela dit, il faut que tu sortes, que tu puisses voir d'autres visages... Il faudrait juste régler une dernière chose pour t'assurer la paix auprès des autorités manostiennes, et j'espérais..."

Un fracas de bottes cadencées surgit du fond de la rue. Le guerrier l'avait entendu passer toute la journée, à de brefs intervalles d'une heure : c'était la patrouille de la place du temple qui finissait sa ronde. Le semi-drow se leva vivement et se dirigea vers la porte.

"C'est le moment ! Viens !"

Sans vérifier s'il était suivi, Lothringen ouvrit la porte et attendit que la patrouille parvienne à leur niveau. Reconnaissant le conseiller, l'officier le salua en dissimulant tant bien que mal sa surprise de le voir surgir de la maison de Corwin Balder.

"Mes respects, conseiller. Puis-je vous être utile ?"

"Salutations, officier : en effet. Comme vos nouveaux ordres ont dû vous l'annoncer, les mesures de sécurité sont grandement renforcées en ville..." Le militaire hocha la tête d'un air entendu, sans l'interrompre."Or il est de notoriété publique que je fais partie de ces quelques citoyens indisciplinés qui ne signalent jamais leurs allées et venues..."

L'officier hocha une nouvelle fois la tête. Lothringen faisait effectivement partie des trois ou quatre mages manostiens susceptibles de se téléporter sans que jamais cela n'apparaisse sur les registres des portes de la ville. Mais ces quelques résidents réfractaires étaient eux-mêmes connus...

"Votre rang vous dispense de justifier de vos déplacements", répondit-il prudemment, cherchant à signaler qu'il ne voyait pas bien où le semi-drow voulait en venir.

"Les miens, peut-être, mais il se trouve que mon compagnon, que voici – il désigna Mornagest en souriant – a voyagé avec moi, et que, comme il était très affaibli, j'ai d'abord voulu veiller à son rétablissement et n'ai pas pris le temps de signaler sa présence à la garde. Je l'ai fait loger ici, chez Corwin – c'est un convalescent, je suis sûr que ce dernier serait d'accord, mais on peut libérer ce logement si besoin, maintenant. Bref – avec les nouvelles mesures, je ne voudrais pas qu'il se fasse arrêter par une patrouille juste parce que sa situation n'est pas en règle, et son identité mal établie..."

L'officier hocha la tête, comprenant enfin le but de toutes ces explications.

"Vous voulez donc régulariser la situation et lui éviter des difficultés avec la garde. Je puis bien entendu me charger de l'ajouter aux registres et signaler son cas. La protection d'un conseiller est une recommandation plus que suffisante..."

Le soldat détailla le nouveau Mornagest de la tête aux pieds, notant mentalement ses caractéristiques physiques les plus frappantes.

"Quel nom devrai-je inscrire ?..."

La Couronne de Cuivre

[Habitation] La maison de Corwin Balder

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents

RP : aux quatre vents

Rp : Aux quatre vents