La Couronne de Cuivre

Les hommes à table rirent en voyant la difficulté que Silmandel avait pour s'exprimer clairement. Pas étonnant, si c'était la première fois qu'il buvait, se disaient-ils...

"De valeur, dis-tu ? Quel type de valeur ? Sûrement pas un objet vendable, je me trompe ?" fit l'homme qui lui avait déjà répondu. "Tu pourrais être un peu plus précis ? Parce que là, c'est un peu... vague."

-Heu… vendable ? M’j’dois pas l’vendre, j’dois ramner ! s’emporta quelque peu Silmandel en poursuivant sa logique du gosse grognon. Et pis, Y paye pas d’mine. C’est un truc moche. J’crois même qu’c’est un morceau d’truc : une sorte d’boule à épines, comme une bogue d’châtaigne, voyez. Faut vraiment être prête pour y voir d’la valeur, selon moi.

L’explication donnée, Songevent partit dans un monologue bougon qui, même s’il le mettait en scène pour coller à son rôle, reflétait tout de même le fond de sa pensée.

-Une bogue… pfff… une épée magique, un anneau, un bijou, j’dis pas, mais une bogue… On emploie mal mon talents.

Les hommes se regardèrent sans vraiment comprendre, sauf l'un d'entre eux dont le visage se fit nettement plus intéressé encore par les propos de Silmandel.

"Une bogue, dis-tu ? Est-ce qu'elle ne serait pas noire, des fois ?"

Il fit signe à ses compagnons de ne pas interrompre l'elfe lorsqu'il répondrait ; si l'objet était bien celui auquel il pensait... ce gamin était bien autre chose qu'il ne le laissait paraître.

La couleur de la bogue ? Silmandel se gratta la tête. En voilà une bonne question. Le grand prêtre lui avait-il seulement donné cette information ? L’elfe se souvenait avoir en sa possession un croquis de l’objet. Mais la couleur… Puis, subitement, il se rappela, ce qui provoqua du même coup sa réponse enthousiaste.

-Ouais ! C’ça ! Tout noir et gros comme mon poing !

Il brandit son poing pour illustrer son propos. L’ensorceleur était un peu surpris, même s’il s’efforçait de ne pas le montrer. Il se disait qu’il perdait qu’un prétendu gosse ivre n’obtiendrait aucune infos, qu’il devrait se rabattre sur le mystère du rideau de velours. Mais il en était allé autrement et le voilà face à une piste. Maintenant, il fallait la remonter. Hé, hé ! Comme quoi, il pouvait très bien se débrouiller tout seul !

L'homme sourit d'un air mauvais, cette fois, puis se fit menaçant à l'encontre de Silmandel.

"Mon gars, t'as pas de chance. Il se trouve que je vois précisément ce dont tu parles... et que je n'ai pas du tout envie qu'un petit merdeux comme toi vienne mettre le nez dans des affaires qui ne le concernent pas !"

Il retroussa ses manches, de même que ses compagnons de tablée et les autres personnes dans la salle, qui avaient cessé leur conversation pour prêter attention à celle-ci. Tout le monde semblait vouloir du mal à l'elfe, désormais, qui devait se défendre face à une douzaine d'hommes déterminés - et à l'air vicieux.

Un coup de poing fusa vers lui, l'atteignant à la joue.

Heu… en fait, il semblait que Silmandel soit tombé exactement au bon endroit. Comme quoi, le hasard faisait bien les choses ! Enfin, bien… un contre douze, était-ce une bonne chose ? En tout cas, comme d’accoutumée, Songevent ne s’inquiéta pas plus que ça. Il allait leur montrer à toute cette sinistre bande de quoi il était capable !

-Pleutres ! Mécréants ! Votre comportement irrévérencieux envers ma personne mérite châtiment !

L’ensorceleur se plaisait à rester dans son rôle du petit bourge irritable. Il avait commencé ainsi, il finirait ainsi. Néanmoins, l’ivresse, il l’avait curieusement un peu oublié, comme en témoignait cette réplique plutôt claire. Plus parlant encore, l’elfe se déplaça désormais avec toute son assurance. Jouant de sa petite taille et de son agilité, il fit en sorte de gagner un mur de l’auberge, ce qui ne l’empêcha pas d’encaisser quelques coups de poings. Ainsi positionné, il n’avait plus à se soucier de ce qui lui venait dans le dos. Sans attendre, profitant du très bref répit que lui procura cette mise en retrait, il fit appel à sa magie.

Silmandel --> Projectiles Magiques --> l’adversaire le plus proche

Le sortilège, visuellement amplifié par les dons de l’elfe, fut du plus bel effet en ce lieu plutôt terne.

-Arrière canailles ou je me fâche pour de bon ! menaça-t-il, espérant que sa démonstration allait être intimidante.

Deux sphères rougeoyantes fusèrent des doigts de Silmandel et vinrent frapper de plein fouet le torse de l'homme situé à sa droite à table. Il recula sous le choc, et manqua s'évanouir de douleur. Les autres avaient dégainé leurs armes, pour la plupart de simples dagues mais qui pouvaient s'avérer mortelles si elles étaient bien maniées. Les trois hommes les plus proches de l'ensorceleur l'entouraient rapidement, et menaçaient d'en faire du saucisson de campagne endéans les minutes à suivre, mais l'étrange personnage que Silmandel avait rencontré dans la rue et qui l'avait amené en ces lieux sordides fut plus rapide.

Homme mystérieux ---> sommeil ---> Silmandel

Une brume opaque se dressa rapidement devant les yeux de l'elfe, qui, malgré sa volonté de résister à l'irrépressible envie de dormir, ne put lutter longtemps. Ses paupières se fermèrent et il sombra dans un sommeil profond sans rêve.

Il se réveilla après un temps indéterminé. Sa tête lui paraissait lourde, il avait mal partout et il sentit instantanément la morsure des cordes qui lui maintenaient les poignets, les chevilles et les deux groupes de membres ensemble. Il lui était pratiquement impossible de bouger, et il était soigneusement baîlloné.

L'obscurité était totale pour l'instant, et il n'y voyait goutte. Il parvint seulement à déterminer qu'il était allongé sur le sol, dur et froid, qui devait être de la pierre. Il n'avait heureusement pas froid, mais rester immobile longtemps n'arrangerait peut-être pas les choses...

On vint ouvrir la porte de sa cellule. Un homme apparut dans l'encadrement, et Silmandel fut un instant aveuglé par la lumière vive qui provenait de derrière l'inconnu. Enfin, son visage lui rappela quelqu'un ; il devait être un des personnages présents dans la "taverne".

"Bien réveillé à temps. Ah. Écoute-moi attentivement. Fais un seul geste de travers, et je t'égorge sur place. Tu n'as qu'un sursis pour l'instant, alors pas d'imbécilités. Je vais te transporter hors d'ici."

Joignant la parole à l'acte, il s'empara facilement de Silmandel, léger comme une plume, et le transporta comme un simple sac de voyage. Il suivit un moment le couloir, tournant à plusieurs reprises, puis ouvrit une porte qui donnait sur une salle faiblement éclairé par deux torches. Exiguë, elle était encombré d'instruments de torture tous plus répugnants les uns que les autres. L'homme mystérieux était là, et à nouveau, il arborait le même sourire que précédemment. On ôta le baîllon de la bouche de Silmandel.

"Bien dormi ? J'espère que tu n'as pas eu froid... Bien. Nous aimerions en savoir un peu plus sur ta mission en ces lieux... qui t'a envoyé, pourquoi... ce genre de choses."

Oups ! Voilà qui allait en étonner plus d’un : Silmandel, seul contre douze, affaibli qui plus est, n’avait pas fait long feu. Bon, d’accord, le seul surpris ce fut certainement l’ensorceleur lui-même. A présent, il se trouvait dans une fâcheuse situation. Comment diable allait-il s’en sortir cette fois ? Il se sentit un peu seul tout d’un coup. Son inébranlable confiance en ses capacités vacilla quelque peu. Mais il ne céda pas à la peur, loin de là. Il afficha même une stupéfiante assurance. Il allait forcément s’en tirer, ce n’était qu’une question de temps… enfin, il fallait l’espérer. Face à ce mystérieux individu, celui-là même qui l’avait accosté dans la rue, il prit la parole.

-Prenez garde à la façon dont vous allez vous y prendre ! Je suis fils de bonne famille. Mon père, nouvellement arrivé en ville, a le bras long. Croyez bien qu’il vous fera payer au centuple ce que vous allez me faire. Vous voilà prévenu.

Le bluff, c’était le dernier atout de Songevent. Et il misait donc tout dessus. Il aurait bien du mal à conserver son assurance si cela ne devait pas suffire. Il fallait dire que l’elfe, même s’il avait vécu nombre de situations plus ou moins calamiteuses, n’avait encore jamais été torturé.

Sans paraître le moins du monde impressionné par la réponse de Silmandel, l'homme resta strictement impassible un instant, avant de découvrir ses dents en un rictus sardonique. Le petit elfe était décidément amusant... ils allaient passer un peu de bon temps avec lui.

"Si tu le prends comme ça, méfie-toi. Je pourrais tout aussi bien t'attacher sur cet engin..." il désigna de la main un instrument derrière lui, sur lequel le sujet était allongé et maintenu par des sangles en cuir "et essayer sur toi de nouvelles attractions en matière de torture. Sais-tu que nous nous sommes offerts, pas plus tard que la semaine passée, un écarte-mâchoires des plus efficaces ? Si tu souhaites pouvoir continuer à manger normalement pour le restant de ton existence, je te conseille amicalement de coopérer. Bien sûr, tu n'es pas obligé."

Il rétrécit ses paupières, ne laissant voir qu'une petite partie de ses yeux brillants d'une joie sadique. Posséder l'ascendant sur une potentielle victime lui procurait un plaisir qu'il dissimulait à peine.

Silmandel observait avec grande attention le sinistre individu face à lui. Il constata bien vite que pour l’intimidation, c’était raté. Zut, ce n’était pas bon ça. Pire encore, il eut l’impression d’être en présence d’un sadique. Aurait-il pu tomber plus mal ? Son assurance s’émietta légèrement. L’ensorceleur resta néanmoins maitre de lui-même. En son esprit, sa stratégie s’ajustait.

-Heu… je crois que je vais suivre votre aimable conseil. C’est vrai, après tout, je n’ai pas grand-chose à cacher.

Le petit elfe ménagea une courte pose avant de reprendre.

-Ma mission, ce n’est pas vraiment ma mission, voyez-vous. J’ai simplement l’ouïe fine. J’ai entendu, alors que je me baladais dans le cartier occulte, un groupe de trois personnes discuter au sujet de cet artéfact à récupérer. Il y avait de l’argent en jeu. Ça a attiré mon attention, pas seulement à cause de l’argent, je n’en manque pas, mais aussi à cause de l’aventure. J’ai discrètement suivi le groupe, juste histoire d’entendre les détails de l’affaire. Puis j’ai décidé de les doubler. Au final, ce n’était peut-être pas la meilleur idée que j’ai eu…

Le silence se fit dans la pièce, lourd et inquiétant. L'homme restait impassible, immobile, réfléchissant à la réponse de Silmandel. Les secondes s'égrenaient, et la tension montait progressivement, lorsqu'il fit entendre un léger ricanement.

"Je n'en crois pas un mot. L'objet dont tu parles n'est pas une simple babiole. Peu de personnes sont au fait de son existence, et celles-là n'auraient pas la stupidité d'en parler ouvertement en pleine rue sans précaution aucune."

Il claqua des doigts. L'homme qui avait conduit Silmandel jusqu'ici se saisit de lui et l'attacha de force - ce qui ne fut guère difficile vue sa robustesse - sur l'instrument de torture, et lui lia les poignets et les chevilles. Avant qu'il pusse protester de quelque manière que ce fut, l'inconnu inquiétant se saisit d'une sorte de fouet barbelé, le déroula lentement et asséna un violent coup sur le torse de l'elfe, produisant un claquement sonore qui résonna lugubrement dans la salle de torture.

"La vérité, maintenant."

Silmandel serra les dents. Il n’allait quand même pas hurler des le premier coup. Mais, c’était sûr, il n’allait pas en falloir beaucoup plus. En tout cas, il n’en menait pas large à présent. La douleur le rendit encore un peu plus lucide sur sa situation peu enviable. Une idée, vite, quelque chose, n’importe quoi tant que ça lui permettait de s’en sortir. Hélas, à part persister dans son mensonge, il ne trouva rien d’autre.

-La vérité ? Mais je viens de vous la dire espèce de malade ! répliqua Songevent, plutôt irrité à présent. Non, je vous rassure, ces trois personnes ne se sont pas mises à crier au milieu de la place : « ho, on va aller chercher cet artefact en forme de bogue noire très spéciales. » Il s’agissait d’échanges à voix basse. Je doute fort que des oreilles non elfiques aient pu saisir le sens de ces murmures. Et c’est justement parce qu’il s’agissait de murmures que ça a attiré mon attention. Et même si cela vous semble imprudent de leur part d’avoir ainsi parlé, et bien vous leur direz quand ils seront là. Parce que bon, si un môme arrive à vous trouver, j’présume qu’eux-aussi vont y arriver.

Nouveau silence. L'homme réfléchissait aux propos de Silmandel. Comment pouvaient-ils prendre si peu de précautions ? C'était pure folie que d'aborder un tel sujet en pleine rue... non, ce petit elfe effronté mentait, c'était certain. Personne ne prendrait un tel risque. Mais que faisait-il là ? Pourquoi n'avouait-il pas ? Peut-être la douleur le pousserait à se montrer plus docile...

"Bien, bien." Il chercha des yeux un instrument, qu'il trouva rapidement. Silmandel ne pouvait voir de quoi il s'agissait, et il ne put qu'entendre l'homme s'approcher de lui, pour le voir soulever sa tunique et lui appliquer une barre de fer chauffée au rouge sur l'abdomen. Un crépitement se fit entendre, mais il n'allait sans doute pas tarder à être remplacé par les cris de la victime...

Silmandel hurla effectivement. C’était un bras de fer qui s’engageait et, vu la tournure prise, il n’allait pas tarder à le perdre. L’idée de tout avouer ne pu que se faire plus grande en lui. Mais s’il parlait, s’il évoquait le sort de quête, il avait peur d’être dans l’impasse. Mais ne l’était-il pas déjà ? S’accrocher au mensonge ou avouer, c’était les deux seules voies qui s’offraient à lui. Il n’était plus en mesure d’en imaginer d’autres. La douleur n’était pas encore venue à bout de sa détermination. Il était quand même sacrément buté dans son genre.

-Faut savoir ce que vous voulez à la fin ! vociféra-t-il. La vérité ou entendre ce que vous voulez ?! C’est pas ma faute si la vérité ne vous plait pas ! Me marquer au fer rouge n’y changera rien ! Continuez et je vous invente de belles histoires ! Peut-être que comme ça vous serez contant !

Si ça ne suffisait pas, il n’aurait plus le choix. Décidément, l’horizon semblait bien sombre…

Le fer fut ôté. Un visage apparut dans le champ de vision de Silmandel. Toujours ce type, au visage de plus en plus détestable, inquiétant, mortellement inquiétant.

"Malheureusement pour toi, je connais... une partie de la vérité. Et je sais qu'elle est toute autre que ce que tu cherches à broder comme histoire abracadabrante. Je sais qu'on t'a envoyé. Je veux savoir qui. Pourquoi. Tout, en somme. Sans quoi... le fer risque de goûter à nouveau ta chair, à un endroit plus intime, cette fois..."

Joignant presque le geste à la parole, l'homme déchira la tunique de l'elfe et approcha le fer de l'entrejambe de sa victime. Silmandel pouvait sentir la chaleur menaçante qui émanait de l'instrument de torture. Oserait-il lui infliger cela ?

-Non ! Stop ! Arrêtez-ça ! C’est bon, c’est bon je vais parler ! lâcha précipitamment Silmandel.

Car il était persuadé que son tortionnaire en était capable. Il était peut-être même capable de pire, de bien pire… Songevent n’avait plus le choix, d’autant plus que l’autre savait une partie de la vérité. Alors il s’exécuta sans tarder, de peur qu’on le presse d’une bien désagréable façon.

-C’est le grand prêtre du temple de la malchance qui m’a envoyé ! Le fourbe a justement profité de ma malchance ! J’ai joué aux cartes merveilleuses et, à cause de ça, j’ai eu besoin des services d’un prêtre en toute urgence ! C’est pourquoi je me suis retrouvé devant lui… En échange du service rendu, il m’a demandé de lui rapporter l’artéfact. Il m’a dit qu’on le lui avait volé. Il m’a fait une esquisse de l’objet sur un parchemin. Vous le trouverez dans mon sac…

L’ensorceleur eut une désagréable illumination. Le parchemin justement, l’homme face à lui devait déjà l’avoir trouvé. Et c’était pourquoi il avait pu en déduire une partie de la vérité. Mais quel imbécile ! S’il y avait songé plus tôt, il aurait intégré cet élément dans son mensonge.

-…quoi que c’est peut-être déjà fait.. finit-il, d’une voix plus faible.

Il avait tout dit, sauf l’existence du sort de quête. Cela le réconfortait un peu d’avoir encore un petit truc de caché. C’était sans doute stupide mais c’était comme ça. Il n’était pas encore totalement démuni ou, tout du moins, il en avait illusion.

Il laissa un moment encore le fer à proximité du corps de Silmandel, mais s'abstint de l'utiliser, cette fois. Enfin, il ôta l'instrument et le reposa à sa place habituelle.

"Bien. Voilà qui est mieux. Je comprends bien des choses, maintenant. Sauf... le fait qu'on t'ait envoyé, toi, à la recherche de cet objet."

Silmandel n'avait pas vraiment la carrure d'un espion chevronné, il fallait bien le dire.

"Une fois cet artefact récupéré, tu serais allé voir le prêtre de Beshaba pour le lui donner, dans ce cas ? Puis-je t'en demander la raison ? Tu lui dois un service ?"

Une telle demande n'était pas anodine, il le savait. On n'engageait pas n'importe qui pour s'occuper d'un tel objet, c'était certain. Que cachait cet homme ? Pourquoi avoir agi de la sorte ? Les questions fusaient dans l'esprit du bourreau sadique.

hrp : désolé pour le gros retard, beaucoup de choses à faire en ce moment...

HRP : pas grave.

Bien, Silmandel avait échappé au pire, enfin pour l’instant. Désireux de rapidement quitter cette horrible pièce, il se demanda sérieusement si continuer de cacher des choses était vraiment profitable. Après tout, peut-être que ce serait possible de trouver un arrangement avec ce charment personnage. Il réfléchit encore un peu et se décida.

-Ben, voyez-vous, j’ai pas trop le choix. Le grand prêtre, juste après avoir levé la malédiction qui pesait sur mon esprit, il m’a lancé un sort de quête. Croyez bien que si ça ne tenait qu’à moi, je ne me serais jamais intéressé à cet artéfact. Et, pour tout vous dire, je déteste qu’on me force la main. Peut-être que vous ou l’une de vos connaissance peut dissiper le sort. Je me ferais alors une joie de ne jamais revenir face à ce maudit grand prêtre ! Ces affaires, c’est pas les miennes !

Pour la première fois, l'homme paru surpris par les propos de Silmandel. Un sort de quête ? Le prêtre ne reculait décidément devant rien... mais cela n'expliquait pas pourquoi il avait mandé un être aussi... particulier pour une tâche aussi importante.

"Tu es dans de beaux draps. Ce genre de sortilèges ne peuvent être dissipés. Les deux seules solutions qui peuvent te permettre d'en venir à bout sont de mener à bien ta mission, ou tuer le commanditaire. Ce qui serait peut-être plus facile que la première, à mon avis."

Il se leva, marchant distraitement dans la salle de torture, jetant de temps en temps un coup d’œil vers l'elfe toujours attaché. Qu'allait-il faire de lui ?

"Quelle est ton opinion sur le sujet ? Tu as le choix. Quel est-il ?" Il scrutait maintenant Silmandel avec une grande attention.

Cette fois, Silmandel n’eut pas besoin de réfléchir pour répondre. Il n’eut également pas besoin de mentir.

-Il profite de moi, je veux sa mort ! Et croyez bien que j’en tirerais plus de satisfaction que d’accomplir ma mission. Seulement voilà, vu l’étendu de ses pouvoirs et celle des miens, l’affaire ne va pas être aisée. De plus, quand j’ai pénétré son temple, j’ai ressenti une étrange atmosphère, comme-ci la malchance habitait ce lieu. Jouer de malchance dans le feu de l’action risque fort de compliqué ce qui l’est déjà peut-être trop pour moi seul. Mais je présume que sa disparition vous arrangerais, vous-aussi, n’est-ce pas ? Il a l’air du genre déterminé et après moi, il risque fort d’y en avoir un autre, puis encore un autre. Vous pouvez certainement m’aider d’une façon ou d’une autre. Qu’en dites-vous ?

Une fois encore, l'homme étudia la réponse de Silmandel un long moment avant de réagir. Disait-il la vérité, cette fois ? La torture devait l'avoir suffisamment effrayé... il n'avait pas la possibilité d'user de magie pour connaître ses pensées réelles. Il devait prendre une décision. Ce petit elfe pouvait être un allié précieux, même si le risque était plutôt élevé. Mais... l'inaction était tout aussi dangereux.

"Très bien. Nous allons t'aider, mais la réciproque sera vraie également. Parce que tu as besoin de nous, et vice versa. Tu possèdes des informations sur ce prêtre qui nous seront précieuses, mais tu ne peux pas l'éliminer seul sans notre soutien, sans quoi, tu mourras instantanément à cause de ce sortilège qu'il t'a lancé. Mais pas de précipitation. J'imagine que tu as plutôt envie de te reposer, te sustenter un peu et reprendre tes esprits ?"

Il arborait cette fois un sourire bien plus amical que tous ceux qu'il avait pu produire jusqu'alors.

Un grand soulagement s’empara de Silmandel. Cette fois, il était sur le point de quitter cette effroyable pièce pour de bon. Espérant que son interlocuteur ne lui jouait pas un mauvais tour, il s’empressa de répondre.

-Heu… oui, ce n’est vraiment pas de refus !

Puis, après une brève pause, il ajouta, un peu inquiet :

-Mais faut vraiment agir dans la journée. J’ai déjà été rappelé à l’ordre par le sortilège et croyez-moi, ce n’est pas agréable. Je doute fort pouvoir y résister une seconde fois.

Il répondit doucement :

"Ne t'en fais pas. Ce sortilège est particulier. Il te détruit si tu ne te consacres pas à la réalisation de ta mission... de ta quête, même, puisqu'il porte ce nom, mais si tu en es empêché par un moyen indépendant de ta volonté, tu es épargné."

Après avoir détaché Silmandel de sa table, il lui proposa de le suivre. Ils marchèrent quelques instants le long du couloir par lequel l'elfe était venu, puis ils entrèrent dans une cuisine inoccupée mais garnie de denrées diverses. Plusieurs tabourets et une petite table étaient disponibles.

"Sers-toi. Je ne te propose pas d'alcool ? La dernière fois, cela ne t'a pas réussi. A moins que tes émotions ne demandent un petit remontant..."

-Ho, je ne dirais pas non pour un peu d’alcool ! fit Silmandel en prenant place. Je le tiens mieux que je ne l’ai laissé croire. Faut dire qu’un de mes anciens compagnons de route était un nain. Il m’a donné quelque… mauvaises habitudes en la matière je présume, expliqua-t-il, décidément très prolixe depuis qu’il était libre.

Le fait d’avoir appris que le sort de quête savait prendre en compte les cas de force majeur le soulageait pas mal aussi. Toutefois, plus vite il en serait débarrassé, mieux ce serait. Il prit de quoi manger, s’offrit quelques bouchées, et revint sur le sujet du grand prêtre.

-A votre avis, quelle est la meilleure marche à suivre pour éliminer ce prêtre ? Je peux jouer la comédie et profiter justement de ma position maintenant que je suis à son service, je peux me battre aussi. Mais voilà, s’il reste cloitré dans son satané temple, entouré de ses fidèles, ce n’est pas gagné…

Tandis qu'il sirotait paisiblement un spiritueux, l'homme réfléchissait à la situation. Silmandel était dans le vrai, il ne serait guère facile de se débarrasser de ce prêtre, et c'était très précisément pourquoi ils avaient besoin de lui...

"Il te connaît, il t'attend... tu pourrais jouer le rôle d'appât. Mais c'est risqué, évidemment. Cependant... beaucoup moins que d'essayer de t'approprier l'artefact et de le lui remettre, crois-moi. Voyons voir. Inutile de tenter de te renvoyer chez lui directement, car il s'attend à ce que tu meures dans ta tentative insensée, ou que, par chance inouïe, tu réussises, ce qui ne se réaliserait pas en une journée. Il va falloir ruser. Laissons un peu de temps passer, pendant lequel il ne devrait rien t'arriver, normalement. Ensuite, tu te rendras au temple avec l'artéfact, que tu lui présenteras... et nous agirons alors, aidés par la puissance de cet objet dont il ignore encore beaucoup de choses."

Il parlait plus pour lui-même que pour l'elfe, à vrai dire. Il essayait de clarifier ses pensées, ses projets.

Silmandel, attentif, écoutait l’homme tout en se sustentant. Un détail le fit réagir.

-Comment ? Le grand prêtre lui-même ignore les effets de l’artéfact qu’il m’a demandé de chercher ? Il m’a dit que vous le lui aviez volé et que c’était un élément d’un autre objet. Je supposais donc qu’il s’agissait d’une sorte de relique appartenant au temple depuis des années, donc que le prêtre connaissait tout d’elle. Enfin, je me rends compte maintenant que je m’avançais beaucoup.

Il observa un bref et pensif silence avant de reprendre.

-Mais en fait, c’est quoi cet artéfact ? A quoi sert-il ?

Comprendre la situation dans laquelle il avait été plongée malgré lui, ce ne serait pas du luxe.

Pour la première fois, l'homme parut hésitant lorsqu'il répondit à Silmandel.

"Une partie du problème vient de là. Nous savons que l'objet est puissant, et nous pouvons en utiliser une partie pour ce que nous aimerions réaliser, mais seuls les magiciens les plus puissants de Féérune pourraient en mesurer la portée réelle. Je doute que le grand prêtre en sache beaucoup plus que nous, mais... peut-être d'autres choses. Qui lui permettraient d'asseoir sa position au sein du clergé, et pourquoi pas être repéré par sa déesse... Mais ce ne sont là que des suppositions de notre part. En tous les cas, nous ne lui avons guère volé ; c'est lui qui désire nous le dérober après que nous l'ayons découvert voici quelques mois. Nous préférons... éviter qu'une catastrophe se produise plutôt que d'en contrer les effets. Tu es de notre avis, j'imagine ?"

Il termina sa tirade sur un nouveau sourire mielleux. Même en le sachant "allié", il gardait son aspect inquiétant, ses manières mystérieuses, et ses motivations secrètes...

-Ha, le sacré coquin ! Il m’a roulé dans la farine sans le faire à moitié ! fit Silmandel sans toutefois sembler trop contrarié.

Après tout, son présent interlocuteur pouvait tout autant lui mentir. Au fond, peu lui importait du moment qu’il se débarrassait du sort de quête. Après, empêcher les catastrophes, ce n’était clairement pas son cheval de batail. Il allait juste éviter de le dire trop fort. Le monde, il s’en fichait, mais alors complètement.

-Vous avez raison, on peut pas laisser ce prêtre mettre la main sur cet artéfact. Rien que ses méthodes en disent long sur lui, ajouta l’ensorceleur.

"À sa décharge, il sert une déesse maléfique. Même si c'est de son plein gré, elle doit l'influencer pour le pousser à agir de la sorte..."

Il répondait mécaniquement, sans vraiment y réfléchir. Se ressaisissant, il acheva son verre puis déclara :

"Bien. Il vaut mieux que tu te reposes. La nuit n'est pas encore terminée, et tu risques d'avoir besoin de tes forces lorsque tu iras au temple. À propos, tu disposes de sortilèges... puis-je te demander lesquels ? Ils pourraient t'aider, le moment venu..."

-Heu… et bien, j’ai de quoi me battre à coups de Rayons Ardents ou de Projectiles Magiques. Je peux détecter la magie, mais bon, pas très utile. Ha, de l’hypnose, ça peut servir mais pas directement contre le prêtre. J’suis sûr qu’il est de taille à résister. Quoi d’autre ?

C’était amusant. Son répertoire magique, il le connaissait évidement sur le bout des doigts mais quand on lui demandait d’en faire la description, il en oubliait toujours des morceaux. C’était sans doute parce que la magie, c’était plus drôle à utiliser qu’à en parler ou à lire.

-Plains de petits trucs pour amuser la galerie… ho, Message ! Ce sortilège est bien pratique pour se coordonner. C’est à peu près tout.

Silmandel se leva et ajouta sur le ton de la plaisanterie.

-Mort de Masse aussi, mais ça sert vraiment à rien.

Il gardait pour lui Déguisement, petite précaution au cas où.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Un tripot mal famé