La Couronne de Cuivre

Mais les deux hommes avaient interrompu leur périple, et ils s’approchèrent du barde, tranquilles. Ils étaient grands, l’un et l’autre, et si bien emmitouflés dans leur pelisse qu’on ne voyait que leurs yeux. Il était difficile de dire s’ils étaient marchands ou fermiers, ils portaient des vêtements de voyage, anonymes, mais en tout cas, ils ne transportaient rien.
« Vous êtes perdu ? » demanda le premier, affable.
« Le temps pourrait se gâter. » dit le second, jetant un œil vers le ciel.

L'elfe leva à son tour les cieux, puis sourit.
-Oui, c'est même probable... dit-il d'un ton léger. Mais nous sommes proches de la ville, il faudrait peu de temps pour se mettre à l'abri...
Il reporta son attention sur les deux voyageurs.
-De toute façon, je ne suis pas perdu, non, mais je vous remercie pour votre sollicitude. J'attends juste mes compagnons de route qui aiment visiblement à musarder sous la neige. Je m'en irai sous peu les quérir : sinon, ce ser à moi de soigner leur fièvre et leurs engelures. Avec le risque que le remède soit pire que le mal : je ne suis ni clerc, ni médecin.

Chapitre 2. Descente

Les deux hommes s’entreregardèrent.
« Il attend ses compagnons. » dit le premier au second.
« J’ai entendu, il les attend, oui. »
« Je crois qu’ils ne vont pas venir. »
« Je ne crois pas non plus. »
« Oui, ils sont retenus quelque part. »
« Bien retenus, oui. »
Le premier plongea son regard noir dans les yeux clairs de Taliesin et ce dernier eut l’impression de deviner son sourire.
« Tu vas venir avec nous, et tu vas pas faire d’histoires. Au moindre geste déplacé, le gosse morfle. Et ne pense pas que nous ne sommes que deux, ce serait un très mauvais calcul. Mets tes mains devant toi, maintenant. »
Le second s’était rapproché, farfouillant dans sa poche en sifflotant.

Taliesin, pétrifiée, resta un moment à observer les deux hommes, sans comprendre, la bouche encore ouverte sur des considération sur la pluie et le beau temps qui ne franchiraient jamais ses lèvres.
Le monde n'était pas que terreur, sang et larmes...
Je crois qu’ils ne vont pas venir.
Si près de Luménis, il n'y avait pas de grands dangers, la zone était sûre...
Au moindre geste déplacé, le gosse morfle.
Comme étaient censées être sûres les ruelles dans lesquelles Albérich et Euryale avaient été attaqués...
Un instant plus tôt, ils marchaient tous les trois sur le chemin, tranquilles, sans autre souci en tête que la bouderie de Victor...
Et à présent...
Tu vas venir avec nous
Peu à peu, les mots forçaient leur chemin dans son esprit gourd. Ils forçaient leur chemin et avec eux la compréhension, l'horreur sordide.
Le séjour chez les Merlus... Son retour victorieux... Tout ça n'avait été qu'un bref rayon de soleil, une accalmie avant la tempête... Un rêve qui cédait brutalement place à la réalité. Si brutalement qu'il s'en sentait comme assommé.
Il tenta de se ressaisir, tenta de se dire qu'il s'agissait là simplement de bandits de grand-chemin qui voulaient juste les dépouiller de leurs possessions avant de les laisser filer... Oui, ce devait être ça...
Et puis, il n'avait mentionné que Victor. Le gosse allait morfler, avait-il dit. Pas la fille. Peut-être que Galathée ne s'était pas fait prendre.
Ou qu'elle était déjà morte.
Il serra les dents. Les autres attendaient qu'il obéisse. Ils ne paraissaient pas patients. Alors, tentant de maîtriser les battements désordonnés de son cœur, de reprendre la main sur la fuite éperdue de ses pensées, il fit ce qu'on lui demandait. Résister était impossible : il n'avait pas d'armes, et ils tenaient Victor. Il fallait ployer l'échine, obéir. Et espérer que cela se passe.
Espérer ? souffla une petite voix, narquoise.

Le premier homme passa derrière Taliesin et lui retira son capuchon tandis que son compère liait les poignets du barde, bien serrés, avec une corde fine.
« Ouvre la bouche. » fit le premier.
L’elfe vit le bâillon passer devant ses yeux avant d’en goûter la toile âcre, qu’on lui noua sur la nuque. L’étranger lui remit son capuchon.
« Je ne voudrais pas que tu me chantes une chanson, je te connais. » ajouta-t-il en gloussant.
« Dépêchons-nous, ce serait dommage de faire attendre la petite famille. » dit l’autre en imprimant une légère traction, presque amicale, sur la corde qui restreignait le barde.
Son comparse resta derrière Taliesin.
« Avance, je ne voudrais pas devoir t’asticoter. »
« Note, c’est joli le sang sur la neige. » fit l’autre en s’engageant dans le chemin, badin.
« Espèce de romantique, va. »
Et ils repartirent tous les trois vers la campagne. Ils ne demeurèrent cependant pas longtemps sur le chemin principal et s’engagèrent dans une sente à peine visible, qui pénétrait plus profond dans le bois.

Je te connais La phrase tournait en boucle dans l'esprit embrumé du barde. Plus que tout le reste, plus que l'humiliation de la capture, de la reddition sans résistance, des liens et du bâillon, c'était elle qui l'anéantissait.
Je te connais
Les pensées les plus folles, les plus sinistres l'animaient, bourdonnantes, incisives, et l'idée presque réconfortante de simples bandits de grand-chemin ne faisait guère le poids, face à elles. Qui pouvaient bien être ces hommes dont l'un prétendait le connaître ?
Il songeait aux Sharites. Bien sûr, la majorité d'entre eux avaient succombé. Mais pas tous : il se souvenait de l'homme qu'ils avaient croisé tandis qu'ils traversaient le vallon pour gagner la tour, celui qu'ils avaient finalement décidé de laisser courir et dont ils n'avaient plus eu la moindre nouvelle, y compris dans les rapports d'Arya ou des officiers luméniens. Se pouvait-il qu'il les ait suivis jusqu'à Luménis ? Qu'il ait décidé de se venger sur ceux qui avaient libéré Albérich ?
L'idée paraissait absurde... Mais la réalité n'était-elle pas horriblement absurde, en l'instant ? Il avait suffit d'une seconde pour que le monde bascule, passe de la lumière aux ténèbres, d'une halte sur la route, d'une rencontre...
Et il avait l'impression tenace que le pire était à venir.
Il s'efforça pourtant de ne pas y penser. S'il y pensait, s'il ne faisait même qu'entrapercevoir les possibles conséquences de leur rapt, il s'effondrerait. Et il ne voulait pas offrir ce visage à ses ravisseurs, qui qu'ils soient.
Alors, il tiendrait bon tant qu'il pourrait... Il marchait d'un bon pas, la tête haute, droit dans ses bottes. C'était peut-être idiot : s'il se montrait par trop arrogant, on le briserait bien vite... Mais c'était, pour l'heure, sa manière à lui de résister. Une simple attitude pour compenser la lâcheté de sa reddition... Mais il n'avait pas eu le choix. Il n'avait pu courir le risque qu'on fasse du mal à Galathée, à Victor...
Si tant est que cela tienne à lui...
Il en doutait.

Ses ravisseurs le guidèrent dans les sous-bois sans se départir de leur apparente désinvolture, celui qui le suivait était silencieux, celui qui tenait la corde fredonnait à mi-voix. Ils ne cheminèrent que quelques minutes avant d’arriver à une vaste clairière dissimulée par un talus de sapins serrés. Deux chariots y étaient stationnés, formant un rempart derrière un petit feu crépitant sous la neige. Une dizaine d’hommes se disposaient aux alentours, armés pour la plupart, et Taliesin aperçut immédiatement Galathée et Victor. La jeune femme était debout contre le chariot de droite, bâillonnée et les bras liés dans le dos. Elle semblait indemne, et son regard brillait d’un mélange dangereux d’angoisse et de fureur. Deux hommes l’encadraient, placides, sans réelle vigilance. Sans doute était-elle attachée au chariot. Victor était de l’autre côté du feu, debout contre l’autre chariot. On lui avait bandé les yeux en plus du reste, et il tremblait comme une feuille. Son pantalon portait la marque ignominieuse de son angoisse.
Un homme se détacha du groupe et vint à leur rencontre. Large d’épaules et soigné de sa personne, il portait un manteau raffiné, sombre, décoré de motifs abstraits rouges et bleus, qui lui descendait jusqu’aux genoux. Encore jeune, la barde brune taillée, il parut vaguement familier à Taliesin, sans vraiment l’être. Ses yeux sombres transpiraient de malice haineuse.
« Vous avez été vite. » fit-il sur le ton de la conversation.
« Il est très obéissant, messire. » répondit sarcastiquement celui qui le guidait.
L’étranger sourit, puis fit volte-face et regagna les abords du feu, tandis que Taliesin et ses ravisseurs le suivaient. Le sol était boueux, signe qu’ils attendaient là depuis longtemps. Ils s’immobilisèrent au centre de la clairière, l’éclat des flammes empêchait Galathée et Taliesin de vraiment se regarder, mais l’elfe avait perçu la détresse qui habitait sa compagne.

Ils étaient vivants.
Réconfort de pacotille, au regard de la situation. Mais réconfort tout de même, et le barde était bien décidé à s'y raccrocher. Comme il était décidé à se raccrocher à cette idée folle qu'il ne s'agissait là que de bandits de grand chemin. Bien sûr, les traits vaguement familiers de celui qui était sans doute le chef du groupe le troublaient, comme le troublait l'assertion de l'un des ravisseurs selon laquelle il le connaissait. Mais dans le premiers cas, il pouvait s'agir d'une fausse impression. Et d'un quiproquo pour le second.
Illusions que tout cela, peut-être. Mais il est des illusions nécessaires sans lesquelles on s'effondre...
Taliesin brûlait de dissiper le malentendu, de donner aux "bandits" ce qu'ils voulaient pour que lui et les siens puissent repartir, regagner Luménis, oublier l'incident. On ne l'avait pas libéré de son bâillon, cependant, et il était soumis au bon vouloir de ses geôliers... Déjà, un horrible sentiment d'impuissance s'imposait à lui, l'écrasant, sapant ses forces. Il ne pouvait pas même adresser un signe à la rôdeuse...Mais il tenta d'ignorer le sentiment, tenta de se convaincre que tout allait bien se passer, que, d'ici peu, ils seraient libres...
Espérer, toujours. Difficile mais nécessaire.
Vital.

Celui qui semblait être le chef du petit groupe se tourna à nouveau vers l’elfe.
« Bon, viens jeter un œil à celui-ci, petit. » fit-il, à l’intention d’un de ses hommes.
Ce dernier s’avança, circonspect, les traits masqués par les bords de son capuchon.
« Est-ce lui ? »
Le nouveau venu resta silencieux.
« Je… Je ne sais pas, je n’en suis pas sûr… » balbutia-t-il finalement d’une voix tremblante, terriblement familière.
« Je vais te rafraîchir la mémoire. » rétorqua le chef.
Il se porta à la hauteur de Taliesin, prit la corde des mains de son acolyte, et donna un coup de pied puissant dans le creux des genoux du barde, le faisant tomber sur les rotules. Il lui arracha ensuite son capuchon, le saisit par les cheveux et d’un geste brutal, lui écrasa la visage dans la boue. Il l’y maintint quelques secondes, puis le redressa, dégoulinant de terre humide.
« Et comme ça, c’est plus clair ? »
L’homme de main demeura silencieux, mais sa respiration s’était accélérée et son corps tendu. Le chef se releva, abandonnant Taliesin à genoux sur le sol.
« On tient le bon, les gars. On les embarque. »
Il se porta à la hauteur de son associé, qui n'avait toujours pas bougé, et lui tapa sur l’épaule.
« Merci du coup de main, Lars. Tu as fait ce qu’il fallait. »

A travers la boue qui lui dégoulinait le long du visage et lui obscurcissait la vue, Taliesin chercha à croiser le regard de l'homme qui l'avait reconnu.
Lars... Alors qu'il était dominé par une haine viscérale, arpentant les rues de Luménis pour y semer la mort, il avait libéré une poignée d'esclaves. Pas tant par altruisme que pour s'en attacher la reconnaissance et, de fait, les services. Le plus fidèle d'entre eux avait justement été Lars, lequel l'avait secondé dans toutes leurs expéditions punitives, jusqu'à la dernière, cette horrible nuit, dans la maison du juge Kanter. Après ce carnage sans nom, tous, même le Monstre qu'il était alors, avaient compris qu'ils venaient de franchir une frontière sans retour. Il avait laissé les membres de sa troupe se disperser mais, même à ce moment, Lars était demeuré à ses côtés, loyal autant que terrorisé, peut-être. La dernière fois qu'il l'avait vu, c'était en quittant son antre pour répondre à la provocation de ceux qui avaient osé jouer de sa harpe. Alors qu'il se jetait dans ce qu'il savait fort bien être un piège, il avait demandé à l'homme de demeurer en arrière, certain qu'il reviendrait...
Il l'avait oublié, depuis. N'avait plus songé à ce témoin de sa déchéance.
Et il revenait à présent, à l'improviste. Lui et...
L'elfe porta son regard sur l'individu richement vêtu qui se comportait en chef. Alors, la familiarité de ses traits prit une signification qui lui donna le tournis.
Se pouvait-il qu'il soit...
Il revoyait d'autres visages, convulsés de douleur, de terreur, la bouche ouverte sur des hurlements d'agonie...
Si c'était le cas, il était perdu. Ils étaient perdus, tous les trois. De cette capture ne pouvait que découler la mort. Une mort lente, douloureuse, atroce.... Pour lui, pour Galathée, pour Victor.
Taliesin sentit qu'il était sur le point de basculer, de s'effondrer. Les idées, les images se bousculaient sous son crâne, le sang battait à ses tempes, un goût de bile lui envahissait la gorge...
Mais il se cabra intérieurement. Il ne pouvait pas céder à la panique. Pas maintenant. Il fallait croire, espérer, envers et contre tout. Ne pas imaginer le pire. Jamais.
Ils étaient vivants. Tous les trois. Tant que ce serait le cas, rien ne serait perdu. Peut-être se trompait-il. Peut-être serait-il possible de négocier leur salut...
Négocier avec un Kanter ? Après ce que tu as fait subir aux siens ?

Le groupe de maraudeurs se mit rapidement en branle. Taliesin fut repris en main par deux hommes à la mine fermée. Ils le remirent debout, lui bandèrent les yeux, lui lièrent les chevilles puis lui libérèrent les poignets pour mieux les lui attacher dans le dos. Il se sentit ensuite soulevé de terre et jeté en travers d’une épaule, puis transporté comme un sac de pommes de terre dans la direction approximative du chariot de droite. Autour de lui, il entendait le bruissement du camp qui se démontait, le hennissement étouffé d’un cheval, du mouvement dans toutes les directions, bruits de pas, éclats de voix, mais personne ne conversait, chacun semblait savoir ce qu’il avait à faire, et tenait à le faire vite. L’elfe fut jeté dans un chariot, atterrissant sans douceur sur un plancher de bois découvert, qui lui meurtrit l’épaule encore sensible.
« Doucement, Stan, tu vas le casser. » fit une voix.
« Rien qu’un peu, l’sire dira rien. » répondit l’autre, indifférent.
Le barde entendit qu’on relevait la paroi arrière du chariot et qu’on la fermait. Un filet de jour passait par-dessus, glacial et gris, à peine discernable au travers de l’étoffe qui lui masquait les yeux. Quelques secondes plus tard, dans un grincement, il sentit que les roues du véhicule s’arrachaient à la boue tandis qu’un fouet claquait au dehors, qu’un cocher encourageait des chevaux qui devaient, sans nul doute, s’arc-bouter pour soulever le chariot hors de la glaise. Les ténèbres s’ébranlèrent autour de lui. Il était seul, désormais, aucune respiration ne troublait l’air, sinon la sienne. Dehors, le fracas de la chevauchée, dix cavaliers dans un sous-bois, résonnait. Pour combien de temps…

Dans les ténèbres, alors que son bâillon l'étouffait à demi, que son corps commençait déjà à protester contre les liens qui l'entravaient, si serrés qu'ils lui interdisaient le moindre mouvement, Taliesin essayait de se concentrer sur les bruits du dehors, tentant d'y déceler un indice sur leur itinéraire, sur leur destination. Futile, évidemment. Mais tout valait mieux que penser.
Car s'il pensait... Il revenait à cette nuit maudite, à la chambre sanglante, à ce crime qui avait tout déclenché. il songeait aussi à Alberich Megrall, ligoté au sommet de la tour, tandis qu'on massacrait devant lui sa compagne, ses amis... Allait-on lui faire subir le même sort ? Celui, semblable, du juge Kanter ?
Il se refusait à envisager la chose. Après tout, un dieu l'avait absout.
Un dieu, oui. Pas les hommes...
Se concentrer sur les bruits du dehors, sur le grincement des roues du chariot, le hennissement sporadique d'un cheval, sur un son de voix...
Les choses ne pouvaient pas tourner ainsi. C'était impossible. Peut-être que le "sire" n'en avait qu'après lui. Peut-être avait-on mené Galathée et Victor ailleurs, pour les libérer. Après tout, il était le seul responsable. Si le commanditaire de cette sinistre affaire était bien un Kanter, il se pouvait qu'il ne soit pas aussi mauvais, aussi fou que lui-même l'avait été. Alors, si c'était le cas, il lui ferait souffrir mille morts, mais épargnerait les siens. Il était prêt à l'accepter. il était prêt à tout accepter pour leur salut.

Ils s’arrêtèrent beaucoup plus tard, alors que le crépuscule, puis la nuit, avaient avalé ce funeste jour d’hiver. Taliesin entendit le son du gravier crisser sous les roues de son chariot et les sabots des chevaux, puis la troupe s’immobilisa. Le rabat du chariot s’ouvrit, quelqu’un y grimpa, l’attrapa par les jambes et le tira jusqu’à la sortie avant de le relancer sur son épaule. Il faisait glacial au dehors et sombre, l’individu qui le transportait marchait à grandes enjambées, manifestement peu dérangé par son poids plume.
Une porte s’ouvrit, une autre, des escaliers qui descendaient vers les entrailles de la terre, le silence étouffé, la surface qui s’éloigne, toujours la nuit et les liens. Une odeur de moisi régnait dans le sous-sol, et l’air était froid et humide. Une porte de plus, les pas de son porteur résonnaient sur le sol de pierre, puis un grincement, on le déposa assis par terre, contre un mur glacé. Son geôlier le pencha en avant de force, lui saisit les poignets et trancha ses liens, avant de lui river les mains en hauteur, à des chaînes courtes fixées au mur. Puis il l’abandonna là, toujours muet et aveugle, sans lui avoir adressé la parole une seule fois. Il aurait aussi bien pu être un automate dépourvu de toute vie.

Personne ne vint pendant des heures. Personne.

Tandis que les heures s'égrenaient, interminables, et qu'il demeurait enchaîné contre le mur de pierres suintantes, Taliesin finit par sombrer dans une vague somnolence peuplée de songes contradictoires. Certains étaient sombres, lugubres, des souvenirs d'un autrefois qu'il aurait préféré à jamais disparu. D'autres étaient au contraire lumineux : une clairière ensoleillée, près d'un petit lac, parmi les grands arbres de la Lorien. Un champ immaculé, des batailles de boules de neige, des promenades sous les branches dénudées d'un bois endormi pour l'hiver...
Galathée et Victor lui semblaient alors si proches qu'il se raccrochait avec force à ces rêves. Après tout, ils ne paraissaient pas plus illusoires que la réalité. Le matin même, il se trouvait encore dans un bon lit, à côté de celle qu'il aimait. Les choses avaient viré au cauchemar si brutalement qu'elles étaient empreintes d'un caractère onirique, irréel.
Un cauchemar, ce n'était rien que cela. Un cauchemar. Bientôt, il allait s'éveiller.
Il savait que c'était faux, bien sûr. Les protestation de ses bras, de son épaule, de tout son corps le lui rappelaient assez. De même que les ténèbres glacées, autour de lui. Mais mieux valait chercher le réconfort là où il le pouvait. Pour conserver des forces. Pour conserver l'espoir, flamme si tenue, déjà si vacillante, qu'il fallait l'entretenir sans cesse, par crainte de la voir soufflée...

La porte finit par s’ouvrir, arrachant l’elfe à sa torpeur. La lueur d’une bougie tempéra les ténèbres et il entendit le raclement d’une chaise que l’on tire et rapproche. La lumière s’immobilisa, le nouveau venu était tout près, il percevait sa respiration. Sa main saisit son bandeau et l’arracha, lui libérant les yeux. La flamme l’éblouit un instant tandis que l’autre se rasseyait, en face de lui, sur un tabouret. Il finit par pouvoir le distinguer, c’était le « sire » qui avait mené les hommes au creux du bois, celui qui était vraisemblablement responsable de tout ce qui s’était produit depuis.
« Bien dormi ? » interrogea celui-ci d’un ton badin.
Il sourit à Taliesin.
« Je ne me suis pas présenté. Mon nom est Gabriel Kanter. Je suis le neveu du juge du même nom, celui que vous avez massacré sans sourciller, il y a de cela quelques temps. J’imagine que vous n’espériez pas vraiment retourner à une petite vie tranquille après avoir dépecé la moitié de ma famille, dont ma jolie cousine Elvire et ce gredin de Nathan. Si vous l’avez espéré, c’est que vous êtes stupide, or on prétend toujours que les elfes ne le sont pas. »
Il tendit la main et prit Taliesin par le menton, le forçant à le regarder droit dans les yeux.
« Certains pensent que j’aurais dû passer par la justice luménienne. Mais je n’ai pas confiance en ces Lathandrites pétris de bonnes intentions. D’autant qu’on murmure que vous êtes dans les petits papiers de plus d’un conseiller… Même s’ils vous avaient condamné, ils n’auraient pas pris la mesure de ce que vous méritez réellement. Moi, je le ferai. Je ne vous épargnerai rien. »
Il le lâcha et se redressa.
« Mais je ne suis pas un barbare de votre espèce. Je ne vais pas violer votre femme sous vos yeux en la découpant en rondelles. Ce serait tellement vulgaire. Puis vous l’avez déjà tellement bien fait, ça n’aurait aucun sens. »
Il sourit à nouveau, et la malice malveillante qui brûlait dans ses prunelles n’en était que plus effrayante.
« Vous avez beaucoup d’imagination. Nous en avons contemplé l’œuvre. Alors faites fonctionner votre imagination. Vous ne saurez pas ce que j’inflige à ceux que vous aimez. Vous en verrez parfois le résultat. Je ne vous en dirai pas grand chose, juste assez pour que vos fantasmes fassent le reste. Imaginez. C’est votre métier, après tout. Chaque minute qu’ils passent entre mes mains, entre celles, un peu frustes, je le reconnais, de mes gens. »
Il se leva.
« Nous partons incessamment pour un joli voyage. Je vais envoyer des hommes vous préparer. Le gosse nous accompagnera un temps. Quant à la fille, vous pouvez déjà la remiser quelque part dans un recoin de votre mémoire. Je crains qu’elle ne fasse pas partie du futur. »
Puis, sur une courbette moqueuse, il le salua, et sortit.

Mensonges.
Ce fut la première réaction du barde, viscérale, qui tendit tout son être et le fit se cambrer malgré ses chaînes.
Mensonges.
Bien sûr, il n'y avait plus, désormais, le moindre doute quant à l'identité de leur ravisseur. Plus moyen de se bercer de belles illusions, de songer à un malentendu. Il s'agissait bel et bien d'un Kanter, et ses motivations étaient plus qu'évidentes.
Mais s'était contenté de menaces, d'allusions. Il n'avait rien montré. Et tant que Taliesin n'avait rien vu, il ne croirait pas à l'irréparable. Nul être ne pouvait être assez mauvais pour perpétrer semblables atrocités de sang froid. Pas même pour se venger.
Ah bon ? Et toi-même, qu'as-tu fait ?
Non. Lui n'avait pas agi de sang froid. Il était fou, alors, complètement obnubilé par la haine, la souffrance. Il était un monstre qui n'avait plus rien de son ancienne personnalité. Un boucher, un tortionnaire. Aujourd'hui, il lui suffisait d'y repenser pour en être glacé jusqu'à la moelle. Et que son geôlier ait nommé certaines de ses victimes n'arrangeait rien, rendant encore plus affreuses les visions qui s'imposaient à lui.
Mais il était fou.
Peut-être. Mais alors, parlons des Sharites...
Il n'avait rien à opposer à cet argument. Il avait vu les conséquences de leur cruauté, vu comme ils avaient brisé Albérich...
Qu'importe Albérich ! Ce n'était pas la même situation. Les sombres clercs ne s'étaient probablement pas épanchés en menaces, en paroles sans fondements ! Ils avaient agi, montré. Sans fard. Gabriel Kanter s'était au contraire gargarisé de mots. De mensonges. Il n'avait rien laissé voir. Peut-être rien fait.
Taliesin avait beau s'en convaincre avec la dernière des énergies, cela n'empêchait pas son imagination de divaguer.
Je crains qu’elle ne fasse pas partie du futur.
Mensonges !

Le neveu Kanter n’avait pas menti : quatre hommes survinrent peu après, chargés d’une grande caisse en bois, qu’ils déposèrent sur le sol de la petite pièce sombre. Tandis que l’un en soulevait le couvercle à l’aide d’un pied de biche, les trois autres s’approchèrent du barde. Le premier se pencha pour contrôler les liens de ses chevilles, passa un doigt entre la corde et les chausses du barde pour vérifier qu’ils étaient correctement serrés, puis lui passa de nouvelles cordes de part et d’autre des genoux pour l’attacher plus solidement. Ensuite, ils lui détachèrent les poignets pour le relever et lui retirèrent son manteau, avant de le ligoter solidement, bras et poignets dans le dos. On humidifia son bâillon d’une tasse d’eau glacée pour lui permettre de boire, puis il fut soulevé et amené jusqu’à la caisse. Celle-ci était tapissée de paille fraîche et percée de trous ronds, de la taille d’une noisette, sur son pourtour supérieur. Le plus costaud des quatre hommes fit mine de saisir Taliesin pour le mettre dans la caisse, lorsque l’un d’entre eux, un homme d'âge moyen maigre comme un serpent aux yeux de fouine, l’arrêta d’un geste.
« Si tu dois pisser, c’est l’moment. J’peux te la tenir. » dit-il à l’elfe, sans l’ombre d’une hésitation.

Le barde ne répondit rien et demeura parfaitement immobile.
En réalité, il avait à peine entendu l'homme. Qu'ils s'en prennent à lui, qu'ils l'humilient, peu lui importait. Ce serait son lot quotidien, il ne se faisait aucune illusion là-dessus. Mais il avait perdu sa dignité en devenant le Monstre, n'avait depuis jamais attaché beaucoup d'importance à sa propre personne. Tout ce qui comptait, c'était que Galathée et Victor s'en sortent. Il supporterait toutes les souffrances s'il pouvait garder cet espoir.
Mais, au-delà de tout, il était terrifié par ce qu'impliquait la caisse. On allait le transporter comme une marchandise... Sur les routes. Au regard de tous. Peut-être même pourrait-il voir les badauds via les trous ménagés pour sa respiration. Et de savoir cela, de savoir que des gens passeraient près de lui, près d'eux, inconscients du drame qui se jouait sous leurs yeux... Savoir qu'il ne pourrait pas les prévenir, pas attirer leur attention, qu'il les verrait s'éloigner, disparaître, sans avoir rien pu faire... Cela menaçait de le rendre fou.
Il faudrait qu'il s'endorme. Qu'il sombre dans l'inconscience. Ou qu'il s'assomme. Oui, qu'il s'assomme en martelant de coups de tête les parois de la caisse. Peut-être que le bruit intriguerait quelqu'un... Il en doutait. Mais, au moins, il ne subirait pas tout le voyage.

« Tant pis pour toi. » lâcha finalement l’homme de main en haussant les épaules, avant de faire signe à ses compagnons.
L’un d’entre eux souleva Taliesin sur son épaule, comme la veille au soir, puis le plaça dans la caisse. Elle était vaste mais nécessitait néanmoins que le barde y fut assis. S’il avait espéré pouvoir attirer l’attention de la populace en en cognant les parois, il dut cependant déchanter : ses ravisseurs y avaient pensé. Mais ils étaient aussi magnanimes, en cela. L’homme aux yeux de fouine extirpa un morceau de tissu de sa poche et l’imbiba d’un liquide clair qu’il gardait dans une fiole. Il se pencha ensuite sur le prisonnier et le lui maintint sur le visage pendant quelques secondes. Les vapeurs âcres de la substance envahirent les poumons de l’elfe avant de se frayer un chemin jusqu’à son esprit inquiet. La pression se relâcha mais son organisme était empoisonné : il distingua tout juste le couvercle que l’on replaçait avant de sombrer dans le néant.
Son périple pouvait commencer.

Quête : Les squelettes du placard. Chapitre 6 : Pistes.

Alors qu'ils quittaient la campagne anonyme, que se devinaient, de plus en plus proches, les contours de la ferme qui avait appartenu jadis au grand-père de Victor, Taliesin sentit son cœur se serrer. Il était heureux à l'idée de revoir les Merlus, cette famille chaleureuse dont le destin les avait rapprochés, qui constituait désormais leur plus proche entourage. Mais il craignait les émotions que susciteraient chez lui ces retrouvailles : il ne pourrait pas profiter autant qu'il l'aurait voulu de leur compagnie. Il y aurait évidemment cette absence douloureuse, cruelle, celle de Galathée. Mais aussi cette impression d'être un imposteur, d'avoir acquis une amitié sur de fausses bases, en dissimulant un secret qui pourrait tout remettre en cause. Il se demandait s'il ne craquerait pas, s'il ne leur révélerait pas tout pour, enfin, être honnête, libéré. Pour qu'ils puissent juger en toute connaissance de cause, prendre leur décision en connaissant les tenants et les aboutissants. Il était probable qu'ils le rejetteraient... Qu'importait, au fond ? Ils accèpteraient tout de même de voler au secours de la rôdeuse pour l'aider, elle, pour aider Victor. Et lui... Il n'aurait plus à porter ce poids. L'opprobre, il faudrait bien qu'il l'affronte, tôt ou tard...
Et Victor, au moins, serait entouré. Au milieu de gens honnêtes, droits, généreux, qui feraient tout pour qu'il soit heureux...

Mathieu ralentit un peu avant d'aborder le dernier tournant.
" Deux rôdeurs de pacotille à l'est." dit-il à Victor.
Comme il prononçait ces mots, il y eut un grand craquement dans les branchages, et Jehan surgit, manquant s'étaler sous les roues du chariot. Tempérance s'immobilisa en renâclant, comme si elle le grondait à son équine manière.
" Victor !" s'exclama le gosse en se redressant.
Il avait les vêtements couverts de boue, suite à sa chute. Dans son ombre se dessina le petit Mathieu, deuxième du nom.
" Victor ! Victor !"
Le petit garçon leva les yeux sur le rôdeur, croisa une seconde le regard de Taliesin, puis sauta à bas du chariot et en quelques secondes, les enfants s'étaient égayés dans les broussailles. Mathieu ne put s'empêcher de rire.
" Détendez-vous. Il n'y a personne dans les bois alentours." dit-il au barde comme ils arrivaient dans la cour de la ferme.

L'elfe sourit.
-Oh, je te fais confiance... Et ce n'est pas tant pour Victor que je m'inquiète, mais bien pour vous...
Il soupira.
-C'est pour cela que je ne suis pas venu vous voir d'emblée, que j'ai demandé à Emeraude de servir d'émissaire. Je refusais de vous faire courir le moindre risque, de vous mettre en danger par notre présence. Mais si vous pensez que vous êtes en sûreté malgré tout... Je crois que je vais arriver à me tranquilliser l'esprit.

" Nous ne sommes pas si dépourvus de ressources... Votre disparition nous a encouragés à la vigilance." dit Mathieu en tirant les rênes.
La porte de la ferme s'ouvrait déjà sur Guillhem, Emeraude dans son ombre.
" Valaellyn a placé des glyphes aux endroits de passage, les yeux de la forêt me renseignent jour et nuit sur les mouvements suspects aux alentours. Si quelqu'un de mal intentionné devait s'approcher de la ferme, nous le saurions à temps pour nous en prémunir."
Il descendit du chariot, tandis que le fermier s'approchait.
" Vous êtes saufs." dit-il avec un large sourire.
" Tu en as douté." répartit son frère avec surprise.
" C'est dans sa nature." fit Valaellyn qui venait de surgir derrière eux.
Elle cueillit le barde à sa descente du véhicule et le serra sur son coeur.

Taliesin, déboussolé par ses effusions, comme il l'avait été par celles de Mathieu, ne les lui rendit pas moins. Les propos du rôdeur l'avaient grandement rassuré, mais, déjà, le malaise lié à ce qu'il considérait comme une imposture revenait le tarauder. Il le repoussa cependant. Il avait bien le droit de profiter, un moment, de cette chaleur... Il en avait terriblement besoin.
-Heureux de vous revoir... murmura-t-il d'une voix mal assurée.
Il songea au périple que Victor et lui venaient d'effectuer. Aux épreuves qu'ils avaient traversées...
-Je n'aurais jamais cru que nous arriverions ici vivants... lâcha-t-il, sincère, se débattant avec l'émotion brute qui menaçait de le submerger.
C'était la pure vérité.
Et pourtant... ils y étaient arrivés.

" Tu n'as pas bonne mine." lui murmura Valaellyn. " Nous allons nous occuper de vous deux. Entre vite."
Emeraude lui décocha un calme sourire tandis que la prêtresse elfe l'entraînait dans la ferme. Guillhem, moins démonstratif que les autres, le gratifia d'une tape amicale sur l'épaule comme il passait devant lui. Quelques secondes plus tard, le barde était dans la chaleureuse salle à manger des Merlus. Une belle flambée brûlait dans l'âtre et la table était mise pour le repas de midi. Aucune trace des multiples rejetons de la famille, mais du bruit provenait de la cuisine, et Mathilde en surgit, s'essuyant les mains dans son tablier. La jeune femme parut surprise, rougi d'embarras, comme si elle ignorait comment lui manifester sa joie de le revoir. Elle se contenta de sourire et leur fit signe de s'installer.

Le barde, un peu perdu face au changement d'atmosphère, face à la redécouverte de ce décor familier, rendit un sourire un peu trouble à Mathilde puis se laissa tomber sur la chaise qu'on lui désignait. Il essaya de se rappeler le jour de sa précédente arrivée, comme il rentrait tout juste de l'expédition de secours organisée pour retrouver le conseiller Megrall. Il se souvenait de sa découverte de la maison vide de Luménis, de la lettre de Galathée, des cadeaux de Belenn... De sa courte nuit... Il se souvenait aussi de sa seconde journée ici, des suivantes, de leur départ. Entre les deux rien, le néant.
Il songea brièvement au Val des Mille Campanules. En éprouva une bouffée d'amertume. Ce premier jour avait dû être merveilleux... L'un de ses meilleurs souvenirs. Celui qu'il avait dû céder au druide-fée à forme de hibou...
Mais il se ressaisit. Le moment qu'il vivait maintenant pouvait aussi être merveilleux. Dans une certaine mesure. Malgré les ombres, les doutes, le vide cruel laissée par Galathée...
Et les retrouvailles viendraient. Il avait bon espoir : il n'était plus seul.
Pour l'instant.

Mathilde déposa de la soupe brûlante à table et Guillhem fit le service. Tous regardaient l'elfe sans savoir bien quoi faire. Seule Valaellyn n'avait pas quitté ses côtés, lui tenant la main.
" Nous ne voulons pas te presser de questions, Taliesin. Peut-être pourras-tu nous raconter ce qui s'est passé après t'être restauré ?"
" Nous nous sommes fait un sang d'encre." ajouta Guillhem.
" Où est Galathée ?" intervint Mathieu.
Emeraude toussa dans son poing.
" Je vais peut-être prendre congé."
Les regards se levèrent vers elle.
" Il n'en est pas question, vous êtes notre hôte." fit Guillhem.
" Si je pars maintenant, je pourrai atteindre Luménis avant la nuit et trouver un coche pour regagner Rohan demain. Je ne peux plus postposer, je me suis déjà trop éloignée de mon itinéraire..."

Taliesin dévisagea la vieille femme. Luménis n'était pas si loin, elle pourrait gagner la ville avant la nuit même si elle demeurait ici quelques heures de plus. La vraie raison de son intervention était sans doute toute autre : elle ne voulait pas en entendre plus sur son histoire, enfin de ne pas se trouver en porte-à-faux entre lui et la loyauté qu'elle devait à ses supérieurs...
-Restez donc manger ici... dit-il doucement. Vous aurez tout le temps pour rentrer à Luménis cet après-midi...
Puis, se tournant vers les autres :
-Je vous raconterai tout en détail après le repas. Mais je peux déjà vous dire que nous avons été enlevés tous les trois, à quelques lieues d'ici, alors que nous rentrions à la maison... Nous avons été séparés et si Victor et moi avons réussi à nous retrouver, je ne sais toujours pas où est Galathée. Mais... J'ai un début de piste.
Il n'avait révélé que des choses que savait déjà Emeraude, espérait que cela satisferait, pour un temps, le reste de la tablée.

Emeraude parut hésiter, puis elle haussa les épaules et s'assit à son tour. Mathilde finit par les rejoindre à table.
" Ça, nous l'avions déjà plus ou moins reconstitué." fit Mathieu, pensif. " Nous n'avons pas réalisé tout de suite que vous aviez disparu, évidemment... Ce sont les gens du Fort, les premiers, qui se sont inquiétés de l'absence de Galathée. Elle avait apparemment promis de participer à une opération spéciale... Un marchand devait venir présenter des bêtes, quelque chose comme ça... Du coup, ils ont envoyé quelqu'un jusqu'ici pour savoir quand elle comptait revenir. Après... Il n'a pas été difficile de déterminer que vous n'étiez jamais arrivés chez vous."
Il croisa les bras.
" J'ai bien essayé de retrouver votre piste, mais plusieurs jours s'étaient écoulés, jours de neige, de surcroît, et la cervelle de moineau de la plupart des animaux du terroir ne m'a pas beaucoup servi..."
Valaellyn avait posé une main secourable sur l'épaule de son compagnon et elle la serra doucement, comme pour le consoler d'avoir échoué.
" Vous vous étiez simplement volatilisés." ajouta Guillhem en secouant la tête, incrédule.
" Presque." murmura Mathilde en se penchant pour soulever le chat de Victor qu'elle déposa sur ses genoux.

-Oh ben ça ! s'exclama l'elfe, agréablement surpris, pour le coup. Victor va être sacrément content de te revoir, toi ! Je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où nous t'avions laissé...
Il sourit, puis se tourna vers Mathieu.
-Honnêtement, tu n'aurais pas pu nous retrouver. Ils avaient mis les moyens pour nous faire disparaître et nous conduire promptement de l'autre côté d'Hélonna. Dix jours, quinze peut-être pour l'aller. Et des mois pour revenir...
Il se tut. Sourit à nouveau.
-Compte tenu de tout ce par quoi nous sommes passés, c'est un véritable miracle que nous soyons là.

La Couronne de Cuivre

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