[Lieu] La campagne luménienne

[Galathée]

Albérich n’intervint pas dans leur conversation, se contentant de manger en les écoutant. Les navets n’étaient pas son légume favori mais ils étaient subtilement assaisonnés et le porc était cuit à point. A la mention du pingre monsieur M., Albérich sentit une tension coutumière naître dans son ventre et lui gagner les épaules. Il connaissait un pingre monsieur M., avec lequel il ne voulait rien avoir à faire, jamais plus. Qu’il se retrouve à transporter des armes pour son compte aurait été des plus ironiques et il se félicita d’avoir passé son patronyme sous silence. Cependant, il devait y avoir mille marchands correspondant à ce signalement dans Luménis. L’avarice était pour beaucoup une compétence professionnelle et la lettre M suffisamment fréquente pour désigner plus d’un négociant. De plus, même si ces caisses transportaient effectivement des armes Megrall… Son père ne saurait jamais rien de qui les avait conduites jusqu’à Rohan. Pour autant qu’Albérich quitte le chariot avant d’arriver au comptoir…
Il fit taire sa curiosité. Savoir ne lui apporterait rien.

[Taliesin]

Si Herbert avait mené son chariot à un train d'enfer, il n'en alla pas de même pour son repas. Mangeant avec appétit, il prit tout son temps, paraissant savourer chaque bouchée et goûter à l'animation joyeuse de la salle commune. Non, il ne semblait pas pressé d'aller au lit... Ce qu'il ne tarda pas à confirmer.
-Vous êtes du genre couche-tôt ou veille-tard ? s'enquit-il. Pour ma part, c'est veille-tard de nature, mais couche-tôt par nécessité. Ce soir, ça sera entre les deux... Mais vous pouvez aller dormir avant, si vous êtes crevé. Je vous promets de faire en sorte de pas vous réveiller... Mais, dites, question idiote, quoi que pas tant que ça : vous ronflez ? Le prédécesseur de Léo, il ronflait, c'était insupportable... C'est pas pour ça qu'on a rompu notre association, mais je crois qu'inconsciemment, ça a joué...

[Galathée]

« Je dois avouer que je n'en sais rien. Je n'ai plus dormi accompagné depuis... depuis longtemps. »
Albérich se sentit rougir.
« Mais je pense que non. D'autant que je ne suis pas enrhumé. » ajouta-t-il. « Je crois que je vais monter me coucher. Je voudrais passer au Temple de Chauntéa demain matin, avant de partir... Mais je vous promets de revenir avant l'heure du départ. »
Sur ces belles paroles, le clerc salua son nouvel acolyte et gagna les étages.
Bien évidemment, il n’y avait qu’un seul lit dans la chambre qu’il devait partager avec Herbert, mais cela ne le surprit pas. Cela lui rappellerait ses années de noviciat à Eredhùn et les conditions parfois volontairement ascétiques dans lesquelles les instructeurs plaçaient les jeunes Eveillés.
Il s’assit sur le lit, retira ses bottes et contempla avec désarroi l’état de ses pieds. Bien sûr, le chariot lui permettrait de guérir, mais quelques herbes bien choisies ne seraient pas du luxe. Il était trop tard pour y remédier ce soir-là, il se changea donc rapidement, puis se glissa entre les couvertures.

[Taliesin]

Epuisé par le voyage, tant à pied que sur le chariot diligent, Albérich s'endormit presque instantanément. Son sommeil fut lourd. Sans rêves, cette fois. Réparateur, probablement.
On le secouait doucement par l'épaule. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il découvrit qu'il faisait encore nuit noire... et que Herbert, tout habillé, se tenait à côté du lit.
-On voulait se réveiller avant moi pour aller dire quelques prières à Dame nature ? fit-il, enjoué. Et bien, c'est raté, je vous ai devancé ! Mais il est encore tôt. Vous avez le temps de déjeuner, puis d'aller au temple. j'en profiterai pour charger caisses et ballots et pour atteler les chevaux...
Un sourire amusé illumina son visage buriné.
-Ah, au fait... Vous ronflez, mon vieux ! Tellement fot que personne a pu fermer l'œil de la nuit, dans l'auberge. J'ai jamais vu ça !
Il éclata de rire.
-Mais non, j'plaisante, faites pas cette tête là... Vous ronflez pas. Pas du tout.
Puis, assuré que son acolyte était bien réveillé et n'allait pas sombrer derechef, il quitta la chambre d'un pas tranquille.

[Galathée]

Un peu penaud de s’être fait surprendre de la sorte, Albérich quitta la chambre peu après et gagna immédiatement la rue, non sans s’être fait indiquer le Temple de Chauntéa. Les clercs y étaient matinaux et il put discuter herboristerie avec une jeune femme enthousiaste qui consentit à lui céder des matières premières à prix raisonnable. Il devina dans ses yeux qu’elle se demandait d’où lui venait son savoir dans le domaine, mais elle ne se montra pas indiscrète. Rien de ce qu’il n’achetait n’aurait pu constituer la base d’un poison, de toute façon, il n’y avait donc pas de raison d’y voir le moindre mal. Le clerc rentra ensuite à l’auberge pour avaler un rapide petit déjeuner, puis rejoignit Herbert dans la cour, où il terminait de charger leur cargaison. Les caisses étaient d’aspect quelconque, sans aucune marque, comme l’étaient souvent celles qui cachaient des objets sensibles, cependant. Albérich se hissa sur le siège du cocher, grimaça en y posant le fessier, puis sourit, encore ensommeillé, à son acolyte.
« Savez-vous ce que nous transportons de si urgent ? » demanda-t-il d’un air détaché.

[Taliesin]

L'homme lui jeta un regard en coin.
-Bien sûr que je le sais. Et comment ! Mais vous, vous êtes pas censé le savoir, vous. Faut pas y voir de la méfiance de ma part, hein. Mais là encore, c'est stipulé dans le contrat. Je dois en parler à personne d'autre qu'à Léo durant le voyage.
Il se fendit d'un sourire amusé.
-Mais rassurez-vous : c'est rien d'illégal. Oh non ! C'est très légal, tout est en règle... Et je vais vous dire un truc : vous saurez ce que c'est. Quand le voyage sera terminé. Comme ça, votre curiosité sera satisfaite, et moi, j'aurais respecté mon contrat... IL y tient, monsieur M. à ce qu'on respecte ses foutus contrats.
Il rassembla les rênes, les fit claquer, comme la veille, et lança leur attelage au pas dans la rue.
-Bon, ce soir, si tout va bien, on sera à Beaupré. Et après demain, à Rohan ! Si tout va bien. Mais y a pas de raison qu'il en aille autrement, hein ?

[Galathée]

Albérich s’était attendu à ce que son compagnon élude la question, il n’eut donc pas besoin de masquer la moindre déception. Il hésita à lui dire qu’il n’avait pas l’intention d’aller jusqu’à destination. Il ne savait pas chez qui le chargement devait être livré, mais il ne pouvait pas prendre le risque de tomber justement sur l’un des vieux employés de son père, qui aurait tôt fait de l’identifier et de relayer la bonne nouvelle jusqu’à Luménis. Il se dépêtrerait de cette situation plus tard, trouverait un prétexte. Ce n’était pas bien difficile.
Le chariot repartit donc à son train d’enfer dans la campagne encore endormie, à peine plus mesuré au sein du village qu’une fois de retour sur les routes désertes. Il neigeait à petits flocons légers et bientôt, ils ralentirent, imperceptiblement. Sans doute les chevaux n’étaient-ils plus aussi frais, malgré l’attention que leur accordait leur meneur.
Peu après leur départ, ils franchirent l’élégant Pont des Trois Sires, un ouvrage très ancien, construit à une époque où elfes et nains travaillaient volontiers de concert, et traversait la Lézarde. Le petit bourg du même nom se déployait de part et d’autre du fleuve, et ils durent ralentir sur la passerelle de pierre, car elle formait un goulot encombré. En contrebas, les flots de la Lézarde s’écoulaient lentement, entre deux pans de glace.
Herbert ne se montra pas plus bavard que la veille et Albérich ne l’encouragea pas. Il trouvait vaguement curieux que son associé provisoire ne pose aucune question le concernant, mais il imaginait sans peine que sa dégaine émaciée dans son grand manteau brun de facture modeste en faisait un personnage inoffensif, et c’était tout ce qu’il cherchait.
Inoffensif, songea-t-il alors que défilait la morne campagne tout autour d’eux.
Il l’avait toujours été, en vérité. Il ne se souvenait pas d’avoir remporté le moindre combat d’envergure, sinon ceux qui se gagnent avec les mots, parfois. Puis de la chasse aux morts-vivants, autrefois, aux alentours d’Eredhùn. Ça n’avait jamais été sa spécialité, il n’en avait jamais fait une activité de choix. Aujourd’hui, il ne se souvenait même plus du geste à esquisser, de la parole à prononcer, pour renvoyer la non-vie au néant. Il n’y avait plus de source à saisir, plus d’énergie à canaliser. Il ne restait que le vide.
La lassitude souffla en lui, assassine. Que faisait-il sur ce chariot, à battre la campagne ? Bien sûr, c’était juste le moyen le plus rapide de rejoindre sa destination. Mais que ferait-il à Combeloup, un village rural, quelques paysans ? Il pourrait sans doute les aider de temps en temps, leur offrir des services basiques, d’écrivain public, de guérisseur… Mais y occuper ses journées ? Sans rien à contempler, personne à louer, sans objectif, sinon… sinon quoi ?
Il frissonna et soupira malgré lui. Il avait de plus en plus mal au dos et une petite migraine venait de se nicher derrière son œil gauche. Son humeur était fragile, dépendante des distractions qu’il parvenait à s’imposer, et elles devenaient de plus en plus rares. Il s’habituait aux craquelures de son corps, et avec ce qu’il s’était procuré le matin même, il parviendrait à se débarrasser des courbatures et autres gouttes au nez.
Soudain il songea à la capitale. A ces petits matins roses, lorsqu’il sortait du dispensaire des taudis pour regarder la lumière se déverser sur les masures usées, les recouvrir un instant d’une façade colorée, apaisée, comme une promesse de ce qui pouvait être. A la saine fatigue le soir, lorsqu’il décidait, en dernière minute, de remonter jusqu’au Temple ou de s’allonger sur la dernière couche libre. Les agapes improvisées sur les marches du parvis menant aux Jardins, en été, quand le soleil s’attardait, que l’ombre du sanctuaire dévorait buissons et arbres, petit à petit, avant de céder la place aux étoiles, et qu’ils testaient un grand cru dorrandin en échangeant à mi-voix les banales anecdotes qui jonchaient leur quotidien. L’odeur de mer de l’esplanade au moment où débarquaient les pêcheurs avec leurs prises du jour. L’allée de cerisiers fleuris qui menaient au palais présidentiel. L’odeur dégagée par les mille livres endormis de la bibliothèque, murmurant leur savoir dans la pénombre poussiéreuse des allées. La musique qui se diffuse au travers des murs de l’amphithéâtre, même lorsque les portes sont fermées. L’immonde ragoût de la grand-mère d’Elsa.
Elsa. Il avait rêvé d’elle, il s’en souvenait maintenant.
Lentement, il se retourna, mais Luménis était hors de vue. Bien sûr.

Le paysage s’était métamorphosé autour d’eux, les champs faisaient place aux plaines, l’ordre de la civilisation à la sauvagerie de la nature. Ils gagnaient la Trouée des Chevaux, encadrée de ses hauts plateaux et, plus loin, des montagnes.

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard, Chapitre 6 : suite.

Le coche qui transportait Taliesin finit par quitter la Trouée et pénétra dans les terres planes de la campagne luménienne. Les chevaux étaient plus fatigués, ils cheminaient moins vite et, aléa d'une zone très fréquentée même en hiver, la route était complètement défoncée. Ils durent s'arrêter plusieurs fois pour désembourber le chariot, mais Adelin en avait apparemment l'habitude et trouvait toujours de jeunes paysans oisifs prêts à lui prêter main forte. Il se confondait ensuite en excuses auprès de ses clients, avant de reprendre son chemin à fond de train. Ils continuèrent à arriver les premiers aux étapes.
Au bout de quatre jours de voyage, ils parvinrent en vue de la cité. On la devinait seulement, vague lueur réfléchissant le soleil d'hiver, derrière ses remparts blancs. Ils firent cependant une dernière halte, dans un bourg pourtant proche. Adelin ne voulait pas arriver à Luménis de nuit, désireux que ses pensionnaires puissent vaquer à leurs occupations et choisir leur auberge en toute tranquillité. Moins rapides, le coche de Victor et d'Emeraude arriverait sans doute au coeur de la nuit.
L'établissement s'appelait le Hérisson Paillard et ne détonnait pas dans le registre "auberge de passage". Le tenancier, par contre, un jeune homme élancé au sourire facile, manifestement un peu dépassé par l'afflux subit de voyageurs, avait l'air vaguement décalé. Adelin prévint ses clients que l'homme était nouveau dans le métier et il en appela à leur magnanimité en cas d'imprévu.

[Taliesin]

Taliesin accueillit cette dernière étape avec soulagement. Les journées de voyage avaient été moroses, les nuits agitées, et si voir Victor sain et sauf tous les soirs lui avait permis de reprendre un peu d'aplomb, de faire taire définitivement ses doutes quant aux bonnes intentions d'Emeraude, ne pas pouvoir l'approcher ou lui parler avait été des plus pesants. Comme avait été pesant la comédie continuelle qu'il devait jouer...
Bien sûr, rien n'était vraiment terminé. Il devrait continuer à arborer cette couverture encore quelques heures au moins, et n'avait pas définitivement arrêté son plan d'action pour la suite. Loin s'en fallait. Luménis était en vue, cependant, et à moins d'un vicieux coup du sort, ils ne risqueraient plus d'attaque frontale. La route était fréquentée, on ne pourrait pas les enlever comme on l'avait fait alors qu'il revenaient de la ferme où vivaient les Merlus.
Et puis, la discussion qu'il avait prévue avec la vieille femme l'aiderait sans doute à y voir plus clair. Si elle pouvait encore les aider, si aucune obligation ne l'éloignait immédiatement d'eux, il serait possible de contacter discrètement les Merlus. Voir Kasumi... L'idée de les tromper, de les embrigader pour une opération de sauvetage dont ils ignoreraient les tenants et les aboutissants ne lui plaisait toujours pas. Pourtant, cela valait peut-être mieux qu'aller se dénoncer aux autorités et ainsi risquer l'emprisonnement, le recrutement de force dans l'armée...
Il jugerait en fonction de ce que lui dirait Emeraude. Inutile de se tourmenter avec cela dans l'immédiat. Il avait bien le droit, pour une fois, de se réjouir : les retrouvailles étaient proches. Pas les retrouvailles définitives auxquelles il aspirait, non. Mais des retrouvailles tout de même.
Se réjouir, donc. Sans le montrer. Et commencer à réfléchir aux modalités de la réunion. Il lui faudrait déjà attendre l'arrivée du coche. Il pouvait toujours s'attarder dans la salle commune sous des prétextes divers, ou guetter, depuis sa chambre, les sons caractéristiques du débarquement de nouveaux voyageurs. Resterait ensuite à fixer un lieu de rendez-vous... Ses quartiers conviendraient : arrivés les premiers, servis les premiers, ni lui ni ses compagnons de route ne risquaient de se voir contraints au partage, malgré la taille réduite de l'auberge. Il faudrait juste qu'il trouve le moyen d'en indiquer le chemin à Emeraude et à Victor.
Bah, il trouverait... C'était peut-être un effet de son moral temporairement au beau fixe, mais il n'arrivait pas à s'inquiéter pour cela. Phénomène rare et précieux...

[Galathée]

Comme l'avait annoncé Adelin, le service laissait quelque peu à désirer, au Hérisson Paillard. La cuisine n'était pas mauvaise, mais le tenancier semblait légèrement débordé par sa clientèle, et un plat sur deux avait un peu attaché dans le fond. La tentation de se plaindre était grande, mais Taliesin avait l'impression que le jeune aubergiste n'était pas du genre à accepter les récriminations sans broncher. Ils finirent cependant tous par être servis plus ou moins convenablement.
Le coche d'Emeraude et Victor arriva alors qu'ils en étaient au dessert. Comme chaque soir, les voyageurs envahirent l'auberge sans prêter attention à ceux qui les avaient précédés. La vieille dame et l'enfant n'agirent pas différemment.

[Taliesin]

Le barde agit également comme il le faisait chaque soir, quittant la salle commune sitôt son repas englouti. A peine avait-il mangé plus lentement, cette fois-ci, pour attendre les derniers voyageurs...
Il s'arrangea néanmoins pour que son chemin vers les escaliers le fasse passer à proximité de la table qu'occupaient Emeraude et Victor. Il ne leur jeta pas le moindre regard, ne leur accorda pas la moindre attention, mais se contenta simplement, une fois à leur hauteur, de tirer sa clef de sa poche, comme s'il voulait vérifier le numéro qui y était inscrit.
Le geste en lui-même était des plus anodins... Restait à espérer que la vieille femme ou l'enfant auraient saisi l'ouverture, noté le numéro...

[Galathée]

La chambre qu'occupait Taliesin était petite mais saine, occupée par un lit propre (mais les draps avaient été curieusement repassés), un petit bureau et une armoire dont les gonds grinçaient terriblement. Lorsque certains de ses compagnons de voyage avaient parlé de prendre un bain, le tenancier de l'auberge avait paru catastrophé, ce qui avait fait renoncer le plus sale d'entre eux. Désormais, il ne lui restait plus qu'à attendre. Et le temps parut long, s'égrenant lentement, très lentement, tandis que l'elfe ressassait ses projets.
Enfin, Victor et Emeraude parurent, se glissant comme des ombres dans sa chambre, sans même frapper. Ils demeurèrent un instant immobiles à l'entrée, puis l'enfant rompit la glace, s'élança en courant jusqu'au barde, et l'étreignit avec chaleur.

[Taliesin]

Taliesin rendit à l'enfant son étreinte, le serrant contre lui sans plus penser, un moment, à la vieille femme qui attendait près de la porte, immobile et discrète. Il finit cependant par pousser un soupir heureux puis, sans pour autant lâcher le petit garçon, il releva la tête.
-Content de vous revoir... murmura-t-il, souriant pour la première fois depuis des jours. Mais ne restez donc pas debout, installez-vous...

[Galathée]

Emeraude prit la chaise tandis que Victor sautait sur le lit. Ils avaient l'air en bonne santé l'un et l'autre, et le sourire qu'ils échangèrent indiquait qu'ils partageaient désormais une certaine connivence.
" J'espère que votre trajet n'a pas été trop pénible. Vous avez l'air de vous être récolté une belle brochette de tristes sires. Enfin... Ils sont peut-être moins épuisants qu'une vieille folle qui prétend lire dans les astres..." fit Emeraude, compatissante.
" Nous, on avait un chevrier qui puait le bouc, Taliesin, je te jure, tu n'aurais pas tenu une demi-journée. Heureusement, il est descendu hier. J'avais l'impression que j'allais tourner de l'oeil."

[Taliesin]

-Honnêtement, j'ai regretté vos histoires, Emeraude... répondit-il, sincère. Elles valent mille fois mieux que le silence pesant qui régnait dans notre coche où chacun essayait d'ignorer l'autre et ne songeait certainement pas à lui adresser la parole... C'était parfait quant on ne veut pas être interrogé, questionné, mais c'est loin d'être l'idéal quand on aspire à se changer les idées...
Il se tourna vers Victor.
-Et je crois que j'aurais préféré ton chevrier à mes compagnons de route. Il sentait fort, mais... Ce n'était pas l'odeur de la prétention ou de la pédenterie. Celle-là, j'ai vraiment du mal à la supporter.

[Galathée]

Victor sourit et se serra contre son épaule.
" C'était pas si long, finalement. Maintenant c'est terminé. Presque terminé. Demain, on sera à Luménis !" s'exclama Victor, nerveusement.
Un zeste d'enthousiasme, un poil de tension.
" Je n'ai pas fait la moindre prédiction." ajouta Emeraude, pour la forme. " J'étais une honnête grand-mère qui accompagnait son petit fils pour rendre visite à son père à Luménis."
" Mon père est clerc de Mystra. Ça frime, non ?"

[Taliesin]

Taliesin l'entoura de l'un de ses bras.
-Oh oui, ça frime. Peut-être pas tout à fait autant qu'être le seigneur Courtetige, mais...
Il sourit, se tourna à nouveau vers Emeraude.
-Merci mille fois pour tout ce que vous avez fait pour nous. Le maquillage, l'organisation, vos bons soins pour Victor... Et le reste, évidemment. Je ne suis pas certain que nous serions arrivés aussi loin sans vous.

[Galathée]

Emeraude sourit.
" Vous m'étiez sympathiques et accompagner les caravanes est mon travail. De plus, je vous ai faillis lorsque les chasseurs de primes nous ont surpris. J'aurais dû me montrer plus méfiante. Je vous le devais, Taliesin."
Elle secoua la tête.
" De plus, Victor m'a offert une couverture du tonnerre. Et c'est un garçon à l'esprit vif et au regard affûté... S'il cherche un jour du travail, il sait où me trouver..."
L'enfant rougit de fierté.
" A présent, quel est votre plan ?"

[Taliesin]

Son expression se fit autant navrée qu'embarrassée.
-Je n'ai toujours pas tranché... soupira-t-il. Ce que vous m'avez appris sur les changements au Conseil, sur le départ de Megrall et la nomination de ce Malwedd... Cela a mis à mal ma volonté de me présenter aux autorités. Je n'ai pas du tout envie d'être enrôlé de force dans l'armée, emprisonné... Bref, d'être mis dans l'incapacité de retrouver ma compagne. Et rien ne prouve que ce n'est pas ce qui arrivera, si je me dénonce. Comme rien ne prouve que les conseillers seront prêts à faire quoi que ce soit pour la mère de Victor...
Il jeta un regard en coin à l'intéressé.
-Une autre possibilité serait de contacter nos amis. Mais, comme je vous l'ai déjà dit, c'est en partant de chez eux que nous avons été enlevés. Il n'est donc pas impossible qu'ils soient surveillés, et aller les voir directement serait par trop risqué : je refuse de les mettre en danger. Il nous faudrait alors... un intermédiaire, quelqu'un capable de passer inaperçu.

[Galathée]

Emeraude croisa les bras, demeurant un instant interdite.
" Vous devez savoir, Taliesin, que je ne ferai rien d'illégal. Je suis prête à aller voir vos amis, mais ensuite, je devrai reprendre ma route. Je ne peux pas vraiment en dévier trop longtemps."
Elle le scruta un instant.
" Mais êtes-vous vraiment certain d'être si précieux aux yeux de votre adversaire ? Il ne peut pas faire surveiller tout le pays, tout de même..."
Elle secoua la tête.
" Vous savez mieux que moi. Dites-moi simplement ce que je devrais transmettre à vos amis."

[Taliesin]

-Il ne peut pas faire surveiller toute l'île, non... murmura Taliesin. Mais je le crois assez déterminé à me capturer pour qu'il y mette tous les moyens nécessaires. Et puis, à franchement parler... Il n'y a pas grand monde que je sois susceptible d'aller voir, pour trouver un refuge ou quémander de l'aide. Il n'aurait donc besoin que d'une poignée de guetteurs... Et les Merlus constituent la quasi totalité de nos amis.
Il sourit.
-Je ne vous demanderais jamais rien d'illégal, Emeraude. Et je rechigne à abuser encore de votre bonne volonté... Mais les Merlus... Il s'agit d'une famille tout ce qu'il y a de plus ordinaire d'un veuf et de ses nombreux enfants, dont certains sont aussi jeunes que Victor, voir plus encore. Vous comprendrez que je refuse de leur faire prendre le moindre risque...
Il soupira.
-Il faudrait juste quelqu'un pour leur dire que nous sommes à Luménis, que nous voudrions les voir mais que nous n'osons pas aller directement chez eux, parce qu'il est possible qu'on nous recherche... Il faudrait convenir, avec eux, d'un lieu de rendez-vous discret...
Il cherccha le regard de la vielle femme.
-Mais ne vous sentez pas obligée d'accepter. Vous avez déjà fait beaucoup pour nous, et je suis peut-être trop précautionneux... Nous pouvons aussi gagner la ferme en nous tenant à l'écart des routes, en traversants champs et prés... Nous savons nous faire discrets.

[Galathée]

Emeraude secoua la tête.
" J'irai voir vos amis. Dites-moi simplement où vous voulez qu'ils vous retrouvent." fit-elle. " Je ne peux pas vous aider à Luménis, je n'y connais pour ainsi dire personne... Mais j'imagine que vous trouverez à vous loger. Même si la personne qui vous poursuit est déterminée, je ne peux pas croire qu'elle oserait s'en prendre à vous au coeur de la capitale. Même si vous faites sans doute mieux de vous cantonner aux endroits les plus fréquentés..."
Elle soupira.
" Comment voulez-vous que nous procédions ?"

[Taliesin]

-Et bien... Nous pourrions vous attendre à un endroit convenu d'avance, où vous viendriez nous trouver après votre visite aux Merlus... Pour le lieu du rendez-vous, je les laisse en décider, ce peut être en ville ou à la campagne, C'est à eux de juger ce qui est préférable pour que cela se passe le plus discrètement et le moins dangereusement possible.
Il se frotta le menton, pensif.
-Quant à savoir où nous pourrions vous attendre... Pas à la Bienveillance : j'y ai travaillé, je serai vite démasqué. Pas chez nous non plus...
Il eut une idée, hésita... puis se lança.
-Nous vous attendrons au 17 impasse des Dauphins. Je vais vous expliquer le chemin... C'est un endroit discret et peu fréquenté, mais je le connais bien.
Les autorités aussi connaissaient bien ce lieu... Mais il ne voyait pas quoi choisir d'autre. Comme Victor serait à nouveau avec lui, il ne passerait plus inaperçu dans les auberges. Et les bas-quartiers se seraient révélés terriblement périlleux...
De toute façon, ils n'étaient pas obligés de rentrer dans la maison. Ils pouvaient investir l'entrepôt désaffecté, en face...

[Galathée]

Emeraude échangea un regard avec Victor puis acquiesça.
" Très bien." fit-elle. " Vous devriez m'indiquer où je peux les trouver. Et peut-être me fournir une preuve de votre identité. Si vous avez disparu, ils pourraient se montrer suspicieux et je ne voudrais pas avoir d'ennuis avec eux."
Victor opina du chef.
" J'imagine qu'il faudra que j'aille tout de même jusqu'à Luménis. De toute façon, ce ne serait pas bien sérieux d'abandonner mon petit fils dans les derniers mètres..."

[Taliesin]

Taliesin opina du chef.
-Oui, pas très sérieux... Le mieux est que nous nous retrouvions à l'impasse après être descendus de nos coches respectifs. Je vous décrirai le trajet pour vous y rendre, ainsi que celui pour aller à la ferme.
Il se tourna vers Victor.
-Je pense qu'il vaut mieux que ce soit toi qui donne à Emeraude des éléments pour assurer les Merlus qu'elle vient bien de notre part. Je ne sais pas... Une anecdote, un détail sur tes jeux avec Benoît et les autres... Le genre de truc qu'on ne penserait jamais à extorquer à des prisonniers.

[Galathée]

Victor acquiesça.
" C'est facile. J'ai plein d'histoires que je peux te raconter. Mais je vais réfléchir pour trouver un truc vraiment chouette..."
" Nous pouvons en rediscuter tout à l'heure, effectivement. Mais je pense qu'il vaut mieux ne pas trop nous attarder ici. Indiquez-moi l'endroit où se trouve l'impasse et Victor et moi vous y retrouverons. Ensuite, ce sera au lit."
Victor fit la moue, manifestement déçu.
" C'est le dernier soir, ne fais pas cette tête !"
Elle se tourna vers Taliesin.
" Et vous non plus !"

[Taliesin]

Le barde s'arracha un sourire. Il n'avait pas envie de laisser repartir l'enfant... mais, comme l'avait dit Emeraude, c'était la dernière soirée.
La dernière pour cette phase des opérations... songea-t-il, morose. Sachant que la suivante va débuter demain...
Il s'efforça néanmoins de faire bonne figure tandis qu'il décrivait à la vieille femme l'itinéraire jusqu'à l'impasse. Il en vint cependant à se demander si ce lieu était une bonne idée, s'il n'était pas trop isolé, pas trop propice aux embuscades... Mais il n'en dit rien. Il ne voyait pas quel endroit aurait mieux - ou moins mal - convenu.

[Galathée]

Emeraude souhaita la bonne nuit au barde et se dirigea vers la sortie. Sur une dernière étreinte, Victor l'imita. Pour tempérer sa brusque effusion et son attitude durant leur courte entrevue, l'enfant le gratifia cependant d'une grimace étudiée en quittant la pièce. Sans doute serait-il fichu, plus tard, de prétendre qu'il n'avait pas du tout été troublé par cette séparation nécessaire...
La porte se referma derrière la vieille femme et le turbulent petit rouquin, et Taliesin se retrouva pour la dernière fois, ou peut-être pas, seul pour la nuit.

[Taliesin]

Taliesin se hâta de se glisser dans son lit, de souffler sa bougie. A nouveau déserte, sa chambre lui semblait soudain sinistre, sa solitude retrouvée plus pesante que jamais, et il n'y avait plus l'imminence des retrouvailles pour lui redonner le moral... Autant se réfugier dans les ténèbres, dès lors, espérer que le sommeil serait prompt à l'emporter, et que les dernières heures de trajet se dérouleraient sans anicroches. Si tout allait bien, le lendemain, avant midi, lui et Victor seraient à nouveau réunis.
Pour combien de temps ? Impossible à dire.
Mais... Ce n'était pas le genre de chose auquel il fallait penser, dans l'obscurité, lorsque l'on espère s'endormir... Mieux valait se concentrer sur le répit qui allait s'offrir à eux, aussi court soit-il.

[Galathée]

Bien que fuyant au départ, le sommeil finit par prendre pitié de l'elfe et l'emporta. Il ne fit pas de rêves mémorables, même s'il s'éveilla passablement fatigué. Un rai de soleil radieux l'arracha à sa torpeur, à moins que le léger coup frappé à sa porte n'en fût responsable. Après un déjeuner aussi approximatif que le repas de la veille, Taliesin remonta dans son coche, sans avoir même eu le temps d'apercevoir Victor et Emeraude : Adelin avait décidé de partir tôt pour profiter d'une route dégagée jusqu'à la capitale et l'atteindre avant midi.
Le temps était clément même s'il faisait toujours froid et ils cheminèrent à un bon rythme pendant un certain temps. Le trafic se densifia dans les dernières lieues et ils repassèrent au pas à proximité de la cité. Ils se glissèrent dans la longue file qui menait aux Portes de Luménis.