La Couronne de Cuivre

Aleka devait être sensible à l’état du gnome ou alors elle se ressentait de la même fatigue car elle répondit d’un ton apaisant :

- Je parlais d’Antelucas en général. Retournons au temple : nous pourrons nous y reposer jusqu’au matin avec l’assurance que des prêtres veillent sur notre sommeil. Il y en a toujours de garde même la nuit. Nous chercherons un navire en partance demain matin. Enfin, ce matin plutôt.

« Ça me va. Mais ils ne manqueront pas de se poser des questions. On était sensé se téléporter à Lumenis, pas revenir en leurs murs. »

Alchem se détourna de la mer, prêt à se mettre en route.

« Je présume que vous faites confiance à vos collègues. Jugez-vous judicieux de leur parler de l’Eclat ? »

"Nous pouvons leur faire confiance," répondit Aleka sans hésiter. Mais elle ajouta cependant aussitôt :

- Mais je crois qu'il vaut mieux ne pas trop divulguer nos informations sur l'Eclat. Cela ne ferait que susciter de la curiosité ou pire, de la panique. Contentons-nous de parler d'un artefact maudit et de mettre en garde les guetteurs de ce soir. Je m'arrangerai ensuite avec le Grand Prêtre.

Tout en devisant, la prêtresse les mena à nouveau par le chemin qu'Alchem connaissait déjà. L'impression de déjà vu était plutôt étrange. Ils se retrouvèrent à nouveau devant le temple, à nouveau Aleka appela, à nouveau ce fut Jovas qui leur ouvrit, plus surpris que jamais.

- Je ne m'attendais pas à vous revoir de sitôt ! Vous avez oublié quelque chose peut-être ?

Alchem, lors de son premier passage, n’avait parlé que lorsque c’était nécessaire, laissant Aleka tenir le rôle principal. Il n’allait pas en être autrement à présent. Il demeura donc muet, effacé, en retrait derrière la prêtresse. Durant le trajet, son rat n’avait pas manqué de plaisanter sur le fait que la ville n’avait pas beaucoup changée depuis la dernière fois.

Après quelques questions curieuses de la part de Jovas, le novice consentit à leur indiquer où ils pourraient passer la nuit en paix, dans un petit dortoir pouvant accueillir six personnes mais heureusement vide pour l'heure : il était d'ordinaire destiné aux pèlerins mais ils se faisaient rares en cette saison, et en pleine période de guerre en Dorrandin. Aleka ne les rejoignit pas immédiatement, argumentant qu'elle devait s'entretenir avec ses collègues de garde.

- Nous sommes en sécurité ici, Alchem : vous devriez essayer de dormir. il me semble que vous en avez bien besoin.

Seul avec lui et Dallius, Théodore s'apprêtait à appliquer son propre conseil, s'attribuant le lit le plus proche de la porte.

« Il me semble aussi. »

Après mûres réflexions, sa lassitude devait tenir aussi au dépaysement. Des excursions de plusieurs jours, il en avait fait, mais toujours dans l’Outreterre, toujours pour revenir en sa ville natale. Il observa les lits, hésita un instant sur ce choix trivial, et prit le troisième en partant de la porte. Après s’être délesté de son sac, il s’assis sur les draps, y demeura quelques secondes, perdu dans ses pensées, puis se dévêtit. Ne portant plus que son pendentif en rubis, il se coucha. Sous son oreiller, une dague avait été glissée. Maintenant, il n’y avait plus qu’à dormir et à espérer que l’Eclat le laisserait tranquille. Dalius avait pris place contre lui. Lui-aussi avait besoin de sommeil.

Il n’avait pas entendu Aleka revenir. Il avait aussi l’impression de venir à peine de poser la tête sur son oreiller quand il se réveilla. C’était le matin et la luminosité était importante, signe que l’aube était passée depuis longtemps. A part Dallius, le gnome des profondeurs était seul dans la chambre : nulle trace des deux humains hormis leurs sacs de voyage dans un coin de la pièce. Malgré cette grasse matinée, le svirfneblin se sentait presqu’aussi fatigué que lorsqu’il s’était couché.

Fatigue... fatigue... fatigue... Cet Eclat allait donc lui pourrir la vie combien de temps ? Question stupide. Autant qu’il le pourrait et ce serait de pire en pire, à moins que les clercs de ce temple puisse faire quelque chose. Alchem se redressa sur son séant et serra dans son poing le présent de Bravel. Courage. Il y avait gnome plus endurant que lui, mais il compensait par sa volonté. Son regard parcourut le lit, immense, puis il se glissa hors des couvertures. Il s’habilla, se chaussa, s’arma et, sur le point de prendre son sac, il s’en abstint. Certes, il lui répugnait de laisser ses affaires sans surveillance. Or il était sensé se trouver en un lieu sûr. Il chercha à s’en convaincre. Si Aleka et Théodore n’avaient pas pris leur sac, il devait les imiter. Ce fut donc sans qu’il quitta la chambre. Dès lors, il se mit en quête de ses compagnons. Dalius suivait, à demi endormi.

Il régnait une activité certaine dans la salle principale du temple en cette heure avancée de la matinée sans doute. Quelques fidèles et même un ou deux prêtres en aube se retournèrent et saluèrent le petit voyageur dissimulé par son capuchon et Alchem dut se frayer un passage dans la foule jusqu'à l'autel pour enfin repérer Aleka et Théodore en conversation avec une femme d'âge mûr. La prêtresse s'approcha du svirfneblin dès qu'elle l'eut aperçu :

- Ah, bonjour Alchem. Ne m'en veuillez pas de ne pas vous avoir réveiller mais vous sembliez avoir besoin de sommeil. Un petit déjeuner vous attend si cela vous dit !

Alchem salua sobrement mais poliment la prêtresse, puis lui répondit sur le ton de la banale constatation.

« Hélas, je n’ai pas vraiment profité de ce repos, désagrément dont nous connaissons la cause. Avez-vous pu vous renseigner au sujet du bateau ? »

Aleka esquissa une grimace mais cela concernait la première assertion du gnome des profondeurs et non pas sa question comme elle ne manqua pas de le faire savoir :

- Je n'ai pas très bien dormi non plus mais ça devra suffire. Au pire, nous pourrons avoir recours à certaines herbes ou nous tenterons de dormir de jour. Peut-être que son pouvoir est amoindri sous la lumière du jour... Quant au bateau, nous avons eu de la chance : un des prêtres en partance nous a indiqué un capitaine à contacter. Théodore et moi avons négocié notre traversée jusqu'à Luménis. Le galion part dans l'après-midi.

« Dans l’après-midi... C’est bien. Je vais déjeuner. »

Il esquissa un mouvement pour se retirer, mais une nouvelle question le retint sur place.

« Au fait, puisqu’on a un peu de temps devant nous, y aurait-il dans le coin quelqu’un capable d’examiner des objets magiques ? »

Il songeait au médaillon soleil, trouvé dans les affaires du Despote.

Aleka connaissait en effet une boutique tenue par un mage non loin de la place des temples.

- Il est un peu cher mais les mages le sont souvent, non ? Oh, pardon, j'oubliais...

La prêtresse semblait confuse en songeant qu'Alchem, bien qu'étrange et bourré de talents divers, avait lui aussi embrassé cette carrière.

- Bref, nous pourrons y aller ce matin mais pas avant que vous n'ayez rempli votre estomac ! Les jours à venir ne vous en donneront peut-être plus l'occasion alors profitez bien des douceurs d'Antelucas !

Alchem ne se formalisa pas pour la remarque. Lorsqu’il ne jouait aucun rôle, il était assez monotone, optant souvent pour l’impassibilité. Il se renfermait sur lui-même, tel un escargot dans sa coquille. Moins il en montrait, moins on pouvait lire en lui. Il n’en était pas moins vigilant. Et ce n’était pas moins une façade. Les svirfnebelins étaient ainsi. Il acquiesça et s’éloigna pour de bon. Il allait prendre son petit déjeuné, curieux de sa composition, puis se ferait indiquer la boutique du magicien.

Le petit déjeuner était largement à la hauteur de ses attentes et même au delà. Visiblement, le fait que c'était le repas le plus important de la journée n'était pas galvaudé dans les temples de Lathandre. A cette heure avancée, il eut en outre la satisfaction de pouvoir s'attabler seul dans le réfectoire après s'être copieusement servi. La nourriture lui faisait du bien mais il y avait autre chose : c'était comme si s'éloigner de l'Eclat lui redonnait un peu de vigueur perdue. Ou alors était-ce un effet de l'influence positive du lieu dans lequel il se trouvait. Alors qu'il finissait son plateau, à peu près une demi heure plus tard, Aleka refit son apparition et lui adressa un sourire tranquille :

- Alors Alchem, appréciez-vous le sens de l'accueil légendaire d'Antelucas ? En tous cas, je vois que vous avez suivi mon conseil.

« Je n’ai pas à me plaindre », répondit le gnome, poli.

Son caractère réservé contrastait avec l’attitude désinvolte de Dalius. Le rat, debout au milieu du plateau, avait vraisemblablement goûté à tout. Son maître finit par l’essuyer, un rien consterné.

« Tu n’es vraiment pas sortable. »
« Ho ça va ! Je sais prendre du bon temps, moi. Il était super ce petit déjeuné. Tu l’as remarqué ? »

Le gnome releva les yeux vers la prêtresse.

« Pouvez-vous m’indiquer la boutique du mage ? J’y ferais examiner le médaillon qu’on a trouvé. »

Il avait l’intention d’y aller seul. Il avait besoin d’être seul. Sur le bateau, cela deviendrait impossible.

Si Aleka avait l'intention de l'y accompagner, elle n'en montra rien. Elle lui indiqua donc comment trouver son chemin une fois qu'il aurait quitté le temple et le quitta après lui avoir donné rendez-vous à midi pour le déjeuner.

La boutique du mage n'était qu'à une petite dizaine de minutes à pied du Temple de Lathandre. Alchem n'eut aucun mal à la repérer après avoir pu apprécier la cité sous la lumière écrasante du jour. Aucun des passants ne semblait pressé de vaquer à ses occupations et plus d'un groupe se contentait de rester assis sur tel ou tel banc sous un chêne ou près d'une fontaine. Aucun ne semblait partager les soucis du gnome.

L'établissement que lui avait conseillé Aleka ne payait pas de mine mais un écriteau annonçant "Le Bazar de l'Aventurier" lui indiqua qu'il ne s'était pas trompé. Et pour un bazar, il fallait reconnaître au propriétaire des lieux une certaine compétence pour faire tenir tout un bric à brac encombrant dans un espace qui aurait certainement dû être au moins trois fois plus grand sans des trésors d'imagination. Le dit propriétaire se tenait présentement derrière un comptoir : il s'agissait d'un gnome des collines d'un âge plutôt avancé.

- Ah un client ! C'est rare en cette saison !

Deux paires d’yeux, aussi curieuses l’une que l’autre, ne perdaient pas une miette de ce qu’il y avait à voir. Deux paires d’oreilles faisaient preuve de la même attention, tout comme le nez et la truffe. Alchem et Dalius étaient avides de nouveautés, le second le montrait, pas le premier. Aussi semblable que différent.

Désormais dans la boutique, voilà le svirfnebelin face à un cousin. Simple constat qui en soi ne changeait rien. Les autres espèces de gnomes lui était totalement étrangère. Certes, il connaissait leur existence, leurs principales particularités, mais rien de plus. Et il supposait que le commerçant, mage de surcroit, donc instruis, devait également connaître l’existence des gnomes des profondeurs. Il s’avança, salua et demanda :

« Combien pour examiner un objet ? »

Le commerçant se gratta le menton avant de répondre, tous sourires :

- Eh bien, on peut dire que vous allez droit au but, vous ! Bien bien ! Ça me change agréablement de tous ces touristes indécis qui viennent "juste jeter un coup d'œil". Et donc, le tarif d'une identification, hein ? Eh bien, cela dépend de l'objet et surtout de qui pose la question. Pour vous, ce sera un bon prix, il est rare de voir des cousins des profondeurs si loin à l'ouest. Et puis Elevan vous aime bien, il me la soufflé.

Alchem esquissa un sourire de circonstance. Il n’allait pas bouder un accueil agréable. Et puis, il avait beau dire, c’était plaisant de ne pas avoir à lever la tête pour s’adresser à son interlocuteur. D’une poche intérieure, il fit jaillir le médaillon magique et le présenta au marchand en le tenant par la chaînette.

« Voici l’objet en question. Qui est Elevan ? »

Le mage peut-être, ou son familier, s’il en avait un.

Le gnome mit d'étranges lunettes pour examiner l'objet puis tendit la main pour le toucher du bout des doigts. Il émit une série de marmonnements incompréhensibles avant de revenir enfin à la question qu'Alchem avait posée :

- Oh, Elevan est mon chat. Mais il aime bien se rendre invisible. Il a dû surprendre une souris ou un rat mais il doit traîner quelque part par là... Mmhh, une merveille ce médaillon... Il est magique. Vous l'avez trouvé où ?

Un chat invisible ? Invisible par sa propre volonté ? Quelle était donc cette fantaisie ? Ce ne devait pas être un familier. Une créature magique exotique peut-être. Mais bon, en même temps, par exotique, Alchem englobait à peu près tout ce qui était à la surface de Toril. Quoi qu’il en soit, la souris ou le rat mentionné ne devait pas être Dalius, il l’aurait déjà su. Il le chercha tout de même des yeux tout en répondant au mage.

« J’ai mis la main dessus lors de mon voyage qui m’a conduit ici. Le fruit du hasard assurément. »

Un étranger restait un étranger. Le svirfnebelin n’avait pas l’intention de divulguer quoi que ce soit de son aventure. Mais bien malin celui qui pouvait le deviner à son ton. Un mystificateur profane faisait du mensonge sa profession.

Dallius se portait à merveille dans un tel environnement. Présentement, le rat s'intéressait à une petite coupelle de lait laissée à l'abandon depuis un certain temps. C'était en tous cas ce qu'on pouvait se dire à la vue du lait caillé. De son côté, le commerçant ne donna pas l'impression de se formaliser ni même de remarquer la réponse évasive de son client. Il murmura une incantation puis marmonna à nouveau un moment dans sa barbe avant de déclarer :

- Un bel objet. Il y a un flux cyclique déphasé. Il est assurément sortant. Oui oui. Donc il cherche à communiquer. Avec quoi et pourquoi, mystère. Et il y a un geas inactif aussi. En fait, je ne sais pas du tout ce que ça fait mais c'est un bel objet. Oh, et il n'est pas maudit, ça c'est certain donc vous devriez le garder.

« Dalius, ne touche à rien. »
« Oui oui, à rien. Je regarde juste. »

Alchem releva les yeux vers le marchand et récupéra le pendentif. Les informations recueillies étaient intéressantes. Sans doute faudrait-il essayer de porter l’objet, mais pas seul, on n’était jamais assez prudent.

« Comment ce fait-il que votre chat soit invisible ? Est-il doué de magie ? »

La magie, un intarissable sujet de curiosité. La magie, le domaine des gnomes tout autant que celui des elfes. Et justement, en parlant de magie...

« Disposez-vous de parchemins ? Je ne cherche rien de précis, si ce n’est de quoi enrichir mon grimoire. »

Le gnome cligna des yeux et répondit, un peu confus :

- Un chat ? Oh oui, Elevan est un chat. Mais il est timide avec les clients vous voyez ? Enfin, non vous ne voyez pas, évidemment. Et j'ai toujours quelques parchemins évidemment. Quel magicien digne de ce nom n'en aurait pas ? Jetez un œil à mon catalogue si quelque-chose vous intéresse. Et si vous restez quelques jours en ville, je peux passer une commande pour vous aussi.

Tiré aux dés :

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Le mage était également adepte des réponses évasives. Retour à l’envoyeur en quelque sorte. Ainsi soit-il.

« Je ne reste pas. Et puis, n’ayant nul nécessité, je me contente juste d’examiner ce qui se présente. »

Disant cela, Alchem consulta le catalogue. S’il avait eu le loisir de dépenser sans compter, il aurait bien tout pris. Chaque nom était promesse d’études stimulantes. Mais il ‘en allait autrement. Tout en gardant sous les yeux le catalogue, il demanda :

« Combien vous dois-je pour l’identification ? »

Le gnome cligna à nouveau des yeux, à plusieurs reprises, avant de répondre d'un ton toujours aussi distrait :

- Combien pour l'identification ? Ah oui, le médaillon. Mais je ne l'ai pas identifié, je croyais vous l'avoir dit... Donc vous ne me devez rien. Alors, est-ce que l'un de ces parchemins vous intéresse ?

Etrange personnage que ce marchand. Etait-ce là un trait de caractère commun chez les gnomes de la surface ?

« L’Endurance de l’Ours... Oui, je vais prendre celui-ci. Un peu de lecture ne me fera pas de mal. »

Il réitéra son fantôme de sourire. De la lecture, effectivement, il risquait d’en avoir besoin s’il passait quatre jours en bateau. Un parchemin à étudier et retranscrire lui prendrait un peu de temps.

Le gnome récupéra une boîte sous son comptoir et l'ouvrit d'un mot et d'un geste étranges avant sortie parchemin demandé.

- Mmmh, un bon choix pour les voyageurs ! Mais je me suis toujours intéressé à la signification de ce nom, endurance de l'ours... Pourtant ils ne sont pas tant réputés pour se déplacer, si ? Non pas que j'en aie déjà vu, ici, à Antelucas, vous pensez bien. Et vous, y-a-t-il beaucoup d'ours là d'où vous venez ?

« Non, pas beaucoup. Les noms de sorts sont parfois d’une navrante platitude. Ils sont imaginés par ceux qui les mettent au point. Grand mage ne veut pas dire grande imagination. De plus, je gage que tous les sorts ont en vérité plusieurs noms, voir des dizaines, ceci sans même tenir compte des diverses versions que proposent chaque langue. Le nom retenu couramment, le plus employé, n’est pas toujours le plus judicieux. Aussi, je m’intéresse moins au nom qu’au sort en lui-même, à ce qui le constitue, aux principes qui lui permettent de fonctionner. »

Alchem prit le parchemin, y glissa un regard attentif, puis revint au commerçant.

« Ce sera tout pour moi. Combien vous dois-je ? »

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Antelucas