La Couronne de Cuivre

Les bras croisés, Althéa dansait d'un pied sur l'autre en évitant d'émettre le moindre commentaire. Comment, Helm ne captait pas ses fidèles dans cette partie du monde ? Son contrat se limitait-il à Manost ? Ou était-ce ses fidèles qui ne croyaient pas assez fort ? Mais elle demeura coite. Car mine de rien, cela l'inquiétait un peu. Pas de pouvoir signifiait pas de soins, donc une chance supplémentaire de mourir.

Doucement, elle sentait la panique croître en elle. Un peu plus et elle demanderait à rentrer à Manost sans autre forme de procès. Mais elle se rattrapa juste à temps. Après tout, le silence divin n'était sûrement que passager. Rassemblant ses esprits, elle parvint à dire.

"Dans tous les cas, si nous restons immobiles, nous risquons de devenir une proie très facile. Nous ferions mieux de repartir."

" ... Oui... Repartons... "

La voix de Mical était blanche. Non seulement lui, mais Corwin Balder aussi, un homme qui avait passé sa vie à servir Helm sans faiblir? Il se sentait bien incapable de répondre à la question de la paladine. Ou plus exactement, il avait peur de la première réponse qui pouvait être donnée.

Me suis-je trompé? Ai-je trahi Helm en suivant les conseils du Haut Prélat?

Il ne comprenait pas. N'était-ce pas Helm lui même qui les avait envoyé sur cette quête? Il avait vu l'apparition, de ses propres oreilles, avait entendu ses ordres! Tout cela n'avait été qu'une mascarade? Il fallait bien qu'ils aient encouru la colère de Helm pour qu'il reste ainsi sourd à leurs appels. Ou y avait il une autre raison? Le phénomène n'était pas sans lui rappeler ce qui avait pu se produire lors du Temps des Troubles, mais cette époque était depuis longtemps terminée; Helm avait même été le seul dieu à conserver sa place dans les royaumes célestes! Non, le problème devait venir d'eux. Malheureusement, il ne voyait pour l'heure aucun moyen de remédier à la situation. Eroeh pourrait peut être apporter des réponses...

Brus percevait mal la gravité de la situation. Ou pour être tout à fait juste, il ne comprenait rien. D'abord l'échec des deux prêtres, puis leur air désorienté. Il regarda son bras comme s'il était le fautif. Les propos de Chandara lui paraissaient plus probables que ceux du vieux prêtre qui avait l'air de dérailler sec. Un peu fatigué oui, ils l'étaient tous après tout. L'adolescent chercha le regard d'Althéa mais celle-ci semblait atteinte aussi. Finalement il haussa les épaules. Reprendre la route était sans doute le mieux à faire, l'ambiance n'était déjà pas au top, c'était une longue marche moribonde qui se profilait dans son esprit. Et puis il avait un peu faim, et un peu mal au bras, bien que plus personne n'en ait rien à faire.

Poursuivre leur route, mais pourquoi ? A quoi bon poursuivre une mission que Helm désavouait d'une façon si éclatante ? Corwin n'avait aucune idée de la raison pour laquelle son dieu pourrait désapprouver une quête qui avait tout de la mission sacrée, mais les faits étaient là - Mical, Chandara et lui étaient déchus. S'étaient-ils laissés tromper, l'apparition du temple n'était-elle qu'une mystification ? Eroeh avait-il cessé d'être l'Élu ? Étaient-ils sans le savoir devenus des agents de l'ennemi ? Accablé, Corwin n'accepta de suivre le mouvement que parce qu'il n'avait plus assez d'énergie pour formuler une volonté propre.

Suivant l'avis de la majorité, ils remontèrent le fleuve en direction du nord-est, dans l'espoir de trouver rapidement un gué. Dès que l'on remontait en amont de la cordillère où il recevait le renfort de nombreux affluents descendus des sommets, le cours d'eau devenait beaucoup plus calme, presque placide. Il demeurait encore trop large, cependant, pour en envisager facilement la traversée. Rattrapés par la nuit, ils durent faire une première halte : entre les helmites ne desserrant pas les lèvres et Brus dont la blessure s'envenimait, la veillée fut morose. Le lendemain, deux heures après être repartis, ils atteignirent l'orée d'un village. Un bac était bien visible à l'entrée de l'agglomération, ainsi que les deux hommes qui le gardaient. C'était une occasion de prendre quelques renseignements, de faire quelques courses ou de couper plus vite au nord, s'ils le souhaitaient.

Quête : le Poing levé

Chandara avait à peine échangé quelques mots avec ses compagnons d’infortune depuis la veillée précédente. Tout le monde semblait s’être résolu à progresser en silence, aucun n’osant prendre l’initiative d’une conversation dont aucun n’avait envie de mesurer les implications. Le sentiment de vide qu’elle avait ressenti la veille ne s’était pas estompé avec l’habitude. Elle s’était interrogée une bonne partie de la nuit sur les raisons qui lui avaient retiré la grâce d’Helm. Mais au fond elle savait : elle avait été acceptée dans l’Ordre des paladins sur une erreur, un jugement trop clément à propos des erreurs qu’elle avait commises au cours de sa mission d’intronisation. Son incompétence avait coûté la vie à un ancien helmite et probablement à d’autres encore que les monstres avaient eu le loisir de massacrer après qu’elle les eu laissé échappés. Peut être la colère divine était telle qu’elle rejaillissait maintenant sur ceux qui lui avaient fait confiance, l’avait accepté dans leur groupe malgré l’iniquité de sa promotion. Elle ne savait pas comment aborder le sujet avec les prêtres, comment faire part de ses doutes. Proposer de quitter le groupe, outre passer pour de la lâcheté en cette heure sombre, n’arrangerait probablement pas pour autant la situation. Il lui fallait trouver un moyen de s’amender aux yeux du vigilant, de mériter son pardon ou au moins celui de ses compagnons. Sombre, elle resta en retrait, laissant l’initiative à ses compagnons plus expérimentés et méritants.

Mical se décida à parler le premier aux sentinelles, quelle que soit sa morosité. Se murer dans le silence n'arrangerait sans doute pas la situation, et d'autres sujets exigeaient leur attention.

" Nous avons un blessé. Avez vous quelqu'un qui serait à même de s'en charger ici ? "

Le ton avait été plus cassant qu'il ne l'aurait souhaité. Mais les évènements d'hier avaient mis ses nerfs à fleur de peau, et la nuit blanche -en ce qui le concernait- qui avait suivi n'avait probablement rien arrangé. Il espérait que se concentrer sur d'autres sujets que sur l'inneficacité de leurs prières parviendrait à le faire sortir de sa léthargie...

Si son ton manquait d'aménité, les deux gardes du bac ne parurent pas le remarquer. Ou alors, ils l'imputèrent à l'inquiétude que Mical devait éprouver devant l'infection de la blessure...

"Oh, nous avons un prêtre d'Ilmater qui a sa chapelle non loin d'ici, je vais aller vous le chercher", dit l'un des deux hommes, qui s'éloigna bientôt en direction du village. L'autre demeura près du groupe, qu'il observait sans dissimuler sa surprise. Un groupe hétéroclite, avec blessés, femmes, enfants et vieillards, et plusieurs prêtres helmites à cours de sorts de bon matin... Aventuriers ? réfugiés ? Voyant leur nervosité, il s'abstint cependant de les interroger davantage.

"Nous ne recevons pas souvent des visiteurs dans votre genre", reprit-il pour faire la conversation. "Vous voudrez prendre le bac ?" Il désigna le grand radeau pour l'heure au repos entre ses câbles tendus d'une rive à l'autre. "Si vous allez au nord, je vous le conseille. Une pièce d'or chacun, ce n'est pas le diable. Et vous ne trouverez pas de gué avant trois jours. "

Quête : le Poing levé

Les considérations pratiques et le soulagement de voir au moins leur compagnon sur le point d’être guéri rassérénèrent quelque peu la paladine. Elle éprouvait aussi, il fallait le reconnaître, une certaine curiosité morbide en songeant que peut être les sorts du prêtre d’Ilmater échoueraient eux aussi. Sans fournir d’explication au phénomène qui les affectait, cela la rassurerait au moins sur sa propre condition. Immédiatement, elle s’en voulut d’une telle pensée abjecte et égoïste et sombra à nouveau dans la morosité et l’apitoiement : elle méritait son sort pour son manque de valeur et de foi.

" Je pense que nous prendrons le bac, oui. "

Le prêtre était trop épuisé pour se rendre compte qu'il venait, sans concertation préalable, de prendre une décision impliquant le reste du groupe. Tout ce qui comptait pour lui, désormais, c'était d'en finir avec cette chasse au fantôme au plus vite, et de rentrer à Manost dans les plus brefs délais. Surtout, toute minute passée à ne rien faire lui paraissait désormais difficilement supportable, comme par exemple attendre que la seconde sentinelle revienne avec ce prêtre d'Ilmater.

Si ils pouvaient revenir avant que la gangrène n'ait fait son oeuvre, je suis sûr que nous leur en serons tous reconnaissants...

Brus avait également peu dormi, son bras le lançait constamment et la douleur, d'abord latente, était de plus en en plus vivace. Une tache sombre était aussi apparue sous sa tunique, à l'endroit ou la flèche avait percé la peau. Alors qu'il suivait le chemin en haletant il commençait à se dire que, partir à l'aventure, ce n'était pas si joyeux ni si beau que cela, et que la leur commençait même à prendre une tournure inquiétante. Il salua les deux hommes du bac d'un hochement de tête lorsqu'ils parvinrent à leur hauteur. La vue du village derrière était réconfortante après ces longs jours passés à marcher en pleine nature, sans rencontrer âme qui vive, hormis les gnolls. Brus reprit un peu plus espoir lorsqu'il comprit qu'ils avaient trouvé quelqu'un qui pourrait le soigner, il sourit à Althéa, finalement, tout n'allait pas si mal.

Althéa - même si elle avait du mal à se l'avouer - ne se sentait pas tranquille. Les sorts de soin ne marchaient pas et ils avaient encore du chemin à faire. A la prochaine bataille, ils risquaient de cumuler les blessures. Déjà, celle de Brus prenait une tournure assez inquiétante.

L'envie de retourner à Manost la taraudait de plus en plus. En même temps, rebrousser chemin sans escorte risquait d'être aussi périlleux qu'à l'aller. Il fallait donc attendre, suivre le groupe ... Et pour une fois, elle laissa le prêtre prendre la décision.

Edit : post de Lothringen

Le village n'était pas bien loin et il ne fallut pas beaucoup plus de quelques minutes avant que la sentinelle ne revienne en compagnie du prêtre Ilmate. Ce dernier examina la blessure en réprimant un haussement d'épaules : un simple début de gangrène provoqué par une blessure au fer rouillé, nombre de paysans s'en faisaient d'aussi graves en poussant leurs charrues... Il invoqua alors la pitié de son dieu, la compassion de son dieu, et lança deux soins successifs sur le gamin. Au grand soulagement de ce dernier, la plaie se referma, et il sentit que c'était bel et bien guéri, par d'entourloupe, la peau lisse, et rien en dessous que de la chair bien saine et du sang pur.

"Voilà, c'est fini", commenta laconiquement l'Ilmate avant de prendre congé. Il n'avait fait aucun commentaire, mais son regard s'était longuement attardé sur les symboles de Helm qui ornaient les armures de Corwin et de Mical. Si quelqu'un les guettait quelque part, ils étaient repérés. Corwin trouva d'ailleurs cette guérison particulièrement mortifiante. L'Ilmate était venu à bout de cette blessure avec deux bêtes soins des blessures légères ! C'était même tellement basique pour lui qu'il n'avait même pas demandé de paiement. Humpf...

Ils entreprirent ensuite de traverser la rivière. Lorsque tous six eurent payé et pris place sur le bac, les deux villageois actionnèrent les manivelles qui faisaient coulisser les cordages. Cela dura un peu de temps, car le courant était assez important, mais ils parvinrent bientôt sur l'autre rive, sans autre dommage notable que des bottes détrempées.

Suite : arrivée du groupe à Dernek

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