La Couronne de Cuivre

Elle ne parut en rien offusquée par son discours. Bien au contraire, elle semblait amusée.
-J'imagine que, par contre, les hommes peuvent se montrer torse nu sans que personne ne s'en offusque ou prenne cela pour une... incitation envers la gente féminine. Et pourtant... Un torse d'homme, c'est beau, c'est... propre à susciter l'envie, aussi. Moins, peut-être, que d'autres parties de votre anatomie, mais tout de même. Là encore, la culture, l'héritage jouent leur rôle et créent une inégalité de fait.
Elle soupira.
-Est-ce que les femmes doivent se cacher, chez vous, pour allaiter leurs enfants ? Est-ce qu'assister à semblable scène émoustille les hommes, est jugée provocante ?

" Disons que... les hommes ne s'exhibent pas torse nu à longueur de journée... Même s'il est vrai que nous le faisons lorsque nous nous entraînons à la lutte, par exemple, et qu'il fait très chaud... Pour effectuer certains travaux... Par confort... Et... J'ai toujours cru que... pour la même raison, il était plus... agréable pour une femme de disposer de quelque chose... pour lui soutenir... Enfin, vous voyez... A la lutte par exemple... On s'agrippe un peu... à tout ce qui passe, pour déséquilibrer l'adversaire... Si vous voyez ce que je veux dire, heu... Hum."
Il eut une grimace.
" Je ne me suis jamais posé de grandes questions sur ces sujets. Et je ne pense pas qu'une femme allaitante dégoûte qui que ce soit... D'un autre côté... Dans certains milieux, les femmes ne se chargent plus de nourrir leurs enfants : cette tâche est dévolue à des nourrices, des femmes que l'on rétribue à cet effet. C'est... une forme d'esclavage, de devoir être disponible jour et nuit pour s'occuper d'un nourrisson braillard. En tout cas, c'est toujours ce que ma mère m'a dit. Elle préférait... jouir de sa liberté plutôt que d'être enchaînée à un bébé... Dans d'autres familles, on utilise du lait de vache ou de chèvre, cela permet aux femmes d'être complètement tranquilles : n'importe qui peut alors être responsable de l'enfant. Homme ou femme. Bon, évidemment, les familles nobles sont toujours réfractaires au progrès, c'est pour ça qu'elles préfèrent employer des nourrices. Mais elles en viendront à changer d'attitude, je n'en doute pas, et atteindront cette égalité parfaite entre hommes et femmes, une fois leur progéniture née."

Elle avait haussé les sourcils.
-Mais... Quoi de meilleur, pour un bébé, que le lait maternel ? Le lait des vaches est parfait pour les veaux, pas mauvais pour les enfants, mais... Ce n'est tout de même pas l'idéal. Après, oui, c'est mieux si chacune peut choisir ce qu'elle veut faire, ce qu'elle peut accepter, en toute connaissance de cause et sans contrainte. Et c'est pareil pour le reste : les femmes qui veulent quelque chose pour soutenir leur poitrine doivent pouvoir en disposer, celles qui ont la chance d'avoir des seins fermes doivent pouvoir s'en passer. Pour la lutte... On s'agrippe à tout ce qui passe, d'accord. Mais il y a aussi des choses à agripper, chez un homme, et la toile d'un pantalon n'est guère épaisse. Pourtant, recourez-vous à ce genre de pratique ?

" Je ne suis pas un spécialiste..." dit Arthur. " Mais vous voyez... A la lutte, on se bat avec les mains... Or, vous voyez... la poitrine d'une femme... est plus directement exposée et... c'est sûr que dans des versions où tous les coups sont permis... un mauvais coup de genou... mais... la discipline qui est enseignée au paladinat de Luménis est très codifiée. Mais si on devait y interdire les coups portés sous la ceinture et ceux portés au torse... il ne resterait plus grand chose sinon des crânes à fracasser, des dents à briser et des oreilles à arracher. Ce qui serait, vous en conviendrez, relativement barbare. Cela dit, vous avez raison... Le monde idéal est celui où chacun, chacune, peut faire ce qui lui convient le mieux. Même si je ne suis pas certain que cela ait réellement un sens, à partir du moment où, comme vous le disiez, nous sommes tous façonnés par notre apprentissage et nos expériences... Mais... si vous désirez... demeurer la poitrine découverte... Je respecterai votre choix. Je ne m'en offusquerai pas. Je ne vous fuirai pas. Et je n'aurai pas de pensées coupables. Donc, soyez vous-même, je vous en prie. Je peux respecter vos coutumes."

-C'est gentil à vous. Mais nos coutumes n'impliquent pas que nous nous baladions les seins à l'air tout au long de la journée, ni que nous vaquions à nos occupations dans le plus simple appareil. Nous ne sommes sans doute pas très pudiques, nous ne l'étions déjà pas lorsque notre clan était encore uni, et nos mâles pas plus que nous. Cela tient sans doute au climat, comme vous le disiez. Mais nous ne passons pas tout notre temps au village, ou au bord de la rivière. Et pour explorer la forêt, grimper aux arbres... Avoir quelque chose sur la peau, c'est tout de même bienvenu.

" J'imagine." fit le jeune paladin.
Il avait peine à croire qu'il venait de discuter nudité avec cette parfaite inconnue. S'il racontait ça à la commanderie, il était bon pour une semaine de quolibets, grand minimum.
" En parlant de vêtements... Vous voulez que je fasse de la lessive ? Je ne suis pas très calé pour le repassage, mais en général, le cuir n'aime pas trop ça, si je ne m'abuse. Puis je peux laver et je vous laisserai les aspects plus... risqués pour vos affaires. Je m'en voudrais de trouer votre tenue favorite."

Elle réfléchit un instant.
-Oh, j'ai bien deux trois affaires à nettoyer. Ce n'est pas très urgent, mais... J'imagine que cela correspondrait bien à ce qu'on voudrait que je vous fasse faire. Nous laverons donc le linge de concert... Le votre y compris. Parce que, sans vouloir vous vexer...
Elle lui adressa un clin d'œil.
-Et ne vous inquiétez pas : je vous donnerai de quoi vous couvrir pour remplacer ce que vous aurez ôté.

" Oh..." murmura le jeune paladin. " J'espère... que je ne vous ai pas importunée..."
Il n'était que trop conscient de l'état détestable de ses vêtements. En même temps, il n'avait pas eu la possibilité d'en changer.
" Nous avons tout perdu dans le naufrage du navire... Entre le moment où les pirates ont attaqué, celui où nous avons dû embarquer dans les chaloupes... Nous n'avons conservé que ce que nous avions sur le dos. Enfin... Certains sont redescendus sous le pont pour aller quérir leur paquetage mais... je n'ai pas eu cette présence d'esprit. Nous coulions... Nous avons dû abandonner un équipage méritant derrière nous... Je ne me suis pas soucié de... de l'accessoire... Je ne pensais pas avoir à en rendre compte."
Il eut un sourire contrit.
" A vrai dire, je ne suis pas certain qu'il y ait moyen de ravoir quoi que ce soit... Tant de sueur, de bave de méduse, de poussière, de sève... Sans compter cette charmante déchirure... et celle-là... Vous avez sûrement un matériel à repriser, cela dit, que je pourrais vous emprunter."

-Oh oui, ça, on a, ne vous inquiétez pas. Mais si c'est aussi catastrophique que ça en a l'air... On vous vêtira de neuf de la tête aux pieds. Ah, et permettez-moi de vous détromper : vous ne m'avez pas importunée, et ma remarque était avant tout une taquinerie. Je ne vous demandais certainement pas de rendre des comptes, d'autant que votre comportement sur le navire a été le plus logique.
Elle croisa les bras.
-Mais vous parliez de bave de poulpe...

" De méduse, pas de poulpe." fit Arthur avec le sourire, bien qu'il soit désormais terriblement conscient de l'inconvenance de sa mise. " Quand nous avons abordé... Les courants magiques qui protègent l'île nous ont séparés de nos compagnons naufragés et nous nous sommes retrouvés dans une crique pleine de petites méduses... Enfin, nous le croyions. Jusqu'à ce qu'une énorme créature monstrueuse surgisse des flots avec l'intention certaine de nous dévorer. D'où la bave de méduse. Je crois que j'en ai quelques taches... Elle avait des tentacules plutôt entreprenants, je dois dire."

-Oui. J'ai déjà eu l'opportunité de voir ces tentacules...
Elle se tut, le dévisagea avec une expression indéfinissable.
-Qu'avez-vous fait... Qu'avez-vous fait à la Mères des Méduses ? s'enquit-elle au bout d'un moment. Vous êtes-vous contentés de lui échapper ou l'avez vous... tuée ?

Arthur blêmit. Voilà qu'ils avaient charcuté la déesse primitive d'une peuplade qui respectait, à n'en pas douter, tous les principes de la nature, de la fourmi qui pique à la fougère qui gratte, en passant par la méduse qui flotte.
" Et bien, c'est que... l'affrontement a été assez rude... et nous n'avions pas encore complètement réalisé que l'île avait des propriétés étranges en matière de magie... Nous avons essayé de fuir... mais elle était de très mauvaise humeur... et nous avons dû combattre pour sauver ceux qu'elle avait décidé d'ingurgiter... Mais je ne pense pas que nous l'avons tuée. Elle avait l'air coriace. Nous l'avons... convaincue de se retirer, je pense plutôt. Cela se retape vite, non, ce genre de bestioles ? Les tentacules repoussent, tout ça. Je suis désolé si nous avons... fait du mal à l'une de vos amies mais... elle ne semblait pas beaucoup nous apprécier, elle non plus. Et elle ne nous a pas laissé faire nos preuves."

-Vous aviez dû les faire... Est-ce que je me trompe en pensant que vous vous en êtes pris à ses petits ?
Elle le toisait d'un air sévère.
-Dans tous les cas, l'affronter était chose risquée : elle aurait pu vous prendre la vie. Mais, surtout, ses appels auraient pu faire venir sa mère, voir sa grand-mère. Et là, vous auriez été mal engagés : ses tentacules sont si longs qu'ils vous auraient poursuivi jusque dans la forêt.
Elle soupira, puis s'illumina d'un sourire.
-Enfin, nous verrons sous peu ce qu'il en est de votre victime : elle doit justement passer prendre le thé, cet après-midi. Vous aurez donc l'occasion de vous rabibocher.

Arthur se fendit d'un léger sourire, mais il n'osa pas aller plus loin. Il n'était pas certain que l'amazone soit réellement amusée, même si elle dédramatisait la situation.
" Nous avons en effet... causé du tort à ses petits... Mais ils voulaient nous... nous... piquer, je suppose ! Et comme je vous l'ai dit, nous n'avions aucune idée des pouvoirs entropiques de l'île... Nous voulions juste... nous ouvrir un chemin jusqu'à la plage... et puis les choses ne se sont pas passées comme prévu... Enfin. Oui, heureusement que toute la famille ne s'est pas rassemblée pour nous accueillir... Cela dit, j'ignorais que vous fréquentiez des méduses. Je vous imaginais plutôt cousine avec les écureuils, les chouettes et les... les..."
Il se creusa la cervelle.
" Les biches, j'imagine. Même si celles de cette île doivent mesurer... oh... comme des dragons."

-En réalité, nous sommes plutôt proches des tigres et des panthères. D'ailleurs, certaines d'entre nous possèdent semblables félins comme familiers. Quant aux méduses... Nous ne les fréquentons que pour deux raisons : d'abord, leur chair, préparée avec les précautions d'usage, est un met succulent, pour qui aime les... fruits de mer, dirons-nous. Ensuite, parce que leur venin est redoutable : selon la manière dont on l'apprête, dont on le concentre, il peut provoquer un évanouissement, une mort immédiate ou une longue et douloureuse agonie sans aucun espoir de rémission.

" Des panthères... J'aurais pu y penser tout seul." murmura Arthur, songeur. " Quant aux méduses... Et bien, je remercierai Lathandre d'être toujours en vie, dès lors."
Il hésita une seconde.
" Puis-je vous demander... quel est votre... métier ? Si vous en avez un, bien sûr. J'imagine que survivre dans cette forêt doit déjà constituer une activité honorable mais... Enfin, si c'est inconvenant, je ne voudrais pas... Je sais que vous étiez sensée me... me mettre à l'épreuve, et ce n'est pas à moi de vous poser des questions, mais... enfin... Je demandais ça comme ça... Oubliez ça."

-Oh, mais il n'y a pas de mal : et comme j'ai déjà pu vous le dire en au moins deux occasions, l'épreuve est terminée. Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez : dans le pire des cas, s'il m'est interdit de vous répondre, je vous le signalerai simplement.
Elle désigna une étagère couverte de fioles et de bocaux.
-Outre contribuer à la chasse et à la défense du village quand cela s'avère nécessaire, je m'occupe de préparer les poisons dont je vous parlais à l'instant. Cela vous paraîtra sans doute peu honorable, mais... La vie ici nous a appris à être efficaces, à laisser le moins possible de place au hasard. Lorsqu'il faut affronter un Achaïeraï par exemple... On a intérêt à ne pas manquer son coup. Et à ce que celui-ci soit mortel.

" Oh." murmura Arthur. " Vous avez de la chance... et moi aussi... que je n'ai pas pris votre stock pour la réserve de condiments... J'aurais pu méchamment épicer l'omelette..."
Il frissonna à cette seule pensée.
" Mais j'imagine que lorsqu'on est empoisonneuse, on aime vivre dangereusement."
A la mention de la profession de la jeune femme, le paladin eut un nouveau frisson. Sans doute disposait-elle d'une mixture capable de rendre docile le premier mâle rebelle venu. Heureusement qu'il était ce qu'il était, et qu'elle avait été touchée par son tempérament... Les dieux seuls savaient ce qu'il aurait pu advenir autrement.

-Que j'aime ou non ce genre de vie, je n'ai de toute façon pas le choix : résider sur cette île est risqué, vous avez pu vous en apercevoir. Mais ce n'est pas le goût pour le danger qui a motivé mon choix.. Dans notre clan, il est de coutume que les enfants s'initient à tous les métiers, afin de voir lequel leur convient le mieux, leur plait le mieux. Or, il s'est avéré que j'étais assez douée pour les préparations de produits divers. Et surtout, il y avait le revers, ou plutôt la face de la médaille : qui connaît les poisons connaît les antidotes. Ce qui peut sauver bien des vies, compte tenu de la faune locale. Sans parler des vies épargnées par l'usage adéquat du poison, lors de nos chasses... C'est cet aspect là des choses que j'aime vraiment. Pas le côté morbide.

" Je ne suggérais rien de tel." murmura le paladin. " Et je peux parfaitement comprendre la fierté et la joie qui émanent de la maîtrise d'un tel talent."
Il ne savait pas très bien quoi faire de lui-même à présent que la vaisselle était terminée. Mais sans doute Elwen ne tarderait-elle pas à les mettre à la lessive, à moins qu'elle ne préfère qu'il récure le plancher (il était devenu expert en la matière) ou répare quelque chose sur le toit. La vie toute simple qu'elle menait dans sa cabane n'était pas sans lui rappeler l'ascétisme en vogue dans l'ordre, même s'il savait qu'il était davantage dû à la conjoncture luménienne qu'au sérieux des Lathandrites.
" Nous autres paladins avons tendance à utiliser les pouvoirs que nous confère Lathandre pour soigner... Bien que nous ne soyons pas très habiles en matière de poison. Et je sais que nous ne devons pas en abuser : les moyens naturels sont toujours préférables. Mais dans quelques mois, si tout va bien, si je ne m'en tire pas trop mal, je devrais acquérir une résistance aux maladies, par exemple. Cela me sera sans doute utile... Même s'il sera trop tard pour me prémunir de tous les miasmes que transportent les moustiques de cette île... A ce sujet... Vous n'auriez pas quelque chose pour en apaiser et peut-être prévenir les piqûres, par hasard ? Ils ont festoyé depuis notre arrivée en vos terres et... leur taille démesurée les rend plus faciles à repérer et écraser, mais quand ils parviennent à leurs fins... J'ai l'impression qu'un seul de ces monstres pourrait vider un nourrisson de tout son sang en l'espace d'une respiration..."

L'amazone sourit.
-Oh, les vraiment gros moustiques en sont capables. De cela, et de choses bien pires encore. Mais il y en a peu dans ces parages et, heureusement, vous ne les avez pas croisés... Pour les petits qui vous ont assailli, j'ai de quoi vous apaiser, oui. Mais il vaudrait mieux... Que vous vous laviez auparavant. Sur une peau sale, l'effet est aléatoire...
Elle alla récupérer un petit bocal contenant un onguent à l'odeur étrange mais pas désagréable, et le lui mit dans les mains.
-Je vais chercher le linge. Ensuite, direction la rivière, ajouta-t-elle avant de disparaître dans la pièce voisine.

Le jeune paladin attendit bien sagement que l'amazone reparaisse. Il avait bien entendu l'intention de la délester de son fardeau de linge dès que possible, même s'il était un peu inquiet à l'idée de sortir de la cabane. Protégé par ses murs, face à une Elwen moins cruelle et démente qu'imaginé, il se sentait en relative sécurité. Il se sentait même bien. Mieux que depuis des jours entiers, à n'en pas douter, et peut-être même mieux que sur la Nébuleuse. Mais au dehors... Il imaginait sans peine les harpies perchées dans les arbres et les fouines tapies derrière les buissons, qui surgiraient pour l'assaillir et le tourmenter dès qu'il mettrait le nez à l'extérieur. En même temps, qu'avait-il espéré ? Qu'Elwen dispose d'un lavoir privatif au fond de sa cambuse ? C'était ridicule.

Elle reparut l'instant suivant et lui tendit une tenue propre : un pantalon, une tunique, et même des bottes. En revanche, elle garda sous son bras un ballot de linge sale qu'elle ne paraissait pas désireuse de lui confier. Il semblait en tout cas extraordinairement petit : soit elle ne changeait que rarement de tenue, soit elle avait fait une lessive peu de temps auparavant.
-En route ! lança-t-elle d'un ton léger.
Ils gagnèrent l'extérieur. Et contrairement à ce qu'avait craint Arthur, nulle amazone ne l'assaillit. Il ne voyait pas même une sentinelle aux environs. Tout juste entendait-il la discrète rumeur de la vie quotidienne dans les cabanes et les ruelles voisines.
En peu de temps, ils furent à la rivière, en un point où elle s'élargissait et se faisait plus profonde. Ses eaux limpides étaient des plus tentatrices, dans l'atmosphère déjà moite et surchauffée de ce milieu de matinée.

Arthur avait décidé de calquer son comportement sur celui de la jeune femme. Si elle avançait dans l'eau sans crainte, c'est qu'il n'y avait nul brochet géant tapi dans les algues, prêt à dévorer l'importun. Mais Elwen n'était pas sale et elle lui avait fait clairement comprendre qu'il devait laver ses vêtements et lui-même. Il s'écarta donc de quelques pas, jusqu'à une distance qu'il estima raisonnable : ni trop éloigné, après tout, il ne pouvait pas fausser compagnie à sa geôlière, ni trop proche, il n'était pas non plus très à l'aise de se déshabiller tout près d'elle. Même si sa définition de la pudeur était plus lâche. Juste avant de retirer ses vêtements, il se tourna vers la jeune femme.
" Vous pouvez me donner votre linge, comme ça vous ne devrez pas vous mouiller."

Elle lui adressa un sourire mutin.
-Et qui vous dit que je n'ai pas, justement, envie de me mouiller ? Rien de tel qu'une petite baignade "matinale" pour entrer d'un bon pied dans la journée à venir. Si je ne craignais de vous choquer, je serais déjà en train de nager.
Elle déposa son ballot sur la berge.
-Pour la lessive... Vous aurez assez affaire avec vos propres frusques, je pense. Et que ferais-je, moi, si je n'ai même pas cela pour m'occuper ?

" Vous ne devez pas vous priver pour moi. Je vous l'ai dit, je respecterai vos manières de faire. Soyez juste indulgente avec mon embarras..."
La tentation d'entrer tout habillé dans l'eau était grande, vu qu'il devait de toute façon laver ses vêtements, mais il avait l'impression qu'Elwen ne pourrait que se moquer d'une telle pudibonderie, si elle n'en prenait pas ombrage. Aussi retira-t-il sa chemise tachée et déchirée, puis ses chausses et ses bottes, avant d'entrer dans l'eau. Il garda le regard fixé sur la rive opposée, se chargea de ses vêtements, et progressa vers le centre du bassin. L'eau était parfaitement transparente et quelques poissons s'écartèrent, de taille raisonnable. Sans doute des alevins. Arthur refusa de penser aux écrevisses monstrueuses tapies sous les rochers. Il frissonna. Même si le soleil était déjà généreux, la rivière était froide, mais il avait à coeur de s'y dissimuler rapidement. Il faut penser qu'elle entendit sa prière muette, car le sol se déroba brusquement sous ses pas et il se retrouva immergé jusqu'à la poitrine, ce qui lui arracha un cri aigu relativement ridicule. Il jeta un regard embarrassé à l'elfe puis soupira d'aise. L'eau avait un effet apaisant immédiat sur les brûlures que le soleil avait infligées à ses épaules et sur les mille morsures d'insectes. De surcroît, il pouvait deviner la fuite de la poussière dans les profondeurs de l'onde.

Son coup d'œil et une joyeuse éclaboussure lui apprirent qu'Elwen avait imité son exemple et, à son tour, gagné les eaux revigorantes. Le cri aigu en moins, cependant.
Quelques secondes plus tard, l'elfe se fendait d'une brasse paresseuse dans la partie la plus profonde de la rivière, s'éloignant puis se rapprochant d'Arthur avant de repartir à nouveau. Respectant sa gêne, elle ne chercha jamais à le rejoindre complètement, maintint toujours une certaine distance entre eux.
A les voir ainsi barboter dans l'onde pure, au milieu de ce décor paradisiaque illuminé par les rayons du soleil, nul n'aurait pu imaginer qu'il s'agissait là d'une geôlière et de son prisonnier, que la vie de ce dernier était encore en sursis, et que de périlleux combats les attendaient sous peu. A dire vrai, la menace des mages et de leur serviteurs paraissaient presque farfelue, irréelle.

Et Arthur finit par se laisser gagner par cette quiétude. La rivière paraissait tellement accueillante, la matinée tellement radieuse... Elwen le rappellerait à l'ordre s'il franchissait la limite de ce qui lui était permis, vu son statut précaire. Il risquait au pire une verte réprimande et avait l'impression qu'il y survivrait. Il lança donc ses vêtements mouillés vers la berge puis feint vaguement de se laver, tout en nageant à son tour. Il ne s'approcha pas pour autant d'Elwen, qu'il ne voulait pas brusquer en pénétrant dans son espace personnel. Bientôt, il se contenta de flotter sur le dos, lorgnant le soleil au travers de la canopée des grands arbres. L'instant était parfait, unique. Il avait presque envie de ne plus jamais bouger, de ne plus jamais partir. Demeurer inerte, à tout jamais, sous les rayons bienfaisants de Lathandre, en bonne compagnie... Que demander de plus ?

Elwen ne le rappela pas à l'ordre. Et les minutes s'écoulèrent sans qu'il eut la moindre idée de leur nombre. Il dut en passer beaucoup, pourtant, car lorsqu'un sifflotement ténu le poussa à regarder en direction de l'amazone, il la trouva assise sur l'herbe de la berge, presque sèche, occupée à défaire son ballot de linge sale.

Elle était toujours nue, aussi le jeune paladin s'approcha-t-il sans lever les yeux. Il demeura dans l'eau, à bonne distance, avant de lui adresser la parole.
" Je peux vraiment me charger de votre lessive... Je pense que ce serait bienvenu, d'ailleurs... Si vos amies nous observent... Je ne voudrais pas que vous ayez des ennuis à cause de moi, parce que vous vous êtes montrée trop... bienveillante..."
Il réalisa d'autre part qu'il serait forcé de sortir de l'eau pour aller chercher sa propre pile défraîchie, de toute façon.

La Couronne de Cuivre

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