La Couronne de Cuivre

Chandara esquissa un sourire charmant avant de répliquer d'un ton mi amusé, mi grave :

- Vous êtes bien aimable mais je ne dois pas être ce genre de paladine ou alors j'en suis une très mauvaise. Rien que l'idée d'aborder des inconnus et de leur parler m'angoisse alors de là à avoir une influence sur eux sans parler de les commander. Alors autant vous dire que parfois, j'aimerais bien qu'on m'aborde pour me parler de spiritualité. Même si je ne saurais pas vraiment quoi répondre...

"Vraiment ? Et moi qui comptais vous parler de cela précisément parce que vous êtes une paladine... me voilà déçu !", fit-il, l'air taquin. "Je suis certain que vous avez une certaine expérience de ce genre de situations... et quand bien même personne n'aborde ce sujet avec vous, je gage que vous avez vous-même la spiritualité nécessaire pour répondre comme il sied."

Lui-même avait une existence assez peu tournée vers la religion. Cela ne lui avait jamais porté chance, pour tout dire... toutes les péripéties, graves ou non, qu'il avait pu subir durant sa vie et au-delà étaient liées à une divinité quelconque. Et malgré son expérience, il n'était pour l'instant pas arrivé à se faire à l'idée qu'il devait "choisir" une divinité en accord avec son mode de vie. Évidemment, il ne savait pas encore bien lequel il était... il se cherchait encore de façon bien plus fondamentale que ces aspects spirituels.

La paladine esquissa un nouveau sourire à la plaisanterie du guerrier. une fois n'était pas coutume, elle ne se sentait pas mal à son aise à discuter avec un inconnu rencontré quelques minutes à peine avant. C'était une sensation rafraichissante bien qu'elle se demanda si son angoisse de partir en campagne ne la poussait pas à reléguer quelque peu ses inhibitions sociales. Il fallait tout de même reconnaître pour être honnête que Hughes avait une approche simple des choses invitant à se confier sans gêne.

- Puisque c'est vraiment ce que vous voulez ! Alors : au commencement était Ao, le père de toute chose...

Ses yeux s'agrandirent de stupeur, puis son visage se décomposa lorsqu'il entendit Chandara commencer à parler d'Ao. Puis, il surprit un début de sourire au coin de ses lèvres, suggérant fortement qu'elle ne faisait là que le taquiner. Ouf... il ne se sentait pas prêt à entendre parler de spiritualité aussi... avancée !

"Euh... non, non ! Je n'en demandais pas tant, tout de même ! Je me rends..." fit-il, l'air faussement suppliant. Puis, voyant que son sourire s'élargissait, il lâcha : "Vous voyez, vous influencez facilement les gens ! Non, j'aimerais beaucoup parler de spiritualité avec vous, mais pas sur un sujet aussi large... Voyons..." il réfléchit un instant pour formuler sa phrase comme il le souhaitait. "J'ai... des difficultés à me rattacher au culte d'une divinité en particulier. Et j'avoue avoir quelques craintes quant aux conséquences possibles. Mais d'un autre côté, se dévouer à un dieu simplement pour échapper à quelque triste sort ne me paraît pas très honnête... vous comprenez ?"

Chandara avait effectivement sourit lorsque que le guerrier l'avait interrompue mais sa question méritait un peu plus de sérieux et de réflexion. Pour clore la parenthèse et le mettre à l'aise, elle se fendit néanmoins d'une plaisanterie :

- Vous avez bien fait de m'arrêter et ça m'arrange ! Je me suis endormie à ce stade lorsque mon précepteur m'a donné ce cours de cosmogonie !

Mais elle revint ensuite au sujet plus grave qu'avait abordé Hughes en tentant de trouver la meilleure formulation possible de ses idées :

- Il y a plusieurs façons de choisir un dieu et j'ai la faiblesse de croire que c'est suffisant pour être lié à eux au moment de quitter ce monde pour rejoindre l'autre. Les prêtres vous diront qu'il faut les prier régulièrement et nommément. Moi je pense qu'ils sont plus clairvoyant que cela et qu'il faut suivre les préceptes d'un dieu pour attacher son essence à lui. En clair, les rites sont une façon d'honorer les dieux mais ce n'est certainement pas la seule et pas la plus essentielle non plus. J'espère avoir raison et qu'il y a une place pour mon âme dans le domaine des morts, même si je ne renonce pas à ma foi actuelle.

Le guerrier hocha pensivement la tête tandis que Chandara lui exposait son point de vue, intéressant s'il en était, d'autant qu'il rejoignait assez le sien. Il n'était pas versé dans la contemplation sans relâche des divinités, si bonnes fussent-elles ; il préférait l'action à la méditation, même si l'une pouvait aller avec l'autre, évidemment.

"Certes, vous avez raison, je crois. Cependant, malgré ces préceptes ma foi fort simples, je ne suis toujours pas arrivé à déterminer vers quelle divinité je pourrais me tourner... ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé. Pensez-vous qu'il puisse n'y avoir aucun dieu à correspondre à ma vision de l'existence ?"

Il ne le pensait pas, mais l'impossible était parfois bien réel...

Chandara lui sourit à nouveau, un peu plus intensément cette fois et sa voix se fit rassurante :

- C'est peu probable en effet ! Il y a plus de chances que vous soyez partagé entre les conceptions de plusieurs d'entre elles. J'ai entendu dire que même les Illithids avaient des dieux et vous ne me semblez pas présenter plus d'étrangeté que ces êtres bizarres. Enfin, je ne voulais pas vous comparer à eux, hein...

La paladine rougit de sa bévue avant de se reprendre :

- Cela dit, la nature de vos actions influence directement la divinité dont vous vous rapprochez. Alors je ne saurais que trop vous conseiller de bien vous comporter. Cela dit, vous ne m'avez pas laissé à penser le contraire.

Il ne tint pas du tout rigueur de l'allusion aux illithids ; il avait commis des actes ignobles, qui, même s'ils s'éloignaient de la cruauté suprême que ces créatures pouvaient imaginer, étaient loin d'être recommandables.

"Je vous remercie", fit-il, sincère. "J'ose espérer garder une ligne de conduite suffisamment claire. J'ai parfois quelques difficultés pour prendre des décisions sensibles à ce sujet, mais... j'imagine que c'est le cas de tout le monde, non ? Peut-être même davantage de la part de prêtres ou de paladins, d'ailleurs."

La brute épaisse et égoïste qu'il avait été ne s'était jamais embarrassée de ce genre de questions philosophiques. Certains malfrats ou crapules avaient parfois des remords, sans doute, mais il agissait en parfaite connaissance de cause, à l'époque. Il avait changé, désormais, du tout au tout. Et s'éloigner d'un chemin plus vertueux lui procurait une sorte de crainte mal définie, comme s'il était sur le fil du rasoir, comme si le moindre écart le referait basculer vers le Mal ou vers la mort. Tout cela l'effrayait plus qu'il n'osait se l'admettre... et il n'était pas vraiment conscient que son comportement était intimement lié à cet état de fait.

Chandara ne se sentait pas à l’aise pour répondre à des questions qui engageaient autant la spiritualité de son interlocuteur mais la question semblait tellement importer à Hughes qu’elle ne voulait pas non plus prendre le risque de le renvoyer devant un prêtre pourtant mieux à même de le conseiller. Elle sentait par intuition que cette solution pourtant évidente le répugnerait voire qu’il renoncerait à se la poser. La jeune femme répondit donc du mieux qu’elle pouvait mais non sans une pointe de gravité qu’elle n’avait pas manifesté jusque-là :

- C’est en tous cas une question que se posent tous les bons prêtres à un moment où à un autre. Emprunter la première voie disponible sans jamais prendre le recul nécessaire ne permet pas vraiment de l’appréhender. C’est comme de regarder une route depuis le sommet d’une montagne : cela permet de voir ses virages, les éventuels obstacles et tous les croisements possibles alors que si vous vous contentez de regarder juste devant vos pieds sans jamais lever le nez, vous vous contenter de subir votre route sans même vous en rendre compte. Je ne sais pas si je suis très claire, je suis désolé mais je n’ai ni l’habileté ni l’habitude des prêtres pour ce genre de questions. Vous me semblez manifester une volonté de changement. Le seul conseil que je puisse vous donner, c’est de suivre ce que vous dicte votre conscience et votre route vous paraîtra plus évidente et sans embûche. Vous découvrirez même qu’une voie vous correspond. Ce n’est pas forcément la plus facile à emprunter, loin de là, mais c’est celle avec laquelle vous vous sentirez le plus à l’aise. Parfois, trouver quelqu'un en accord avec vous et capable de vous guider peut simplifier les choses aussi...

Il écouta très attentivement les paroles de Chandara, hochant la tête à plusieurs reprises lorsqu'elle évoquait un point précis avec lequel il était entièrement d'accord. Puis il la remercia chaleureusement.

"Vous êtes d'une patience angélique. Je ne saurais trop vous remercier de tenter de m'aider comme vous le faites... c'est que ma situation est un peu particulière, et me confier n'est pas vraiment facile... mais vos conseils me sont précieux. Merci."

Il pensait bien à quelqu'un pour le guider, mais il n'était pas certain de partager ses points de vue quant à la religion, précisément... malheureusement, pour l'heure, il n'était pas assez intime avec quiconque d'autre pour évoquer plus en détails ces questionnements philosophiques.

Il ne savait trop s'il devait poursuivre la discussion, de peur de trop se confier ou d'ennuyer Chandara.

Chandara lui retourna un sourire radieux comme elle pensait les remerciements du guerrier sincère. Elle n'aurait jamais cru pouvoir aider autrui de cette façon et dans le domaine de la spiritualité. Elle avait toujours cette impression tenace de n'avoir pas su exprimer clairement ce qu'elle pensait mais ce dont Hughes semblait avoir le plus besoin était d'écoute. Elle fit donc en sorte de l'encourager sans pour autant risquer le brusquer :

- Je n'ai vraiment pas fait grand chose mais j'en suis heureuse si cela vous a aidé, même un petit peu. En plus c'est agréable de discuter avec vous alors il ne faut pas hésiter à vous confier à moi quand le cœur vous en dira. Vraiment, je suis sincère.

"Merci", fit-il une fois encore. Mais il n'avait pas l'intention d'en dire davantage, ni pour l'instant, ni jamais, sans doute. Il était tentant de parler, mais les risques étaient si grands pour lui... il aurait voulu pouvoir parler de cela avec Lothringen, car lui seul savait qui il était. Et... partager quelques secrets, c'était tout de même plus amusant. Sauf, bien sûr, s'ils mettaient en péril ceux qui les connaissaient...

"Je vais cesser de vous importuner avec mes soucis. Je pense que la solution viendra progressivement, à mesure que les événements se préciseront... que je trouverai ma voie", souffla-t-il davantage pour lui-même que pour la paladine. Il ne savait plus que dire, n'osant pas poursuivre sur le sujet, mais n'en ayant pas d'autre à aborder dans l'immédiat.

La marche avait déjà été longue, depuis leur départ de Manost, et ils avaient passé une bonne partie du temps en silence, avec seulement les bruits environnants pour les accompagner. Peut-être poursuivraient-ils leur périple de la sorte... il appréciait la conversation tout autant que la réflexion, et s'adapterait aux envies de Chandara en la matière.

Chandara s'était défendue une nouvelle fois d'être importunée par la teneur de la conversation. Mais elle respectait aussi son choix de ne pas vouloir en dire plus.

- Je suis certaine que vous y parviendrez. Mais en parlant de trouver sa voie, que diriez-vous de commencer par m'aider à trouver la troupe que je suis censée accompagner. Je sens le moment du repas approcher et je ne voudrais pas risquer de rater le rata militaire standard. On m'en a tant vanté les mérites !

Il jeta un coup d'œil circulaire sur la troupe, mais ne vit pas d'autres cavaliers dans les environs proches. Peut-être les autres helmites étaient un peu plus loin ? S'ils marchaient trop, ils allaient finir par dépasser les éclaireurs ; le gros de la troupe devait encore s'amasser aux portes, et la lenteur relative de certains n'allait pas aider l'armée à se déplacer promptement et en ordre. A moins que les sergents s'activassent sérieusement pour motiver les traînards.

"Je ne sais pas si les repas militaires sont formidables... j'ai complètement oublié d'apporter un peu de condiments pour les améliorer, d'ailleurs. Voilà ce qui arrive quand on agit dans la précipitation", fit-il en souriant à demi. "Mais je ne vois pas vos camarades. Enfin, sauf s'ils ont mis pied à terre et commencé à manger leurs chevaux, ils n'ont pas l'air d'être tout près."

La paladine s'amusa de la plaisanterie de Hughes mais se retourna tout de même avec angoisse en voyant la file interminable de l'armée étendue derrière eux.

- Vous allez me trouver bête mais je ne suis pas du tout certaine que la troupe que je dois rallier se compose de cavaliers. A dire vrai, il est même probable que la plupart des prêtres soient piétons.

A nouveau, elle tenta de distinguer les bannières qui se déroulaient mollement dans le vent et la pluie mais la foule tout autour de Hughes et elle l'empêchait de vraiment les distinguer.

- Palsembleu mais quelle poisse ! Excusez-moi un instant !

La paladine se hissa avec souplesse sur le dos de sa monture et manifestement sans effort malgré son armure intermédiaire. Elle se retourna sur sa selle avec l'espoir de bénéficier d'un meilleur point de vue.

L'espace d'un instant fugitif, Mornagest fut énormément tenté de pousser la paladine pour qu'elle chût au beau milieu de l'énorme flaque de boue qui gisait non loin de sa monture. L'horrible tentation était énorme ; l'idée de voir Chandara, propre et droite, couverte de fange et jurant abominablement suite à ce mauvais tour était... affreusement intéressante. Mais il parvint à contenir son envie, et se contenta d'admirer l'habileté de la dame pour rester en parfait équilibre sur son cheval. Lui-même n'était qu'un piètre cavalier. Il tenait en selle, savait diriger sa monture, mais c'était à peu près tout. Il n'était pas du tout certain d'arriver au même résultat que la paladine sans se retrouver les quatre fers en l'air l'instant suivant...

"Des traces de vos compagnons ? Parmi cette foule, ça risque d'être compliqué... peut-être devrions-nous attendre la pause, afin que les mouvements importants cessent..."

Même si, bien entendu, des dizaines, des milliards de soldats allaient en profiter pour en faire de même et allaient s'enquérir de la santé de leurs camarades perdus de vue lors de la mise en branle de la troupe. La fourmilière allait grouiller jusqu'à la nuit, au moins...

Chandara eut beau fouiller la foule pendant de longues minutes, elle dut se rendre à l'évidence que le guerrier avait raison. Elle n'était déjà plus capable de distinguer les portes de la ville tat ils avaient progressé et il était possible que les helmites s'y trouvaient encore. L'officier qui lui avait parlé de son affectation avait mentionné qu'ils ne passeraient pas les portes dans les premiers. Inconsciente du danger qui l'avait un instant menacé, la paladine répondit d'un ton résigna tout en glissant lestement de sa selle pour se retrouver à nouveau debout à côté de sa monture :

- Non, c'est peine perdue tant que les troupes ne seront pas un minimum organisées. Je crois qu'il va me falloir me montrer patiente ou chercher à me faire inviter à dîner par une autre compagnie. Vous pensez que c'est possible ?

Les troupes n'étaient probablement pas toutes soudées, mais accueillir quelqu'un pour simplement partager un repas devait pouvoir être possible, tout de même ; ne fût-ce que par galanterie.

"J'imagine que oui. Mais je me vois dans l'incapacité totale de vous conseiller qui que ce soit pour tenter votre chance. J'ignore qui aurait le plus de probabilité de vous accepter... mais il en va de même pour moi, à vrai dire. J'ai tranquillement marché, et me voilà au beau milieu de la foule, sans savoir dans quelle unité m'intégrer. Bah... tant qu'on avance !", conclut-il avec philosophie.

La paladine était soulagée de ne pas être la seule à s'être perdue dans la foule. Savoir que Hughes était dans la même situation qu'elle était quelque peu rassurant même si ce n'était pas une pensée tout à fait charitable. Se sentant à la fois un peu coupable et désireuse de ne pas se retrouver seule à chercher son chemin, elle répondit d'un ton confiant :

- C'est une bonne chose de faire route ensemble alors ! Tant que nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas vraiment perdus, non ? Et si vous ne trouvez pas de compagnie à rejoindre, je suis certaine qu'il y aura une place pour vous parmi les helmites. Au moins pour un temps, ça ne vous engage à rien. Je ne fais pas de prosélytisme !

Il sourit à demi avant de répondre :

"Je ne pourrais pas rester indéfiniment parmi les helmites, à coup sûr. Non que je ne les apprécie pas, d'autant que vous êtes de très charmante compagnie, mais je doute que je sois du niveau de foi qu'ils espèrent pour rejoindre définitivement leurs rangs..."

L'idée ne l'effrayait tout de même pas, et il n'avait pas d'attache ailleurs. Mais il aurait tant voulu revoir Lothringen... son absence lui pesait énormément depuis qu'il avait recouvert ses souvenirs, et cela empirait pratiquement d'heure en heure. Craignait-il de ne jamais le revoir à cause du conflit ?

Chandara avait à nouveau souri sans arrière pensée au compliment si joliment tourné de son point de vue. Après un instant de réflexion, elle répondit avec légèreté au guerrier :

- Oh, parfois on recrute même des gens intelligents, vous savez ! Ce n'est pas qu'une question de foi. Et de toutes façons, marcher une journée avec nous ne vous engagera à rien. Evitez juste de signer quoique ce soit sans avoir lu les petits caractères en bas de page. Vous vous retrouveriez obligé de porter une armure alors même que ce n'est pas nécessaire comme moi. J'espère qu'on aura une pause pour que je puisse corriger le tir. A mon avis, je n'en aurai pas besoin avant plusieurs jours.

"Alors, je ne remplis pas les critères", fit-il en souriant plus franchement. "Hum, plus sérieusement, pourquoi ne pas vous accompagner ? Mais malgré mes compétences au combat, j'ai sans doute l'esprit un peu trop libre pour souhaiter intégrer votre ordre, sans vouloir insinuer que Helm soit un brin rigide..."

Ou plutôt, fut. Mais il se garda bien de le rappeler à Chandara. Inutile de remuer le couteau dans la plaie...

La paladine n'était pas du genre à se formaliser pour une remarque que d'autres auraient cherché à mal interpréter aussi s'amusa-t-elle à faire semblant de le faire. Elle prit un ton chagrin mais ses yeux verts restaient rieurs malgré tout :

- Alors vous me trouvez rigide ? C'est d'autant plus gentil à vous d'être resté à supporter mon ennuyeuse conversation. Pourtant, je ne comprends pas : hier encore j'arrivais à toucher le bout de mon nez avec mon orteil ! Il a du se passer quelque chose ! C'est probablement cette armure qui me fait encore des misères et me donne un méchant air.

Il n'osa pas s'imaginer Chandara se livrer à de telles acrobaties, de crainte d'éclater de rire. Il n'avait pas eu l'occasion de discuter avec un paladin depuis très longtemps ; du moins, un paladin aussi particulier, avec un sens de l'humour certain. Ceux qu'il avait fréquentés à Manost étaient rigides... c'est ce qu'il expliqua à la jeune femme, en ajoutant :

"Vous avez une personnalité plutôt troublante, avec deux facettes distinctes... le côté paladinesque, guide vertueux... et l'autre plus léger, qui n'a pas grand-chose à voir avec l'idée qu'on peut se faire de vous..."

La jeune femme s'amusa à nouveau de la réponse qu'elle jugeait pourtant sincère de la part du guerrier :

- C'est peut être que je n'ai pas trouvé ma voie ou alors qu'il est possible d'en suivre plusieurs à la fois, dans une certaine mesure. Mais j'ai toujours considéré que la droiture des valeurs n'impliquait pas une raideur sociale et physique. Ceux qui appliquent ces préceptes-là n'ont pas tout à fait compris l'image, si vous voulez mon humble avis. Enfin, j'espère, parce que si je devais marcher en me donnant de tels airs, je n'arriverais même plus à sourire à terme tellement je serais crispée ! Vous croyez qu'on devrait aller leur dire ? Peut être que ça les dériderait un peu, non ?

"Hum..." fit-il, dubitatif. "Des personnes strictes n'apprécient guère qu'on le leur dise, en général. Ils risqueraient de se crisper encore davantage... et on pourrait les casser en deux comme du bois mort."

Il caricaturait à l'extrême. Il avait pu côtoyer quelques paladins plus détendus, qui prenaient au sérieux leur mission mais n'avaient pas adopté ce côté si rigide pour mode de vie constant. Et c'était avec eux qu'il s'était entendu le mieux, finalement. Il aurait pu faire un paladin acceptable de ce point de vue, sans aucun doute, mais la foi... lui manquait peut-être. Ou était trop indéfinie.

"Cela dit, j'ai rencontré des paladins de Torm qui avaient davantage de points communs avec vous. Plus légers, moins... habités par leur foi divine inaltérable. Je ne peux pas parler au nom de tout le monde, mais je préfère cette version-là du paladin que celle plus stricte que l'on rencontre souvent..."

La paladine avait ri de bon cœur, appréciant l'image amusante évoqué par le guerrier. Toujours d'humeur enjouée, Chandara ajouta d'un ton faussement déçu :

- Oh ! Et dire que je pensais être un modèle unique ! C'est très décevant. Je fais des efforts pour rester un originale, vous savez. Mais on nous apprend à faire preuve d'humilité alors je suis déjà contente que vous appréciez ma version de paladinat appliqué !

"Ma foi... c'est assez réussi, tout de même. Mais peut-être devriez-vous vous équiper d'une armure à fourrure et d'une épée vert pomme pour rajouter au tableau et avoir un côté totalement unique."

Il avait tenté de garder son sérieux tandis qu'il disait cela, mais il ne parvint pas à se contenir et éclata de rire alors qu'il imaginait Chandara équipée de la sorte. Non que cela lui aurait déplu ; l'ambiance dans les troupes aurait été un peu différente, à coup sûr...

La paladine prit un air outragé mais ses yeux, toujours rieurs, montraient qu'elle plaisantait à nouveau :

- En somme, vous suggérez que je ressemble davantage à une petite fille qui joue à la paladine ? Je n'aime pas trop les fourrures en plus, ça ne me va pas au teint et puis ce serait particulièrement stupide d'en emporter dans le désert, non ? Pour l'épée verte, il faut voir : vous connaissez un bon forgeron qui pourrait m'en tailler une dans un cactus ? Nul doute que ça déstabiliserait nos ennemis. Mais moins que de voir de fiers guerriers se promener en robe ! Vous devriez peut être essayer, les mages le font bien. Mais je promet de réfléchir à l'opportunité de vous embaucher comme consultant en mode et ainsi améliorer un peu mon image.

"Ah. Euh. Euh... non, je... je pense que j'aurais déjà fort à faire pour me conseiller moi-même sur ce plan", fit-il, l'air faussement embarrassé par la proposition, qui, si elle eût été sérieuse, l'aurait franchement embêté. La mode vestimentaire était une conception qui lui était totalement étrangère, car il avait toujours opté pour du matériel et des habits purement fonctionnels et robustes.

"Et puis, en toute sincérité, je ne pense pas que vous ayez besoin de conseils. Sauf si vous souhaitez vraiment vous faire attaquer à vue par tout le monde, évidemment..."

La Couronne de Cuivre

Quête : Le Poing Levé - Mornagest, Chandara et Althéa