La Couronne de Cuivre

Le silence retomba dans la clairière sans étoiles. Du moins pour quelques instants. Et soudain ...

"Non, vous voyez bien qu'il ne se réveille pas.
- Maman ?
- Allez mon gars, réveille-toi
- Un autre non plus ne bouge pas.
- Je t'ai dit de la laisser tranquille.
- Mais puisque je vous dis que je vais m'occuper d'elle. Je ne vais pas la manger !
- Je pense que nous devrions nous inquiéter ... N'est-ce pas ?"

Une cacophonie de voix semblant venir de toutes les directions à la fois. Des voix d'hommes, de femmes et d'enfants semblant se mêler sans jamais se répondre. Elles les entouraient. Certaines leur parvenaient comme si on leur murmurait à l'oreille. D'autres semblaient venir de très loin. Une salve invisible de paroles.

Et le silence retomba ...

Un silence s'ensuivit. Ces voix... Il avait cru reconnaître celle de sire Rowan. Une illusion, peut-être ? Mais qui lui rappelait qu'il n'avait pas la moindre idée du temps depuis lequel il était coincé dans ce rêve. Apparemment, plus qu'une nuit ordinaire, pour qu'on s'agite à son chevet... Combien de temps pouvait-on survivre sans s'alimenter correctement ? Et si certaines personnes mal intentionnées profitaient de son comas pour passer à l'action ? La situation politique était si fragile... Oh, bon sang.

Lothringen rebondit sur la dernière question de Mornagest. Si les conséquences devenaient aussi dramatiques, peut-être leur devait-il l'explication dont il avait fait l'économie jusque là... Il aurait préféré pouvoir le dire au guerrier en aparté, mais l'occasion tardait à se présenter.
« J'ai... plus ou moins... idée de ce qui nous a amenés ici. » Il eut un pâle sourire. « C'est moi. En fait... ah, il faut que je raconte, ou ça n'aura guère de sens. Pour autant que je sache, nous nous sommes endormis pour nous retrouver dans un plan parallèle dont je vous épargne le nom, mais que les manuels connaissent bien, une sorte de double assez fidèle de notre plan d'origine, alimenté par nos souvenirs. Nous avons tous connu Melandis, et nous rêvions donc tous de ce jardin : voilà notre unique point commun. Nous n'étions évidemment pas les seuls rêveurs. Et nous arpentons régulièrement ce plan dans nos rêves, sans le savoir, car soit nous en perdons le souvenir au réveil, soit nous sommes trop concentrés sur nous-mêmes pour nous rappeler la présence des autres. Jusque là donc, en dépit des apparences, tout était normal.
Et puis j'ai voulu faire une expérience. J'ai lancé un rituel que j'avais effectué sans succès quelques temps plus tôt, dans le monde éveillé. Je me suis dit que la proximité spatiale et spirituelle de ce plan des rêveurs avec celui que je voulais atteindre faciliterait peut-être la réussite de l'incantation. En un sens, j'avais raison. Et donc, vous ne devez votre présence ici... qu'au fait d'avoir été pris dans l'effet de souffle du sortilège. Désolé... »

Il marqua une pause, non parce qu'il avait fini, mais parce qu'il cherchait par quel bout reprendre, quoi dire et quoi taire. Et puis, il sentait bien à certains signes d'impatience que les réactions risquaient de fuser...

"Non, vous n'avez pas pu."

Si Angèle avait soupiré de soulagement en voyant Chance se matérialiser dans la clairière à la suite des autres, le réconfort avait été de très courte durée. Tout d'abord ces voix entendues, semblant venir de partout et parmi lesquelles elle avait reconnu celle de Théodora. Le doute était impossible. Elle entendait sa voix depuis une trentaine d'années maintenant et aurait pu l'identifier entre mille. Aurait pu ... Son amie était sûrement morte à Melandis. Disparue à cause de son incapacité à pouvoir la sauver.

Et Lothringen avait parlé, apportant une explication à leur présence dans cette clairière sans étoiles. Elle s'était vue tomber pourtant. Cette douleur invraisemblable au moment de l'impact. La vision de son sang se répandant sur les rochers à mesure que tout s'assombrissait. Elle avait commencé à rêver. Il n'était pas étonnant que son esprit ait choisi Melandis, à la recherche de son aimée. Un tout dernier sursaut. Et puis soudain, ce cauchemar éveillé. Ces épreuves, ces piliers ...

"Je devais ..."
*disparaître*
Elle avait formulé le dernier mot en esprit. Ne plus rien être et cela à jamais. Mais alors ? A mesure que le semi-drow parlait, le jour se fit peu à peu. Et avec lui, l'horreur de se rendre compte qu'il l'avait sauvée. Du moins son esprit. Pour le ramener dans un corps en ruine ? Mais à quoi cela servait-il ? Par quelle diablerie ?

"Non, vous n'avez pas pu. Vous n'aviez pas le droit ..."

Elle sentit les larmes affluer, brûlantes, irrépressibles. Et les sanglots l'emporter en un flot ininterrompu. Elle tenta de se calmer, de se cacher, les mains devant les yeux. Elle tenta de se raccrocher à sa dignité. Trop d'angoisse, trop de chagrin, trop d'incertitudes.

"Je suis désolée.", parvint-elle simplement à articuler, comme pour excuser ses larmes.

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Cet étrange afflux de voix surgi de nulle part l'avait mis mal à l'aise, mais heureusement, cela s'arrêta presque aussitôt. Ces voix lui étaient inconnues, pour autant qu'il pût en juger, mais il n'en était pas entièrement certain. Comment reconnaître une voix en si peu de phrases ?

Et Lothringen parla. C'était lui, le responsable ? Curieux qu'il n'ait pas choisi de lui en parler avant. Peut-être imaginait-il que cela serait sans conséquences, ou que cela durerait un instant seulement. Hélas, la réalité - si l'on pouvait dire - était toute autre, et ils étaient désormais coincés ici, jusqu'à ce qu'ils se décidassent à toucher le pilier suivant... vers quelque sordide épreuve mentale comme celles qu'ils venaient de subir ? Il en frémit.

Comment blâmer son compagnon ? Il avait parfois des initiatives malheureuses, dont les conséquences étaient parfois lourdes, sinon pires... évidemment, il pouvait choisir de rester muet, mais il songea que cela risquait d'attirer encore un peu plus l'attention sur eux deux. Mieux valait sans doute jouer quelque peu la comédie. Le semi-drow ne lui en tiendrait pas rigueur.

"Ma foi... je vous ai connu plus prudent, messire Lothringen. Nous voilà faits comme des rats, dans cette clairière. En espérant trouver une réelle sortie... j'espère que vous avez une idée de la suite des événements ? Ceux qui viennent de se produire étaient par trop... douloureux... pour nous tous." Il ne devait pas tellement forcer ; sa voix était déformée par sa gorge nouée.

Il entendait les vibrations dans la voix de son compagnon, et n'osait imaginer ce qu'il venait de subir. Pour Mornagest plus encore que pour lui, si l'on voulait piocher dans les souvenirs traumatiques, on n'avait que l'embarras du choix... surtout si on le confrontait à son ancienne vie... Angèle paraissait bouleversée, elle aussi. Et c'était lui qui avait provoqué cela.

Le semi-drow baissa les yeux, confus. Il n'avait rien voulu de tel.

« Je ne m'attendais pas à pareilles conséquences... A l'origine, je ne cherchais qu'à entrer en contact avec une personne décédée. Mais je ne voulais pas passer par la nécromancie... » Il fronça les sourcils. « Cette école m'est interdite, et puis elle perturbe les âmes des défunts. J'ai donc fait des recherches pour trouver une autre solution. Lors d'un contact avec les plans, une entité m'a décrit le rituel que j'ai utilisé au jardin. Il permettait, me disait-elle, d'accéder dans mon sommeil au plan d'Anghammarad-En-Bashir, où je pourrais avoir l'échange que je souhaitais. » Il soupira. « De toute évidence, elle m'a trompé... Cette entité planaire voilait son aura ; je la percevais chaotique, mais je n'ai pas détecté le mal en elle. Elle était... anormalement puissante, ce qui m'a insidieusement poussé à l'écouter. Je suppose qu'elle voulait que j'atterrisse ici... » Il releva les yeux vers ses compagnons d'infortune.
« Ce plan n'est pas celui que je cherchais. Mais j'ai lu des ouvrages traitant de sujets proches... Il existe une poignée d'endroits comme celui-ci. Ils ont pu être créés autrefois par un dieu ou une créature magique puissante, mais aujourd'hui, il est vraisemblable que leur magie s'entretienne toute seule, se nourrissant de nos esprits et de souvenirs. Ces dispositifs ont été créés dans des buts variés : prisons de l'âme, torture mentale en vue d'un interrogatoire, refuges thérapeutiques, exils punitifs, rites initiatiques... Sans bibliothèque ni sortilèges, il m'est impossible de déterminer la fonction de ce lieu précis. Ma conviction est que l'entité n'était pas maléfique, mais... mes certitudes ont tendance à s'étioler au fur et à mesure... »
Il désigna de la main les quatre piliers encore actifs.
« Il nous reste encore quatre épreuves, à ce qu'il semble. Avant quoi ? Le réveil ? Autre chose ? Je n'en ai aucune idée. Mais il n'y a pas d'autre échappatoire...»

Chance était restée silencieuse et son visage ne trahissait aucune émotion, à part pendant un court instant, lorsque son regard se posa sur Angèle en larmes. Qu'avait-elle pu vivre pour la mettre dans un état pareil ? Cela avait-il un rapport avec son épreuve ? Elle n'en avait entendu que des brides et ne pouvait qu'imaginer ce qui c'était réellement passé là-dedans. D'une certaine façon, elle semblait être la plus touchée par ce qu'ils vivaient en ce moment. Mais les aveux de l'elfe noir coupèrent définitivement court à ses questionnements.

- Eh bien vos quatre épreuves, vous les ferez sans moi, déclara t-elle, lapidaire. Et je défie qui que ce soit de me forcer à toucher un autre pilier.

Voilà, au moins c'était dit. Elle n'avait aucune raison d'être ici avec eux, sa présence n'était que la conséquence d'un sort raté. C'était tellement risible qu'elle avait presque envie d'en rire, ou de pleurer. Il restait tout de même une chance pour que tout ceci ne soit qu'un cauchemar ordinaire et qu'elle finisse par se réveiller. Mais elle en doutait, elle *sentait* que c'était bien plus que cela.

Concernant la nature de ce qu'ils étaient en train de vivre, les pensées de Taliesin rejoignaient celles de Chance. A une différence près, et elle était de taille : l'elfe demeurait convaincu qu'il s'agissait d'un cauchemar. Certes, tout cela lui semblait plus que jamais bizarre, lui paraissait sortir de l'ordinaire. Mais la Feuille Pourrie et l'absorption de Lotus Noir, combinées, suffisaient à expliquer ces étranges sensations. Certes, le discours de Lothringen était on ne peut plus crédible et éclaircissait bien des points obscurs, pour peu qu'on y prête foi. Mais ce n'était pas son cas. Il était barde et, par conséquent, avait entendu maintes légendes à propos des plans ; il avait même poussé la curiosité jusqu'à lire, à l'occasion, un ou deux ouvrages sur le sujet. Alors, à son sens, c'était sa mémoire qui avait placé les mots dans la bouche du conseiller manostien. Lequel n'était, évidemment, qu'une figure onirique, une réminiscence. Comme les trois autres.

Bien sûr, en être persuadé ne l'empêcha pas de s'émouvoir devant les larmes d'Angèle, à qui il adressa un sourire compatissant. Cela ne l'empêcha pas, non plus, de secouer la tête quand Mornagest donna du "messire" à Lothringen alors qu'il s'en était abstenu auparavant : il y avait connivence entre ces deux-là, une connivence qui n'aurait pas dû exister entre les dirigeants de deux cités que tout opposait. En ayant pleinement conscience, ils faisaient tout pour la dissimuler. Malheureusement, leurs efforts s'avéraient insuffisants.

Mais pour le reste, campé sur ses position, Taliesin demeura serein. En tout cas, autant qu'on pouvait l'être dans un rêve aussi éprouvant... Il avait hâte que celui-ci se termine et, croyant comprendre une partie de son fonctionnement, la déclaration de Chance ne manqua pas de le faire sourciller.

-Pardonnez-moi cette question mais... avez-vous envie que tout cela se prolonge ? lui demanda-t-il sans agressivité aucune. Nous avons pu le constater : ici, rien de ce qui doit se produire ne peut être évité. Au mieux, il est possible de retarder l'échéance en refusant de se soumettre. Cependant, souhaitez-vous vraiment la retarder ? N'avez-vous pas plutôt envie d'en finir avec ces épreuves sordides ? Personnellement, je préférerais les subir le plus vite possible, afin d'en être débarrassé et de retourner à la réalité : elle n'est guère réjouissante, certes, mais cela vaudrait toujours mieux qu'être bloqué dans cette clairière, à ne pouvoir rien faire...

Le temps que Lothringen explique les causes de leur présence dans la clairière lui avait permis de se ressaisir. Elle avait séché ses larmes d'un revers de manche encore épargné par la saleté et le sang. En revanche, si elle partageait le même avis que Taliesin, elle éprouvait les mêmes réticences que Chance pour se lancer dans les épreuves.

"Peut-être avons nous simplement besoin de quelques minutes pour récupérer ...", souffla-t-elle.

Elle n'avait plus mal mais se sentait abrutie de fatigue, incapable de marcher ou de faire quoi que ce soit. Et au vu de la première épreuve, tout laissait à penser que la suivante ne serait pas de tout repos. Elle s'assit en tailleurs non loin de Chance et ferma quelques instants les yeux. Que n'aurait-elle pas donné pour pouvoir s'adonner au sommeil, ne serait-ce que quelques minutes ? Quand elle les rouvrit, elle regarda la tieffeline totalement éprouvée par son épreuve, effrayée à l'idée d'affronter la suivante.

"Je crains que Taliesin ait raison et qu'il n'existe aucune autre porte de sortie que de se lancer dans cette série d'épreuves. Mais je promets qu'autant que cela sera possible, vous ne serez pas seule. Certes, c'est quelque peu dérisoire étant donné que nous ne savons pas ce que nous aurons à affronter. Mais soyez au moins assurée de cela."

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La situation n'était guère reluisante. Lothringen les avait entraînés ici plus par hasard qu'à dessein, et ils n'avaient aucune assurance de pouvoir ressortir de cet endroit onirique - ou plutôt cauchemardesque. Et voilà que la frêle unité qu'ils avaient affichés au début de leur mésaventure s'effritait déjà, pour des raisons évidentes et qu'il comprenait tout à fait. Ils venaient tous de vivre des moments pénibles, et rien ne laissait penser que la suite des événements allait être plus douce... Chance ne faisait finalement que dire tout haut ce qu'ils pensaient tous tout bas. Néanmoins, ils n'avaient pas vraiment d'autre choix, si ? Lothringen, Taliesin et Angèle semblaient le penser, et lui-même se faisait une raison. Mais comment convaincre la jeune femme ? Elle ne paraissait guère taillée pour penser à l'intérêt commun avant les siens, au vu de ses précédentes réactions. Il faudrait essayer un autre angle...

"Ils ont raison. Si vous choisissez de ne rien faire, nous resterons, avec vous, ici... jusqu'à la fin des temps ? Il me semble qu'il y a des perspectives plus engageantes que celle-là, non ?"

Pourraient-ils l'obliger à toucher le prochain pilier, si besoin était ?

L'attitude de Chance agaçait prodigieusement Lothringen. Depuis le début de cette lamentable affaire, elle jouait les boulets du groupe avec une redoutable persévérance, uniquement préoccupée de son petit égoïsme et de son probable manque de stupéfiants. A présent, il avait l'impression d'assister à une bouderie de petite fille : " Non, je ne veux pas." Et alors quoi ? Et alors rien. Maman n'en a rien à foutre, de ton caprice, fillette, et la réalité non plus. Elle n'en était pas moins coincée dans le Rêve, comme les autres, et ce genre de magie n'acceptait pas les échappatoires.

Il étouffa un soupir d'exaspération devant la volontaire absence de réaction de la jeune femme. Ses compagnons avaient déjà dit tout ce qu'il y avait à dire pour la convaincre. Quand elle en aurait assez de tourner en rond et que l'idée que son corps était probablement en train de dépérir quelque part sur Toril lui serait enfin montée au cerveau, elle changerait peut-être d'avis. Mais l'elfe noir n'aurait sans doute pas la patience d'attendre jusque là, et puisqu'elle les mettait au défi, il avait bien envie de la prendre au mot.

N'osant trop la ramener après ce qu'il leur avait dit de son rôle dans leur mésaventure, il se tint néanmoins coi. Pour l'instant.

Elle n'y croyait pas, ne pouvait pas y croire. Son regard se posa sur chacun d'entre eux, tour à tour, et leurs réponses la laissèrent sans voix quelques instants. Était-elle la seule personne sensée ici ? Visiblement. Ils semblaient tous avoir accepté leur sort si facilement que ça lui donnait envie de hurler. Elle s'en abstint, heureusement, mais la colère pouvait se lire sur son visage et faisait vibrait sa voix.

- Mais qu'est-ce qui vous prend ? Vous êtes bien fatalistes, tous ! s'emporta t-elle devant leur manque de réactions. Vous vous êtes déjà résignés à subir sans broncher ? Et pour quelle raison ? Pourquoi êtes-vous si sûrs que c'est la seule option que nous ayons ? Je n'ai pas envie d'être un pion dans le petit jeu sordide de quelqu'un d'autre ! Personne n'en aurait envie !

Mais elle était seule contre tous apparemment. En désespoir de cause, elle se tourna vers Angèle, le seul visage familier du groupe.

- J'imagine que vous voulez les suivre vous aussi ? Sans vouloir vous vexer, vous avez l'air d'être celle qui supporte le moins notre situation actuelle, alors je m'étonne de vous voir foncer tête baissée dans ce piège grossier. Ça ne fera qu'empirer vous savez ? Sans qu'on sache réellement si la sortie se trouve au bout de ces épreuves sadiques...

Angèle vit la colère briller dans les yeux de Chance. Quelque part, elle comprenait cette révolte, cette défiance envers ce lieu inconnu et toutes ses épreuves imposées. Oui, ils allaient aveuglément vers l'inconnu mais avaient-ils le choix ? Allaient-ils rester à attendre jusqu'à l'infini que leur destin ne change ? Combien de temps allaient-ils tous tenir ? Ils finiraient par périr de faim et de soif, à moins qu'ils ne s'entretuent tous. La tension était déjà palpable. Qu'en serait-il lorsqu'elle serait exacerbée par l'immobilité ? Il fallait que ce cauchemar cesse. Il en allait de la survie du groupe. Et pour elle, une porte ouverte vers la fin.

"J'ai simplement envie que cela cesse, dit-elle d'une voix posée, ensuite ..."

Elle s'interrompit. Ensuite ? Qu'allait-elle donc retrouver ensuite ? Qui lui garantissait qu'elle ne retrouverait pas un corps si abîmé qu'il n'aurait plus la capacité de se tenir debout ? Ne devrait-elle pas, comme Chance prôner l'immobilité même si cela signifiait mourir ?

"Cela n'a pas d'importance, finit-elle par dire, je pense qu'il est vital d'avancer ... Je suis désolée Chance."

Taliesin demeura silencieux. Il aurait pu essayer à nouveau de convaincre la jeune femme, mais vu la colère manifestée par celle-ci, ses efforts auraient très bien pu aggraver encore la situation. Il était donc préférable, et de loin, de laisser faire Angèle : puisqu'elle connaissait Chance, elle était dans une bien meilleure position pour l'amener à coopérer. Évidemment, c'est à contrecœur que la paladine s'était attelée à la tâche, ce qui était fort compréhensible : il y avait quelque chose de déprimant, de révoltant, même, à pousser quelqu'un à se soumettre aux règles du cauchemar. Malheureusement, aucune autre solution n'était susceptible de faire avancer les choses. Et, qui sait ? Peut-être jouer le jeu leur permettrait-il de découvrir quelques failles, pour peu que tout ne soit pas parfaitement huilé. S'ils repéraient une échappatoire, quelle qu'en soit la nature, nul doute qu'ils n'hésiteraient pas à s'y engouffrer pour échapper à la série d'épreuves qui les attendait...

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La situation allait-elle empirer ? Rien n'était moins sûr. Certes, on pouvait imaginer bien des choses... mais il était plus aisé de se faire une idée de ce qui les attendait s'ils tenaient à rester ici éternellement : rien. Ils attendraient... l'inconnu faisait peur, c'était évident, et la réaction de Chance était légitime, mais il fallait oser prendre des risques, sous peine de regretter d'avoir manqué de cran au moment opportun.

Il garda cependant ses pensées pour lui-même. Angèle essayait de convaincre la jeune femme à l'air si inquiétant, autant la laisser faire sans en rajouter une couche. Elle se braquait déjà facilement... son caractère était bien trempé, mais elle manquait de courage, en tout cas, dans cette situation bien précise.

Des options, ils en avaient. Quelques-unes. Brûler cet endroit par exemple. Et l'elfe noir aussi par la même occasion ; tout était de sa faute et tout le monde avait réagi comme si cela n'avait pas la moindre importance. Toutefois, la tieffeline se garda bien de proposer sa solution au reste du groupe : quelque chose lui disait que personne ne la soutiendrait, pire encore, qu'ils pourraient décider tous ensemble de la mettre au bûcher. C'était toujours la même histoire.

- Oui, c'est ça, vous êtes désolée, soupira t-elle. Je trouverai un moyen de sortir d'ici sans votre aide.

Et force était de constater qu'elle avait plus de chance de trouver cela dans le prochain endroit où ils seraient tous envoyés, pas ici, au milieu de cette clairière sans intérêt. Elle apposa donc sa main sur le pilier le plus proche et sentit presque instantanément le léger vrombissement sous ses doigts.

Peu importe où cela les emmènerait, pourvu que ce soit dans un endroit où elle pourrait rapidement leur fausser compagnie.

- Vous venez ?

L'elfe noir réprima un haussement d'épaules. Comme si elle était la seule à vouloir partir d'ici, comme si ce n'était qu'une affaire de volonté. La jeune femme avait très peu parlé d'elle-même tout à l'heure. Une chose était désormais certaine pour Lothringen, elle ne devait avoir aucune affinité avec quelque forme de magie que ce soit, divine ni profane. Un prêtre ou un paladin aurait vite compris quelle force il fallait déployer pour le couper totalement de son dieu, un praticien des arcanes aurait comme lui ressenti jusque dans ses os la puissance magique du dispositif. Une puissance à couper le souffle...

Chance semblait persuadée d'être plus intelligente que tout le monde, mais ça restait à prouver et l'incident ne plaidait pas en sa faveur. Après l'elfe aux intentions meurtrières, ce serait une compagnie bien pénible de plus... Avec un peu de chance, la suite des épreuves serait individuelle et ils n'auraient pas à se supporter constamment, tous les cinq, en dehors des retrouvailles à la clairière - mais cela non plus, ce n'était pas acquis. Et il aurait tellement voulu pouvoir s'isoler un moment avec Mornagest, ne plus devoir surveiller ses regards, ses gestes et ses paroles à son égard... La situation n'était certes pas nouvelle, mais ici, à cause de leur proximité et de la tension ambiante, elle lui pesait encore plus que d'habitude.

Sans mot dire, Lothringen posa à son tour la main sur le pilier, tout en s'efforçant de se préparer au pire.

Angèle soupira à demi soulagée. Le revirement était rapide, Chance une nouvelle fois surprenante, totalement chaotique. Et peut-être de mauvaise augure pour la suite. Elle veillerait sur elle, et de près. Elle ne présageait en rien de la teneur des prochaines épreuves mais la tieffeline, de par sa panique et son caractère imprévisible risquait de se mettre en danger, de les mettre en danger tous.

Elle resta silencieuse et vint poser sa main sur le pilier, de plus en plus inquiète pour la suite.

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Allons bon. Voilà qu'elle feignait de coopérer de bonne grâce. Décidément... le plus difficile serait-il d'échapper à ce plan, ou de survivre nerveusement à ces compagnons d'infortune qui ne cessaient de mettre des bâtons dans les roues du groupe bigarré et plein de défauts qu'ils composaient ? Certes, chacun ici avait une personnalité très différente de l'autre... mais l'intérêt commun était normalement une notion qui reléguait au second plan tout le reste, non ? Il ne faisait pas confiance à Chance, qu'il jugeait trop égoïste pour les aider spontanément, voire qu'il soupçonnait d'être capable de les trahir uniquement pour sauver sa peau. Mais malheureusement, il fallait bien composer avec elle. Peut-être finirait-elle par comprendre la nécessité d'un comportement plus sage...

Inutile cependant d'en rajouter. Il se garda d'ouvrir la bouche, se bornant à imiter les autres, ressentant à nouveau cette décharge d'énergie sur sa paume, et qui se propagea le long de son bras, lorsqu'il toucha le pilier. Qu'allaient-ils subir, cette fois ?

Bon, ils allaient pouvoir quitter cette maudite clairière et passer à l'étape suivante du cauchemar : aussi désagréable celle-ci puisse-t-elle être, cela valait toujours mieux que demeurer ici, complètement bloqués. Pour le reste, le comportement de Chance ne l'inquiétait guère. Certes, elle essaierait peut-être de leur fausser compagnie, de s'engouffrer dans la première brèche venue : mais puisqu'ils seraient vigilants, ils la repéreraient aussi et s'y rueraient de même, sans hésiter. Dans le cas contraire, s'ils ne décelaient nulle faille, la jeune femme se plierait aux exigences du mauvais rêve, soit de son plein gré, après avoir compris qu'il n'existait pas d'autre alternative, soit contrainte et forcée par les mécanismes oniriques eux-mêmes...

Sans plus réfléchir ou tergiverser, l'elfe rejoignit ses compagnons et posa la main sur la surface de cristal. Dans quel sinistre décor seraient-ils subitement projetés ? Ils ne tarderaient pas à connaître la réponse...

Sous leurs doigts la décharge d'énergie s'amplifia peu à peu, jusqu'à ce que le cristal délivre une lumière éblouissante qui les fit vaciller... Puis la téléportation les aspira, tous ensemble, et la clairière fut rendue au silence.

La suite ici :
http://www.baldursgateworld.fr/lacouron ... post325875

Il reprit conscience dans cette fausse clairière qu'ils commençaient à bien connaître. Complètement sonné, il s'était effondré sur le sol dès qu'il s'était rematérialisé, à cause de ses jambes engourdies. Le postérieur et les cuisses endoloris, le bas du corps encore gelé, il cligna plusieurs fois des yeux : il était seul. Il y avait encore cette sensation de glace sur ses doigts, ce bourdonnement sourd du vent froid dans les oreilles, et le sang qui lui battait les tempes. Mais il était là. A peu près indemne.

La mémoire lui revint aussitôt. Il était toujours dans le Rêve, et un deuxième pilier venait de s'éteindre... Tandis qu'il se traînait vers ce dernier, à moitié sur ses avant-bras, afin de s'y adosser, il se remémora cette étrange expérience. Ils avaient atterri dans ces montagnes couvertes de neige, et puis... ils avaient commencé à perdre la mémoire, bribe après bribe. Pis que cela : ils avaient régressé. Et lui-même s'était comporté... comme un enfant. Non ? Oui, comme un enfant. Egoïste, insoucieux de l'avenir et des autres. Il se revoyait juger Mornagest et sa compassion, se ficher éperdument du devenir des filles, jouer tout seul, fuir tout seul.

Il réussit enfin à s'adosser au pilier, et soupira. Sans doute y avait-il un sens caché. Avait-il bien agi comme un enfant, ou plutôt... comme un Lothringen sans mémoire, celui qu'il serait encore s'il n'avait pas accumulé les rencontres, les expériences et les traumatismes... un semi-drow à peine sorti de l'adolescence, et qu'il n'aimait pas ?

Tandis qu'un picotement désagréable et une sensation de violente brûlure lui signalaient que sa circulation sanguine reprenait un cours plus ordinaire dans ses membres inférieurs, il attendit le retour des quatre autres. Pourvu que rien de plus fâcheux que ce qu'il avait vécu ne leur soit arrivé...

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Les membres gourds, l'esprit dans le même état, Mornagest réapparut dans la clairière d'un seul coup. Manquait juste un "pop" sonore pour souligner l'effet plutôt comique de son retour, car il s'effondra au sol, victime de la tétanie passagère que ses muscles raidis par le froid provoquait. Il resta immobile quelques secondes, puis parvint à trouver la motivation nécessaire pour entamer une série de mouvements afin de faire circuler à nouveau le sang dans son organisme. Par les dieux, qu'il avait froid ! Le lac était gelé, et malgré son passé nordique, il avait l'impression d'avoir plongé dans de la glace liquide, et pas dans de l'eau simplement froide...

Pour l'heure, il était trop occupé à tenter de se réchauffer pour penser à quoi que ce fût d'autre. Il constata cependant que son compagnon était de retour, déjà, et qu'ils étaient seuls, pour l'instant. Mais il n'avait même pas la force de se mouvoir vers lui pour en profiter pour lui parler.

L'état de la tieffeline n'était pas différent des deux autres lorsqu'elle réapparut à son tour dans la clairière, complètement trempée. En position fœtale, les genoux plaqués contre sa poitrine, elle n'entendait rien d'autre que le claquement de ses propres dents. Puis elle se rappela de tout, toute sa vie lui revint en mémoire, non pas par brides mais d'un seul bloc, lui coupant presque le souffle. A nouveau elle ressentit l'abattement, et avec ça la certitude qu'elle ne sortirait jamais d'ici. Avec des mouvements saccadés, elle se débarrassa de sa cape et la jeta au loin : elle n’arriverait jamais à sécher avec ça sur le dos.

Angèle réapparut debout. Elle resta quelques secondes immobile et frissonnante. Les cheveux emmêlés, plaqués sur sa tête tel un casque informe. Elle parvint tant bien que mal à s'assoir, toujours tremblante. Sa chemise trempée collait désagréablement à sa peau et l'empêchait de se réchauffer. L'enlever était tentant, mais elle n'était pas seule.

Elle regarda ses compagnons tout aussi transis. Ses dents claquaient, l'empêchant d'émettre la moindre parole. Elle espéra ne pas mourir de froid.

Taliesin n'était pas revenu. Elle espéra le revoir indemne.

Une sensation de chute, suivie par une rencontre assez brutale avec un sol herbeux. Autour de lui, plus d'eau glacée, mais de l'air. Tiède, apparemment.

Reprendre ses esprits, jeter un regard alentour. Ah, cette fichue clairière... Et les quatre autres qui l'y avaient précédé.

Se souvenir de ce qui s'était passé. Les montagnes, l'oubli et l'insouciance qui s'étaient peu à peu emparés de lui, la bataille de boules de neiges, les glissades sur le lac... Et enfin le grand plongeon.

-Bon sang, j'avais presque atteint l'autre rive ! lança-t-il, dépité. Il s'en est fallu d'un cheveu que je puisse gagner le village, m'assoir au coin du feu, boire paisiblement un bon vin chaud aux épices... Quelle guigne !

Sa tirade n'était pas réellement une boutade. D'abord parce qu'il aurait beaucoup aimé pouvoir se réchauffer. Ensuite, parce que revenir éternellement en ce lieu commençait à être sacrément lassant...

La plaisanterie du barde ne rencontra guère d'écho ; chacun était trop occupé à tenter de se réchauffer. Alors qu'il dégelait toujours, Lothringen, qui commençait à trembler de froid dans toutes les parties de son corps qui ne le brûlaient pas atrocement, replia frileusement les jambes en les enserrant dans ses bras. Il demeura ainsi un long moment, immobile, le menton dans les genoux, sans déserrer les lèvres. Concentré sur sa propre chaleur. Il n'était pas très fier de lui - surtout vis-à-vis de Mornagest.

Et ces trois autres piliers, intacts, qui les narguaient...

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Heureusement pour lui, le guerrier récupérait assez rapidement de la chaleur corporelle ; l'habitude des terres glacées lui était restée, dirait-on. Il fut le premier à pouvoir sortir de son espèce de tétanie et se mouvoir normalement sans être plus pris de tremblements incontrôlables.

Il aurait voulu pouvoir s'occuper de son compagnon, le serrer contre lui, lui parler, aussi : cela faisait un moment maintenant qu'ils n'avaient pu s'entretenir en privé, et prononcer quelques paroles rassurantes lui aurait fait du bien. Leur aurait fait du bien à tous les deux, en fait. Il se l'avoua un peu honteusement, car il sentait bien qu'il était mal à l'aise, ici.

Au lieu de ça, il continua à se frotter les bras tout en marchant un peu. La clairière n'avait pas changé, excepté ce deuxième pilier devenu d'obsidienne. Le temps lui parut long... infiniment long...

La plaisanterie du barde avait fait naître un sourire infime chez Angèle, vite effacé par les claquements de dents. Il lui semblait qu'elle ne sécherait jamais et que ses tremblements ne cesseraient que lorsqu'elle serait morte de froid. Elle avait une bonne condition physique mais beaucoup éprouvée depuis Melandis. Elle regarda Chance qui semblait la plus atteinte. Elle n'avait rien pour la réchauffer.

"N'avons-nous aucun moyen de faire du feu ?", demanda-t-elle en désespoir de cause.

D'autres piliers subsistaient, avec d'autres épreuves. Mais ils avaient besoin d'une pause avant de reprendre leur combat.

Oui, un feu, c'était une bonne idée, elle ne se réchaufferait jamais avec ces vêtements trempés sur le dos. Elle finit par trouver une position plus confortable, assise, le menton posé sur les genoux qu'elle avait ramenés contre sa poitrine. Elle observa les autres : eux non plus n'avaient pas l'air de mourir de chaud. Cela la rassure, quelque part ; au moins personne n'insisterait pour qu'il retente l'expérience avant d'être complétement sec... Enfin, elle l'espérait.

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Tout en se frictionnant les mains, Mornagest regardait autour d'eux. Du bois, il y en avait. Peut-être même quelque chose de suffisamment sec pour qu'il prît feu en le frottant patiemment... de toute façon, ils pouvaient toujours tenter le coup. Au pire, ils auraient au moins essayé. Et comme la magie était inopérante ici, hormis ces maudits piliers qui les attendaient en paraissant les narguer...

"Rassemblez quelques brindilles en fagot. Et essayez de trouver de la mousse ou de l'herbe sèche. Je vais essayer de chauffer du bois en le frottant. Avec un peu de chance, ça fonctionnera..."

Il n'avait pas de corde ni de ficelle, ni de pierre. Difficile de confectionner un archet dans ces conditions, mais il pourrait au moins faire tourner la baguette entre ses mains...

Il se mit à la recherche d'un morceau de bois sec et suffisamment solide pour servir de support. Et d'une branche droite et sèche... Sécher. Ce simple mot lui donnait envie d'être en plein soleil pour laisser s'évaporer toute cette eau glacée qui les engourdissait.

Évidemment, ils pouvaient aussi se dénuder au moins partiellement pour éviter d'avoir ce contact gelé sur la peau. Pour sa part, il pouvait au moins ôter sa tunique, puisqu'il portait une chemise en-dessous.

"Hum", fit-il, quelque peu embarrassé d'aborder ce point, "En laissant sécher vos vêtements ailleurs que sur vous, cela irait plus vite. Et l'eau ne vous maintiendrait plus au froid..."

Il donna l'exemple en se débarrassant de sa tunique, qu'il essora au maximum, au passage, avant de l'étaler à terre, sur l'herbe.

La Couronne de Cuivre

[Ailleurs] Quête : Au-delà Â– Une clairière sans étoiles