La Couronne de Cuivre

Un chameau ? Ici, sur Dorrandin ? A Melandis alors ? Zébulon se mit à faire rôtir la viande de mouton sur des brochettes, tout en se disant que c'était une faveur de Tymora qu'il n'ait pas à conduire ce groupe trop longtemps : sa santé mentale s'en porterait mieux. Quand tout le monde se fut rassemblé autour du feu pour manger - en profitant largement du sel offert par Dorian - il y eut un temps de silence masticatoire profondément recueilli, qui ne s'interrompit guère que pour quelques bruits de succion forts déplaisants. La journée avait décidément été très longue, et les appétits étaient à l'honneur. Une fois ses premières fureurs satisfaites, l'éclaireur en profita néanmoins pour exposer un peu le programme du lendemain.

"Je ne sais à quel point on vous a mis en garde, mais nous entrerons demain dans la zone de guerre. Non que l'armée mélandienne proprement dite y ait mis les pieds, mais les déserteurs, brigands et pillards des deux camps la précèdent, et ils harcèlent ces campagnes isolées. Comme Macreda, le gros bourg plus au nord, Terrebonne a été évacuée il y a plus de dix jours, et pillée plus tard par un groupe de mélandiens en rupture de ban. Le résultat n'était pas beau à voir. On a beau évacuer, il reste toujours du monde : candidats au martyre, incrédules, absents, idiots du village, vieillards prêts à mourir sur leurs économies. A Terrebonne, ils ont... pillé quelques sacs oubliés dans un entrepôt, et... mmmh... massacré. J'y suis passé peu de temps après les exactions. Je dois vous mettre en garde, car il est probable qu'ils y reviennent : ils ont dû laisser quelques sacs de blé dans l'entrepôt. La nourriture devient denrée précieuse au fur et à mesure que l'on approche des lignes mélandiennes. Demain, en voyant brûler les champs, vous comprendrez pourquoi... Nous pratiquons la politique de la terre brûlée."

Zaïu est désolé de ce que vous vivez.

Et il l'était sincèrement. La politique de la terre brûlée. Il s'imaginait incendier volontairement les forets de Lorien pour affaiblir l'ennemi... Il en aurait été incapable en fait.

Mersad nous a effectivement mis en garde au sujet d'un certain groupe, tout en restant évasif à son sujet. Pourquoi est-il plus redoutable que n'importe quel autre ?

Fit-il intrigué, se pourléchant les doigts et bénissant le Dieu des Mouton, ainsi que celui du Feu et des Cuisiniers : le panthéon de la grillade en somme. Il jeta ses os dans le feu et se rassit plus confortablement son gobelet à la main. Un objet le gêna dans sa poche... Il le tira et en sortit ... le nez rouge qu'il contempla à la lueur des flammes vacillantes.

Ailyn, assise de façon un peu plus confortable et repue, se sentait bien mieux. Elle était même d'excellente humeur. Voilà qu'ils étaient partis et qu'ils approchaient de leur objectif. Il était temps de se renseigner, de perfectionner ses connaissances. Si ils devaient jouer un rôle, autant avoir le maximum d'ingrédients pour le faire.

"La question de Zaiu est fort pertinente, ajouta-t-elle avec douceur. Savez-vous combien sont ces individus ? Pouvez-vous nous renseigner sur l'identité de certains d'entre eux ?"

Zebulon hocha la tête, incrédule. Alors, c'était à ce groupe qu'ils allaient se frotter*? Voilà qui éclairait d'un jour nouveau l'accueil qu'on lui avait réservé...

« Ah, ceux-là... Je ne sais s'ils sont plus redoutables que les autres, mais au concours des crimes de guerre, ils gagnent haut la main la palme pour leur monstruosité. Ils adorent torturer les helmites, tout particulièrement. Ils sont une quinzaine, je ne sais pas exactement combien. Un de mes collègues m'a affirmé les avoir aperçus : leur chef est un semi-orque massif albinos, qui se fait appeler Blanche-Mine. Pas aussi idiot qu'il faudrait... Il a auprès de lui un nécromant et une prêtresse loviate, qui forment son état-major. On présume qu'ils ont dû se connaître dans les culs de basse fosse mélandiens. Les autres sont de la racaille de la pire espèce, mais ils ont suffisamment peur de leurs chefs pour ne pas se rebeller. Je crois que leur départ de l'armée mélandienne s'est accompagné du meurtre de deux officiers : ils sont d'autant plus dangereux qu'ils n'ont plus rien à perdre. »

Un jolie triplette dirigeait la troupe.
Remettant le nez rouge dans sa poche, Zaïu reprit une posture qui témoignait de plus de concentration. Évoquant ses souvenirs, il se rappela sa dernière et unique confrontation avec un semi-orque : il avait failli finir empalé. Quant aux mages, ça c'était nettement mieux passé si on exclu l'invocation d'un démon dont seule la main colossale passait à travers le portail magique, lui même plutôt grand. Un nécromant donc, et ... et quoi ?

Zaïu ne sait pas ce qu'est une prêtresse loviate ...

Il n'avait d'ailleurs jamais trop approché les prêtres et espérait que les deux sorcières qui les accompagnaient pourraient tenir le choc face à tout ce beau monde.
Ne retenant pas une grimace, il craignait d'avance l'étape où il leur faudrait prouver leur valeur aux yeux de ceux qu'ils allaient infiltrer. Avec un nécromant et un semi-orc, ça allait être jovial...

Il frissonna.

Peut-être que nous devrions nous pencher sur les racontars que nous allons leur servir, histoire qu'on raconte tous la même chose.

Lança-t-il à la cantonade.

Et aussi, tenez-vous le pour dit mais Zaïu n'est pas près à faire n'importe tout pour faire plaisir à un nécromant.

"Peut-être qu'on pourrait leur chanter une chanson paillarde naine.", dit tout d'un coup Bellatrix.

"Avec nos grosses pioches,
on creuse, on creuse
toujours des petits trous, toujours des petits trous

Et dans les petits trous
on joue, on joue
comme des petits fous

Or, or, or, or ..."

Et elle s'applaudit. Puis, semblant retrouver ses esprits, elle se tourna vers Zaiu.

"On pourrait leur faire croire que nous sommes des mélandiens en fuite. ça leur plairait peut-être. Mais est-ce qu'il faut qu'on arrive tous ensembles ?"

Dorian avait profité comme ses compagnons de la bonne viande fraîche si aimablement offerte par l' elfe Zébulon. Après s' être essuyé poliment avec sa serviette, le bon vampire remercia leur guide puis écouta ses réponses. Ce que Zébulon révélait sur la petite horde qui détenait les captifs n' était pas rassurant du tout. Ainsi leurs ennemis étaient - ils à la fois maléfiques et incontrôlables. Même les Mélandiens n' en voulaient pas, c' était tout dire...

En entendant parler de la prêtresse loviate, Dorian avait froncé les sourcils :

" Qu' est ce qu'une prêtresse loviate messire Zébulon ? " fit le forgeron luménien. " Comme mon ami Zaïu ici présent, je m' interroge...Une prêtresse, ç' est à dire une clerc ? "

Un chef demi-orque donc costaud (même si Dorian n' était pas précisément un gringalet), un nécromant et une clerc...Ce groupe ennemi possédait à la fois force et magie profane et religieuse...

"Messire" Zébulon ? Depuis leur rencontre du matin, la politesse de Dorian avait quelque chose de surnaturel, de complètement hors contexte... est-ce qu'il allait s'adresser comme ça au groupe dont ils étaient en train de parler ?

"Euh... vous pouvez m'appeler Zebulon tout court. Une prêtresse, oui, c'est un membre du clergé - peu importe que vous disiez clerc ou prêtre, à vrai dire. Celle-là appartient au clergé de la déesse Loviatar, la Vierge des Douleurs. N'en avez-vous jamais entendu parler ? C'est la déesse vouée aux souffrances, aux tortures, aux tourments... Son symbole est un fouet barbelé ? Enfin bref, elle a bon nombre d'adeptes dans cette cité décadente et pervertie qu'est Melandis."

Il haussa les épaules. De son point de vue d'elfe du soleil, c'était le panthéon humain tout entier qui était corrompu. Il évita de s'attarder sur cette idée...

"Mademoiselle..."

Il n'avait pas retenu le nom de Bellatrix.

"Essayer de vous faire passer vous aussi pour des mélandiens ne me semble pas une bonne idée. Nous parlons tous le commun, mais il y a des accents assez reconnaissables, surtout chez vos deux amis qui ne sont pas du continent. Mais vous pouvez peut-être vous faire passer pour un groupe de déserteurs, ou des brigands... Par les temps qui courent, la nuance est subtile."

Ailyn fronça les sourcils.

"On pourrait se faire passer par des déserteurs, des mercenaires réquisitionnés de force, de Manost. Comme ça, on serait couverts, et toutes nos particularités pourraient alors s'expliquer facilement ! On pourra toujours dire qu'à Manost, on ne nous payait pas assez..."

Ailyn était dépitée. Elle poussa un profond soupir avant d'ajouter :

"Je me doute que ça ne vous plaît pas beaucoup... Moi non plus, je n'ai pas vraiment envie de vendre mon âme au diable. Le problème, c'est qu'on ne pourra pas vraiment se faire passer pour des amis marchands de bêtes !"

"On pourrait aussi leur dire qu'on leur emmène un prisonnier."

Elle jeta un petit coup d'oeil à Zébulon, à tout hasard. Celui là avait l'air un peu plus fiable que Mersad. Mais savait-on jamais. Elle se sentait totalement maussade. Fernand lui manquait beaucoup. Et elle n'avait plus la tête au chansons paillardes.

"Ou alors, on se cache dans un immense cheval et on attend qu'ils l'emportent dans leur camp. Ensuite, on sort et ... Patatra ..."

Dorian avait écouté les explications de Zébulo. Il avait appris avec surprise l' existence de Loviatar : comment un tel culte basé sur la souffrance avait - il seulement pu voir le jour ? C' était proprement stupéfiant surtout pour un sharessien partisan de l' idéologie opposée, l' hédonisme...

Dans l' immédiat il fallait choisir une tactique d' approche et mettre au point un scénario crédible pour leurs futurs " amis " les renégats...Les suggestions d' Ailyn et Zébulon semblaient les meilleures...

" Toutes mes excuses Zébulon, je ne voulais pas vous froisser en vous donnant du messire " s' excusa le géant. " Pour notre couverture, ma compagne dame Ailyn est dans le vrai : faisons - nous passer pour des marginaux des environs de Luménis engagés de force par Manost. Ca devrait donner le change. Le seul problème c' est si nos " amis " décident de nous mettre à l' épreuve...Mais chaque chose en son temps non ? "

L' allusion au cheval en bois de dame Bellatrix était intéressante : une grande cité s' y était laissé prendre après un siège de 10 ans. Seulement le temps manquait un peu pour construire ce genre de vaste objet....

Un lapin de bois serait plus facile à construire car plus petit que le cheval. Mais, si ces gens sont aussi peu doué de culture que semble l'affirmer notre guide, il risque juste d'y mettre le feu pour y griller des saucisses, ou des villageois, ou les deux ... Et nous avec du coup...

Puis le regard de Zaïu se perdit dans le brasier où bois, charbon et os se côtoyaient chaleureusement. Un avant-goût miniature de ce qui allait se produire sous peu ? Ça donnait presque envie de devenir végétarien.

Le scénario des déserteur de l'alliance de Manost semble meilleur à Zaïu. Il nous suffira de décrire Mersad pour donner tout le crédit du monde à notre histoire. Quant à notre accent d'Helonna ... Comment justifier ça et est-ce bien nécessaire d'ailleurs ?

On lui avait déjà dit qu'un bon guerrier se servait de sa tête mais gérer tous ces détails, c'était vraiment pénible... D'un autre côté, il y avait quelque chose d'exotique et de plus en plus passionnant à cette situation. Si ça se trouve, il prenait goût à la réflexion !

"Bah, je suppose qu'il y a des déserteurs potentiels aussi dans l'armée luménienne, toute fraîche débarquée qu'elle soit... Ou alors, dites simplement que vous êtes originaires de l'île d'Helonna, mais que vous vous êtes installés en territoire manostien par la suite ? Ce n'est pas comme si ça n'arrivait jamais... Enfin, c'est à vous de voir."

L'elfe se leva et commença de ranger ses ustensiles et de s'installer pour la nuit. Il ne déroula pas de matelas, mais s'enroula dans une couverture, s'assit en tailleur et ferma les yeux, se préparant à entrer dans la Rêverie, cette transe vigilante qui tenait lieu de sommeil aux elfes.

"Je vais vous laisser continuer à discuter auprès du feu, si vous le souhaitez, et tenter de me reposer un peu. Si on peut encore prendre le risque de ne pas se donner de tour de garde ce soir, il faudra être particulièrement alertes demain."

Ailyn souhaita tout de même une "bonne nuit" à leur guide, dont elle ne comprenait pas très bien les capacités de "sommeil". Elle tâcha de reprendre la discussion avec ses camarades là où elle l'avait laissée, pour déterminer un scénario possible de rencontre avec le groupe de dégénéré qu'ils s'apprêtaient à affronter.

"Bon, alors ? Qu'est ce qu'on décide ? Qu'on est des mercenaires payés au lance-pierre par les Manostiens qui ont décidé de se carapater vite fait avant le bain de sang ? Je pense qu'on peut faire jouer cet aspect de part nos origines très clairement différentes, si je puis dire."

Ailyn soupira à nouveau et poursuivit :

"Je suis désolée d'insister, je voudrais simplement qu'on soit un peu "raccord", dans les prochains jours, quand on va se trouver face à l'orc albinos et sa prêtresse bizarre..."

Bellatrix fronça les sourcils. Oui, la situation était assez grave, voire même un peu désespérée et désespérante. Il fallait y aller, allez petit en avant marche et plus vite que ça et pas trop à reculons.

"Donc on pourrait être un groupe de mercenaires ou de déserteurs. Mais est-ce qu'il est prudent d'arriver tous ensembles ? Parce qu'un groupe comme ça qui arrive, c'est bien joli mais ça fait un peu suspect. Non ? On pourrait aussi dire que cette foutue armée manostienne nous a envoyés au casse-pipe."

Elle baissa brièvement la tête.

"Ah non, ça c'est vrai."

Zaïu écoutait ce qui se disait, le regard perdu dans les flammes, comme s'il espérait en voir émerger une réponse. Alors que la nuit s'avançait paisiblement et que chacun s'évertuait à trouver la meilleure fable, alors qu'un silence se fit laissant tout à chacun le temps de méditer, le rire du jeune elfe éclata soudain, tonitruant échos nocturne.

Hahaha !
Zaü vient de penser à un truc drôle. Mais il doit d'abord vous contez un peu de son histoire.
Tendez l'oreille.
Dorian pourra en témoigner, c'est sauvé des eaux que Zaïu fit sa rencontre. Sur un fier navire Luménien faisant voile vers une destination inconnue pour une mission qui l'était tout autant. Le secret était tel, et la crainte aussi sans doute, qu'à peine la gourde ôtée de la bouche, voila-t-y pas qu'un prêtre s'approcha en incantant. Ni une ni deux, apercevant aura ou quelque autre forme éthérée émanant de Zaïu, il décréta sa bienveillance en invoquant une couleur qu'il avait vu...

Son ton se ralentit comme il semblait déduire au fur et à mesure.

Donc, si la prêtresse loviate est un minimum maline et capable, elle saura nous sonder...

C'est... C'est pas drôle en fait ...

Luttant pour ne pas laisser un air contrit envahir son visage, il ajouta :

Zaïu se range à la version de Bellatrix : On nous a envoyé au casse-pipe, nos auras seront au moins en adéquation avec ce que l'on dira...

L'autre avantage de cette version était qu'il était plus facile de mentir par omission que de tout inventer d'un bloc.

Ailyn rebondit immédiatement sur ce que disait Zaïu :

"Justement ! On leur dit que Manost nous a envoyé au casse-pipe pour des missions pourries, qu'on n'a absolument aucune envie de les accomplir, qu'on a blessé un supérieur pour s'enfuir et que... du coup... On est des déserteurs !"

Elle laissa un temps de pause dans son discours, son sourire s'étendant d'une oreille à l'autre.

"Elle vous plaît, cette version condensée ? On aura qu'à dire qu'on a voulu tuer Mersad ! Ce serait pas si loin de la réalité... non ?"

Bellatrix hocha la tête.

"Ils risqueraient de voir que tout le monde nous aime, en fait. Mais bon ... Il faut bien que jeunesse se passe ... Seuls les nounours sont éternels ..."

Elle fit un petit sourire à ses compagnons.

"On pourrait même dire qu'on l'a tué, Mersad. Comme ça, on aura l'air de très très gros vilains. En général, c'est mieux de tuer que de de manquer tuer. Et puis, ils iront pas vérifier."

C'est difficile pour Zaïu de spéculer dans le vide ... Bon, il aime bien les speculoos mais il n'y a aucun rapport en fait.

Il se redressa et s'étira faisant craquer sa colonne vertébrale et sa nuque. L'air s'était rafraichi et il commençait à tomber de sommeil.

La nuit porte conseille quand elle ne porte pas de sac de sable pour assommer les enfants pas sage. Et nous avons une partie de la chevauchée de demain pour trouver la version adéquate, bien que Zaiu pense que sa finira en bain de sang plus tôt que prévu... Sur ce !

Il salua les demoiselles ainsi que Dorian et alla à l'endroit où l'on ne pouvait pas aller pour lui avant d'aller à son tour s'adonner à son "sommeil" elfique. On a la classe où on l'a pas !

Dorian décida de suivre l' exemple de Zaïu et de rejoindre le royaume du songe. Autour du campement , les chevaux du groupe dormaient déjà. Pour le problème actuel du groupe - quelle fable inventer pour inspirer confiance aux pillard -, Dorian faisait confiance à Ailyn et Bellatrix. Nul doute qu' elles trouveraient une histoire convaincantes. Il était inutile à son avis d' ajouteru ne suggestion de plus.

" Je vous fais confiances dames " fit - il avec sa civilité habituelle. " Demain vous nous ferez part à Zaïu et moi de ce que vous aurez décidé ".

Sur cette bonne certitude, le forgeron luménien souhaita d' agréables songes aux filles et à l' éclaireur Zébulon avant de se coucher sur le flanc, bien endormi dans son manteau....

Ailyn, las de chercher des historiettes à raconter à un orc albinos, décida qu'il était grand temps pour elle aussi de "faire dormir les yeux" comme aurait dit le Vieux. Elle ne voulait pas se laisser entraîner dans une angoisse nocturne qui lui prendrait ses heures de sommeil et ferait d'elle le jouet de ses émotions le lendemain matin. Aussi repoussa-t-elle les idées négatives qui essayaient d'envahir les eaux calmes de sa conscience.

"Bon, je vais moi aussi prendre un peu de repos, annonça-t-elle à Bellatrix. Fais de beaux rêves de tes soupières, Bellatrix."

Elle s'enroula dans ses couvertures et s'allongea sur le sol, les yeux déjà à moitié fermés.

"Bonne nuit, répondit Bellatrix au bout d'un moment, je vais te chanter une berceuse."

Elle s'installa confortablement sur le sol, les bras derrière la tête. L'heure était douce et donc propice à une serenade.


"On a tous besoin d'un dieu
Pour rendre les gens heureux
Ceux de Tyr pour juger
Ceux de Cyric pour tuer
Tymora pour les timorés
et Beshabas pour les cinglés

On a tous besoin d'un dieu,
pour rendre les gens heureux
Les helmites pour être droits
Eldath compte jusqu'à trois
Sunie pour ton ziguigui
Sharess s'en amuse aussi

On a tous besoin d'un dieu,
pour rendre les gens heureux
Les Loviates veulent fesser
Les Ilmates qui passent tout près
Tempus aime te cogner
Mais y a Torm pour le calmer
Et Lathandre pour patienter ...

On a tous besoin d'un dieu,
pour rendre les gens heureux ...
Choubidou ha ..."

Bercé par la douce sérénade d'une psychopathe entropiste (ou pas), le petit groupe s'enfonça en tout cas rapidement dans le sommeil, ne serait-ce que d'épuisement après une longue journée de trajet à vive allure depuis le campement de Graëlon. C'est alors que l'aube hasardait à peine quelques couleurs chaudes en bande organisée sous le ciel bleu nuit que les quatre aventuriers furent tirés de leur repos par un formidable hennissement d'impatience. Bientôt repris en choeur par plusieurs autres hennissements approbateurs. Nourris, bouchonnés et quasi intégralement sellés, les chevaux manifestaient ainsi leur empressement à voir la journée commencer, tandis que Zebulon achevait de les préparer. En s'occupant des harnachements, l'elfe montrait dans chacun de ses gestes une précision qui dénotait une longue habitude.

"Bonne journée tout le monde ! Il sera plus agréable de progresser à la fraîche, l'ombre se fait rare dans les plaines et la journée sera longue, autant ne pas tarder. Préparez-vous vite, mangez quelques tartines, et on repart. Les chevaux sont impatients, et moi aussi."

Dorian fut tiré de son sommeil par ce bruit énergique et agréable qu' est le hennissement d' un cheval. Il se mit debout et resta immobile quelques minutes le temps de retrouver ses esprits. Après un petit - déjeuner rapidement expédié pour cause de circonstances ( les viennoiseries stockées dans son sac à dos furent vraiment les bienvenues ) et une toilette non moins sommaire, le vampire neutre bon s' approcha des chevaux. Il flatta doucement la robe noire du sien avant de se mettre en selle. Les équidés étaient vraiment pleins de bon sens : mieux valait se mettre en route avant les heures chaudes.

Dorian se tourna ( avec sa monture ) vers leur guide.

" Je suis prêt au départ messire " fit - il. Les débuts avec leur guide avaient été un peu délicats mais Dorian devait reconnaître chez lui un vrai professionnalisme dans son travail d' éclaireur...

Ailyn s'éveilla d'un sommeil des plus lourds, avec un sourire pâteux. "Bonjour ! Bonjour !" articulat-t-elle en s'extrayant avec peine de ses couvertures.
Le petit déjeuner ne fut pas des plus simples. Elle eut du mal à ouvrir le pot de miel qu'elle planquait depuis le début du voyage, qu'elle accepta de bonne grâce de partager avec ses compagnons sur les tranches de pain qu'ils avaient emportées. Elle acheva de se débarbouiller, et, pour se donner bonne conscience et une apparence un peu moins négligée, tressa ses longs cheveux noirs.

Enfin, elle fut prête, tapotant l'encolure de son cheval en appréciant les courbatures de la veille. Il n'était en fait pas si simple de monter à cheval...

"On peut partir ! A vos ordres, chef, oui, chef !" lança-t-elle à Zébulon, avec une articulation bien plus fluide cette fois-ci.

Zaïu avait quand lui profité de ces instants matinaux pour faire une espèce de danse étrange. Il semblait reproduire des mouvements de pugilat avec la plus grande lenteur et la plus grande concentration, en expirant longuement sur les flexions les plus poussées. Par moment, on pouvait le voir pousser des murs invisible et ce, dans toutes les directions.
Il aprécia le geste d'Ailyn. Enfin, surtout son pot de miel qu'il mangea sans pain et à la cuillère, directement dans le pot. Parce qu'il est comme ça le Zaiu, nature peinture, cash pistache, normal normaux bicyclette vélo.

Rassemblant ses affaires, il se porta à la hauteur de son cheval et remercia Zebulon de s'en être occupé. Puis une étrange ritournelle l'assaillit et il se mit à fredonner un air qui sortait il ne savait trop d'où.

On a tous besoin d'un dieu,
pour rendre les gens heureux
Les helmites pour chasser les mites
Graoumf qui sait pas dire ouf
Sunie pour ton ziguigui
Sharess qui va faire pipi

Bellatrix éclata de rire et c'est totalement hilare qu'elle rassembla ses affaires. Zaiu était magnifique. Et il chantait une chanson qu'il lui semblait avoir déjà entendu quelque part mais elle ne se souvenait pas où. Dans tous les cas, cela rimait et lui plaisait beaucoup. Elle s'approcha de l'elfe et lui demanda timidement.

"Que pense-tu de l'élevage de soupières ?'

Hoho ! Une question pertinente s'il en est, et d'une gravité tout aussi importante...

Zaïu ne pouvait répondre à une telle question facilement. Il lui fallait un moment de réflexion qui lui permettrait de prendre du recul et de sous-peser tous les tenants et aboutissants idéologiques et infra-structuraux au sens linguistique et ethnocentrique. Le temps de monter en selle devrai suffire. La soupière...

Si l'on raisonne en terme de lutte de classe on peut en déduire que la soupière fait partie d'un sous-prolétariat artisanal et est soumis à elle-même dans la mesure ou elle dépend de son couvercle. Son capital, souvent sous forme liquide, n'est contrôlable que si le couvercle n'a pas été perdu faute de quoi, la disparition du contenant n'est du qu'aux aléas externes aléatoires et moins ou moins humide : le réchauffement climatique. Mais d'un point de vue Gambiiste, du nom de mon Papi Gambi qui était philosophe à ses heures perdues, ben "on s'en tamponne le coquillard avec des tongs en bambou". Il aimait bien dire ça Papi Gambi.

Et quel est ton avis à toi ?

Bellatrix ouvrit de grands yeux et faillit en tomber de cheval tant elle était estomaquée. En gros, elle faillit tomber incontinent sur le séant et vu la hauteur de laquelle elle tombait être obligée de demeurer le postérieur sus nommé entre deux chaises pendant un long moment si elle avait voulu s'assoir ou s'aider de coussins confortables afin de déposer ce mot de trois lettres que nos ancêtres nous ont formellement défendu de nommer. Bref, elle regarda Zaiu qui la regarda et elle lui dit.

"Oh, tu dis de ces choses avec de ces mots. Je crois que toi aussi, quelque part, tu es philosophe. Que dirais-tu si un jour, je t'invitais prendre le thé chez moi ? En tout bien tout honneur."

Et elle ébouriffa sa chevelure pour se donner un air érotique.