[Ailleurs] Quête : Au-delà – Une cité inhabitée

[Mornagest]

Le fichier joint mornagest.jpg n’est plus disponible.

Chaque instant davantage inquiet de ce qui pourrait leur arriver, et de qui l'attendait, lui, Mornagest marchait avec des pieds de plomb dans une ambiance encore plus lourde. Ni Chance, ni Lothringen ne parlait, et l'atmosphère invivable de cette cité horrifique lui pesait sur les épaules. Est-ce que sa propre épreuve était la ville en elle-même ? Une réplique approximative de Melandis, au niveau de son mode de fonctionnement apparent, en tout cas. Il se sentait de plus en plus mal à l'aise...

Et lorsqu'il entendit une voix d'enfant, surgir d'il ne savait où, son cœur sauta une pulsation, se figeant dans sa poitrine. Allons... qui allait être enlevé, cette fois ? Cette voix lui était-il connue ? Il n'avait pas vu beaucoup d'enfants depuis un bon moment, mais peut-être qu'il s'agissait d'un esclave quelconque à Melandis ? Ou cela concernait-il Lothringen ?

Il interrogea ses compagnons d'infortune du regard. Ils l'avaient sans aucun doute entendue également.

[Echo]

Chance s'était immobilisée et avait lancé des regards paniqués dans toutes les directions. Ses deux compagnons s'interrogeaient du regard mais elle, elle savait, elle savait que c'était son tour cette fois. A qui d'autre cette voix d'enfant aurait-elle pu s'adresser. Terrorisée, les larmes lui montèrent très vite aux yeux. L'aideraient-ils ? Non, bien sûr que non. Elle n'avait pas levé le petit doigt pour les autres alors pourquoi feraient-ils cela pour elle ?

- Pitié, pitié, ne les laissez pas me prendre. Empêchez-les, s'il vous plaît, se mit-elle à supplier. Elle se moquait bien de garder sa fierté intacte, c'était la peur lui rongeant presque les entrailles qui la faisait parler.

[Lothringen]

« Chance... »

Lothringen déglutit difficilement. Il savait qu'il ne pouvait rien empêcher, mais le spectacle de la détresse de la jeune femme faisait peine à voir.

« Calmez-vous. Chance, nous ne pouvons pas y échapper. Ce rêve... est trop puissant pour nous. J'ai de bonnes raisons de croire qu'il ne cherche pas à nous tuer. Pas si nous acceptons ses règles. Il va nous forcer à affronter nos souvenirs, nos secrets, nos peurs. Peut-on se fuir soi-même ? Il faut jouer le jeu. »

Il venait de dire que ce rêve ne cherchait pas à les tuer, qu'il ne les exécuterait pas après les avoir acculés au désespoir le plus sombre. En était-il si sûr ? Pas tant que cela. Mais s'il y avait une chance d'en sortir vivant, elle ne passait pas par la panique et la tentative de fuite, cela, c'était certain...

[Taliesin]

A quelque distance de là, dans le bâtiment officiel qui, pour lui, symbolisait le palais de Luménis, Taliesin était plongé dans ses souvenirs. Il se remémorait parfaitement cette scène, jusque dans le moindre détail. Et pour cause : elle avait constitué l'échec ultime du Prophète Gris. S'il avait été plus fort, plus adroit, plus malin, peut-être, il aurait pu, d'un coup d'un seul, se racheter de ses erreurs en mettant un terme à l'horrible tyrannie de Morféa Nwalk. Mais il n'avait pas été à la hauteur, comme de coutume, et ses insuffisances, son incompétences avaient, à nouveau, causé la mort de milliers d'innocents. Pas la sienne, cependant.

Les dieux savent pourtant à quel point j'aurais aimé mourir, songea-t-il, les yeux rivés sur la stèle.

Oh oui, il aurait tant aimé... Gisant sur le dallage de cette salle, se vidant de son sang, il avait ouvert les bras à la mort, reconnaissant, avide du repos qu'elle lui apporterait enfin. Malheureusement, quelqu'un en avait décidé autrement, lui faisant boire une potion avant de l'abandonner sur ce charnier qu'il pouvait voir sur le vitrail... A son réveil, sa désillusion, son désarroi, sa frustration s'étaient révélés si violents que, combinés à la haine, elles avaient donné naissance au Monstre.

Mais le monstre avait été terrassé lui aussi, et non par la haine et par le mal, contrairement au Prophète Gris : c'était l'amour et la bienveillance qui en étaient venus à bout. De ses cendres, Taliesin était revenu à la vie, à la fois semblable et différent de l'elfe qui, quelques années plus tôt, avait débarqué plein d'espoir sur Dorrandin : l'optimisme à tout crin, la conviction que les bonnes intentions suffisaient à changer le monde n'étaient plus de mise. Une chose n'avait pas changé, en revanche : son désir de bien faire, d'avancer sur la voie de la lumière.

Son regard dériva vers la gemme. Avait-il détruit l'originale, en la jetant au milieu des flammes ? Avait-il empêché Nwalk d'y enfermer, à jamais, l'âme de Folken ? Il n'en pouvait rien savoir. Deux choses étaient sûres, en revanche. D'abord, en ne réussissant pas à tuer le tyran, il avait au moins temporairement épargné l'ancien conseiller manostien. Ensuite, le cauchemar voulait qu'il touche cette pierre luminescente. Peut-être était-ce le moyen de quitter ces lieux. Peut-être était-ce un piège. Quoi qu'il en soit, il était persuadé que rien ne se produirait tant qu'il ne l'aurait pas fait.

Alors, il le fit, tendant la main, effleurant du bout des doigts la surface de la gemme...

[color=#FFFF6]Advienne que pourra...[/color]

[Althéa]

A peine sa main s'était-elle posée sur la pierre, et qu'il en avait éprouvé le contact froid contre sa peau qu'il se vit disparaître. Sa main d'abord perdit peu à peu ses contours. Imperceptiblement d'abord puis plus vite. Il vit bientôt le sordide palais sordide et ses vitraux au travers. Dans le même temps, il se sentit aspiré, poussé par un vent violent l'affranchissant en même temps du temps et de l'espace.

Impossible de garder les yeux ouverts. Les paupières baissées, il sentit qu'il se déplaçait. Vite, très vite. Et de plus en plus vite jusqu'ici.

Ailleurs dans la ville, le silence était retombé. Plus une voix d'enfant. Plus un souffle. Même les maisons avaient l'air d'observer le silence. Aucune porte grinçante ni fenêtre battante. Comme si une sinistre neige, masquant soudain les pas s'était soudain abattue dans la ville. Petit à petit, inexorablement, la tour commença à se rapprocher. Imposante, solide, c'est elle de par sa taille qui sembla marcher à leur rencontre et non l'inverse. Comme si elle s'apprêtait soudain à les écraser.

Une tour de mage, comme ils l'avaient deviné. Et tout autour d'eux, le silence hurlait.

[Mornagest]

Le fichier joint mornagest.jpg n’est plus disponible.

Ils poursuivaient leur progression, toujours dans ce pesant silence. Était-il préférable aux cris d'enfants, aux cliquetis des chaînes d'esclaves, aux voix qui accusaient dans les temples ? Peut-être... mais Mornagest commençait à supporter de moins en moins facilement la tension. Cette situation lui était totalement inconnue, et malgré l'inéluctabilité de leur prochaine séparation, il ne parvenait pas à l'accepter. Lothringen... tant de fois, ils s'étaient dit adieu. Tant de fois, ils avaient souffert de la distance, du temps, de leurs divergences... à peine s'étaient-ils retrouvés, après des péripéties heureusement derrière eux, qu'ils échouaient dans un cauchemar des plus atroces, dont l'ambiance lui rappelait furieusement le plan de Fugue, décor en cendres excepté.

Chance avait paru bouleversée par ces voix d'enfants. Quel affreux souvenir lui rappelaient-ils ? Sûrement rien d'agréable, au vu de sa réaction terrifiée, paniquée... certes, la jeune femme ne paraissait pas très confiante en elle, du moins de ce qu'il avait pu en voir à son sujet. Mais elle avait encore pris un coup supplémentaire, et les paroles de Lothringen, qui se voulait apaisant, n'y suffiraient pas pour la réconforter. Mornagest en venait à souhaiter qu'elle s'échappât au plus tôt de ce cauchemar. Mais serait-elle la prochaine sur la liste ? Surmonterait-elle son épreuve ?

[Echo]

Était-il possible que ce fût sa voix ? Même éveillée parfois il lui semblait l'entendre, légère, fluette, lui rappelant sans cesse les mots qu'il lui avait dit ce soir là. « Tu me lis une histoire ? ». Non, c'était trop dur de repenser à tout cela. Les paroles du drow ne l'apaisèrent en rien. Même si ce n'était effectivement qu'une étape avant la libération, elle n'était pas prête à l'affronter. Elle hochait la tête mais seuls des sanglots répondirent à l'elfe noir. La tieffeline semblait à deux doigts de s'effondrer là, sur le sol.

Pourtant elle continua d'avancer, sans doute trop effrayer à l'idée de perdre les deux dernières personnes encore présentes. Bientôt la tour se dessina à l'horizon et Chance, dépourvue de toutes pensées positives, doutait que ce soit là la fin de leur voyage.

[Lothringen]

Après la voix d'enfant, ils n'avaient plus rien entendu, et donc poursuivi leur route, tous les trois, le pas lourd, en direction de la tour de mage. A chaque instant, ils s'attendaient à de nouvelles fantasmagories, à des réminiscences de leur passé le plus douloureux, à d'autres indices odieux de la vie quotidienne impie de cette cité. Lothringen n'avait pas osé reprendre la parole après sa dérisoire tentative pour remonter le moral de la tieffeline. S'il avait été seul avec Mornagest, il aurait eu à dire, pourtant... sur eux, sur ce qu'il se passait... mais il était inutile d'y songer. A mesure qu'ils approchaient de la tour désormais bien visible, à deux rues de là, il s'interrogeait avec de plus en plus d'angoisse sur les événements à venir. La mort elle-même valait mieux que cette ignorance de leur destin, que cette attente impuissante et inquiète... Depuis une bonne dizaine de minutes à présent, aucun d'entre eux n'avait été appelé par l'un des quelconques bâtiments qu'ils avaient longé. Qu'était-ce à dire ?

A sa plus grande surprise, Lothringen ne s'était pas senti attiré lorsqu'ils parvinrent au pied de la tour. La porte, entrouverte, semblait les attendre... Ne leur restait plus qu'à suivre leur programme, et explorer l'endroit. Il avait peur néanmoins. Une tour de mage, cela le touchait de trop près...

[Althéa]

Ce qui les frappa dès le début fut la présence d'un gigantesque escalier en colimaçon donnant sur plusieurs paliers. Trois, peut-être quatre. Si les marches vermoulues et branlantes étaient d'aspect classique, les rambardes attirèrent sensiblement leur attention. Une multitude de bras et de mains tendues empêchaient les éventuels visiteurs de tomber. De là où ils se trouvaient, il leur fut difficile de déterminer s'ils étaient fait de bois ou de chair. Il n'y avait pas non plus de mur à proprement parler car ils disparaissaient sous des étagères de livres. D'énormes ouvrages dont certains étaient en équilibre précaire.

L'air, autour d'eux bruissait d'énergie magique. Il leur sembla entendre chuchoter. Une multitude de voix entrecroisées. Une cacophonie incertaine qui avait l'air de provenir des différents volumes.

Ils furent à peine rentrés que la porte claqua derrière eux. Et tout en haut le plancher grinça. Il y avait quelqu'un. Ils étaient manifestement attendus.

[Lothringen]

Une bibliothèque magique ! Des volumes à n'en plus finir, de la poussière et les murmures de savoirs oubliés ! Le tout dans un plan parallèle où les dieux savaient quelles connaissances avaient pu s'amasser ! En Lothringen, le cœur de devin avait d'abord bondi, avide de lectures.

Mais il y avait le reste, et la fête était gâchée. Les bruissements, les murmures fantômes et les bruit de pas, là-haut, leur signalaient qu'ils avaient affaire à une illusion – une nouvelle épreuve. Mais pour qui ? Personne n'avait été attiré, et ils étaient entrés à trois... Que voulait dire ce claquement de porte qui les avait fait sursauter ? Non, ce n'était pas un courant d'air. Il n'y avait pas de hasard en ces lieux... Machinalement, Lothringen chercha ses haches à sa ceinture. Il avait l'habitude de les empoigner, de les tirer et de serrer fort le manche à chaque fois qu'il était confronté à des illusions malveillantes, et à chaque fois, la protection de sa déesse l'avait un peu apaisé, l'aidant à garder son sang-froid.
Il n'avait pas ses haches, cette fois-ci.

Alors il observa l'escalier plus en détail, et cette vision le glaça à tel point que, tétanisé, il ne songea même pas à fuir.

[Mornagest]

Le fichier joint mornagest.jpg n’est plus disponible.

Un bien étrange bâtiment. Ces escaliers avaient l'air suspect, et il n'était pas sûr de vouloir aller les examiner de plus près. Néanmoins, il se doutait qu'ils devraient les emprunter pour aller rendre visite à la personne présente en ces lieux. Sans doute un autre magicien... il craignait une apparition d'un drow dont Lothringen lui avait maintes fois parlé, un dingue psychopathe qui prenait plaisir à pervertir son esprit, lorsqu'il était encore son esclave. Et même encore après, d'ailleurs... cependant, son compagnon ne paraissait pas attiré tel un morceau de ferraille par un puissant aimant, comme l'avaient été Angèle et Taliesin. Était-ce une épreuve pour l'un d'eux ? Ou pour les trois à la fois ?

Il jeta un rapide coup d'œil sur les étagères croulant de livres. Il n'était pas versé dans la recherche arcanique ou historique, mais il imaginait qu'il devait y avoir des perles, dans ces ouvrages. De quels genres, par contre... s'ils existaient seulement réellement. De toute façon, ils n'auraient probablement pas le loisir de les compulser, même brièvement. Le propriétaire des lieux se manifesterait assez rapidement.

[Echo]

Elle doutait que son épreuve à elle se trouve en ce lieu, à moins que ladite épreuve consiste à la confronter à la honte qu'elle ressentait de ne pas savoir lire. La tieffeline prenait soin de rester près de ses deux compagnons d'infortune. Elle trouvait cela étonnant qu'ils aient réussi à atteindre la tour sans qu'aucun d'eux ne soit appelé ailleurs mais elle avait décidé de prendre cela comme un signe positif cette fois. Après tout peut-être qu'il n'y aurait plus d'épreuves, ou du moins aucune la concernant.

- Bon eh bien... montons, proposa t-elle avec un courage qui la surprit elle-même.

[Althéa]

Ils montèrent donc, mus par un accord tacite. Pieds incertains sur les marches branlantes. Et il leur sembla parfois que les bras se tendaient tout d'un coup et que les mains tentaient de les agripper au passage pendant que d'autres leurs désignaient le haut des marches. Ils gravirent d'une traite l'escalier, un pallier après l'autre. A mesure qu'ils s'élevaient, ils entendaient plus clairement le chuchotement des livres. Certains avaient l'air de s'invectiver à voix basse. Ils virent même des flammes bleues courir sur la couverture de l'un d'entre eux avant de s'éteindre.

Ils ne tardèrent pas à arriver en vue du quatrième palier. La personne qui les attendait se déplaçait toujours. Encore quelques marches et ils virent une ombre se profiler sur une des étagères. Une silhouette petite et frêle dont les cheveux étaient attachés. Un profil caractéristique ...

Dans le même temps, Chance et Mornagest sentirent un fourmillement parcourir leurs membres. Lorsqu'ils portèrent leurs yeux sur leurs mains, ils s'aperçurent qu'ils disparaissaient, devenaient transparents. Lothringen quant à lui se rendit compte qu'il ne pouvait plus faire demi-tour. Mais qu'advenait-il des deux autres ?

[Mornagest]

Le fichier joint mornagest.jpg n’est plus disponible.

Tandis qu'il gravissait les escaliers, il ressentit un chatouillement particulier le long de ses muscles, comme s'il commençait une crampe généralisée. Il n'y prêta pas attention tout de suite, se concentrant sur l'ombre qu'il venait de voir apparaître projetée sur une bibliothèque. Qui était-ce ? Il craignait la réponse... il n'eut cependant pas l'occasion de se perdre en conjectures : son regard croisa Chance, et il s'aperçut qu'elle disparaissait. Son corps devenait transparent, et il ressentit un certain malaise en voyant les bras de la rampe d'escaliers au travers de sa tête... levant la main instinctivement, baissant les yeux pour tenter d'attraper une épée absente, Mornagest se rendit compte avec effroi qu'il subissait le même phénomène. Il hoqueta de surprise.

[Echo]

Chance n'avait pas reconnu la silhouette qui les attendait au sommet de l'escalier et elle sut que cette épreuve n'était pas la sienne. Mais alors pourquoi était-elle là ? Peu importe à qui appartenait ce souvenir, elle se sentait une intruse ici. Elle n'eut pas vraiment le temps de se poser plus de questions ; un fourmillement parcourut tout son corps et la panique la saisit presque aussitôt. Ses mains, ses pieds, et bientôt tout son corps se mirent à s'effacer doucement. Un coup d'oeil à ses côtés lui permit de voir que l'humain était dans le même état qu'elle.

Si cette épreuve était celle de l'elfe noir alors il était clair que celui-ci devait l'affronter seul.

[Lothringen]

Le malaise n'avait fait que croître tandis qu'ils gravissaient un à un les étages. Lothringen se tassait contre le pilier central de l'escalier, là où les marches étaient les plus étroites et la progression la plus malaisée – horrifié à l'idée que les mains magiques puissent seulement l'effleurer. Quand ils parvinrent au quatrième palier et qu'il aperçut l'ombre, là, sur le mur, il reconnut aussitôt la silhouette – comment aurait-il pu l'oublier ? Et son dernier doute s'étrangla. Oui, c'était bien son tour, et rien ne lui serait épargné.

Ce n'est que par acquis de conscience qu'il vérifia qu'il ne pouvait quitter l'étage. En se retournant, il vit alors les deux autres devenir translucides, puis s'effacer... Pourquoi ? Y avait-il rien eu de tel quand ils avaient suivi Angèle ? S'acharnait-on à les séparer, afin de lui retirer toute consolation ? Renonçant à comprendre, le semi-drow les regarda disparaître peu à peu, dans un silence impuissant. Il voyait le guerrier perdre progressivement de sa substance, se fondre dans le décor de bois de l'escalier, et il ne pouvait rien y faire. La scène avait un goût amer, maintes fois vécu, à la fois violent et familier. Il perdait Mornagest, et il ne pouvait rien y faire... une fois de plus.

[Althéa]

Pour Lothringen

► Afficher le texte

Là-haut, sur le quatrième pallier la silhouette ne sembla pas remarquer sa présence. Elle bougea, attrapa volume à l'air épais, le feuilleta. Il s'interrompit soudain dans sa lecture. Sembla un court instant prêter l'oreille, acquiesça en silence à une question muette. Puis il reposa l'ouvrage. Lothringen vit sa bouche s'ouvrir deux ou trois fois. Il semblait appeler quelqu'un. Mais il ne perçut pas le son de sa voix. Nouveau grincement de plancher et une autre silhouette apparut. Plus petite mais plus vive, fine et élancée. La première hocha plusieurs fois la tête, leva la main. Une étincelle de lumière jaillit dans la pénombre. La deuxième silhouette, figée entre l'admiration et la surprise observait. Le premier homme lui tapota l'épaule. Un geste bien paternel mais sans douceur aucune. Comme si l'homme voulait en cet instant asseoir son emprise.

Pour Mornagest

► Afficher le texte

Une rue. Semblable aux autres. L'ancien mélandien se rendit compte qu'il ne pouvait la quitter, ni dans un sens ni dans l'autre. Le champ de force l'acculait. Peu à peu, des hommes, des femmes et des enfants apparurent. Dépenaillés, maladifs, maigres, les yeux fous. Silencieux. Ils l'entourèrent en silence. Et soudain, tous d'un même geste, ils levèrent le bras et le désignèrent d'un doigt accusateur. Ils l'encerclèrent. La bouche ouverte, poussant des hurlements muets. Ils l'accusaient ...

Pour Chance

► Afficher le texte

Le noir complet, total. Opaque. Chance se rendit compte qu'elle avait de l'eau presque glacée jusqu'à la taille. L'air avait une puanteur d'égouts et de tombeau. De loin en loin, il lui sembla entendre le criaillement bref et explicite d'un rat. Le son de sa respiration résonnait, se perdait devant elle. Il faisait anormalement moite. Et puis soudain, un son. Une voix fluette. De nouveau un appel, sûr et déterminé. Surgi de nul part, un enfant invisible à ses yeux appelait : "Maman."

[Mornagest]

► Afficher le texte

Le fichier joint mornagest.jpg n’est plus disponible.

Femmes, enfants, tous esclaves. Chaque visage, déformé par la douleur et la diète forcée, était un coup de poing au visage de Mornagest, Combien d'âmes avait-il ainsi torturées, indirectement, à cause de sa soif incompréhensible et immodérée de pouvoir et de puissance dictatoriale ? Combien de souffrances ces gens avaient-ils endurées avant de périr, qui d'une lame de garde impérial, qui de malnutrition, qui de coups de fouet ininterrompus ?

Il s'était attendu à ce genre d'épreuve. C'était évident : son passé tyrannique n'attendait que cette sinistre occasion pour ressurgir dans son esprit, et comment le faire plus efficacement que par le truchement de spectres accusateurs comme ceux-ci ? L'initiateur de cette pantalonnade était particulièrement cruel, vicieux et bien informé, malgré tout. Il fallait qu'il connût personnellement ses cinq victimes pour pouvoir ainsi les accabler par la suite de telles abominations...

Malgré son malaise, sa répugnance vis-à-vis de ce miroir de l'âme qui reflétait sa personne - son ancienne personne, certes, mais partie intégrante de lui-même, qu'il le voulût ou non - il essayait de trouver un échappatoire à ce traquenard sordide. Aucune issue physique ne semblait se dessiner. Il ne pouvait fuir, évidemment... l'instigateur de ce guet-apens devait avoir imaginé autre chose. Le pardon... ? Il n'avait jamais cherché à l'obtenir réellement : sa situation actuelle l'en empêchait. Il était mort, officiellement, et ne pouvait réparer ses anciens torts sans éveiller les soupçons. Mais ici, peut-être...

Vaillamment, il fit face aux dépenaillés, inspira profondément, puis tenta de parler, sans savoir s'ils pouvaient l'entendre, s'ils voulaient l'entendre.

"Écoutez-moi. Je me tiens face à vous, coupable et responsable de mes crimes. J'ai sur la conscience des centaines de morts, sinon plus. Peut-être vous, peut-être vos familles, vos amis, vos proches... je ne cherche ni commisération, ni pardon, ni oubli. Je ne cherche qu'à tenter le maximum pour réparer, ne fut-ce qu'un peu, mes torts, si immenses soient-ils. Car j'ai changé."

Avait-il décelé un léger changement d'attitude chez les spectres ? Il s'imaginait peut-être des choses. Poussé par l'émotion et l'optimisme, il continua :

"J'ai découvert le sens de la compassion, de l'amour, de l'amitié, de l'entraide. J'ai compris la vanité du Mal, la douleur de la tyrannie, l'écœurement de la souffrance. J'ai enduré depuis cette souffrance, celle du poids, du fardeau du souvenir de mes actes, et rien ne pourra me l'enlever, ni l'alléger. Seule, maintenant, reste ma volonté d'agir pour empêcher que d'autres commettent les mêmes atrocités."

[Althéa]

Pour Mornagest

► Afficher le texte

Hommes, femmes et enfants le regardaient encore, comme s'ils ne comprenaient pas. Ou plutôt comme s'ils ne voulaient pas comprendre. Leurs corps commencèrent à changer. Il s'amaigrirent encore, et des morceaux de peau squameuse ne tardèrent pas à apparaître. Des blessures. Ils étaient des cadavres. Victimes des combats contre le pouvoir. Victimes ayant préjugé de leurs forces pour avoir osé relever la tête contre la tyrannie. Victimes que lui et ses hommes avaient tués.

Il commencèrent lentement à s'approcher, à l'encercler. Toujours sans le moindre cri.

[Lothringen]

► Afficher le texte

Lothringen observait la scène, mortifié. Ce théâtre d'ombre aurait sans doute paru bien innocent à un spectateur extérieur : un mage et son élève à l'étude, une leçon... Lui seul connaissait l'identité de ces deux silhouettes : Almaeron et Dorson Jaell'ym. Deux elfes noirs, non loin de Guallidurth, quinze ans plus tôt peut-être. Lui seul savait leur histoire, et le véritable sens du geste en apparence anodin du mage drow - ce qu'il voulait dire pour lui, les projets qu'il dissimulait, ce à quoi il mènerait.

Il baissa les yeux vers le plancher, songeur. Au fond, il était heureux que Mornagest et Chance n'aient pas assisté à cela. Et il ne voulait pas voir la suite. Elle était déjà écrite, elle n'était plus à refaire, elle le hantait déjà suffisamment... C'était une chose que d'en subir constamment le souvenir, une autre de la donner en spectacle. N'en finirait-il donc jamais de ressasser sa honte ? Rien de ce que le Rêve pourrait lui faire ne serait jamais à la hauteur de ce qu'il avait vécu, de ce qu'il s'infligeait lui-même au fil des jours. Où cela menait-il ? Il n'avait pas besoin de bourreau, c'était un rôle qu'il remplissait très bien lui-même, merci ! Assez...

[Althéa]

Pour Lothringen

► Afficher le texte

Une exclamation soudaine lui fit relever les yeux. Là, devant lui, Dorson tenait un globe dans sa main. Un globe rougeoyant dont la couleur teintait même son ombre sur le mur. Passage d'ombre et de lumière. L'adolescent maintenant tendait la main, curieux, avide de savoir. Le mage esquissa le geste d'hésiter, eut presque une attitude de replis par rapport à la sphère.

L'adolescent tendit de nouveau la main, parla. La silhouette de Dorson hocha de nouveau la tête et lui tendit l'objet. Son apprenti - car c'était ainsi que cela en apparence se passait - prit le globe avec précaution. A présent, son visage était incliné. Et lui-même devenait couleur sur son ombre portée. Comme si l'objet lui insufflait un peu de lumière.

[Mornagest]

► Afficher le texte

Le fichier joint mornagest.jpg n’est plus disponible.

C'eut été trop facile, évidemment. Il essayait de conserver son calme, mais le malaise grandissait à chaque pas franchi par les cadavres ambulants dans sa direction. Et ils étaient proches... devait-il finir ainsi, après tout ce voyage, toutes ces péripéties, cette mort et sa résurrection ? Massacré par une poignée de zombies oniriques qui l'accusaient muettement de crimes depuis longtemps oubliés ? Il sentait la colère et la frustration monter. Cependant... il ne pouvait frapper, passer en force, détruire. Où aller ensuite ?

"Eh bien... on dirait que l'absence de compassion ne vous empêche pas de dormir... osez-vous me juger ? N'avez-vous jamais commis de méfaits ? Aucun d'entre vous n'a-t-il jamais volé, menti, tué, trahi ? N'avez-vous jamais souhaité, cela fait, recevoir ensuite le pardon, et vous voir à nouveau accorder la confiance de vos proches ?"

Il se sentait devenir sermonneur, maintenant. Allons bon, ça ne s'arrangeait pas. Néanmoins, c'était en partie ce qu'il ressentait. Évidemment, en temps normal, il n'aurait pas tergiversé autant : avec une arme, face à de véritables zombies, il ne fallait pas se poser trop de questions. Mais ici... c'était différent.

[Lothringen]

► Afficher le texte

Il suivait à nouveau la scène des yeux, son intérêt éveillé par le tour inattendu qu'elle prenait. Il avait anticipé autre chose – oh, pourquoi le nier, il était seul, et l'autre, s'il existait, si ce Rêve n'était pas que le pur produit de son esprit révélé par une magie puissante – l'autre, s'il existait, savait apparemment tout de lui. Il avait imaginé que son inconscient, ou le maître de ce plan, qu'importe, sachant où était la blessure, lui resservirait l'historique de ses rapports avec Dorson.

Cette sphère était sans doute la sphère divinatoire que l'archimage lui avait donnée jadis, et qu'il avait emportée dans sa fuite. Ce n'était que beaucoup plus tard qu'il avait appris qu'elle faisait partie d'un ensemble de quatre artefacts semblables, et qu'elle avait le pouvoir d'influencer le cours du temps. Il s'en était même servi pour empêcher des morts... Il les avait conservées, toutes les quatre, sans oser en faire usage à nouveau, parce qu'il les sentait dangereuses et presque déchargées.... Mais il les avait toujours. Depuis qu'il avait quitté Manost, elles reposaient au fin fond de son sac sans fond.

Pourquoi lui montrer cela*? Mais ce n'était peut-être qu'un faux répit, et il s'efforça de se préparer au pire.

[Echo]

► Afficher le texte

Le noir complet lui donna la désagréable impression d'être dans un espace confiné, dépourvu d'oxygène. Elle se mit donc à respirer de plus en plus fort, persuadée d'étouffer, et seul l'écho de sa respiration saccadée lui répondit. La panique afflua de nouveau mais ses jambes tétanisées par le froid refusèrent de lui répondre alors qu'elle commençait à se débattre dans les ténèbres avec un ennemi imaginaire. Elle chuta dans l'eau et en avala une gorgée qu'elle régurgita presque aussitôt. Et elle aurait reconnu cette odeur infecte entre milles : les égouts de Melandis. Elle tremblait à l'idée d'être revenue « chez elle », dans cette ville maudite qu'elle avait quittée sans se retourner. Puis cette voix, encore. Elle la paralysait complètement.

- Laisse-moi, laisse-moi... supplia t-elle en pressant les paumes de ses mains contre ses oreilles. S'il te plaît, pardonne-moi et laisse-moi en paix...

[Althéa]

Pour Mornagest

► Afficher le texte

Les morts se regardèrent. Certains plus belliqueux firent geste de s'avancer pour se battre. Mais les bras des autres les stoppaient immanquablement. Il y eut soudain un remue-ménage venu de l'arrière de la cohue. Les morts-vivants commencèrent à s'écarter en silence et se séparèrent en deux groupes, formant comme une haie de chair putréfiée d'un coté et de l'autre. Une femme s'avança. Elle n'était pas réduite à l'état de cadavre, du moins pour le moment. Et le guerrier la reconnut sans mal. Elle était pour lui et le serait toujours : la première femme qu'il avait jamais aimée.

Pour Lothringen

► Afficher le texte

La lumière dans la sphère rougeoya de plus belle et Lothringen crut un instant que la tour elle-même avait pris feu. L'ombre de l'adolescent la contemplait, attentive et précautionneuse. Comme s'il avait s'agit d'un bien précieux. Et puis soudain, Lothringen sentit un poids dans sa main droite. Lorsqu'il la regarda, il constata avec surprise qu'il tenait la sphère au creux de sa paume.

Pour Chance

► Afficher le texte

Derrière elle, elle entendit du bruit. Des éclaboussures furieuses. Et des cliquetis métalliques. Des armes. Ils approchaient. Ils n'étaient pas loin d'elle. Et elle commença à distinguer des voix.
"Le monstre. Elle n'est pas loin, je le sais. On va l'avoir."
Et puis, droit devant elle, comme surgie de l'autre coté du temps, une autre petite voix opiniâtre.
"Maman !"

[Echo]

► Afficher le texte

Alors elle était bel et bien de retour à Melandis. Peut-être même ne l'avait-elle jamais quittée. Si c'était le cas alors la réalité n'était guère plus réjouissante que le cauchemar dont elle croyait s'être éveillée à l'instant. Elle s'était mise à sangloter, encore. A nouveau elle se retrouvait traquée comme une bête dans une partie de chasse où sa tête n'était qu'un vulgaire trophée. Elle essuya ses larmes d'un revers de main, les mêlant au liquide putride dans lequel elle était engluée jusqu'à la taille. Elle ne supportait plus cette odeur, ne supportait plus cette moiteur, cette obscurité. Elle avait l'impression d'être un animal sauvage acculé, blessé et aveugle. Et un monstre. Oui c'était exactement ce qu'elle était.

Elle lança des regards frénétiques et paniqués dans toutes les directions, ne captant que les ténèbres. Son pouls s'accéléra, sa respiration également mais elle hésitait toujours à bouger. C'était cette voix qui lui liait les jambes, paralysait sa volonté. Et pourquoi tenterait-elle de s'échapper ? Elle était fatiguée de fuir. Qu'ils viennent donc lui couper la tête, les cornes, ou lui planter une épée dans le cœur... Ne le méritait-elle pas ?

Mais son instinct de survie était plus fort que le reste, il défiait sa logique, défiait l'abattement dans lequel elle semblait vouloir se perdre. Alors elle avança à tâtons dans le noir, l'eau ralentissait sa progression mais elle avançait tout de même. Vers sa voix.

[Althéa]

Pour Chance

► Afficher le texte

Elle avança donc. A chaque pas, elle remuait des remugles d'eau croupie et d'autres substances. Chaque fois, la puanteur se faisait plus intense, prégnante, allant jusqu'à lui tourner la tête. Derrière elle, ses poursuivants semblèrent ralentir. Elle entendait pourtant leurs respirations dans les ténèbres putrides. Peut-être avaient-ils peur ?

La progression de Chance l'emmena bientôt jusqu'à un coude. Le boyau tournait. Elle perçut un courant d'air frais sur son visage et de la lumière. Puis, l'espace d'un instant une caresse sur sa joue. Une main fraiche. Invisible ... Il n'y avait personne devant elle ... Et puis soudain, venant de nulle part, une voix d'homme, autoritaire.

"Mais tu vas la laisser tranquille, oui ?"

[Echo]

► Afficher le texte

De la lumière, enfin ! Cela signifiait également qu'elle serait à découvert mais cela n'avait plus d'importance. La caresse sur sa joue la fit frissonner, lui rappelant fugacement la présence réconfortante d'Augustin. Mais elle ne s'arrêta pas, pas plus qu'elle se retourna lorsqu'elle entendit la voix autoritaire. Parlait-on d'elle ? De quelqu'un d'autre ? Cela n'avait pas d'importance. Sa combativité était revenue et elle n'avait plus qu'une chose en tête : vivre.

[Althéa]

Pour Chance

► Afficher le texte

Toujours de l'eau, toujours la même puanteur. Mais au bout la lumière. Si elle ne voyait pas encore d'où elle provenait, il ne s'agissait pas d'un mirage. Succincte, tremblotante, fragile et tellement relative. Une chandelle probablement. Chahutée par les courants d'air, menaçant de s'éteindre, mais elle avait l'air de tenir bon comme attendant la personne pour qui on l'avait allumée. Montant la garde. La lumière se projetait en fin filet sur l'onde, révélant au passage les immondices du paysage. Quelques rats flottants, des déchets divers, débris sordides n'ayant même pas conscience de flotter. Elle n'était plus si loin. Une lumière de phare dans cette obscurité.

[Echo]

► Afficher le texte

N'importe qui aurait eu la nausée à l'idée de patauger dans pareil endroit, pas Chance. Elle avait passé de longs mois dans les égouts de Melandis et avait fait subir à son odorat tellement de tortures olfactives qu'elle était surprise de pouvoir sentir encore quoi que ce soit. La lumière au loin l'apaisait et répandait dans son corps une chaleur diffuse. C'était idiot bien sûr mais elle avait l'impression que c'était là sa destination finale, la fin de son voyage. Loin de la panique qu'elle avait ressenti quelques minutes plus tôt, elle commençait peu à peu à retrouver des pensées cohérentes, pragmatiques, comme de brûler ses vêtements une fois que tout cela serait fini...