La Couronne de Cuivre

La remarque acérée de Claris et le ton tranchant avec sa première sortie fit l’effet d’une gifle à la servante sans doute traumatisée par sa mauvaise expérience de la nuit précédente. Elle fit un effort notable pour ne pas trop le montrer – en se retenant avec difficulté de pleurer. Si elle avait pu hésiter un instant sur les intentions de la protégée de son maître, la méchanceté et l’indifférence dont elle faisait désormais preuve ne l’incita pas à s’attarder plus longtemps :

- Ne vous souciez pas du plateau, je viendrai le rechercher plus tard.

La porte se referma, peut-être un petit peu plus fort que strictement nécessaire.

Claris haussa encore une fois les épaules. Les états d'âme d'une servante lui étaient parfaitement indifférents, après tout ; et faire semblant d'avoir de la considération pour elle était manifestement hors de ses compétences. En fait, ce serait plutôt auprès de sa mère, qu'il lui faudrait prendre quelques leçons. Une barde comme elle aurait certainement mieux joué la scène. Mais bon…

De Corvimande prit donc le temps d'anticiper sur la faim qui l'attendrait certainement au cours de l'épreuve ; puis sonna. S'aventurer sans guide à l'intérieur de ce domaine n'était peut-être pas particulièrement compliqué, mais il lui semblait préférable de ne pas risquer de se perdre maintenant.

Claris n’eut pas à attendre longtemps pour que l’on toque à sa porte. Mais, quand elle s’ouvrit un instant plus tard, ce fut Guillermo et non la servante qui entra dans la chambre de la mélandienne.

- Bonjour Claris. Avez-vous passé une bonne nuit ? L’entretien avec mon maître s’est-il bien passé ?

« Bonne question. Mais j'ai bien dormi, oui. Ça commence dans combien de temps ? »

Son repas achevé, Claris, profitant de pouvoir bouger sans ressentir la douleur résiduelle de ses blessures, effectuait quelques étirements et mouvements d'échauffement. Ne sachant pas trop ce qui l'attendait, il lui semblait important d'être en état de réagir prestement.

Guillermo avait refermé la porte derrière lui, sans doute dans le seul but de leur assurer un peu d’intimité. Il ne chercha pas à insister pour obtenir de réponses plus précises toutefois et se contenta de répondre à sa question :

- Mon maître attend encore les derniers invités et participants qui ne devraient plus tarder maintenant. Mais le départ de l’épreuve est de toute façon prévu dans deux heures. Je suis venu vous apporter, comme promis, une potion de soins légers. Mais si vous n’en avez pas l’usage immédiatement, rien ne s’oppose à ce que vous l’emportiez dans les souterrains.

« Celle d'hier était plutôt efficace. Donc il vaut mieux garder ça pour plus tard, oui. »

Emporter de tels objets dans son équipement serait sans doute un choix judicieux, à l'avenir. L'expérience lui avait montrer qu'on ne savait jamais sur quoi on risquait de tomber.

« Bon, et qu'est-ce qu'on est censés faire pendant ces deux heures ? Il y a quelque chose de prévu dans le coin ? »

C'est que, quitte à avoir autant à attendre, il aurait été plus intéressant pour Claris de paresser un peu plus longtemps dans son lit.

Le guide de Claris se contenta de hausser les épaules avant de déclarer d’un ton avenant :

- Bouliakov doit rencontrer une partie des autres concurrents et accueillir ses derniers invités mais il compte faire un petit discours avant le lancement des réjouissances. Vous avez donc quartier libre pendant une bonne heure au moins. Je peux en profiter pour vous faire visiter un peu le domaine si vous le désirez. Ou alors vous pouvez vous rendre dans la salle commune et deviser avec certains de vos futurs concurrents, voire tenter de nouer quelques alliances : dans les souterrains comme dans la vraie vie, les associations sont possibles et.. permises dans une certaine mesure.

Claris haussa les épaules à son tour.

« Va pour la salle commune, dans ce cas. »

Le domaine lui était totalement indifférent. Les autres candidats, en revanche, pouvaient s'avérer plus intéressants : il était toujours utile de se renseigner sur ses concurrents. Il fallait simplement faire attention à ne pas leur donner davantage d'informations sur soi que l'on en apprenait sur eux. Mais, pour ce point, au moins, son apparence était un avantage : la plupart des gens avaient tendance à lui coller une étiquette de “gamin” et à ne pas chercher plus loin.

Le ton resta neutre alors que Guillermo rouvrait la porte de la chambre :

- Comme vous le souhaitez. Méfiez-vous cependant : certains n’hésiteront pas à vous insulter s’ils pensent pouvoir prendre l’avantage dans un combat. Certains ne voient pas d’un mauvais œil la possibilité d’éliminer un peu de concurrence avant même le début du tournoi.

L’homme de main de Bouliakov précéda Claris dans le couloir puis dans l’escalier pour finalement aboutir dans la salle où la jeune femme avait pris son dîner la veille. La plupart des tables étaient inoccupées : les invités comme les concurrents ayant peut-être décidé de profiter de l’air frais du dehors ou – au contraire – de la chaleur de leurs couettes tant qu’ils le pouvaient encore. Claris avisa cependant deux groupes de guerriers en pleine discussion. Aucun des deux ne comptait de femmes dans ses rangs et elle ne reconnut personne d’emblée. Etaient-ils de simples mercenaires ou alors des nobles venus des provinces ?

La perspective d'une attaque avant le début ne l'inquiétait guère. Il y aurait sans doute moyen d'y parer. Du moins lui semblait-il.

En pénétrant dans la salle commune, Claris jeta un rapide coup d'œil aux personnes présentes avant de demander, à voix haute, à Guillermo

« Où est-ce que cela va se passer ? J'imagine qu'il y a un bâtiment conçu sur mesure un peu plus loin dans le domaine ? »

Guillermo esquissa un sourire indéchiffrable avant de répondre à la question de la mélandienne d’un ton neutre :

- Il est vrai que nous n’avons guère eu l’occasion d’en discuter jusqu’ici : le complexe est situé juste sous le manoir. Vous serez téléporté au quatrième niveau sous la surface. Le vainqueur est celui qui parvient à revenir au manoir en premier. Les invités auront la possibilité de suivre la progression des différents concurrents depuis leurs chambres privées. Mon maître a de bons contacts auprès de l’école du Necronomicon et a beaucoup investi dans cette entreprise.

Chic, devoir tout faire sous les yeux de la foule… bon, c'était prévisible. Mais tout de même.

« Oh. Ça va, ça a l'air simple. »

Le ton utilisé était trop faussement naïf pour que cela convainque qui que ce soit d'un minimum attentif. Quatre étages. Ce qui signifiait un assez grand nombre de pièces, et donc de mauvaises rencontres potentielles. Bon, il allait y avoir de quoi s'amuser, au moins.

« Pour ces messieurs du public, il va y avoir un genre d'œil de magicien qui nous suit, ou c'est un autre dispositif ? »

Guillermo répondit sans hésiter comme s'il prenait son rôle de guide très à cœur :

- Ne vous y trompez pas : le principe est simple mais il vous faudra trouver votre chemin au travers des pièges et des adversaires contrôlant certains passages. Sans parler de vos concurrents qui peuvent décider de vous tuer pour récupérer votre équipement ou simplement pour s'attirer les faveurs du public. Les esprits forts auront aussi leur épingle à tirer et pourront se démarquer en résolvant certaines énigmes qui ouvrent des passages plus faciles. Quant à la façon de vous suivre, je ne suis guère un spécialiste de la question. Tout ce que je sais est que certaines salles sont surveillées mais aussi que chaque invité a la possibilité de suivre en permanence un concurrent en particulier.

Grmpf. Claris espérait que personne n'aurait l'idée saugrenue de garder les yeux braqués sur ses propres faits et gestes pendant toute la durée de l'épreuve. Avoir un public pour quelques cabrioles n'était pas pour lui déplaire, mais l'avoir en permanence et sans savoir qui regardait ou non était beaucoup plus dérangeant. Son intimité, et quelques uns des secrets qui l'accompagnaient, avaient tout de même quelques raisons d'être préservées.

Rien ne transparut cependant de ces réflexions, et de Corvimande se contenta de répondre à son interlocuteur d'un clin d'œil, et en baissant quelque peu le ton.

« J'espère bien, que ça va être dur. Où serait l'intérêt, sinon ? »

Guillermo lui rendit son sourire et fit part d'un même enthousiasme :

- Vous êtes quelqu'un qui aime le défi : c'est le genre de choses qui plait à mon maître : ce n'est guère étonnant qu'il vous ait choisi. Mais ne sous-estimez pas les épreuves et agissez avec prudence : ceux qui croient remporter la course en partant rapidement ne réussissent qu'à affronter les plus sombres périls. A l'inverse, les plus pusillanimes n'obtiennent aucune faveur du public ou de mon maître : il faut savoir doser son effort pour venir à bout du Fil du Rasoir.

« J'aviserai en temps utile. De toute façon, il est difficile de savoir comment on réagirait tant qu'on n'est pas réellement en situation de réagir. »

Tout en parlant, Claris observait les autres personnes présentes. Toute information sur ses concurrents serait bonne à prendre. L'un d'eux tenterait-il de nouer la conversation, ou bien se contenteraient-ils, eux aussi, de l'observer de loin ?

Les autres groupes étaient avant tout constitués de guerriers, autant que Claris puisse en juger d’après leur carrure et leur équipement lourd. Cependant, elle aperçut un homme en robe à capuche ainsi que deux autres portant de simples armures de cuir, indiquant que d’autres compétences étaient représentées dans le panel sélectionné par Bouliakov. La plupart des autres concurrents se contentaient pour l’heure d’ignorer la jeune fille ou alors ils l’observaient particulièrement discrètement. Si elle voulait en apprendre davantage d’eux, elle devrait certainement prendre le risque de faire le premier pas. Elle était présentement trop loin pour surprendre les propos qu’ils s’échangeaient à voix basse.

Claris ne s'approcha d'aucun d'entre eux. Pour le moment. En revanche, son regard passa de l'un à l'autre, cherchant à évaluer leurs points forts et leurs points faibles. Les armures étaient ce qu'elles étaient, et il était difficile de blesser quelqu'un qui en portait une, mais il y avait toujours moyen de viser un endroit que l'armure ne couvrait pas. Enfin, presque toujours. L'homme en robe était-il un magicien ? D'après son père, ceux-ci, avant d'être aussi redoutables que lui, étaient longtemps extrêmement faciles à vaincre. Celui-ci était sans doute entre les deux. Parvenir au corps à corps avant qu'ils n'aient eu le temps de lancer trop de sorts était souvent la clef. Mais bien sûr, les choses seraient sans doute plus simple si les pièges se chargeaient de ses concurrents sans qu'il n'y ait d'affrontement direct…

Probable dernier post avant dimanche soir très tard, ou lundi.

Un examen attentif des armures révéla à Claris plusieurs points faibles qu’elle serait susceptible d’exploiter. Mais à condition de s’en souvenir si elle devait faire face à ces hommes au cours de l’épreuve. En se concentrant sur ses potentiels adversaires, la jeune mélandienne finit par surprendre certaines de leurs paroles, à moins qu’ils aient tout simplement élevé la voix à dessein :

- Franchement je suis déçu…
- Oui, le cru de cette année devait être exceptionnel…
- Mais il y a toujours des concurrents destinés à perdre rapidement pour le spectacle.
- Un jouvenceau tout de même : Bouliakov a dû racler les fonds de tiroir.
-Et encore tu n’as pas tout vu : il parait que le dernier concurrent serait *une* concurrente.
- Bah, si on la croise dans les tunnels, ça fera toujours une distraction !

Rowan observa les alentours avec étonnement, le manoir du fils Bouliakov était entouré d'une végétation luxuriante que l'on ne s'attendait pas à trouver à Mélandis. D'ailleurs qu'est ce qui prouvait qu'elle était encore sur l'archipel, la téléportation aurait très bien pu les amener sur Féerune - les plantes présentes rappelaient le Téthyr ou le Calimshan - ou ailleurs encore.
Elle devinait confusément que l'endroit devait servir de point de production à voir les essences présentes.

Ah tiens, une concurrente était moins sérieuse qu'un concurrent ? Quand Claris aurait gagné, il pourrait être intéressant de leur révêler certaines choses… ou pas. En tout cas, ils déchanteraient bien vite devant « le jouvenceau ».

« Vous savez, si vous vouliez qu'il n'y ait que des candidats sérieux ici, vous n'aviez qu'à rester chez vous. »

Pour Rowan

Le compagnon de Rowan ne lui laissa guère le temps de s’appesantir et de se perdre en hypothèse concernant la localisation du domaine et son usage utilitaire. A peine avaient-ils repris pied après leur transfert magique qu’il se dirigeait vers le bâtiment principal.

-Venez, ne tardons pas à rejoindre les autres. Les épreuves vont bientôt débuter.

***

Pour Claris

Les conversations s’interrompirent quelques secondes et plusieurs regards se tournèrent vers le « jouvenceau » avant que des éclats de rire tonitruants ne répondent à sa fanfaronnade provocatrice.

-Le petit n’a pas froid aux yeux au moins.
-Oui mais c’est la première fois qu’il participe.
-Et la dernière sans doute : il ne sait pas ce qui l’attend.

Rowan suivit son guide sans dire un mot mais gravant tous les détails possibles de ce qui l'entourait, ça pourrait toujours lui servir. Elle s'était rapprochée de Bouliakov fils mais si participer à cette joute faisait partie de la couverture rêvée, elle allait devoir penser à repartir saine et sauve.

"Comment repartirons nous, de la même manière?"

Son ton assuré ne laissait aucun doute sur ses intentions, gagner. Elle espérait aussi tirer les vers du nez à l'homme, avait-il un autre parchemin sur lui qu'elle pourrait lui subtiliser plus tard.

« Le petit » toisa crânement ses interlocuteurs, l'air de n'avoir aucun doute quand à sa victoire.

« Je sais plus ce qui m'attend que vous ne savez ce que j'ai déjà traversé. Mais nous en reparlerons après l'épreuve. Enfin, si vous êtes toujours là. »

À l'origine, Claris avait décidé de jouer sur ses airs de gosse pour déjouer la méfiance de ses concurrents. Mais ceux-ci se montraient si prompts à se laisser prendre au jeu, que répondre de façon hautaine et provoquante lui semblait maintenant beaucoup plus amusant. Et puis, rien n'indiquait que cela ne renforcerait pas les illusions de ces naïfs énergumènes.

Rowan découvrit que la majorité du rez-de-chaussée de la bâtisse principale était occupée par ce qui ressemblait en tous points à une salle d’auberge, n’étaient la dizaine de « clients » un peu particuliers qui s’y trouvaient présentement. Parmi eux se distinguaient trois groupes : quatre hommes en armure lourde isolés autour d’une table dans un coin de la pièce. A l’inverse, les deux autres groupes, plus hétéroclites, étaient composés de trois hommes en armure intermédiaire, un autre en robe et enfin, deux autres personnes qui semblaient en conversation avec ces derniers tout en se tenant un peu à l’écart : un homme en belle tenue mais qui ne portait ni arme ni armure et un jeune homme qui venait de haranguer l’autre groupe.

Autre groupe qui opposait à présent une fin de non recevoir aux derniers propos de Claris et s’étaient tournés vers les nouveaux venus.

- Ah, voici notre donzelle !

Rowan constata que comme souvent dans ce genre d'affaire une foule hétéroclite s'était ramenée pour emporter la gloire et les richesses en jeu. Il y avait là des guerriers, un ou deux jeteurs de sorts et au moins un "collègue" actif dans le même secteur d'activités que la jeune lycanthrope. Point positif elle était la seule femme présente et à voir les mines présentes une partie d'entre eux la prenait déjà pour une entrave négligeable dans leur ascension, tant mieux pour elle, nombreux sont ceux à avoir remporté la victoire pour avoir été sous-estimé par leurs ennemis .
En revanche elle ne voyait personne qui ressembla de près ou de loin à l'homme qu'elle avait assassiné au Manoir Bouliakov voilà quelques jours.

La « donzelle » en question n'avait pas l'air bavarde. Mais elle avait l'air de savoir mieux se servir de sa tête et de ses yeux que la plupart des autres individus présents. Ce qui faisait d'elle l'adversaire principal… ou peut-être une alliée potentielle.

Claris continua de regarder négligemment les hommes qui l'entouraient, laissant les conversations reprendre leur cours normal, préférant ne pas intervenir de nouveau avant de rencontrer une éventuelle autre occasion.

Le trentenaire que Claris avait identifié comme étant le maître des lieux choisit ce moment pour faire une apparition. Elle put notre qu'il portait des vêtements ostentatoires mais pas les mêmes que la veille. Rowan, quant à elle, n'eut aucune difficulté à reconnaître les traits d'un homme dont elle avait brièvement fait la connaissance quelques semaines plus tôt. Bouliakov s'avança vers elle avec un sourire confiant et lui tendit la main :

- Vous devez être notre toute dernière candidate. Bienvenue au domaine Bouliakov. Je ne peux malheureusement pas prolonger nos présentations car la plupart de vos concurrents sont en place et le début de l'épreuve ne saurait tarder. En fait, il ne manque plus qu'un détail pour que tout soit prêt. Mais puis-je connaître votre nom ?

Bien, la première partie du plan de Rowan qui était de se rapprocher du fils Bouliakov était accomplie même si elle s'était surtout laissée guider par les événements plutôt que de les créer. Restait à le tuer et à fuir saine et sauve, le dire était facile mais le faire l'était moins, beaucoup moins. Surtout à voir les personnes présentes, dur de croire que personne ne lèverait le petit doigt pour aider Bouliakov, elle allait donc devoir faire cette épreuve pour y arriver. Elle s'inclina devant son hôte et accessoirement future victime:

"Bien sûr monseigneur, je me nomme Rowan"

Claris ne disait rien, observant la scène ; et songeant distraitement que la femme était probablement trop adulte pour être du goût de Bouliakov. Pour l'importance qu'avait ce détail. Que manquait-il encore avant le lancement de l'épreuve ? Quelque chose au niveau de la préparation des lieux et des pièges, sans doute. Bah, l'on verrait bien.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Le domaine Bouliakov